LE CORRIDOR MARITIME DE LA « MEDITERRANEE ASIATIQUE », AXE MAJEUR DE LA MONDIALISATION

Espace singulier entre terre, mer et ciel qui voit une guirlande d’archipels (Japon, Philippines, Indonésie …) faire face à la masse continentale de l’Asie tout en délimitant des mers bordières qui forment autant de bassins interconnectés (mer du Japon, mer aune, Mers de Chine orientale et méridionale, mer de Sulu, mer des Célèbes …), le corridor maritime de la « Méditerranée Asiatique » 1 est fermé au sud par les détroits indonésiens et vient s’essouffler au nord entre Vladivostock, l’archipel japonais (Honshu et Hokkaido) et l’île de Sakhaline dans la Manche de Tartarie. Loin de constituer un espace clos, la notion de corridor maritime présume un axe de transport principal (auquel peuvent être associés des axes secondaires) le long duquel se déploient des carrefours urbains (en l’espèce des ports associés à des chaînes de production hinterlandisées ou non) interdépendants et connectés en réseaux qui participent à dynamiser des voies de circulation à différentes échelles2. Il se définit alors plus par des flux que par des frontières immobiles. Creuset où se fondent les initiatives industrielles et entrepreneuriales couplées à l’activité d’innovation, « la Méditerranée asiatique » a connu depuis les années 1980 une croissance économique exceptionnelle, en grande partie fondée sur les exportations vers l’Amérique du Nord et l’Europe. « Workshop of the world », les pays riverains de la « Méditerranée asiatique » se sont spécialisés dans l’exportation de produits manufacturés en fonction de leur rôle dans la division régionale et internationale du travail. Espace multiplicateur des échanges, interface entre les différentes aires de civilisations se référant à des systèmes économiques et sociaux très hétérogènes, le corridor maritime de la « Méditerranée asiatique » constitue une véritable « épine dorsale de la mondialisation »3, définie par Laurent Carroué4 comme le « processus de diffusion du système d’économie marchande dans l’espace mondial ». Dans la dernière décennie, si son insertion dans la mondialisation des échanges ne s’est pas démentie, on assiste à une régionalisation dont témoigne la très forte croissance du commerce asiatique intra-régional5.
Notre démonstration se propose d’étudier les tensions pesant sur l’espace du corridor maritime de la « Méditerranée asiatique », produites par des combinaisons complexes associant les jeux d’acteurs divers (organisation inter-étatiques, États, acteurs privés, groupes criminels,…) et le processus de mondialisation, qui font s’entrechoquer les intérêts, particuliers ou partagés, et les échelles géographiques.
Après avoir constaté la domination du CMMA sur l’artère circumterrestre des circulations de marchandises et les conséquences spatiales induites par cette insertion dans la mondialisation, il s’agira de le penser comme un espace de compétition autour duquel s’articulent et se répondent un « Jeu de go » régional » et un « Grand Jeu » planétaire. Enfin, dans un exercice plus prospectif, il sera question de réfléchir aux perspectives d’avenir du CMMA.

1. Le CMMA domine l’artère circumterrestre des circulations de marchandises
1.1 Archéologie d’une voie de circulation bimillénaires
Le rôle du corridor maritime de l’Asie orientale dans les circulations des marchandises est ancien. L’existence de la route maritime du Sud-Est Asiatique est attestée aux IIème et Ier siècle av. J.-C. Le commerce chinois direct avec Ceylan a commencé au début de l’ère chrétienne. A la même période, le cabotage de bateaux de commerce indien le long des côtes de la Malaisie puis de l’Indochine contribue à mettre en relation Asie du Sud et Asie de l’Est. Les Chinois « exportent » déjà soie, céramique, papier et cuivre, prioritairement vers le Japon et l’Asie du Sud-Est, tandis que les Indiens font commerce de tissus (cotonnades, mousselines), cauris (coquillage servant de monnaie ramassés aux Maldives et entassés au Gujarat), perles (coralines) et épices. Entre le VIIème et le XVIIème siècle, notre espace d’étude est le théâtre du déploiement successif ou concomitant d’acteurs maritimes dynamiques. La thalassocratie de Srivijaya (dont la capitale Palembang est située au sud de l’île de Sumatra) commande notamment les détroits de Malacca et de la Sonde entre le Xème et le XIIIème siècle. A partir du XIVème siècle, la ville-Etat de Malacca prend son relais en bâtissant un empire commercial maritime reposant sur un réseau marchand connecté tous azimuts à l’Inde, la Perse, la Syrie, l’Afrique de l’Est et la Méditerranée mais aussi avec la côte birmane, le Siam, la Chine et le Japon jusqu’à constituer « le plus grand système commercial de l’époque »6. Véritable « hub », il concentre des épices de toute l’Asie du Sud-Est et assure dans le même temps la distribution des textiles indiens. L’apogée de la puissance maritime chinoise est - quant à elle- à situer entre le XIIIème et le XVIème siècle (fin des dynasties Song et Yuan et période de la dynastie des Ming). Il suffit de rappeler la gloire de la « Flotte au Trésor » chinoise placée au XIVème siècle sous le commandement de l’amiral eunuque et musulman Zheng He (1371-1433). Disposant d’une flotte de 3500 navires servie 37000 marins, elle sillonne les mers de l’estuaire du Yangzigjiang jusqu’à Zanzibar. Elle prenait appui sur une structure réticulaire complexe déployée en Asie du Sud et du sud-Est mêlant réseaux de marchands et réseaux officiels. Cette grande politique maritime chinoise était l’objet de l’hostilité des lettrés confucianistes, jaloux de leur pouvoir et composant l’essentiel de la bourgeoisie impériale. Ils s’opposaient à une bourgeoisie commerçante tournée vers la mer dont ils jugeaient les activités trop dispendieuses pour les finances impériales. Ils préféraient le tribut au commerce. Si le repli continental chinois fut acté aux XVème et XVIème siècles, si les circulations maritimes autorisées périclitèrent, en revanche la contrebande connut un florissant essor. Plus au nord, des réseaux maritimes et les circulations associées connurent des fortunes comparables. L’archipel japonais des Ryûkyû fut par exemple tout au long de la période Edo (1603-1868) la plaque tournante du commerce entre la Chine et le Japon, avant que le Japon ne se ferme à son tour. Une bourgeoisie japonaise, encore embryonnaire installa des comptoirs en Asie du Sud-Est7.
L’arrivée des Européens dans la zone suivit l’ouverture de la route des Indes par Vasco de Gama (1497-1498). Aux navires espagnols et portugais8 croisant en « Méditerranée asiatique », s’ajoutèrent successivement les Hollandais9, les Anglais10 et les Français11, prolongeant les routes commerciales jusqu’en Chine puis au Japon. Dans les premiers temps, ces circulations « mondialisées » fonctionnaient à sens unique (cale vide au départ de l’Europe puis approvisionnement dans les comptoirs de Malacca, Macao ou encore Batavia servant comme autant de points d’appui dans leur stratégie mondiale). Au XIXème siècle, de la fondation de Singapour en 1819 et des Straits Settlements britanniques jusqu’au « 55 jours de Pékin » pendant la guerre des Boxers, (1899-1901), des guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860) à l’expédition du Commodore Peary au Japon en 1854, les puissances européennes et occidentales lancées dans un « Grand Jeu » colonial (au premier rang desquelles le Royaume Uni) n’ont eu de cesse de forcer les grands ports est-asiatiques à s’ouvrir. Aux 5 treaty port initiaux ouverts par le traité de Nankin en 1842 s’ajoutent 87 ports maritimes, fluviaux, villes frontières et nœuds ferroviaires jusqu’en 1917 ; Shanghai et Hong Kong assumant des fonctions centrales. Si les puissances occidentales parviennent à s’imposer comme les maîtres d’une « Méditerranée asiatique » conçue comme un des plaques tournantes du grand commerce international12, le commerce maritime intra-asiatique poursuit son développement et bénéficie notamment du dynamisme -jamais démenti- des diasporas négociantes chinoises et malaisiennes. Au final, il s’agissait pour les puissances extra-asiatique autant de s’approvisionner en épices, thé ou opium que -dans un contexte de promotion du libre-échange- de forcer la porte des marchés asiatiques afin de pouvoir trouver des débouchés pour les produits manufacturés usinés sur le Vieux Continent.
Au XXème siècle, le corridor de la « Méditerranée asiatique » est demeuré à la confluence des enjeux politiques et économiques régionaux et globaux. Les États-Unis s’imposant peu à peu comme l’acteur extérieur majeur depuis leur installation en 1898 aux Philippines. De la guerre russo-japonaise de 1905, à la « Guerre de 15 ans » (1931-1945) qui vit s’opposer l’impérialisme nippon au continent puis aux Etats-Unis avec comme projet de faire de la « Méditerranée asiatique » une véritable « Mare Nostrum » dominée par l’Empire du Soleil Levant, des conflits de Corée ou du Vietnam sur fond de Guerre Froide aux tensions actuelles avec la Corée du Nord, l’espace maritime du CMMA reste aux centre des préoccupations géostratégiques des puissances régionales et mondiales. A partir des années 1970-1980, la croissance économique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est portée successivement par le dynamisme industriel et commercial du Japon, des Dragons, des Tigres puis de la Chine a bouleversé la géographie économique de la région et réorienté le commerce international. Le CMMA se positionne alors comme un pôle majeur sinon hégémonique pour la circulation des marchandises dans un contexte de mondialisation des échanges.

1.2 Le CMMA ou l’apogée la mondialisation par la conteneurisation
La mondialisation se caractérise depuis les années 1980 par une explosion des flux de marchandises. Près de 90 % des marchandises empruntent au moins une fois une voie maritime au cours de leur trajet. Ce trafic maritime mondial est ordonné autour d’une artère circumterrestre centrée sur l’Asie, en particulier sur la « Méditerranée asiatique ». Sur cette artère circulent pétroliers, vraquiers et autres porte-conteneurs géants. La conteneurisation est l’outil maritime essentiel qui rend possible cet accroissement des échanges par voie maritime et au delà, le développement exponentiel du commerce mondial des échanges de biens manufacturés. A la charnière des échanges mondiaux, le CMMA s’articule donc avec les grandes routes maritimes mondiales. La Route Pacifique le relie aux États-Unis en empruntant les chemins les plus courts entre les deux rives13. Elle est prolongée par la route du canal de Panama qui permet de desservir la côte est des États-Unis ou l’Europe occidentale. La liaison Asie-Europe est assurée essentiellement par des lignes régulières qui mettent en relation la Northern Range (du Havre à Hambourg) avec le CMMA en suivant la route maritime de l’Ouest (Malacca, Aden, Mer Rouge, Suez, Méditerranée, Gibraltar, manche, Mer du Nord). Par exemple, la CMA-CGM (souvent en coopération avec d’autres opérateurs : Evergreen, Maersk, MSC …) propose 10 liaisons assurées pour chacune d’entre elles par 10 porte-conteneurs de taille équivalente14 pour un trajet compris entre 60 et 80 jours. Ces liaisons FAL (French Asia Line) desservent entre 10 et 20 ports selon les formats. A ces flux mondialisés, se superposent des routes maritimes régionales qui structurent l’espace du CMMA. Elles révèlent un commerce interne à la région dynamique qui agit par complémentarité des économies et de la division régionale du travail. Ainsi, l’Australie exporte vers ses partenaires asiatiques des matières premières et leur achète des biens manufacturés. Enfin, l’essentielle route maritime des hydrocarbures relie le Golfe Persique et la mer Rouge (pétrole soudanais) à l’Asie de l’Est en empruntant le détroit de Malacca afin de couvrir les besoins énergétiques de la Chine (premier importateur mondial de pétrole), du Japon ou encore de l’Indonésie, qui malgré sa production et sa qualité de membre fondateur de l’Opep est aujourd’hui un importateur net de pétrole.
Pivot des échanges mondiaux, le CMMA est parcouru par une grappe impressionnante qui s’étire de Port Kelang15 à Tokyo regroupant les principaux ports mondiaux16. Ils dominent le tonnage global des marchandises et commandent les trafics de conteneurs17. Huit des dix premiers ports mondiaux pour les tonnages sont chinois. Ils profitent d’une façade maritime favorisée depuis la fin des années 1970 par la politique des ZES (Zone économiques Spéciales). Ces grands ports du CMMA sont de véritables plate-formes multimodales qui redistribuent les flux. Ce fonctionnement en hub and spoke18 participe d’un maillage de l’espace du CMMA qui compte bien plus que des frontières géographiques pour en délimiter les contours. Ce maillage est lui même hiérarchisé. Il est fait de plate-formes principales (hubs) et de flux régionalisés (feeders19) qui collaborent autant qu’elles se concurrencent. François Gipouloux décrit ce maillage comme en perpétuelle recomposition en fonction de la volatilité des flux en question (celui des biens physiques, des capitaux, des informations et des personnels)20. Cette stratégie de hub and spoke est soumise à la conjoncture économique mondiale (baisse de 20% du trafic en 2008 et 2009 pour le port de Shanghai). Reliés à des hinterlands concentrant des fonctions productives, ces ports polarisent non seulement l’activité mondiale et régionale mais aussi réorganisent les territoires à une échelle infra-régionale. L’attractivité du port de Shanghai – véritable plate-forme vers l’Asie du Nord- profite au port de Ningbo voisin de 125 km au sud. Lorsqu’il s’agit d’accroître les capacités de chargement de déchargement du port de Shanghai, d’éviter les problèmes de tirant d’eau et d’ensablement du port ancien de Waigaoqiao, les activités portuaires sont en partie transférées sur une île artificielle -Yangshan- abritant un port en eau profonde et située à l’issue d’un pont de 33 km de long. Le port de Singapour rend compte d’une même organisation de l’espace portuaire régional. Disputant à Shanghai la première place mondiale pour le trafic de marchandises, il participe de la même logique de hub and spoke vers l’Asie du Sud ainsi que pour les trafics liés à l’économie singapourienne (importations de matières premières et exportations de produits finis), confirmant sa vocation de grand emporium du sud du CMMA. Conjuguant les effets de la mondialisation, de la littoralisation et de la métropolisation, l’espace du CMMA apparaît comme fortement polarisé, l’organisation réticulaire des principaux pôles -Singapour, Hong Kong, Shanghai, Séoul, Tokyo - autour d’axes de circulations maritimes dynamiques et intégrés à l’Archipel Mégalopolitain Mondial décrit en 1996 par O. Dolfuss21, accentue les disparités pré-existantes avec les espaces intérieurs. Le défi pour les États riverains de « la Méditerranée asiatique » est de résoudre l’aporie entre la nécessité de peser sur le jeu régional et mondial tout en maintenant la cohésion de leurs territoires.
2. Le CMMA : entre « jeu de go » régional et « Grand Jeu » planétaire
2. 1 Le CMMA au centre des subtils jeux asiatiques
Axe de circulation vital pour les pays riverains, et au delà, colonne d’eau recelant des ressources halieutiques, fonds marins offrant des possibilités pour des activités offshores d’exploitation d’hydrocarbures, le CMMA attise les convoitises. Les tensions potentielles ou avérées entre les différents protagonistes sont amplifiées par les nombreuses difficultés à élaborer des frontières stables et consensuelles dans cet espace complexe qui voit s’imbriquer espaces maritimes et îles, et les logiques géographiques ou géologiques se heurter à des revendications parfois séculaires.
Le CMMA peut être considéré comme une mer intérieure ouverte sur l’extérieur par des détroits qui sont autant de « portes océanes »22 stratégiques. Détroits indonésiens (Malacca, Sonde, Lombock, Macassar, Mindoro,…), détroit de Taïwan entre la RPC et Taïwan, détroit de Tsushima entre Japon et Corée, la pression sur ces verrous est d’autant plus exacerbée que le trafic maritime connaît une croissance exponentielle. L’ouverture de ces détroits est vitale pour les économies de la zone, en particulier pour le Japon (41% de ses importations dont 80 % de son pétrole transitent par le détroit de Malacca) et la Chine. Le détroit de Malacca relie la mer d’Andanam à la mer de Chine orientale Avec plus de 75000 navires par an, il capte 30 à 40% du trafic mondial (40% du trafic d’hydrocarbures) ainsi qu’un très important trafic intrarégional. S’il se déploie sur 900 km de long et de 50 à 300 km de large, il se termine par un goulet de moins de 3 km où les fonds s’élèvent à 25 m au dessous du niveau des eaux. Sujet aux tentatives d’appropriation entre les États riverains23, la Convention de Montego Bay en 1982 a définit, pour le détroit, un régime de passage en transit, moyen terme entre « le droit de passage inoffensif » et « la libre circulation maritime et aérienne en haute mer », garantissant la liberté d’accès au détroit.
Le règlement des frontières maritimes entre les États riverains de la CMMA demeure suspendu à la résolution de conflits gelés. Malgré la ratification de la Convention des Nations Unies pour le Droit de la Mer (CNUDUM)24 par la plupart des États concernés25, les tensions se cristallisent en particulier sur la souveraineté des îles. Du nord au sud de « la Méditerranée asiatique » les litiges sont nombreux. Japon et Russie se disputent les Kouriles du Sud, groupes de 4 îles habités. Le Japon et les deux Corées s’opposent sur la question de l’île Takeshima/Tok-do dans la mer du Japon26, un deuxième contentieux entre le Japon et la Corée du Sud et concerne les îles de Danjô-guntô et Tori-shima27. Le Japon, la Chine et Taïwan revendiquent chacun leur souveraineté sur l’archipel des Senkaku-shotô/ Diaoyutai28. Au sud du CMMA, la Chine, Taiwan et le Vietnam se disputent la souveraineté territoriale et l’instauration d’une ZEE sur les archipels coralliens inhabités des Spratleys et des Paracels. Les Philippines, la Malaisie et Brunei ont également des prétentions partielles sur ces espaces. Cette zone est d’autant plus stratégique pour la Chine qu’une nouvelle base de sous-marins nucléaires a été récemment positionnée sur l’île de Hainan, dans le sud du pays. Fidèle à sa stratégie d’occupation de la zone, Pékin avait déjà annoncé début 2010 sa ferme intention de développer le tourisme dans l’archipel des Paracels, suscitant alors de vives réactions de la part des pays voisins alors qu’en 2011 un navire d’étude sismographique de la compagnie nationale Petro Vietnam a vu son matériel endommagé par trois patrouilleurs chinois alors qu’il se trouvait à peine à 120 miles des côtes vietnamiennes. Le 18 mai 2014, les autorités de Pékin décident l’évacuation de 3000 ressortissants chinois du Vietnam, suite aux violentes prises à partie par des manifestants vietnamiens de ses intérêts économiques et diplomatiques dans le pays, manifestations provoquées par l’annonce par les autorités chinoises de forages à venir dans la zone des Paracels29. Les tensions entre les deux voisins ne sont pour l’heure pas prêtes de retomber. Aujourd’hui moins médiatique, le cas du Timor-Leste semble sur la voie de l’apaisement L’indépendance du Timor-Leste, territoire de petite taille au sein de l’archipel indonésien, rattaché en 1975 malgré une tradition lusophone et catholique, a été obtenue suite à un référendum en 1999 donnant une majorité aux indépendantistes suivi de l’accès à l’indépendance en 200230.

 

2.2 La Chine, entre « Jeu de go » régional et « Grand Jeu mondial »
Ces multiples écueils rencontrés en « Méditerranée asiatique » pour définir des frontières maritimes consensuelles, pour isolés qu’ils apparaissent au premier regard, s’inscrivent dans un « Grand Jeu » régional, impliquant au premier chef la République Populaire de Chine. Dopée depuis trente ans par une croissance économique impressionnante et un sentiment de la fierté nationale retrouvé, la Chine mène une ambitieuse stratégie maritime régionale31, reprenant à son compte la citation de Sir W. Raleigh32 : « Quiconque contrôle la mer contrôle le commerce ; quiconque contrôle le commerce mondial contrôle les richesses du monde, et conséquemment le monde en soi ». Les autorités de Pékin de poursuivre trois objectifs : sécuriser des routes maritimes empruntées par 90% du commerce international chinois (en particulier l’approvisionnement pétrolier), exploiter les ressources pétrolifères off-shore et halieutiques (les ambitions de souveraineté maritime de la Chine s’expliquent donc aussi par la volonté de disposer des ressources des fonds marins) et accéder au grand large, l’océan Pacifique, pour devenir réellement une puissance de dimension mondiale (ce qui implique non seulement de contrôler le détroit de Formose et Taïwan, objectif premier de la réunification chinoise, mais aussi de franchir les chaînes d’îles qui s’étendent du Japon jusqu’aux Philippines ; ce qui commande la volonté de développer une Blue Water Navy et non plus seulement une Brown Water Navy.)
Ces trois objectifs géopolitiques expliquent que la Chine ait pu déclarer officiellement, en 2010, que la mer de Chine devait désormais être considérée comme étant du même niveau d’intérêt stratégique que Taïwan, le Tibet ou le Xinjiang. L’ampleur de la demande en matière de souveraineté maritime est immense. Alors que la ZEE chinoise ne couvre aujourd’hui que 800 000 km2 (contre plus de 11 millions pour la France), il convient de prendre la mesure de ce que la Chine ambitionne de recouvrir : en comptant les îles disputées en mer de Chine du Sud (Spratleys et Paracels) ou avec le Japon et la Corée du Sud, ce sont plus de 3 millions de km2 de zones économiques exclusives et d’extension du plateau continental qui sont revendiqués.
Le problème est que cette ambition est en contradiction flagrante avec les intérêts géopolitiques d’au moins cinq puissances rivales :
- Le Japon est sans doute le principal problème maritime de la Chine. Outre le fait qu’il ne faut jamais oublier que Taïwan a été arraché à la Chine continentale par le Japon (traité de Shimonoseki de 1895), ces deux pays ont en commun la même préoccupation principale : sécuriser des routes du commerce international et d’approvisionnement en matières premières qui sont les mêmes ? La stratégie maritime des Forces maritimes japonaises d’auto-défense est commandée par trois cercles concentriques ayant pour centre le Japon. Le premier anneau concerne la sphère d’influence immédiate du Japon, comprenant la mer de Chine orientale, la mer du Japon, certaines parties de la mer Jaune et du Pacifique Nord. La priorité japonaise y est de protéger les îles de toute attaque pouvant venir de la Corée du Sud (îles Takeshima pour les Japonais, Dokdo pour les Sud Coréens) comme de la Chine (îles Senkaku pour les Japonais, Diaoyu pour les Chinois). Sur le plan maritime, la Corée du Nord n’est pas considérée comme une menace aussi importante que la Corée du Sud ou la Chine, car elle ne pose pas le problème de l’accès à l’énergie et aux ressources minérales off-shore. Au-delà du problème de la souveraineté sur les îles revendiquées, de part et d’autre, la volonté chinoise de traverser la chaîne d’îles japonaises au-delà de la fosse d’Okinawa (notamment dans le passage entre les îles Okinawa et Miyako) et ce afin d’atteindre le Pacifique, constitue aussi, aux yeux du Japon, une menace stratégique directe. Le deuxième anneau stratégique japonais intéresse la mer de Chine méridionale. Par celle-ci passe 90% du commerce japonais et ses riverains accueillent une part importante de la base industrielle japonaise. Pour s’assurer que les Chinois ne soit en situation d’être la puissance hégémonique de la zone et s’accapare les ressources (hydrocarbures off-shore et richesse halieutique des Paracels et des Spratleys), les Japonais renforcent leur coopération avec le Vietnam et les Philippines. Au-delà de la mer de Chine méridionale (troisième anneau), les ambitions japonaises sont encore limitées, même si le pays participe aux opérations internationales de lutte contre la piraterie au large de la Somalie. Tokyo n’est pas encore entré dans la logique de construire une capacité significative de projection de force lointaine.
- L’Inde est le second obstacle aux velléités chinoises d’accès à la puissance maritime. Depuis la fin de la Guerre Froide, l’Inde développe son influence en Asie du Sud-est, en prenant appui sur des relations privilégiées tissées avec le Vietnam et les Philippines et poursuivant comme objectif principal de bloquer la projection chinoise vers l’océan Indien. La priorité maritime de l’Inde est de maintenir son leadership régional sur l’océan Indien. La stratégie chinoise du collier de perles qui vise à aménager le long des routes maritimes des facilités portuaires (Birmanie, Bangladesh, Sri Lanka, Maldives, Pakistan) est perçue comme une menace par New-Delhi. La sur-activité indienne en mer de Chine méridionale est donc à interpréter comme une réponse à la sur-activité chinoise dans l’océan Indien.
- Quoique bien plus faible que l’Inde, le Vietnam constitue le troisième obstacle sérieux aux ambitions maritimes de la Chine. Fin ruban de terre tendu entre les bassins de la Rivière Rouge et du Mékong, la mer et ses ressources sont indispensables au développement du pays. Les activités maritimes représentent la moitié du PIB de ce pays. Le pétrole brut sorti de Cuu Long Bay génère près 5 milliards de dollars annuels et couvre les importations de pétrole raffiné. Exploité depuis 1975, le site arrive en fin de course. Le Vietnam doit impérativement trouver une solution de substitution au risque de devenir à brève échéance importateur net de pétrole et de voir son modèle de croissance menacé. L’activisme naval chinois dans les Paracels et les Spratleys est donc ressenti par les Vietnamiens comme une menace grave pesant sur la souveraineté même du pays autant que sur son accès à des ressources halieutiques et énergétiques vitale. Ce qui explique le rapprochement méfiant engagé par les autorités d’Hanoï avec les autorités américaines.
- Alliées historiques des Etats-Unis, Philippines disputent elles aussi les Spratleys à la Chine . Au mois de septembre 2013, des marins chinois ont posé des structures en dur sur l’atoll de Scarborough situé à un peu plus de 200 km des Philippines à l’intérieur de sa ZEE revendiquée et à 650 km de l’île chinoise de Hainan, entraînant les protestations les plus vives du gouvernement de Manille33.
- En arrière plan, les États-Unis, qui entendent conserver la domination sur le Pacifique (domination qu’ils ont obtenue en brisant au XXe siècle l’ascension du Japon) déploient une stratégie indirecte, qui n’est pas sans rappeler les grandes heures du «containment » qui suivent implique selon une échelle décroissante de la menace, le Japon, l’Inde et le Vietnam.

L’affirmation de la présence chinoise sur d’autres mers (la Méditerranée reçoit depuis 2007 des navires chinois, l’implication chinoise dans la lutte contre piraterie en particulier pour sécuriser les routes maritimes de la corne de l’Afrique) confirme la montée en gamme de la puissance navale chinoise. Cependant, la Chine est encore bien seule dans ses ambitions maritimes au moins de la mer Jaune jusqu’à la mer de Chine méridionale (car dans l’océan Indien elle peut s’appuyer sur tous les rivaux de l’Inde). Si quelques convergences (qui entend bien maintenir, au détriment du Japon, sa souveraineté sur les Kouriles, condition de sa projection vers le Pacifique depuis la mer d’Okhotsk) pourraient être trouvées avec la Russie, de même que le champ de compétence du Groupe de Shanghai pourrait être élargi à la dimension maritime, sur le long terme Moscou reste méfiant face à la toute-puissance de la Chine d’autant que sa coopération militaire avec Hanoï et New-Delhi entre en contradiction avec l’idée d’un rapprochement trop étroit avec Pékin.
Pour assurer sa sécurité et sa croissance et en dépit des obstacles énumérés, la Chine entend bien se frayer un chemin libre vers les océans Pacifique et Indien. Cette « envie de large » de la Chine a pour réplique une montée en puissance des programmes d’armement naval dans la région. Les autorités chinoises ont d’ailleurs compris que jouer uniquement sur les rapports de force navals et géopolitiques ne suffira pas pour atteindre leurs objectifs. Comment ne pas voir dans la « tournée de charme » du nouveau Président chinois Xi Jinping en octobre 2013 en Malaisie, en Indonésie et aux Philippines 34, qui profita de l’annulation de la tournée du Président Obama35 dans la région (retenu à Washington par la crise du Shutdown), la volonté de positionner la Chine en puissance « responsable » et « pacifique » disposée à régler les contentieux frontaliers et à investir dans les États riverains du CMMA ?

3. Quel avenir pour le CMMA ?
3.1 « Une mer en partage »36 ?
Une voie pour la coopération s’ouvre-t-elle en « Méditerranée asiatique » ? Les dossiers ne manquent pas qui nécessitent à minima un traitement régional. La lutte contre la piraterie au même titre que celles contre les trafics illicites (armes, stupéfiants, êtres humains, migrations clandestines ou encore les pêches illégales) sont des préoccupations communes à tous les États riverains du CMMA. Les abcès de fixation de l’antimonde sont y nombreux. Macao demeure la capitale mondiale du jeu et des trafics en tous genres (4 fois plus de mise qu’à Las Vegas en 2011). Les paradis fiscaux sont pléthores sur les bords de la « Méditerranée asiatique ». Singapour est considérée comme une véritable « Suisse asiatique » jalouse de son secret bancaire puisque sa législation permet l’existence de donneurs d’ordres non identifiables depuis des sociétés implantées dans le micro-Etat. En Malaisie, l’île de Labuan37 garantit aux clients de ses établissements bancaires, le refus de communiquer le nom des titulaires des comptes abrités et un taux d’imposition à 3 %. Bien positionnée entre Chine et Inde, elle a vocation à développer ses activités de hub bancaire et financier du sud-est asiatique. Dans un autre secteur, l’Asie du Sud-Est demeure le troisième foyer au monde de piraterie avec une recrudescence récente des attaques après quelques années de moindres activités (141 attaques en 2013)38. Cette situation s’explique par un contexte de mafias puissantes, de pauvreté endémique auxquelles se superposent des revendications indépendantistes et un irrédentisme religieux actif. Depuis une vingtaine d’années, la lutte contre la piraterie est un intéressant laboratoire pour la coopération entre les États riverains (et au delà d’ailleurs) de la « Méditerranée asiatique » qui initient des collaborations autour de la défense d’intérêts partagés. Dès 1992, un centre régional de lutte contre la piraterie est crée avec le concours de l’Organisation Maritime Internationale (OMI, qui dépend de l’ONU). Un Forum des armateurs régionaux, basé à Kuala Lumpur et mis en place à l’initiative du Japon, est géré conjointement par la Chambre internationale de commerce et l’OMI. L’augmentation des capacités de surveillance, l’organisation de patrouilles coordonnées (par exemple entre Singapour et l’Indonésie, l’Indonésie et la Malaisie, la Malaisie et la Thaïlande pour le détroit de Malacca), l’amélioration de la communication entre les différents centres opérationnels sont autant de mesures prises au niveau national et bilatéral. Progressivement une réponse plus globale a été organisée dans un cadre multilatéral : opération Malsindo39, Eyes in the Sky40, L’Intelligence Exchange Group41. L’ensemble de ces actions sont coordonnées par un Joint Coordination Committee. De plus deux structures multilatérales sont chargées de partager l’information d’intérêt maritime ont été inaugurées au début des années 2000 : l’Information Sharing Centre (ISC) et de l’Information Fusion Centre (IFC)42. Dans le prolongement de la lutte contre la piraterie en « Méditerranée asiatique », les exercices conjoints entre forces navales permettent de développer la coopération mais aussi une interopérabilité entre les différentes forces des pays participants. La lutte contre la piraterie et le terrorisme maritime, contre les trafics illicites ou plus récemment les opérations civilo-militaires43 sont autant de domaines dans lesquels une communauté de doctrine permet une plus grande capacité de coopération. Ces exercices auxquels participent des acteurs extérieurs comme l’Inde ou les États-Unis constituent un chantier majeur de l’ASEAN dans le domaine de la coopération sécuritaire. L’ASEAN joue une part de sa crédibilité sur son aptitude à formuler une réponse régionale à ces problématiques sécuritaires. Comme l’a reconnu le 11 mai 2014 le chef de la diplomatie indonésienne, Marty Natalegawa, à occasion du sommet de l’organisation à Naypyidaw (Birmanie), « la mer de Chine méridionale reste une épreuve pour l’Asean»44. Les litiges frontaliers en Mer de chine méridionale sont autant de freins à la mise en place du projet de marché économique commun de 600 millions d’habitants (regroupant Thaïlande, Malaisie, Singapour, Indonésie, Philippines, Brunei, Vietnam, Laos, Birmanie, Cambodge) porté par l’ASEAN et ambitionnant de peser face à la Chine et à l’Inde. De plus, ils illustrent les difficultés de la construction du dialogue avec les voisins chinois, japonais et coréen (ASEAN + 3). L’objectif d’une mise en œuvre effective en 2015 semble aujourd’hui difficilement tenable45. Cette coopération entre États riverains de la « Méditerranée asiatique » est donc à construire ou à renforcer selon les échelles et les organisations. Aire du « Grand Mékong »46, zones de coopération de la mer du Japon47 et de la Chine du Sud48 , partenariat de la mer Jaune49, zone de croissance de l’Est de l’ASEAN ou BIMP50, triangle de SIJORI51, de Medan52 ou de Tumen53 sont autant d’initiatives à l’échelle infra-régionale pour favoriser l’intégration économique et la coopération en Asie de l’Est. A l’échelle supra régionale, l’ASEAN cherche depuis le milieu des années 90 à élargir l’implication de partenaires extérieurs notamment par le biais de l’Asean Regional Forum (auquel participent les Etats-unis, le Japon, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud, l’UE et depuis une dizaine d’année la Chine et la Russie). Portée sur les fonds baptismaux en 1989, l’APEC54 s’est donnée comme objectif en 1994 de favoriser « la libération des échanges et des investissements dans la région Pacifique »55. La compétition Chine/ États-Unis est au cœur des enjeux de ces organisations à une échelle macro-régionale. Au mois d’avril 2014, Pékin a proposé de mettre sur pied un « groupe de travail » pour étudier la faisabilité d’un « Accord de libre-échange Asie-Pacifique »56 (FTAAP), a annoncé à des journalistes Wang Shouwen, ministre adjoint du Commerce. Cette proposition intervient avant une rencontre en Chine, le mois suivant, des ministres du Commerce des États membres de l’APEC (Forum de Coopération économique pour l’Asie-Pacifique)57. Cette proposition chinoise arrive sur la table alors que les négociations sur le TPP58 (Partenariat trans-Pacifique ou TPP), défendu par les États-Unis et qui regrouperait 12 États dont le Japon, l’Australie, la Malaisie et le Mexique - tous membres de l’APEC) restent suspendues à la position du Japon, Tokyo ne voulant rien lâcher sur ses cinq « vaches sacrées »: sucre, riz, blé et produits à base de céréales, viande de bœuf et de porc, produits laitiers. Traités de libre-échange et enjeux sécuritaires sont des dossiers majeurs alors que les dangers pesant sur la navigation et la stabilité de la région demeurent assez prégnants tout au long du CMMA pour que la question de routes maritimes alternatives revienne régulièrement au premier plan 59

3.2 La mondialisation peut-elle s’écarter du CMMA ?
La superposition des tensions géopolitiques internes aux États riverains du CMMA combinées aux rivalités régionales, la montée en régime de la concurrence sino-américaine dans la région et à l’échelle globale, les défis toujours aigus posés à la navigation maritime que sont la piraterie, le terrorisme maritime et les trafics en tous genres, la recomposition potentielle des routes maritimes sous l’effet du réchauffement climatique annoncé et les conséquences géopolitiques de l’indépendance énergétique nouvelle des Etats-Unis, fondée en particulier sur les gaz de schistes, posent la question de l’avenir du CMMA comme axe majeur de la mondialisation. Des alternatives régionales ou plus globales à l’axe Malacca- Hong Kong – Shanghai- Tokyo sont ou ont été envisagées. Le détroit de Malacca pourrait être concurrencé dans son rôle de pivot du trafic maritime entre la « Méditerranée asiatique » et l’océan Indien par d’autres détroits « voisins ». Le détroit de La Sonde semble être une option à écarter en raison du faible seuil (30 mètres) qui limite ses capacités. D’ailleurs ses débouchés vers la mer de Chine méridionale via le détroit de Karimata au nord, et vers la mer de Java, à l’est, passent à travers des champs assez denses de plate-formes pétrolières peu propices à la navigation de « géants des mers ». Seconde alternative, le détroit de Lombok est situé entre les îles de Bali et de Lombok. Route préférentielle des supertankers dont les calaisons ne sont pas compatibles avec Malacca, son axe avec le détroit de Makassar suit un trajet court et profond, bien ouvert au nord, tout en offrant les meilleures conditions avec la possibilité de profiter du droit international de transit sans entrave. Parmi les trajets alternatifs par voie de terre, il existe depuis plusieurs décennies un projet de bâtir un canal à travers l’isthme thaïlandais de Kra qui est point le plus étroit de la Thaïlande (seule solution crédible alternative envisagée par rapport à Malacca). La crise économique et l’accroissement de la taille des navires ont eu raison de ce projet pharaonique à la rentabilité incertaine malgré le raccourci de 1000 km. Parallèlement à ces voies alternatives, la Chine développe son propre projet de conduites (oléoduc / gazoduc) entre la côte birmane où les Chinois équipent plusieurs ports et ont obtenu des permis de recherche en hydrocarbures et la province du Yunnan. Il s’agit de couvrir 2000 km pour relier à Kunming une part importante des approvisionnements gaziers et pétroliers provenant d’Afrique et du MO afin de ne plus être tributaire du détroit de Malacca et ainsi épargner aux navires un trajet de 3000 km jusqu’à Hong-Kong aller-retour. Suivant un trajet proche, le projet de réhabiliter la « Route Stilwell » entre Inde et ouest de la Chine par le Nord de la Birmanie est régulièrement évoqué. Il est suspendu à la décision par les porteurs du projet d’assumer d’investissements colossaux et à l’apaisement des tensions entre minorités ethniques et religieuses.
Finalement, le risque de marginalisation de Singapour -et donc du détroit de Malacca - comme grand hub industrialo-portuaire est faible. Les porte-conteneurs sont encore loin du tirant d’eau maximal et les installations pétrolières de Singapour (stockage, raffinage) seraient difficiles à éviter en raison de leurs importantes capacités.
Au nord du CMMA, deux trajets alternatifs semblent être possibles. Activée par les conséquences du réchauffement, la route de l’Arctique offre de nouveaux horizons pour le transport maritime. Deux options sont ouvertes. La route canadienne apparaît comme difficile à exploiter et rentabiliser. Ce n’est qu’un immense labyrinthe avec une multitude de seuils, d’îles et de détroits. Elle raccourcit de « seulement » 20 % de la distance Asie-Europe et oblige à une limitation des gabarits (le détroit de Dease n’a que 13 m de profondeur). La navigation est rendue plus ardue par le danger permanent que constituent les débris de banquises flottants le long d’une voie, pour l’heure, sans équipements de balisage ou de remorquage. La route la plus prometteuse semble bien plus correspondre à celle qui longe les côtes russes et redescend dans le Pacifique par le détroit de Béring. Elle bénéficie de pôles côtiers régulièrement positionnés ainsi que de la présence d’une véritable flotte de brise glace, En 2009 La Russie a décidé un investissement de 5 milliards de $ pour améliorer les dessertes ferroviaires de ces régions enclavées du grand Nord (en particulier de Mourmansk et d’Arkhangelsk). Le gain de temps ainsi que la distance raccourcie avec Northern Range (divisée par 3) et l’absence de piraterie sont des atouts majeurs pour une route qui n’est cependant pas praticable toute l’année et oblige à une navigation difficile dans la zone du Pacifique nord. Pour se préparer à cette option les chantiers navals Hyundai ont testé en 2011 en bassin une maquette de minéralier brise glace prévu pour 310 m de long et 190 000 t de port lourd. La Chine s’est récemment équipée d’un brise glace moderne capable de lui ouvrir les routes maritimes de l’Arctique60. Décidément, pour vital que soit le CMMA pour la RPC et les autres puissances asiatiques, le « Grand jeu » mondial n’est jamais très éloigné des préoccupations des dirigeants.

Conclusion

Artère majeure de la mondialisation, l’insertion dans le temps long du CMMA dans les grandes circulations maritimes internationales entraîne une recomposition de l’espace est-asiatique aux échelles régionales et infra-régionales. Espace polarisé par les grands ports, espace défini plus par ses flux et ses réseaux que par une géographie fixiste, espace dynamique en recomposition permanente, le CMMA cristallise les ambitions régionales et mondiales et ne semble pas pour l’heure en voie de marginalisation.

Benoît Pouget, professeur agrégé d’Histoire-Géographie, étudiant en Master II.
1François Gipouloux, La Méditerranée asiatique. Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIͤͤ-XXIͤ siècle, CNRS Éditions, Paris, 2009
2 Jean Debrie, Claude Comtois, Une relecture du concept de corridors de Transport : illustration comparéeEurope/Amérique du Nord, Les Cahiers Scientifiques du Transport, N° 58/2010 - Pages 127-144
3Antoine Frémont, Les réseaux maritimes conteneurisés : épine dorsale de la mondialisation, Festival International de Géographie, 2005
4La mondialisation. Genèse, acteurs et enjeux », 2e édition, Édition Bréal, Paris, 2009
5Laëtitia Guilhot, Le régionalisme commercial en Asie orientale Un impact sur les flux commerciaux ? , Revue économique 2012/6 (Vol. 63)

6M.C. Ricklefs, A History of Moderne Indonesia, Bloomington, Indiana University Press, 1981, p 18-19 (cité par François Gipouloux, La Méditerranée asiatique. Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIͤͤ-XXIͤ siècle, CNRS Éditions, Paris, 2009 p.77)
7 Les « cités japonaises ou nihommachi » installées aux Philippines, en Thaïlande, au Vietnam ou au Cambodge)
8On pourrait évoquer le rôle éminent des jésuites en particuliers portugais dans la mise en relation de l’Asie de l’Est avec l’Europe
9 La Compagnie des indes orientale ou VOC fut fondée en 1602 à Amsterdam
10 Fondation de la East India Company
11 Politique de compagnies de commerce menée par Colbert sous le règne de Louis XIV
12On ne peut que recommander la lecture de l’œuvre de Joseph Conrad, en particulier le magistral Typhon
13 Elle concerne en priorité le transit de céréales et de vrac conteneurisé
14Entre 8000 et 16000 evp. L’équivalent vingt pieds ou EVP (en anglais, twenty-foot equivalent unit : TEU)
15En Malaisie
16 31 sur les 50 premiers ports mondiaux sont situés en Asie-Pacifique
17 Rotterdam est seulement le 11ème port mondial pour le trafic de conteneur et le premier non-asiatique
18Pour une définition voir : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/hub-and-spoke
hub and spoke signifie moyeu et rayons. Le hub ou moyeu est le point vers lequel convergent les différentes lignes, assimilées à des rayons. Le réseau en hub and spoke privilégie un trafic en étoile autour d’un nœud. Par rapport au réseau totalement maillé, ce système a l’avantage de permettre des économies d’échelle dans un contexte de massification des flux.La technique du hub and spoke a d’abord été employée par le transport aérien. C’est la compagnie de fret express FedEx qui l’a d’abord expérimentée pour les colis aux Etats-Unis en utilisant le hub de Memphis.Le système s’est largement diffusé dans les années 1980. Le système a été adopté par le transport maritime dans les années 1990.
19Le feedering est une action de transbordement entre les grands navires de ligne (navires-mères) qui font escale dans un nombre limité de grands ports (hubs), et les plus petits navires (feeders) qui acheminent les marchandises vers des ports de plus petite taille que les armateurs ne desservent pas en ligne directe.
Le feeder est un navire de petit tonnage, permettant l’éclatement, sur différents ports à courte distance, d’une cargaison apportée dans un port principal par un gros navire faisant peu d’escales. Inversement, il assure la collecte de marchandises vers le port principal. Le feeder assure des rotations de courte distance complémentaires des services au long cours. ( voir http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/feeder-feedering )
20François Gipouloux, La Méditerranée asiatique. Villes portuaires et réseaux marchands en Chine, au Japon et en Asie du Sud-Est, XVIͤͤ-XXIͤ siècle, CNRS Éditions, Paris, 2009, p 313
21 Olivier Dollfus, La mondialisation, Presses de Sciences Po,‎ 1996, p. 25-27, chapitre 2, « Le monde dans ses lieux ».

22Voir l’article de Nathalie Fau, Le détroit de Malacca : porte océane, axe maritime, enjeux stratégiques sur le site de géoconfluences, 2004 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Mobil/MobilScient4.htm
23 Le 16 novembre 1971, « les gouvernements indonésiens et malais (soutenus par la Chine et suscitant l’opposition des Etats-Unis et de l’URSS) déclarent conjointement que le détroit de Malacca n’est pas un détroit international mais en autorise son franchissement »
24Elle met en place les Zone Économique Exclusive (ZEE) de 200 miles [eaux territoriales 12 miles ; zone contiguë 12/24 miles ; reste ZEE jusqu’au 200miles ; au delà haute mer considérée comme internationale]
25 La Chine a ratifié la convention en CNUDUM au milieux des années 90
26 Îlots inhabités, intégrés par Japon en 1905, militairement occupés par Corée du Sud depuis 1954, symbole nationaliste pour la Corée et emblème de non-repentance pour le Japon
27 Îlots inhabités, contrôlés par le Japon, mais placés sur le plateau continental revendiqué par la Corée du Sud et la Chine
28 Îlots inhabités contrôlés par le Japon depuis 1885. Situés sur le plateau continental et séparés des îles d’Okinawa par une fosse sous-marine. Appartenance à l’ancien royaume des Ryûkû intégré par le Japon en 1879. le litige avec Chine fut relancé dans années 70 par la découverte de gisements de pétroles en mers de Chine orientale et par l’instauration des ZEE
29http://www.lepoint.fr/monde/tensions-pekin-hanoi-le-vietnam-calme-le-jeu-la-chine-evacue-ses-ressortissants-18-05-2014-1824843_24.php
30http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/10/29/le-timor-oriental-revient-de-loin_3504992_3216.html
31Eric Denécé, Géostratégie de la mer de Chine et des bassins adjacents, L’Harmattan, collection « Recherches asiatiques », Paris, 1999.
32http://www.bbc.co.uk/history/historic_figures/raleigh_walter.shtml
33 La coopération américaine avec les Philippines est active. L’avion espion P3-Orion de l’US Navy fournit à Manille des renseignements sur l’activité militaire chinoise dans la zone. Quant aux Japonais, ils financent (par prêt) l’achat par Manille de patrouilleurs nippons. Un navire américain a également été vendu en août 2013 à la marine des Philippines dans le but d’intensifier la protection navale.
34 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/10/04/20002-20131004ARTFIG00298-obama-annule-sa-tournee-en-asie-en-raison-de-la-crise-budgetaire.php
http://actu-monde.nouvelobs.com/asie-president.html
35Tournée reportée et effectuée fin avril 2014. http://www.challenges.fr/monde/20140517.REU4603/les-promesses-d-obama-en-asie-a-l-epreuve-des-ambitions-chinoises.html?xtor=RSS-25
36Bethemont J., La Méditerranée en partage, documentation photographique, dossier n° 8039, Paris, La Documentation Française, 2004.
37Face à l’île de Bornéo
38http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/infos-pratiques-20973/risques/piraterie-maritime-20996/
39 Malacca Straits Patrols inaugurées par la Malaisie, Singapour et Indonésie rejoints en 2009 par la Thaïlande
40 EIS – patrouilles aériennes autorisées à voler au dessus des eaux de tous les pays participants au dispositif destinées à repérer les bâtiments suspects et à dissuader les pirates
41 IEG- formé en 2006, il consiste en un système de partage de l’information
42Lire sur le sujet : Questions maritimes en Asie du sud-est. Problématiques locales, enjeux régionaux et implications globales, Mémoire de recherche présenté par M. Alexandre BESSON. Directeur de recherche : Dr. Olivier GUILLARD, directeur de recherche Asie, IRIS
43 Exemple de l’aide des Etats-unis aux Philippines suite aux travages du typhon Haiyan en 2013 : http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20131110-philippines-typhon-haiyan-aide-urgence-ong-ue/
44http://www.liberation.fr/monde/2014/05/11/asean-sommet-historique-en-birmanie-des-nations-d-asie-du-sud-est_1014989
45AFTA : zone asiatique de libre échange.
46 coopération économique
47 Elle concerne plusieurs provinces japonaises du « Japon de l’Envers »,, certains oblast russes, des département de la orée et quatre provinces chinoises ; lancée en 1988-1989, la coopération reste limitée
48 Provinces chinoises de Guangdong et du Fujian, Hong Kong, Taïwan ; La coopération concerne les activités industrielles à forte valeur ajoutée
49 Régions occidentale de Corée, provinces chinoises du Liaoning -du Shandong- du Zhejiang, île japonaise d Kyûshû ; coopération économique et industrielle avec accélération des délocalisation de la production vers le littoral chinois
50 Brunei-Indonésie-Malaisie-Philippines, coopération largement freinée par la crise asiatique de 1997-1998
51 Singapour-Johore-Riau ; depuis 1989, mise en œuvre d’une autorité administrative transnationale, Singapour en est le moteur
52 Etat de Sumatra-Nord et Aceh en Indonésie – Etats malais de Perak, Pinang, Kedah, Perlis et Etats thaïlandais de Satun Songkhla, Yala, Pattani, Narathiwat ; valorisation des ressources locales, résultats limités en dehors des secteurs textiles et de la sous-traitance électronique, zone d’insécurité avec rébellion musulmane à Aceh
53 Il regroupe les villes de Tumen et Hunchun (Chine), de Chongjin (Corée du Nord) et l’Oblast de Vladivostock (Russie). Crée en 1995 sous le parrainage du PNUD, il avait pour objectif de promouvoir la stabilité de la région en favorisant le développement industriel et commercial à partir de l’exploitation des ressources sibérienne. Cette coopération se révèle décevante.
54Elle regroupe 27 pays membres qui représentent plus du tiers de la population mondiale, 60% du PIB mondial et la moitié des échanges planétaires. Elle consiste sur la recherche du consensus plus que sur la négociation de traités contraignants.
55 Déclaration de Bogor. Voir http://www.apec.org/Meeting-Papers/Leaders-Declarations/1994/1994_aelm.aspx
56http://french.xinhuanet.com/economie/2014-04/30/c_133301867.htm
57http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/04/30/la-chine-soutient-un-trai_n_5237864.html
58http://www.international.gc.ca/trade-agreements-accords-commerciaux/agr-acc/tpp-ptp/index.aspx?lang=fra
59Alban Sciascia, « La sécurité maritime en Asie du Sud-est : la voie des exercices multinationaux », note de recherche de l’IAO, Institut d’Asie Orientale, septembre 2010, Lyon.
60http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/08/24/la-chine-prepare-methodiquement-une-extension-de-ses-dessertes-maritimes_3465891_3234.html

 

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