VOLONTAIRES ET MERCENAIRES EN UKRAINE: UNE NOUVELLE BOSNIE ?

L’attention de l’opinion et des autorités françaises est volontiers focalisée sur les jeunes volontaires musulmans, les « djihadistes », qui gagnent la Syrie. Cette préoccupation est entièrement justifiée par le nombre significatif des départs vers le Proche-Orient. Une seconde destination doit cependant également attirer l’attention de l’Europe occidentale : l’Est de l’Ukraine. Sur le plan numérique, les deux situations ne sont nullement comparables. En revanche, il convient de se pencher sur ces engagements en Ukraine car on peut les relier à la situation qu’a connue l’Europe dans les années 1990 avec les conflits de l’ex-Yougoslavie. Ces liens se manifestent par des acteurs combattants communs au temps de la Bosnie et à celui de la bataille de Marioupol. Ils se traduisent aussi par des logiques de représentations collectives qui avaient expliqué les blocs communautaires et leurs filières de recrutement transnationales dont certaines émergent à nouveau aujourd’hui.

 

Des souvenirs de Yougoslavie….

            Les rangs des « forces d’autodéfense » favorables à Kiev sont alimentés par des filières de volontaires internationaux. Le bataillon Azov s’appuie ainsi sur un ancien soldat français Gaston Besson. Engagé à 17 ans au 1er RPIMa, il rejoint ensuite les Karen dans leur combat contre le pouvoir central birman[1]. Il se fait surtout connaître au sein des forces croates de défense (HOS) entre 1991 et 1993[2]. Encore aujourd’hui installé en Croatie, il garde des liens privilégiés avec ses anciens camarades de combat et avec des mouvements ultra-nationalistes européens. C’est pourquoi il assure le recrutement pour le bataillon Azov. Formé à Marioupol en mai dernier et comprenant vraisemblablement 300 combattants, ce groupe paramilitaire est financé par l’oligarque ukrainien Igor Kolomoïski et son noyau dur s’est organisé autour d’éléments de l’extrême-droite ukrainienne (Pravy Sektor ou Secteur droit) très combatifs lors de l’Euromaïdan.  Particulièrement actif dans la zone de Marioupol, ile bataillon Azov a gardé des bâtiments administratifs au début de l’insurrection puis a participé à la reprise de Marioupol ainsi qu’à l’arrestation de rebelles ayant une certaine notoriété politique (le maire rebelle de la ville notamment) avant de connaître des revers avec la poussée récente des forces séparatistes.

 

Le nombre d’étrangers y serait compris entre 20 et 30 hommes. Parmi eux, deux cas illustrent assez bien cette nébuleuse des extrêmes-droites européennes mobilisées en Ukraine. Le premier est un ancien soldat de l’armée suédoise. S’il se présente comme nationaliste, l’homme serait plutôt, selon la BBC, un néo-nazi[3]. Mikael Skilt fait profiter le bataillon d’Azov de son expérience tireur d’élite avant d’être capturé par les forces séparatistes pro-russes lors de leur offensive récente sur Marioupol. Le second est un Italien âgé de 54 ans, Francesco Falcone. Son grand-père a appartenu aux troupes fascistes envoyées par Mussolini pour soutenir les nazis sur le front de l’Est en 1942 où il a été tué. Son petit-fils nourrit une haine viscérale envers la Russie. Il rejoint d’abord les manifestants de la place Maïdan à Kiev puis les rangs du Secteur droit. Il aurait ainsi déclaré à des journalistes occidentaux : « J’ai rêvé toute ma vie d’une expérience comme celle-ci. Il n’y a pas de place pour les sentiments. C’est la guerre. Je suis ici pour tuer »[4].

 

Comme au temps de la guerre de Bosnie, l’extrême-droite italienne représente un vivier pour le recrutement de volontaires. Simone de Stefano, l’un des leaders du mouvement de droite radicale Casa Pound, affirme que les départs de gens qui avaient des liens avec des formations comme la sienne en Italie dépassent la dizaine ; certains d’entre eux pouvant avoir des origines ukrainiennes[5]. La présence de quelques Kosovars au sein du bataillon Azov montre également bien le poids de l’expérience bosnienne (notamment pour un Gaston Besson) et la reconstitution de l’ancienne coalition antiserbe entre forces irrégulières croates et combattants bosniaques musulmans. Les anciens ennemis des Serbes sont aujourd’hui solidaires face au « grand-frère » des Serbes, la Russie.

 

…. Et poids des représentations sur l’époque soviétique

Le sentiment russophobe est également un facteur qui explique la forte présence de Polonais parmi ces volontaires étrangers du bataillon Azov. Une quarantaine de Polonais auraient rejoint la troupe. Certains d’entre eux seraient en réalité des contractors de la société ASBS Othago. L’un des dirigeants de cette société, Jerzy Dziewulski, aurait été pris en photo par des journalistes ukrainiens en compagnie du président du Parlement Alexandre Tourtchinov, lors de son déplacement en juin à Slaviansk[6]. D’autres seraient employés par des sociétés américaines. Ainsi, en arrière-plan, des engagements de volontaires et de contractors se dessine le rapport de force entre Etats-Unis et Russie. S’il était en filigrane dans la guerre de Bosnie derrière l’opposition entre Croato-bosniaques et Serbes, il est au cœur des affrontements dans l’Est de l’Ukraine. Il s’agit désormais ouvertement d’un rapport de force entre Occidentaux et Russes et de l’installation de l’OTAN aux frontières immédiates du pays de Vladimir Poutine. A la logique des affrontements balkaniques mal cicatrisés se superpose une logique de crainte de l’impérialisme russo-soviétique en Europe de l’Est et inversement d’impérialisme américain mal perçu par des populations russophones.

 

Les mêmes logiques expliquent les engagements du côté des séparatistes pro-russes de la Novorossiya (Nouvelle Russie). Relancé par le géopoliticien russe Alexandre Douguine, l’eurasisme est revendiqué par certains volontaires solidaires avec les russophones de l’Est de l’Ukraine. Cette doctrine souhaite l’émergence d’un bloc eurasiatique continental animé par la Russie et qui ferait contrepoids à la puissance américaine. Renversant la théorie de Mackinder, l’eurasisme défend l’idée que l’ « atlantisme » agressif serait déstabilisateur pour le monde. L’appel à former une civilisation continentale, russe et eurasienne, orthodoxe et musulmane, éventuellement d’esprit socialiste permet à la Russie de mobiliser les nostalgiques des temps soviétiques dans son environnement (plus ou moins) proche et de canaliser des forces nationalistes. Il est également un outil pour mobiliser certaines formes de solidarités orthodoxes comme au temps des guerres de Yougoslavie.

 

Au nom de l’eurasisme, les forces pro-russes mobilisent indifféremment orthodoxes et musulmans de l’ancien empire soviétique. Les mobilisations récurrentes de communautés russophones du Caucase ou des bords de la Mer noire (Transnistrie) par Moscou contre les Etats qui manifestent des évolutions pro-occidentales trop marquées ont créé des viviers dans lesquels les séparatistes pro-russes peuvent aujourd’hui recruter des combattants. Des volontaires venus de Belarus, du Haut-Karabagh ou d’Ossétie croisent à Donetz des Tchetchènes. Ces derniers sont notamment regroupés au sein du bataillon Vostok[7].

 

Une unité serbe a également rejoint la Crimée sous les ordres de Bratislav Zivkovic. Comme lui, une poignée des volontaires de cette troupe revendique avoir combattu dans les rangs des milices serbes des années 1990[8]. De jeunes Français ont également gagné les rangs des séparatistes. Quatre d’entre eux ont ainsi fait la une des journaux ces derniers jours. Ancien chasseur alpin, l’engagement de Nikola Perovic pourrait s’expliquer par ses origines serbes. Ancien caporal du 3e RPIMa, Victor Lenta a cependant été également militant au sein des Jeunesses identitaires de Serge Ayoub. « Victor Lenta explique que sa petite troupe est l' »avant-garde » de troupes plus nombreuses de leur groupuscule, « Unité continentale », un « réseau d’avant-garde géopolitique et continentale », lit-on sur sa page Facebook », nous un article du Point. « Son sigle, arboré sur la casquette de Nikola Perovic, des flèches qui sortent d’un cercle, ne laisse guère de doute sur la filiation idéologique des quatre garçons, âgés de 20 à 25 ans environ. Viktor Lenta, qui arbore une moustache à la Hercule Poirot, se décrit comme « eurasiste », déteste qu’on lui parle d’extrême droite »[9].

 

En réalité, comme au temps des volontaires proserbes de Bosnie, le sentiment antimusulman chez ces jeunes Franco-Serbes coexiste avec l’eurasisme revendiqué par les quatre hommes : « Si on est toujours en vie, une fois cette guerre finie, on ira aider les chrétiens d’Irak et dessouder de l’islamiste », confie Nikola Perovic[10]. Ainsi la superposition d’imaginaires politiques issus des conflits balkaniques à des représentations issues de la Guerre froide en Europe de l’Est brouille les logiques. Gaston Besson confesse ainsi connaître des « nationalistes » qui ont fait le choix de combattre dans le camp d’en face. Le cas de la communauté juive illustre assez bien ces contradictions. Au nom du combat contre les néo-nazis qui servent comme irréguliers dans le camp ukrainien, des Juifs russes ou russophones ont formé le bataillon Aliya. Le bataillon compterait également quelques anciens soldats israéliens, souvent des immigrés juifs récemment installés en Israël[11]. A leur tête, Roman Katzer défendait jusque-là les colonies illégales de la bande de Gaza[12]. Au contraire, l’envoi de fidèles d’Alexander Barkashov, chef de l’Unité nationale russe, mouvement néo-nazi et le souvenir de l’antisémitisme de la période stalinienne mobilisent d’autres communautés juives dans le camp ukrainien. Ainsi, un Bataillon Matilan aurait été mis sur pied par la communauté de Kiev[13].

 

 

 

            En bref, on peut considérer que les effectifs de volontaires et de contractors partis combattre en Ukraine demeurent aujourd’hui limités. Toutefois, ils touchent des nationalités et des communautés très diverses. Les mobilisations s’opèrent sur fond de vieilles blessures mal cicatrisées (conflits de l’ex-Yougoslavie) et de représentations fortement ancrées (souvenirs de l’époque soviétique voire multiséculaires). Les mobilisations s’effectuent également à partir de personnalités ou de groupes bien identifiés dans différentes nébuleuses d’extrême-droite. Mais faut-il considérer que l’idéologie est essentielle ? Les groupes qui constituent des filières vers l’Ukraine vendent surtout de l’aventure et promettent une identité communautaire ancrée dans la camaraderie politique. Ces ingrédients sont finalement assez proches de ceux qui font le succès des engagements islamistes en Syrie. Comme on l’observe également avec l’Etat islamique, l’internet est un nouveau front où chaque groupe tente de séduire de jeunes fragilisés et séduits par les armes ou la violence. Un peu plus de vingt après Sarajevo, il ne faudrait pas que la crise ukrainienne ne dure trop longtemps aux portes d’une Europe où les extrêmes-droites pèsent de plus en plus dans les opinions et où une part de la jeunesse est en panne de perspectives et d’enthousiasme.

 

Walter Bruyère-Ostells

MCF en Histoire à Sciences Po Aix

[1] Voir l’article qua lui a consacré Pascal Madonna (https://etudesgeostrategiques.com/2013/11/09/gaston-besson-parcours-dun-volontaire-arme/). 

[2] Walter Bruyère-Ostells, Histoire des mercenaires, Paris, Tallandier, 2011.

[3] http://www.bbc.com/news/world-europe-28329329 consulté le 4 septembre 2014.

[4] http://fr.ria.ru/presse_russe/20140813/202127571.html consulté le 4 septembre 2014.

[5] http://www.ilgiornale.it/news/esteri/io-volontario-italiano-fronte-ucraino-contro-i-ribelli-1031832.html consulté le 5 septembre 2014.

[6] Information fourni par l’agence de presse russe Interfax (http://fr.ria.ru/presse_russe/20140807/202062811.html consulté le 4 septembre 2014).

[7] http://fr.rbth.com/ps/2014/06/03/kadyrov_affirme_contenir_les_tchetchenes_voulant_combattre_en_ukraine_29407.html consulté le 5 septembre 2014.

[8] http://www.bbc.com/news/world-europe-26503476 consulté le 4 septembre 2014.

[9] http://www.lepoint.fr/monde/ukraine-quatre-francais-avec-les-prorusses-du-donbass-03-09-2014-1859854_24.php consulté le 5 septembre 2014.

[10] Ibid.

[11] http://www.globalterrorwatch.ch/?p=49214 consulté le 6 septembre 2014.

[12] http://www.lefigaro.fr/international/2006/03/22/01003-20060322ARTFIG90059-cette_petite_russie_qui_peine_a_s_integrer.php consulté le 6 septembre 2014.

[13] http://maidantranslations.com/2014/07/13/jewish-ukrainian-volunteer-battalion-matilan/ consulté le 6 septembre 2014.

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