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LA GUERRE DU MALI : Esquisse d’un bilan provisoire

7 sept

En dépit des inquiétudes suscitées par les précédents afghan et irakien, les djihadistes salafistes ne se sont pas trouvés en mesure d’ensanglanter le vote marquant le retour à la légalité constitutionnelle au Mali. Le 11 août 2013, les Maliens ont élu dans le calme leur nouveau président : Ibrahim Boubacar Keïta. C’est le résultat tangible des opérations militaires qui ont rendu possible le retour à une sécurité relative et à une vie politique normale dans l’ensemble du pays. La tenue des prochaines élections législatives, envisagées pour les 27 octobre et 17 novembre 2013, constituera à cet égard une étape importante, à surveiller de près, car elle confirmera ou infirmera ce succès. 

 

1/ Quels étaient les acteurs engagés dans le conflit au Mali ?

À partir du 17 janvier 2012, des éléments de l’armée régulière malienne, parmi lesquels d’anciens rebelles touaregs équipés et entraînés par les États-Unis, affrontèrent des combattants touaregs indépendantistes, regroupés en octobre 2011 au sein du Mouvement de libération nationale de l’Azawad-MNLA, et qui bénéficiaient de connivences dans la population civile au nord du Mali. Le MNLA ne représente pas l’ensemble de la population touarègue du pays et ne put donc mobiliser que de maigres forces. Il dut s’assurer le concours de combattants djihadistes appartenant à trois mouvements présents au nord du pays et entretenant également des complicités dans la population civile : Al Qaida au Maghreb islamique-AQMI, le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest-MUJAO et Ansar Eddine (qui présente la particularité d’être composé de Touaregs). Des radicaux nigérians des groupes Boko Haram et Ansaru furent signalés. Les hommes de main des différents groupes mafieux opérant dans la zone auraient été impliqués.

Les soldats de forces africaines fournies par le Tchad, le Niger et le Burkina-Faso participèrent aux combats de 2013, aux côtés des forces françaises intervenues à la demande du chef des autorités maliennes de transition, le président par intérim Dioncounda Traoré. Cette opération militaire baptisée Serval par l’état-major français des armées s’appuyait sur les résolutions adoptées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et avait le soutien de l’Union africaine, de l’Union européenne ainsi que des États-Unis. Les deux derniers procurèrent des soutiens logistiques à l’arrière, et Washington contribua au renseignement des forces engagées sur le terrain.

Autrement dit, on trouve à l’origine du conflit des acteurs non-étatiques illégaux : le MNLA, épaulé par les djihadistes d’AQMI, du MUJAO et d’Ansar Eddine, ainsi que divers autres éléments islamistes ou mafieux. Ils se heurtèrent à des acteurs étatiques, en premier lieu le Mali, victime de l’agression, et la France, maître d’œuvre de l’opération de secours Serval. Trois pays voisins s’engagèrent directement : le Tchad, qui participa en particulier à l’assaut contre l’Adrar des Ifoghas  ; le Niger, qui aida à la reconquête du nord-est, et le Burkina-Faso, qui releva les troupes françaises afin de sécuriser Tombouctou et sa région. Le Niger et l’Algérie, en massant des forces sur leurs frontières limitrophes du Mali, restreignirent considérablement la liberté de mouvement, la possibilité de recevoir des renforts et les capacités d’approvisionnement des djihadistes. En outre, l’Algérie, apporta un soutien indirect mais crucial à l’opération Serval par l’ouverture de son espace aérien aux aéronefs menant ou appuyant les opérations au Nord-Mali. Les États-Unis, contribuèrent également à l’opération Serval par la fourniture de renseignements et le transport de matériel au profit des forces françaises. Le Canada et certains pays européens (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Grande-Bretagne, Pays-Bas, pour l’essentiel) participèrent indirectement par un soutien logistique. Des acteurs supra-étatiques jouèrent un rôle, avant tout diplomatique. Au premier chef, l’ONU, dont les résolutions (n° 2056 du 5 juillet 2012, n° 2071 du 12 octobre 2012, n° 2085 du 20 décembre 2012) fondent la légalité et la légitimité de l’intervention. La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO œuvra au respect du droit, en collaboration avec l’Union africaine, qui se trouve à l’origine de la mise sur pied de la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine-MISMA (autorisée par la résolution n° 2085 du Conseil de sécurité des Nations Unie, du 20 décembre 2012). L’Union européenne contribue à la reconstruction de l’armée malienne par le biais de la mission de formation EUTM-Mali, finance en partie la MISMA et tente de traiter sur le fond l’instabilité du Sahel par sa "Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel" adoptée le 29 septembre 2011. Celle-ci lie la sécurité et le développement, préconisant une coopération régionale doublée d’une aide internationale, sur fond d’amélioration de la gouvernance des pays de la région.

 

2/ Quelles ont été les phases successives des opérations militaires dans lesquelles les forces françaises et alliées ont été engagées ?

À partir du 10 janvier 2013, trois phases s’enchaînèrent.

Il fallut tout d’abord briser le plus rapidement possible l’offensive lancée vers le sud par les djihadistes contre Konna, avec tentative simultanée de franchissement du fleuve Niger, car elle risquait de déboucher sur la prise de contrôle de l’ensemble du pays par les extrémistes et leurs alliés mafieux. En outre, la chute de l’aéroport de Sévaré aurait privé l’armée malienne et/ou ses alliés d’une base stratégique, point d’appui essentiel dans la perspective de la reconquête du nord. Cette bataille d’arrêt se déroula entre le 10 et le 18 janvier 2013. Les éléments français menèrent de nombreuses frappes aériennes avec des avions et des hélicoptères de combat, tandis que des unités des forces spéciales agissaient au sol pour aider les frappes aériennes et mener des missions spécifiques.

Le succès, obtenu en un laps de temps assez court, permit d’entamer la deuxième phase, qui visait à contrôler la boucle du fleuve Niger en s’assurant la maîtrise du terrain au sud d’une ligne allant de Tombouctou à Gao. Les militaires français voulaient profiter au mieux et le plus rapidement possible de la désorganisation des djihadistes. Cet objectif fut atteint grâce à des opérations terrestres menées du 18 au 28 janvier 2013 avec des unités classiques, appuyées par des hélicoptères et des avions de combat. La totalité du “Mali utile“ se trouva ainsi sécurisée en moins de trois semaines. Le risque d’une nouvelle offensive surprise en direction de Bamako s’en trouvait considérablement diminué. La majeure partie de la population et des ressources économiques, ainsi que la capitale, étaient à l’abri.

Mais les bastions djihadistes du nord demeuraient et faisaient planer la menace d’un retour offensif et/ou d’actions terroristes. La troisième phase, destinée à éradiquer le terrorisme en détruisant son sanctuaire du Nord, fut donc lancée le 28 janvier 2013. Ce fut la plus dangereuse et la plus complexe. La plus longue, également, puisqu’elle se poursuivit jusqu’au début du mois de mai 2013 pour ce qui concerne les affrontements décisifs. Ce qui n’exclut pas, depuis, des interventions ponctuelles et de moindre envergure. Les opérations, en particulier les six principales mentionnées ci-après, combinèrent frappes aériennes, actions des forces spéciales et combats terrestres menés avec des unités classiques. L’opération Panthère IV (18 février - 25 mars 2013) menée par les forces françaises et tchadiennes, renforcées de quelques éléments maliens, permit de s’emparer de l’Adrar de Tigharghâr et de la vallée de l’Ametettaï. L’opération Doro (27 février - 1er mars 2013), dans laquelle agirent de concert des troupes françaises et maliennes, permit de détruire des groupes islamistes dans les environs de Gao. Les opérations Gustav (6 - 11 avril 2013), Akello (25 avril - 2 mai 2013), Orion (8-13 juin 2013), Netero (24 juin - 9 juillet 2013) visèrent le sanctuaire du MUJAO au nord-est et à l’est de Gao, notamment la région de Bourem. L’opération Sirius (12-18 juin 2013) dans la région au sud de Tessalit permit de détruire des explosifs destinés à fabriquer des engins explosifs improvisés-IED et de l’armement.

 

3/ Quels sont les éléments qui permettent d’affirmer que les djihadistes ont mené une guerre asymétrique ? 

Une guerre est asymétrique lorsque l’un des protagonistes (le plus souvent celui qui se trouve en état d’infériorité) refuse les règles de combat que veut lui imposer son adversaire. Dans le cas malien, les djihadistes cherchèrent à contourner la supériorité technologique qui a permis à la France de briser leur tentative d’offensive à Konna, puis de lancer une ample et rapide contre-offensive et, enfin de mener une campagne d’éradication des bases djihadistes. Pour ce faire, ils recoururent à des moyens très limités, mais leur conférant une (très) forte capacité de nuisance.

Début janvier 2013, en s’attaquant à Konna pour s’emparer de Sévaré et de son aéroport stratégique, Ansar Eddine et ses alliés commirent une grave erreur d’appréciation. Si l’offensive frontale était pertinente face à l’armée malienne décomposée, il y eut sous-estimation de la volonté (et de la capacité ?) de riposte de la France. En fait, les djihadistes se heurtèrent directement à des forces armées supérieures en qualité, en nombre et en matériel. La défaite était inéluctable. Pour avoir quelque chance de réussir, cette offensive frontale aurait dû être assortie d’un dispositif de guérilla étalé sur la profondeur (de Konna à la boucle du Niger, voire au-delà en direction du nord) : routes et pistes parsemées d’engins explosifs improvisés-IED, petits groupes destinés à harceler les troupes montant au front et à couper la logistique (étirée sur plusieurs centaines de kilomètres), combattants susceptibles de détruire des hélicoptères (idéalement, il fallait les équipements idoines, qui semblent avoir fait défaut, mais des mitrailleuses lourdes, voire des armes légères, peuvent également être relativement efficaces).

Après s’être dispersés, offrant aux forces françaises une “victoire par le vide“, les djihadistes (notamment ceux se réclamant du MUJAO ) s’engagèrent précisément dans ce type d’actions dès le mois de février. Attentats-suicides et/ou attaques surprises surtout contre des villes du Nord (Gao, Tombouctou, Kidal, notamment), IED, se succédèrent. Les cibles étaient choisies parmi les maillons les plus faibles du dispositif de reconquête du Nord : voies de communication, détachements maliens ou nigériens plus rarement tchadiens, miliciens du MNLA… Dotés d’importants stocks d’armes, de matériel et de carburants, les djihadistes se replièrent sur des positions solides et en partie camouflées, préparées de longue date dans des zones isolées  et/ou accidentées, mais pourvues d’eau et où la complicité d’une partie de la population leur était acquise, comme la région de Gao ou celle d’Ansongo, l’Adrar des Ifoghas, la forêt de Wagadou au nord-ouest de Tombouctou, ou la frontière mauritanienne. Ils tentèrent de pousser les forces franco-africaines à la dispersion pour réduire leur efficacité et les harceler le plus efficacement possible. Ils menèrent également une guerre psychologique  : les attaques contre les villes reconquises provoquèrent une surprise totale et donnèrent l’impression que la sécurité recouvrée était toute relative. Internet servit également de champ de bataille : attaques de salafistes tunisiens contre le site Internet du ministère français de la Défense en janvier  2013; mise en ligne d’un jeu vidéo exaltant le djihad contre l’armée française ; diffusion de vidéos tournées lors des attaques ou des attentats-suicides contre les villes reconquises ou des embuscades, par exemple.

Toutefois, tout cela fut à la fois trop tard et trop peu. Le commandement français adopta une stratégie qui prit de vitesse l’adversaire tout en détruisant l’infrastructure qui, pour sommaire qu’elle fût, était néanmoins indispensable à celui-ci.

 

4/ Comment les forces françaises et alliées ont-elles combattu dans la guerre asymétrique menée par les djihadistes ? 

Avant l’offensive, puis durant tout le déroulement des affrontements, l’armée française accumula par ses propres moyens, d’une part, et avec l’aide de ses alliés, d’autre part, le maximum de renseignements. Cela visait en priorité à localiser les otages français détenus par les djihadistes afin de les sauver. Cela permit également de disposer d’une cartographie indicative du dispositif adverse, indispensable pour déterminer et hiérarchiser les cibles.

Dès le début des opérations, au moyen de raids aériens et d’opérations au sol des forces spéciales, la France entreprit de détruire la logistique des djihadistes, ainsi que d’entraver leurs déplacements et leur regroupement. Pour réduire, voire interrompre leur approvisionnement, en carburants notamment, ainsi que le ralliement de combattants venus de l’étranger, elle obtint que les pays voisins ferment leur frontière avec le Mali.

L’éradication du terrorisme dans cette zone très étendue et difficile à sécuriser détermina le choix d’une stratégie semblable à celle utilisée par les Américains durant la guerre du Pacifique : contrôler les localités (les “îles“) et écarter tout risque dans l’espace séparant chaque localité (l’“océan“), ce qui supposait un nettoyage méthodique de la région. Il fut mené de la fin janvier au début mai 2013 par les forces françaises au sol (unités classiques et forces spéciales), épaulées principalement (jusqu’au 13 mai 2013) par des combattants tchadiens rompus à ce type d’affrontement et aguerris au milieu saharo-sahélien particulièrement éprouvant. Toutes ces actions nécessitaient le bénéfice de la “permanence du renseignement“. Ce dernier mobilisa des moyens humains au sol, ainsi que des ressources techniques en l’air et dans l’espace. La France, l’Union européenne, les États-Unis unirent leurs moyens pour essayer de disposer de l’avantage indispensable que confère la connaissance en temps réel de l’adversaire : forces spéciales, avions de reconnaissance, drones et satellites, en particulier.

Outre la qualité des personnels et des matériels engagés, les succès remportés contre les bases djihadistes à partir du milieu du mois de février résultèrent de la vitesse avec laquelle les opérations furent menées. Les forces franco-africaines créèrent la surprise stratégique en lançant l’assaut contre les bases de repli des djihadistes plus vite que ne paraissent l’avoir prévu ces derniers. Et ils ne semblent pas avoir (encore ?) réussi à se réorganiser et se rééquiper pour reprendre l’initiative, comme en témoigne l’absence d’attaques lors des deux tours (28 juillet et 11 août 2013) de l’élection présidentielle malienne. Considérant que, dans la logique d’un affrontement asymétrique, le faible - AQMI et ses affidés - vainc le fort dès l’instant qu’il survit, cette incapacité de nuisance tendrait à prouver que le faible a été battu, du moins au Nord-Mali. Mais pour combien de temps ?

 

5/ Quelles sont les conditions d’un retour durable à la paix et à la sécurité au Nord-Mali ?

Au risque de la banalité, il convient de rappeler que la guerre n’est pas une fin en soi, mais un moyen, au service d’une solution politique, préconisée dès le début de la crise, en 2012, par l’ONU et la France, notamment. Nonobstant la réussite de la reconquête militaire de la totalité du territoire, le Nord-Mali en particulier et le Mali en général ne vivront en paix et en sécurité que si des conditions plus larges sont réunies.

En premier lieu, une veille sécuritaire s’impose et le Conseil de sécurité de l’ONU a décidé la mise en place d’une opération de maintien de la paix. La résolution 2100, adoptée à l’unanimité le 25 avril 2013, a créé une Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali-MINUSMA, qui a pris le relais de la MISMA (dont elle a intégré les effectifs) le 1er juillet 2013. Forte, à terme, de 11 200 soldats et de 1 440 policiers, elle agit sous le Chapitre VII de la Charte de l’ONU et peut donc procéder de manière coercitive. Elle est chargée de la « stabilisation de la situation dans les principales agglomérations » et doit apporter sa « contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays […,] à l’application de la feuille de route pour la transition, y compris le dialogue national et le processus électoral ». Elle se voit également investie de « la protection des civils et du personnel des Nations Unies, de la promotion et de la défense des droits de l’homme, du soutien à l’action humanitaire, de l’appui à la sauvegarde du patrimoine culturel et de l’action en faveur de la justice nationale et internationale ». Mesure indispensable, la création de la MINUSMA, à supposer qu’elle reçoive effectivement les moyens prévus, ne suffit néanmoins pas.

Compte tenu des caractéristiques de cet ensemble naturel, ajoutons que c’est la totalité du Sahel qu’il faut pacifier (confins de la Mauritanie, Nord-Niger, Nord-Tchad, Sud-Algérie, Sud-Libye, sans négliger Sénégal et Soudan). À cet égard, l’instabilité qui s’accentue en Libye ne laisse d’inquiéter.

Ensuite, rien de durable n’existera tant que ne sera pas intervenue une réelle réconciliation nationale. Celle-ci suppose de régler la question touarègue, pendante depuis l’indépendance du Mali en 1960. Mais l’harmonie dépend également du sort des autres minorités présentes au Nord, comme les Peuls (groupe d’où est issu le Premier Ministre nommé le 5 septembre 2013, Oumar Tatam Ly) ou les Songhaïs, par exemple. Le Mali doit intégrer l’ensemble de ses composantes humaines et les amalgamer pour forger une nation homogène, solide et stable. L’instauration d’un authentique État de droit, garantissant à toutes les Maliennes et à tous les Maliens le statut de citoyennes et de citoyens égaux en droits et en devoirs apparaît comme une condition indispensable à la stabilité du Mali et à l’amélioration du sort de ses habitants. Cet objectif devrait constituer un enjeu majeur des prochaines élections législatives.

Enfin, nulle pacification durable ne prendra corps tant que les populations vivront dans une situation économique et sociale d’extrême pauvreté. Une politique efficace de développement doit être mise en œuvre et la responsabilité en incombe avant tout à l’Union européenne - dont la contribution peine à se concrétiser - et aux États-Unis. Avec la "Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel" de 2011, l’outil existe. Reste à motiver une réelle volonté politique des États membres de l’Union européenne et des pays du Sahel. Seule une transformation en profondeur de la gouvernance de ces derniers permettra de résorber les frustrations qui contribuent à grossir les rangs des groupes armés et des mafias. Voilà une raison suffisante pour que la communauté internationale aide à l’émergence d’un État-nation et de droit au Mali et… dans les autres pays de la région.

 

Patrice Gourdin, professeur de géopolitique à l’Ecole de l’Air, intervenant à Sciences Po Aix  et auteur de Géopolitiques : manuel pratique paru chez Choiseul en 2010

Mali : moment crucial

11 fév

Retrouvez le dernier billet de Walter Bruyère-Ostells à la Une du Huffington Post :  http://www.huffingtonpost.fr/../../walter bruyeres ostells/attentats-guerre-mali_b_2660303.html

Al-QAÏDA ETAT DES LIEUX (3) : Al-Qaïda et les Printemps arabes

7 fév

Troisième et dernière partie de cet état des lieux dressé par Romains Sens, diplômé du Master II en 2012 :

Avec le suicide de Mohamed Bouazizi, en Tunisie, le 17 décembre 2010, s’est déclenché un vaste mouvement de révolte dans de nombreux pays du monde arabe auquel on a donné le nom de Printemps arabes. La principale conséquence de ces révolutions a été le départ de quatre dictateurs arabes avec la fuite de Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie, l’abandon du pouvoir par Ali Abdallah Saleh au Yémen, l’arrestation de Hosni Moubarak en Egypte et la mort de Mouammar Kadhafi en Libye. En parallèle, a éclatée une guerre civile en Syrie au sein de laquelle les opposants majoritairement sunnites cherchent à renverser le pouvoir du régime alaouite de Bachar Al-Assad. La Tunisie et l’Egypte ont connu pour leur part des révolutions populaires rapides rassemblant la très grande majorité de la population contre le régime en place. Emblématiques des Printemps arabes, elles ont laissé place à des élections réellement démocratiques (au sens ou une majorité des citoyens a pu choisir librement ses dirigeants lors d’un scrutin au suffrage universel) dont le principal enseignement a été la prise de pouvoir de façon incontestable et légale des islamistes issus de la mouvance des Frères Musulmans. Ennahda en Tunisie et le parti Droit et Justice en Egypte sont en effet directement issus de la confrérie religieuse et respectent  la doctrine édictée par Sayyid Qotb. Contrairement aux salafistes djihadistes, ces « islamistes modérés » choisissent la voie de la démocratie, de la séduction populaire par un activisme social à caractère religieux et in fine de la mise en place progressive des préceptes de la Charia de façon constitutionnelle. Cette manière « douce » de prise du pouvoir islamiste est actuellement en train de se réaliser dans ces pays et les Frères Musulmans s’engouffrent avec succès dans les brèches démocratiques ouvertes dans les régimes autoritaires encore en place comme au Maroc.

La stratégie d’Al-Qaïda, son discours radical et sa méthode violente de prise du pouvoir par la seule voie des armes et l’application de la Charia non pas du fait d’une consultation populaire mais de la seule volonté de Dieu, est antagoniste de celle des Frères musulmans. Les succès de ces derniers ont conduit  beaucoup d’observateurs à estimer qu’Al-Qaïda allait perdre beaucoup d’influence sur la jeunesse pauvre des pays arabes : à ce jour, rien ne permet de conforter cette hypothèse. Même sans être forcément lié à Al-Qaïda, l’islamisme radical principalement salafiste reste en plein essor dans nombre de ces pays. Et la bannière d’Al-Qaïda (le drapeau noir frappé de la Chahâda) est toujours brandie dans la plupart des pays qui ont connu ces révolutions.

 

Yémen, Tunisie, Egypte

Au Yémen, AQPA était déjà présente avant la révolution qui a mis fin au pouvoir d’Ali Abdallah Saleh. Cependant, elle réussit à exploiter militairement l’instabilité causée par les manifestations qui paralysent Sanaa et le pouvoir central. Sur la défensive actuellement elle persiste à mener une campagne d’attentats terroristes visant les forces de sécurité comme les infrastructures pétrolières du pays.

En Tunisie, pays dans lequel l’islamisme radical et le djihadisme étaient inexistants sous le régime de Ben Ali (hormis lors de l’attentat contre la synagogue de Djerba en 2002), l’arrivée au pouvoir d’Ennahda a permis de changer la donne. Le salafisme violent a subitement émergé s’en prenant aux institutions, aux forces de sécurité et plus globalement à tous ceux accusés de ne pas respecter les préceptes du Coran. Cette opposition violente au régime « islamiste modéré » a connu son acmé lors de l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis le 14 septembre 2012 par des membres du groupe salafiste Ansar ach’ Charia (dont le leader est actuellement en fuite). Plus récemment, des signes d’une infiltration de combattants djihadistes venus de Libye pour déstabiliser une Tunisie déjà très éruptive sont apparus. A plusieurs reprises des combats survenus entre forces de sécurité et groupes djihadistes arrêtés avec d’importants stocks d’armes et de munitions dans le sud du pays ont montré que la Tunisie restait une cible pour le djihad. Cependant le nouveau régime arrive pour le moment à maintenir un ordre relatif sur son territoire.

En Egypte, berceau des Frères Musulmans et pays de Sayyid Qutb (mais aussi du chef d’Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri), la confrérie islamiste a conquis le pouvoir démocratiquement lors des dernières consultations populaires même si son pouvoir reste très contesté par les opposants libéraux qui avaient largement contribué à la chute de Moubarak. Comme en Tunisie, les « islamistes modérés » au pouvoir sont concurrencés dans les urnes et dans la rue par la mouvance salafiste. Les excès de celle-ci permettent aux Frères Musulmans de renforcer l’islamisation de la société sans susciter l’opprobre et leur assure un statut de garant de la stabilité face au « chaos salafiste ».

Si Al-Qaïda n’a jamais été présent en force sur le sol égyptien du temps de l’ancien régime malgré plusieurs attentats visant les touristes occidentaux, des groupes djihadistes affiliés à la nébuleuse terroriste tentent de s’infiltrer parmi les tribus de bédouins du Sinaï pour s’en prendre directement à Israël. Déjà en août 2011 des djihadistes venus du Sinaï avaient pénétré en Israël et tendu une embuscade tuant 8 israéliens dont un soldat et un policier. Un an plus tard en août 2012, un groupe similaire s’empare du poste frontière égyptien de Rafah tuant 16 policiers égyptiens, puis prend possession de deux véhicules blindés et attaque la frontière israélienne. Israël décime la totalité du groupe par un bombardement aérien. Israël entreprend la construction d’une nouvelle clôture de sécurité à sa frontière avec le Sinaï et demande à l’Etat égyptien de prendre des mesures. Celui-ci envoie alors de nombreuses forces militaires équipées de chars lourds et d’hélicoptères de combat affronter les djihadistes dans le Sinaï, notamment dans la ville d’El Arich.  Les djihadistes sont actuellement en fuite dans la région.

 

L’utilisation des djihadistes en Libye.

En Libye, la guerre civile de 2011 qui prit fin avec la mort du colonel Kadhafi a vu de nombreux groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda revenir sur le devant de la scène libyenne de laquelle ils avaient disparu  sous l’ancien régime. Le plus frappant est que nombre d’entre eux ont été directement soutenus par les Etats-Unis pour contribuer à la chute de Kadhafi. L’exemple le plus emblématique est le cas d’Abdelhakim Belhadj. Ce djihadiste libyen, vétéran de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan a ensuite combattu directement les forces américaines dans les rangs d’Al-Qaïda aux côtés d’Abou Moussab Al-Zarkaoui en Irak. Arrêté ensuite par la CIA en Malaisie, il est livré aux renseignements libyens qui le relâchent en 2009 lors d’une amnistie générale. Dès le début de l’insurrection contre Kadhafi, il rejoint le Qatar où il sera appelé  à prendre le commandement de la « brigade du 17 février » sur le front libyen.  Cette brigade, armée et formée par la France et les Emirats Arabes Unis, devient l’une des plus performantes au combat contre l’armée libyenne. Du 20 au 28 août 2011, elle s’empare des principaux lieux de pouvoir à Tripoli et met en fuite le dictateur. Son efficacité militaire au combat lui donne une place de choix sur la scène politico-militaire post-régime. Abelhakim Belhadj, authentique djihadiste et vétéran d’Al-Qaïda, devient alors gouverneur militaire de Tripoli.

Outre le fait que l’islamisme politique n’a pas connu la même victoire dans les urnes qu’en Tunisie ou en Egypte et que les arsenaux de Kadhafi ont été pillés par de multiples bandes armées qui essaiment notamment dans la région du Sahel, la Libye peut inquiéter à plus d’un titre. Si Al-Qaïda en tant que telle n’est pour le moment pas présente en Libye, plusieurs groupes armés se revendiquant du djihad mondial montent en puissance, profitant de l’instabilité chronique que connaît le pays. La ville de Benghazi notamment, cité qui a été sauvée in extremis par les bombardiers français d’un massacre annoncé par Kadhafi, est en train de devenir un lieu de regroupement de tous les djihadistes de la région. Déjà l’assaut mené par des terroristes islamistes sur le consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012 (mort de l’ambassadeur américain et de trois de ses gardes du corps ainsi que l’incendie du bâtiment) était révélateur de l’importance que le djihadisme anti-américain d’Al-Qaïda prenait dans la région. Mais la situation n’a cessé de se dégrader depuis et les bâtiments officiels comme les policiers ou militaires libyens sont constamment attaqués lors d’embuscades par ces mêmes groupes djihadistes. Le danger est devenu tel que Londres et Paris (pourtant les principaux « sauveurs » de la ville) demandent à leurs ressortissants d’éviter la ville. Il apparaît donc de plus en plus que la Libye et Benghazi sont en voie de « sanctuarisation » pour la nébuleuse djihadiste (Ansar el-Charia par exemple).

 

La montée en puissance du Jahbat Al-Nusra dans la guerre civile syrienne

Dernière en date des Printemps arabes, la révolution en Syrie s’est transformée en une sanglante guerre civile dont l’ONU estime qu’elle a pu faire au minimum 60 000 morts. D’un mouvement de protestation pacifique et populaire en mars 2011 elle est devenue une guerre civile et une guérilla sur l’ensemble du territoire syrien. Le régime est opposé à une contestation des sunnites qui constituent le groupe majoritaire en Syrie. Il  bénéficie du soutien des minorités alaouites, chrétiennes, druzes et sur une neutralité des Kurdes auxquels il a abandonné le Kurdistan syrien (toutefois certains membres des minorités sont hostiles au régime tandis que certains sunnites, notamment issus de la bourgeoisie, souhaitent le maintien du régime par souci de stabilité).

Lorsque la contestation est devenue rébellion et s’est militarisée, la plupart des rebelles étaient des déserteurs ou des civils qui rejoignaient l’Armée Syrienne Libre, dirigée par Rifaat Al-Assad. Elle bénéficie du soutien du Conseil National Syrien. Cette instance représentative de l’opposition au sein de laquelle les Frères Musulmans syriens sont majoritaires est reconnue par nombre de puissances étrangères (notamment la France) comme seul gouvernement légitime de Syrie. Au long de près de deux années de combats, l’ASL a semblé très peu centralisée et divisée, n’assurant pas ou peu de coordination entre ses différentes brigades et surtout laissant ses membres s’adonner au pillage chez des civils déjà appauvris par la guerre. De plus, nombre des brigades autonomes de l’ASL se sont révélées être guidées par un islamisme radical, proche du salafisme, comme les combattants de la meilleure brigade de l’ASL, la brigade Al Tawhid qui combat dans la région d’Alep. En fait, l’ASL ne dispose pas d’armements performants, ses combattants sont indisciplinés et peu aguerris. La ville de Homs, dont l’ASL avait fait la « capitale de la révolution », a été presque totalement reprise par le régime et l’ASL ne détient plus que quelques quartiers.

Les faiblesses de l’ASL contribuent à expliquer l’émergence d’une nouvelle force militaire, alimentée depuis l’étrangers par l’afflux de djihadistes. Ironie de l’histoire, alors que Bachar Al-Assad avait ouvert ses frontières aux djihadistes d’Al-Qaïda pour aller combattre les troupes américaines en Irak, c’est désormais d’Irak que sont venus de nombreux combattants de l’Etat Islamique d’Irak en franchissant la frontière syrienne dans le sens inverse. Ces vétérans du djihad, possédant une expérience d’une décennie de combats contre la plus puissante armée du monde, ont vu dans le chaos syrien une opportunité de remporter enfin des victoires militaires tactiques sur une armée syrienne affaiblie. Recrutant les nombreux « mercenaires du djihad » venus faire le coup de feu en Syrie et qui s’entraînaient au combat en 2011, ils ont formé à la fin de l’année 2011, un groupe militaire combattant sur le front tout en pratiquant le terrorisme et dont les objectifs sont purement religieux.

Ils officialisent ce groupe sur internet début janvier 2012 en lui donnant le nom de Jabhat Al-Nusra (Front de la Victoire). Leur chef est un syrien dont le nom de guerre est Abou Mohammad Al-Jolani. Son véritable nom serait en fait Souleyman Khaled Derwich. Il serait né dans une famille de la banlieue sud de Damas, originaire du plateau du Golan, aurait 36 ans et aurait reçu sa formation de combattant en 1999 en Afghanistan où il aurait rencontré Abou Moussab Al-Zarkaoui. Aux côtés de ce dernier il aurait combattu en Irak tout au long de l’occupation américaine pour ensuite prendre la tête du djihad en Syrie.

Le Jabhat Al-Nusra a connu une spectaculaire montée en puissance tout au long de l’année 2012. Il revendique aujourd’hui 20 000 combattants. Beaucoup sont Syriens mais de nombreux membres proviennent du monde entier, d’Irak, de Turquie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh, de Tchétchénie, d’Algérie, de Tunisie, de Libye, mais aussi du Canada, de Belgique et probablement d’autres pays d’Europe. Son financement proviendrait, au moins en partie, du Golfe Persique et notamment du Qatar qui n’hésite pas à subventionner les groupes combattants qui se montrent efficaces au combat.  Si ses membres avaient déjà commis des attentats-suicides et des attentats à la voiture piégée en 2011 ils ont renforcé ce mode opératoire en 2012 recréant ainsi les mêmes schémas qu’en Irak. De plus, alors qu’ils ne prenaient pas part aux combats dans un premier temps, préférant s’entrainer et se renforcer, ils ont commencé dans le courant de l’année 2012 et notamment durant les grandes offensives rebelles de l’été sur Damas et Alep à monter en première ligne sur le front. Depuis, les membres du Jahbat Al-Nusra sont systématiquement impliqués dans les combats contre l’armée syrienne. Et leur efficacité au combat semble largement dépasser celles des brigades de l’armée syrienne libre. A tel point que les djihadistes d’Al-Nusra se permettent de lancer seuls ou aux côtés d’autres groupes djihadistes  des attaques majeures sur des sites sensibles et d’y remporter des victoires tactiques comme la prise de la base aérienne de Taftanaz le 11 janvier 2013. A Alep, l’un des fronts principaux des combats en Syrie, ils sont en passe de supplanter l’ASL dans les quartiers aux mains des rebelles. Leur discipline, leur bravoure au combat et leur comportement vis-à-vis des populations les distinguent des autres rebelles. Cet ensemble assure ainsi au Jabhat Al-Nusra une popularité certaine auprès des sunnites syriens.

Cependant, leur force militaire s’accompagne d’une grande violence voire d’une cruauté particulière qui rappelle les méthodes d’Al-Zarkaoui. Ainsi Al-Nusra a pour principe de ne jamais faire de prisonniers. Tous les soldats, policiers, chabihas, agents du régime qui tombent vivants entre leurs mains sont systématiquement exécutés. De nombreuses vidéos sont diffusées par leurs soins sur internet où il est possible de les voir procéder à de multiples exécutions et décapitations de prisonniers. Dans les provinces d’Alep et d’Idleb, ils ont décrété des émirats islamiques dans lesquels ils imposent la Charia à tous les habitants (et notamment pour les femmes).

Malgré leur efficacité militaire, il est possible que leur radicalité ostentatoire leur porte préjudice le moment venu. Ils ont tout d’abord commencé à s’en prendre aux Kurdes, accusés de « jouer le jeu de Bachar » en ne le combattant pas frontalement. Depuis plusieurs semaines de féroces combats font rage à la frontière que partage la Turquie avec le Kurdistan syrien. La ville frontière kurde de Ras Al-Aïn est l’enjeu d’une lutte entre le Jahbat Al-Nusra et les combattants kurdes du PYD qui la défendent âprement. Les djihadistes démontrent qu’ils sont désormais en possession d’armes lourdes, ce qui est pour eux inédit. Il reste qu’en ouvrant un nouveau front contre les Kurdes, ils divisent leurs forces et font le jeu du régime en place.

Le régime d’ailleurs se satisfait de cette montée en puissance d’Al-Nusra qui lui permet d’asseoir sa propagande selon laquelle il se bat depuis le début contre des bandes terroristes. Ainsi, le Jahbat Al-Nusra pourraient être contre toute attente les sauveurs du régime de Bachar Al-Assad. En effet, lorsque la coalition politique du CNS affirma vouloir un changement de régime au profit de l’instauration d’une démocratie en Syrie, le Jahbat Al-Nusra et ses alliés djihadistes ont totalement rejeté une telle éventualité affirmant qu’ils se battaient pour l’édification d’un « Etat Islamique juste » ou la Charia tiendrait lieu de constitution et ou les non-sunnites n’auraient pas leur place. Face à ces revendications et aux nombreux attentats commis par le groupe, les Etats-Unis ont décidé en décembre de placer le Jahbat Al-Nusra sur la liste des organisations terroristes, l’affiliant à Al-Qaïda. Dans l’éventualité d’une défaite du régime de Bachar Al-Assad face au Jahbat Al-Nosra, ce groupe en lien avec la nébuleuse Al-Qaïda se retrouverait alors à la frontière du Golan, lui permettant enfin d’attaquer frontalement Israël. Il est possible d’envisager que les Etats-Unis mise sur un pourrissement de la situation, laissant le meilleur allié de l’Iran aux prises avec une guerre civile qui lui interdit toute attaque contre Israël. Cette situation conduit également les djihadistes d’Al-Qaïda à mourir par milliers sous les bombes du régime.

Pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, la nébuleuse Al-Qaïda  se trouve en Syrie en position de se déployer et de donner libre cours à sa violence et son fanatisme sans être opposé aux Etats-Unis, ou à l’un de leurs alliés, mais au contraire dans l’optique de combattre un ennemi de l’Amérique. La conséquence immédiate est une montée en puissance d’Al-Qaïda, un afflux significatif de djihadistes depuis le front afghan contre les Soviétiques, des effectifs d’une ampleur jamais atteinte en dehors de celle de ses alliés talibans, un armement lourd qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de posséder auparavant et de réelles victoires tactiques au combat. Il est certain qu’elles seront mythifiées par une propagande djihadiste appelée à se développer. La nébuleuse djihadiste internationale se bat en Syrie pour un nouveau sanctuaire et rien ne permet d’écarter l’hypothèse qu’elle l’arrache.

 

Malgré la mort de son chef, la perte de son sanctuaire afghan et l’affaiblissement de sa direction centrale, Al-Qaïda a su s’adapter habilement à la « guerre totale contre le terrorisme » déclarée par les Etats-Unis le 11 septembre 2001. En se réfugiant dans les zones tribales pakistanaises, en développant un système de franchises régionales et tirant partie de la déstabilisation provoquée des révolutions arabes, la nébuleuse Al-Qaïda est parvenu à conserver son statut de principal moteur du djihad mondial et une capacité de nuisance toujours effective. Si elle s’est profondément transformée et si elle n’est plus capable d’effectuer des attentats majeurs comme la destruction du Word Trade Center, elle conserve une grande influence au sein du monde arabo-musulman. Loin d’être détruite, Al-Qaïda peut toujours se targuer de susciter une adhésion grandissante à son idéal djihadiste.

Al Qaeda, état des lieux

31 jan

Diplômé en 2012 du Master II, Romain Sens propose un état des lieux sur la nébuleuse Al Qaeda en 3 points : Al Qaeda central, les franchises ou branches régionales de la nébuleuse et Al Qaeda dans les printemps arabes. La première partie est mise en ligne aujourd’hui ; les deux parties suivantes viendront compléter cet état des lieux dans les jours qui viennent.

 

Partie 1 : Le Waziristan, dernier sanctuaire d’Al-Qaïda Central.

 

Depuis le 11 septembre 2001, l’organisation djihadiste internationale Al-Qaïda a eu à affronter de nombreux défis après être entrée en guerre ouverte totale avec les Etats-Unis.

Les objectifs de son fondateur Oussama Ben Laden étaient doubles : provoquer des attentats terroristes de masse sur le sol occidental afin d’effrayer les populations américaines et européennes et les convaincre d’obliger leurs gouvernants à se retirer du Moyen-Orient, tant en termes de déploiement militaire que d’influence géopolitique. Dans le même temps, ces attaques devaient galvaniser les populations arabo-musulmanes et les amener à chasser leurs gouvernants autocrates afin de réinstaurer un califat, en commençant par l’échelle régionale.  Cette doctrine caractéristique du djihadisme a été la matrice de la nébuleuse Al-Qaïda depuis sa fondation à la frontière afghano-pakistanaise en 1987 par Oussama Ben Laden et Abdullah Azzam.

Contrairement à l’AKP turque par exemple, Al-Qaïda s’est toujours opposée à un processus de prise de pouvoir par la voie démocratique, affirmant que la Charia et le Califat ne doivent être imposés que par la seule force des armes (la légitimité du Califat devant provenir d’Allah et non du peuple). Cependant les conséquences du 11 septembre 2001 ont entrainé une divergence au sein de l’organisation quand à la stratégie globale à adopter. Oussama Ben Laden, voulait frapper l’Occident de la même façon que lors des attentats du 11 septembre 2001 par des attaques spectaculaires. Sans être directement orchestrés par Oussama Ben Laden, les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2006 se sont inscrits dans cette stratégie. Mais le renforcement de la lutte anti-terroriste au sein des pays occidentaux a empêché l’organisation de rééditer ensuite des attentats de cette ampleur. De même la lutte que mènent depuis 11 ans les Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan contre la nébuleuse djihadiste constitue l’une des raisons de l’échec d’Al-Qaïda à poursuivre des campagnes terroristes. De graves reproches ont été adressés à Ben Laden par certains de ses cadres après l’invasion de l’Afghanistan par les troupes de l’OTAN : en ayant attaqué spectaculairement les Etats-Unis en 2001, Oussama Ben Laden avait réveillé un géant endormi, dont la riposte a privé l’organisation de son principal sanctuaire depuis la prise de pouvoir à Kaboul des Talibans en 1996. De fait, en détruisant les camps d’entraînements d’Al-Qaïda en Afghanistan, notamment celui de Jalalabad, les Etats-Unis ont détruit la principale base de préparation aux attaques terroristes en Occident. Ne pouvant plus toucher l’ennemi jusque chez lui (même si de nombreuses tentatives continuent d’être menées comme celle de Farouk Omar sur le vol américain du 24 décembre 2009), Al-Qaïda a donc entamé une réorientation stratégique.

La stratégie d’Al-Qaïda repose désormais sur l’équation suivante. Avant de pouvoir un jour frapper à nouveau (et si possible plus durement et durablement) l’Europe et les Etats-Unis, Al-Qaïda estime qu’il est nécessaire de prendre le pouvoir dans des régions du monde arabo-musulman ; d’y exercer un contrôle du territoire et d’y faire respecter la souveraineté de la Charia ; et surtout (ce qui reste l’échec majeur d’Al-Qaïda depuis 2001), d’arriver à susciter l’adhésion des populations gouvernées par les djihadistes. Une fois ces nouveaux « émirats » sous contrôle, une politique d’expansion politique faisant tâche d’huile dans tout le monde arabo-musulman serait alors mise en place. Une fois le califat régional reconstitué, celui-ci serait en mesure d’affronter un choc des civilisations avec l’Occident, la mobilisation de l’Oumma dans son ensemble devenant bien plus efficace d’un point de vue militaire que ne peuvent l’être les cellules terroristes infiltrées.

Nous analyserons la façon dont Al-Qaïda s’efforce aujourd’hui de mettre en œuvre cette nouvelle stratégie d’implantation territoriale : en maintenant son implantation centrale en Afpak malgré la pression américaine ; en développant un système de franchises ; et en prenant appui sur la dynamique du printemps arabe.

 

L’Af-Pak : Al-Qaïda Central

Dès le mois de décembre 2001 et la fuite de l’état-major d’Al-Qaïda à travers les montagnes de Tora Bora, les djihadistes, hébergés par le régime taliban au pouvoir à Kaboul depuis 1996, ont perdu le sanctuaire afghan. Dès l’attaque américaine les combattants talibans se sont repliés dans leur sanctuaire des zones tribales pakistanaises que sont principalement le Waziristan du Nord et le Waziristan du Sud : ils sont en effet issus des tribus pachtounes présentes des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise (Ligne Durand tracée par les Britanniques au XIXe siècle), lesquelles ne reconnaissent pas la frontière ni d’autre autorité que la leur. Les combattants d’Al-Qaïda (surnommés par les talibans, les « Arabes ») ont pu également se replier dans ces zones et ont été hébergés dans les villages du Nord-Waziristan.

Les camps d’entraînement au combat ou à la préparation d’actes terroristes se sont donc reformés, sur un modèle plus réduit et plus artisanal (un « compound » de quelques maisons en terre cuite abritant plusieurs dizaines de combattants pouvant servir de « camp d’entraînement »). De ce sanctuaire du Waziristan (et de la ville de Quetta au Baloutchistan pakistanais où le Mollah Omar dirigerait la « Choura de Quetta », qui serait l’état-major des talibans), le djihad contre l’Amérique et l’Occident a continué, les combattants talibans, pachtounes afghans ou pakistanais, traversant sans cesse la frontière afghano-pakistanaise pour aller frapper les troupes de l’OTAN sur le sol afghan.

En 11 ans de guérilla en Afghanistan, la situation n’a pas fondamentalement évolué. Tout l’enjeu sera de savoir si après le départ des troupes de combat de l’OTAN en 2014, la nouvelle armée afghane sera en mesure de résister à la tentative de reconquête du pouvoir des talibans afghans. Rien n’est encore certain à ce sujet. Les combattants pachtounes afghans luttent dans leur pays pour la reconquête du pouvoir, leur calendrier étant avant tout national. Les djihadistes d’Al-Qaïda ne sont guère présents sur les lignes de front afghanes. Ils ne seraient plus que quelques centaines (environ 400), regroupés notamment au sein de « l’Armée de l’Ombre », branche militaire d’Al-Qaïda en Afghanistan.

Ces djihadistes ne sont pas de simples combattants, mais plutôt des vétérans du Djihad, Arabes ou autres (Tchétchènes, Ouzbeks…), qui ont perfectionné leurs méthodes d’action sur d’autres champs de bataille et viennent assister les combattants talibans en leur apportant un savoir-faire, notamment en termes d’IED (Improvised Explosive Devices), ces mines artisanales qui n’existaient pas en Afghanistan avant l’arrivée des combattants d’Al-Qaïda en Irak et qui sont responsables de 80% des pertes occidentales depuis 2001.

En Afghanistan même il n’y a plus de camps d’entraînements terroristes depuis 2001 et la présence d’Al-Qaïda y est à ce jour minime. Sur le versant pakistanais, Al-Qaïda se situe surtout dans la zone tribale du Waziristan du Nord, où elle se trouve sous la protection du clan pachtoune des Haqqani, dont le chef, Jallaludin, est un vétéran de la guerre contre les Soviétiques. Dans ces zones tribales, des djihadistes venus du monde entier continuent de venir s’entraîner dans les camps rudimentaires du Waziristan, sous la direction de chefs militaires d’Al-Qaïda, et vont ensuite parfois faire le coup de feu de l’autre côté de la frontière contre les troupes américaines. Mohamed Merah, lors de ses voyages au Pakistan, est passé par les zones tribales pakistanaises et y a été formé au combat par un instructeur d’Al-Qaïda, Moez Garsallaoui, un Belgo-Tunisien, abattu par un tir de drone américain dans le nord du Pakistan au début du mois d’octobre 2012.

A défaut de pouvoir pénétrer dans ces zones tribales au sol du fait de l’interdiction formelle de l’armée pakistanaise, les forces américaines et notamment la CIA, tentent au moyen de drones tueurs (Reaper et Predator) d’abattre les principaux chefs d’Al-Qaïda  et commandants talibans. Si le plus fréquemment les cibles abattues sont des cadres ou combattants de second rang, davantage chargés de mener les combats tactiques au quotidien que d’orchestrer le Djihad international, il arrive tout de même que des cibles de haute valeur soient abattues par ces drones comme dans le cas d’Atiyah Abd-al Rahman (ancien numéro 2 d’Al-Qaïda) abattu au Pakistan le 22 août 20011 ou de son successeur Abu Yahya al-Libi abattu au Pakistan lui aussi le 4 juin 2012. Ces succès certains ont permis d’affaiblir l’organisation djihadiste au fil des années, les nouveaux chefs disposant d’une expérience guerrière et de qualités de commandement moindres que ceux qu’ils doivent remplacer. Les principaux dirigeants d’Al-Qaïda, en tête des killing lists américaines, consacreraient d’ailleurs beaucoup plus de temps et de moyens à assurer leur propre sécurité personnelle qu’à la préparation d’attentats sur les territoires des pays ennemis. L’opération « Neptune Spear » menée à Abotabbad (bien loin du Waziristan donc mais très près de la capitale pakistanaise, Islamabad), le 1er mai 2011 a conduit à l’exécution de la principale figure dirigeante d’Al-Qaïda, Oussamma Ben Laden.

Avec la mort du fondateur de l’organisation, celle-ci aurait pu se déliter subitement, compte-tenu du charisme exercé par le chef saoudien. Il n’en a rien été. L’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, numéro  2 d’Al-Qaïda du vivant d’Oussama Ben Laden, très probablement réfugié également au Pakistan, a naturellement pris la tête de l’organisation. Son commandement n’a depuis lors pas donné lieu à un changement de stratégie fondamental d’Al-Qaïda. Mais il semble probable que, du fait des contraintes dues à la menace constante exercée par les drones américains, Al-Qaïda Central n’ait plus guère de prise militaire sur les fronts autres que celui de l’Af-Pak. La doctrine et la stratégie du chef d’Al-Qaïda, édictées par messages audio et vidéo à destination des autres fronts en activité, restent néanmoins très suivies par les djihadistes internationaux. Son autorité est davantage morale ou politique que militaire.

La situation d’Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan, reste largement dépendante des autres acteurs présents de part et d’autre de la ligne Durand. Malgré la pression constante exercée par la CIA sur l’organisation, tant que celle-ci disposera d’un sanctuaire inviolable par la terre, elle se contentera d’encaisser les coups venus du ciel. C’est la raison de la discorde plus ou moins vivace selon les périodes entre les Etats-Unis et le Pakistan. En effet, les militaires américains estiment que tant qu’Al-Qaïda disposera d’un sanctuaire au Waziristan pakistanais, l’organisation ne pourra être détruite. Or le Waziristan est une zone tribale dans laquelle traditionnellement l’armée pakistanaise ne pénètre pas, du fait notamment de l’extrême répulsion des populations locales à tout autre pouvoir que celui de leurs tribus. De plus, ces territoires pachtounes sont les repaires des talibans, de nombreux talibans pakistanais étant basés au Sud-Waziristan (capitale de district Wana) tandis que de nombreux talibans afghans sont réfugiés au Nord-Waziristan (capitale de district Miranshah) (étant entendu que la distinction au sein des tribus pachtounes entre Afghans et Pakistanais n’a guère de signification).

Si le chef suprême des talibans afghans, le Mollah Omar est probablement réfugié à Quetta au Baloutchistan, les principaux chefs militaires des talibans afghans opèrent à partir du Nord-Waziristan. Parmi eux, les chefs du Réseau Haqqani, Jallaludine et son fils Sirrajudine, offrent leur protection à la direction d’Al-Qaïda. Au Sud-Waziristan, s’est créé le Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des Talibans du Pakistan TTP) sous la direction de Baïtullah Mehsud (abattu au Pakistan le 5 août 2009 par un drone américain) puis de son cousin Hakimullah Mehsud. Le TTP, créé en 2007, s’est ouvertement déclaré en guerre contre le gouvernement pakistanais. En effet, après que l’armée pakistanaise eut lancé un assaut sanglant en plein Islamabad pour reprendre le contrôle de la Mosquée Rouge occupée par des militants islamistes armés, le TTP a considéré que cet acte était la preuve de la duplicité du gouvernement pakistanais, lui reprochant notamment son alliance avec les Etats-Unis et son accord tacite avec la CIA pour laisser celle-ci bombarder sans relâche les zones tribales par le biais de ses drones tueurs.

C’est depuis cette rupture que le gouvernement pakistanais fait une distinction entre « bons talibans » (afghans) qui se contentent de se réfugier dans les zones tribales pakistanaises pour ensuite aller combattre l’armée américaine en Afghanistan et les « mauvais talibans » (pakistanais)  qui combattent ouvertement l’armée pakistanaise sur son sol . L’armée pakistanaise a ainsi engagé en octobre 2009 une opération terrestre massive pour reprendre le sud-Waziristan, principale base du TTP, pour détruire celui-ci. La capitale du district, Wana, a été prise, et plus d’un millier de combattants du mouvement auraient été tués. Plutôt que de livrer un combat frontal contre l’armée pakistanaise, le TTP a préféré par la suite axer son action sur une longue campagne d’attentats suicides qui a fait plus de 5000 morts depuis 2007. Il réclame, en échange d’une cessation des hostilités, l’adoption de la Charia comme source officielle du droit pakistanais, la fin de l’assistance aux Etats-Unis dans leur guerre dans la zone Af-Pak et la réorientation des forces pakistanaises vers le conflit indo-pakistanais.

Après cette offensive au sud-Waziristan, les Etats-Unis ont espéré que l’armée pakistanaise poursuivrait son offensive au sol en pénétrant au nord-Waziristan et dans sa capitale, Miranshah pour y démanteler les camps d’entrainements des talibans afghans et surtout pour y détruire l’état-major d’ Al-Qaïda central  soupçonné d’y être implanté, raison principale des combats menés par les Américains dans la zone Af-Pak. Mais cette offensive n’est pas venue, et le sanctuaire d’Al-Qaïda et de ses alliés talibans est resté inviolé au sol. En effet, le gouvernement pakistanais sans l’avouer préfère préserver ses alliés talibans afghans en vue de leur reprise du pouvoir à Kaboul après le départ des troupes américaines afin de pouvoir compter sur un Afghanistan allié qui leur servirait de « profondeur stratégique »  en cas de reprise du conflit avec l’Inde.

Même si elle est très affaiblie, la direction d’Al-Qaïda peut donc continuer à ne pas s’avouer vaincue.  Les Etats-Unis espèrent probablement abattre un jour prochain par un tir de drone le chef de l’organisation Ayman Al-Zawahiri (sans certitude absolue sur sa présence dans la zone). Ils pourraient ainsi décréter que les trois responsables majeurs des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri et Khalid Sheik  Mohammed  (numéro 3 de l’organisation en 2001 et cerveau des attentats de la même année, arrêté au Pakistan en 2003 et actuellement jugé aux Etats-Unis), ont été mis hors-jeu et ainsi décréter la fin de la guerre entamée en 2001 en Afghanistan. Mais sans destruction de l’état-major complet d’ « Al-Qaïda central » et de ses infrastructures, ses membres pourraient désigner un nouveau successeur à Al-Zawahiri, continuant à bénéficier de la protection des talibans et d’un sanctuaire terrestre, laissant ainsi le problème se perpétuer.

Sans intervention au sol des Américains, des Pakistanais ou une rupture de l’alliance entre les talibans et Al-Qaïda, la direction centrale de l’organisation djihadiste continuera ses activités terroristes (réduites actuellement du fait de l’intense campagne de bombardements de drones sur les zones tribales pakistanaises). De fait, la fin annoncée de l’engagement lourd américain en Afghanistan à partir de 2014, (il est question d’y laisser néanmoins des forces spéciales pour continuer à y traquer Al-Qaïda même si la décision n’a pas encore été définitivement prise) apparaît décisif pour le futur de l’organisation. Si les Américains se retirent effectivement de la zone en 2014 sans avoir réussi à détruire la direction du mouvement terroriste, que l’alliance avec les talibans tient jusque là et que ces derniers reprennent le pouvoir à Kaboul par la suite,  alors Al-Qaïda pourra apparaître comme victorieuse du champ de bataille afghano-pakistanais. Dans la guerre asymétrique que mènent les djihadistes d’Al-Qaïda et leurs alliés talibans contre l’armée américaine, le faible gagne s’il n’est pas détruit tandis que le fort est perçu comme perdant s’il n’a pas éliminé le faible.

Même si sa taille s’est fortement réduite (passant du territoire afghan à la zone tribale pakistanaise du Waziristan du Nord) le sanctuaire d’Al-Qaïda Central dans la zone Af-Pak reste donc en l’état actuel des choses une réalité.

 

Perceptions et conséquences régionales de l’intervention française au Mali : le cas du Nigéria

24 jan

L’Etat nigérian affronte depuis plusieurs années des acteurs locaux qui mettent en péril l’unité et la stabilité du pays. Nous pensons notamment au groupe MEND (Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger) avec qui le gouvernement entretient depuis 2009 une paix précaire, mais surtout à la secte islamiste Boko Haram qui est responsable de la mort de plus d’un millier de personnes. L’exécution de leur leader Mohammed Yusuf en 2009 par les services de police a plongé les membres de la secte dans un désir de vengeance et de lutte acharnée contre le pouvoir central. Les attentats sanglants perpétrés par cette secte islamiste se concentrent dans le nord du pays et notamment à Maiduguri, Etat du Borno (nord-est). Human Right Watch estime à plus de 1 500 le nombre de personnes tuées par Boko Haram entre juillet 2009 et octobre 2012 .

Dans un contexte d’islamisation générale de la bande sahélienne, le Nigéria n’échappe pas à cette contagion islamiste malgré sa position géographique en marge du Sahel. Boko Haram entretient en effet des liens privilégiés avec AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) et les différents groupes islamistes (Ansar Dine, Mujao). Le groupe Boko Haram s’internationalise du fait de ses liens avec ces organisations terroristes, il n’est plus uniquement tourné vers des questions intérieures, régionales et locales comme il pouvait l’être à ses débuts. Ce revirement se lit pour la première fois dans l’attentat perpétré contre les bureaux de l’Organisation des Nations-Unies à Abuja le 26 août 2011, signe de la volonté de Boko Haram de menacer la communauté internationale et d’exprimer des revendications globales . Il semble aujourd’hui certain que de nombreux membres de Boko Haram soient sur le sol malien. Un rapport de l’ONU de décembre 2011 fait état d’une centaine de combattants nigérians et tchadiens appartenant à Boko Haram ayant reçu une formation militaire dans les camps d’AQMI au Mali . Dans le contexte géopolitique actuel, Boko Haram s’est naturellement engagé aux côtés d’AQMI et des islamistes maliens. Laurent de Castelli, spécialiste de Boko Haram à l’IRIS, explique que la relation entre AQMI et Boko Haram est probablement a double-sens : AQMI ayant formé et entraîné des membres de la secte nigériane, c’est aujourd’hui au tour de Boko Haram d’aider AQMI en lui fournissant des combattants au Mali. Laurent de Castelli écrit à ce propos que « les membres des milices islamistes d’AQMI, d’Ansar Dine, du Mujao et de Boko Haram ont montré qu’ils savaient se synchroniser pour lancer des opérations communes, ce qui ne présage rien de bon » . Qui plus est, malgré un manque d’informations officielles sur le sujet, il semblerait qu’Ansaru soit également engagé aux côtés des islamistes maliens. Ce groupe djihadiste nigérian, apparu pour la première fois en juin 2012, est une branche dissidente de Boko Haram à qui il reproche de s’en prendre aux musulmans modérés et de ne pas être pas assez féroce envers les positions occidentales. Le mouvement Ansaru a notamment revendiqué l’enlèvement de l’ingénieur français Francis Colump le mercredi 19 décembre 2012 à Rimi dans l’Etat de Katsina. Dans un communiqué à la presse locale, des membres du groupe expliquent leur geste comme une réaction à la position de la France envers les musulmans et l’islam et par le rôle majeur qu’elle joue dans la préparation de l’intervention au Mali. Le groupe Ansaru affirme dans le même communiqué qu’il va « continuer à lancer des attaques contre le gouvernement français et les citoyens français [...] en particulier en Afrique noire, tant qu’il ne changera pas sa position sur ces deux sujets » . Le samedi 19 janvier, Ansaru revendique un nouvel attentat perpétré contre des forces armées nigérianes regroupées dans la ville de Okene, Etat de Kogi. Ces militaires nigérians préparaient leur départ pour le Mali. Deux militaires ont été tués dans l’explosion et cinq autres ont été blessés. Le dimanche 20, le groupe islamiste nigérian déclare que cet attentat est une réponse directe au déploiement des troupes nigérianes au Mali et que leur objectif était simple, il s’agissait de tuer et blesser ces soldats afin qu’ils ne puissent pas se rendre sur le conflit malien . Cela fait donc peu de doute que les membres d’Ansaru ont rejoint les rangs des islamistes au Mali pour faire face aux forces françaises. L’intervention au Mali a donc pour conséquence première de mobiliser les réseaux islamistes au Nigéria et notamment la secte Boko Haram et le groupe Ansaru.

De l’autre côté, le gouvernement nigérian se mobilise pour soutenir l’intervention française au Mali afin de repousser la menace islamiste et empêcher qu’AQMI ne fasse le lien avec Boko Haram . Pour le président nigérian Goodluck Jonathan, il s’agit avant tout de faire face à un risque de contagion islamiste et de porter un coup fatal à la secte nigériane en les privant de leur allié le plus puissant au Sahel. Pascal Chaigneau, spécialiste de l’Afrique et professeur à l’université Paris-Descartes, explique dans un entretien accordé au Monde que le Nigéria est sans doute le pays le plus favorable à cette intervention puisque porter un coup aux islamistes du Mali revient à combattre la secte Boko Haram qui « a fait du nord Mali son sanctuaire » . Cette intervention au Mali semble donc être perçue par les leaders nigérians comme une véritable aubaine qui permettrait, sous l’égide de l’ONU, de contrer le péril islamiste au Nigéria et plus globalement au Sahel. C’est ainsi que lundi 14 janvier, au cours d’une réunion des membres du corps diplomatique à Abuja, Goodluck Jonathan a choisi de se positionner officiellement en faveur de l’intervention au Mali et a déclaré que le Nigéria apporterait un soutien militaire à la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali). Le président a donc apporté son aide à la communauté internationale affirmant que « l’on ne pouvait plus laisser des parties du globe aux mains des extrémistes, parce que cela ne porte pas ses fruits et nous ne savons pas qui sera la prochaine victime » . Il était très important que le Nigéria réagisse rapidement à cette intervention française au Mali car ce pays a une place prépondérante au sein de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et il est donc essentiel dans ce conflit que la CEDEAO bénéficie de son soutien, de son aide et de son leadership. Le Nigéria, siège de la CEDEAO, est en effet la plus grande puissance militaire membre de ce groupe et il dispose des plus gros effectifs humains et militaires de l’Afrique de l’ouest. Le Nigéria fait également figure de pays expérimenté puisqu’il a déjà participé à de nombreuses missions de maintien de la paix au sein de l’UA (Union Africaine) et de la CEDEAO notamment dans les années 1990 au Libéria et en Sierra Leone et est actuellement engagé au Darfour au sein de l’UA . Dans un communiqué de presse du 10 janvier 2013, le président de la Commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo, a d’ailleurs salué l’engagement du Nigéria dans les missions de la CEDEAO en Afrique et dans sa future participation au Mali . Le Nigéria a envoyé une centaine de combattants au Mali dès le 17 janvier et devrait en envoyer 1 200 au total, soit 600 de plus que ce qui était initialement prévu ; en outre le général nigérian Shehu Usman Abdulkadir obtient le commandement de cette force africaine, une force qui devrait compter au moins 5 800 hommes (en comptabilisant les forces tchadiennes) . Le Nigéria devient donc le principal contributeur étranger en hommes de la CEDEAO dans cette mission d’intervention au Mali, et occupe la troisième place des participants étrangers derrière la France (2 500 hommes) et le Tchad (2 000 hommes) . Le Nigéria réaffirme ainsi sa position de leader au sein de la CEDEAO.
Il est pourtant évident que l’intervention française a eu pour effet de précipiter la décision de Goodluck Jonathan de s’engager militairement au Mali, alors qu’au cours de ces derniers mois le Nigéria se « préparait à reculons » selon certains spécialistes. En effet, alors que le processus était jusqu’alors bloqué entre les différents pays de la CEDEAO, l’intervention française au Mali a forcé le Nigéria à prendre position et à participer aux opérations militaires. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politologue et spécialiste de Boko Haram, va même jusqu’à affirmer que le Nigéria était tout d’abord assez réticent à l’idée d’intervenir militairement au Mali avant d’avoir réglé la question du pouvoir politique malien. En effet, le 22 mars 2012 le Mali était victime d’un coup d’Etat militaire perpétré par le militaire Amadou Haya Sanogo. Suite à des pressions internationales, Sanogo se voit obligé de remettre le pouvoir entre les mains de Dioncounda Traoré, qui devient alors président par intérim pour quarante jours selon la loi malienne. Selon le politologue français, le Nigéria ne souhaitait intervenir militairement au Mali qu’après avoir réglé la question du pouvoir politique malien et après la tenue d’élections libres destinées à désigner un nouveau président. Cependant, la réaction immédiate de la France à l’avancée des islamistes au Mali aurait forcé Goodluck Jonathan à passer plus rapidement que prévu à l’action militaire en laissant de côté l’aspect politique . Ainsi le samedi 19 janvier, au cours d’une réunion de la CEDEAO à Abidjan, la France a appelé la force africaine à se déployer le plus rapidement possible afin que la France, qui n’a pas vocation à rester au Mali, ne soit pas seule dans le conflit. Conséquence de cette réunion extraordinaire, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont signé l’ordre de déploiement de la MISMA. Outre le Nigéria, sept autres pays de la CEDEAO se sont ainsi engagés à participer à la MISMA : le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, la Guinée, Niger, le Sénégal et le Togo. La Côte d’Ivoire et la Mauritanie, membres de la CEDEAO, n’ont pourtant pas choisi de participer à la MISMA. En revanche le Tchad, pays non membre de la CEDEAO, a annoncé qu’il enverrait un contingent de 2 000 hommes au Mali.
La décision de s’engager lourdement au Mali semble tout de même faire consensus au Nigéria, et le gouvernement ne cesse d’augmenter le nombre de soldats engagés dans la MISMA. Pourtant des questions restent en suspend. Goodluck Jonathan a-t-il fait le bon choix en envoyant 1 200 militaires au Mali, réduisant ainsi les effectifs sur son propre territoire ? Le Nigéria a t-il les moyens de cet engagement au Mali ? Boko Haram et Ansaru ne risquent-t-ils pas de profiter de cet affaiblissement sur le territoire nigérian ? Engager le combat au Mali, n’est-ce pas risquer qu’AQMI et les groupes islamistes nigérians ne « fassent définitivement le lien » ? Reste donc à savoir si les conséquences de cet engagement militaire sur le long seront eux aussi positives pour le pays.

Pauline Guibbaud, diplômée de Sciences Po Aix et actuellement étudiante en Master II d’Histoire militaire.

Bibliographie

Revues et périodiques

Entretien avec Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Nord-Mali: le Nigeria ne sortira pas indemne de l’opération Serval », Slate Afrique, 22 janvier 2013
http://www.slateafrique.com/102003/mali-operation-serval-consequences-nigeria-islamistes-interview-perouse

Entretien avec le Professeur Pascal Chaigneau, « Empêchons la création d’une ‘Sahelistan’ », Le Monde, 14 janvier 2013

GONIN Patrick et Marc-Antoine PEROUSE de MONTCLOS, « Mali, l’intervention difficile », Le Monde, 9 juillet 2012

Entretien avec Pierre Boilley, directeur du Centre d’Etudes des mondes africains et spécialiste du Sahel, « Le risque est grand de voir Bamako mener de larges représailles contre les Touaregs », Le Monde, 16 janvier

Source AFP, « CEDEAO : réunion à Abidjan pour accélérer le déploiement de la force africaine », France 24, 21 janvier 2013
http://www.france24.com/fr/20130119-abidjan-cedeao-accelerer-deploiement-force-africaine-misma-armee-francaise-mali-bamako

« Une secte islamiste revendique l’attentat contre le siège de l’ONU à Abuja », France 24, 26 août 2011
http://www.france24.com/fr/20110826-nigeria-attentat-suicide-secte-islamiste-boko-haram-revendication-abuja-siege-onu-nations-unies

ROGER Benjamin, « Qui se cache derrière le groupe djihadiste nigérian Ansaru ? », Jeune Afrique, 24 décembre 2012

« L’état des forces militaires étrangères déployées au Mali », RFI, 21 janvier 2013
http://www.rfi.fr/afrique/20130120-etat-forces-militaires-etrangeres-deployees-mali

AGANDE Ben, « Nigeria deploys troops to Mali », The Vanguard, 14 janvier 2013. « We can no longer surrender any part of the globe to extremism, because it doesn’t pay and we don’t know the next victim »
http://www.vanguardngr.com/2013/01/nigeria-to-deploy-troop-to-mali/

« Ansaru claims attack that killed 2 Mali-bound soldiers », The Vanguard, 20 janvier 2013
http://www.vanguardngr.com/2013/01/ansaru-claims-attack-that-killed-2-mali-bound-soldiers/

Ressources électroniques

De CASTELLI Laurent, « Mali : des combattants nigérians de Boko Haram soutiennent les groupes islamistes », site officiel de l’IRIS http://www.affaires-strategiques.info/, 14 janvier 2013

Rapports et communiqué de presse

Rapport Human Right Watch, « Spiraling Violence
Boko Haram Attacks and Security Force Abuses in Nigeria », octobre 2012, p. 5

Conseil de sécurité des Nations-Unies, « Rapport de la mission d’évaluation des incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel », 7-23 décembre 2011, p. 15
http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1220864.pdf

Communiqué de presse CEDEAO, « La CEDEAO salue les forces armées nigérianes pour leur contribution en faveur de la paix régionale », 10 janvier 2013
http://news.ecowas.int/presseshow.php?nb=001&lang=fr&annee=2013

Intervention au Mali : point sur la situation

24 jan

Vous pouvez retrouver l’analyse de Walter Bruyère-Ostells sur le Huffington Post    http://www.huffingtonpost.fr/../../walter bruyeres ostells/intervention-mali-aqmi_b_2533046.html

FRANCE-MALI : CHECK LIST POUR UNE INTERVENTION

15 jan

Le Président de la République, chef des armées au titre de l’article 15 de notre Constitution, a ordonné le déclenchement d’une intervention militaire (sans déclaration de guerre) au Mali dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en 2008 (ci-après appelé Le Livre blanc), recensait sept principes directeurs pour tout engagement des forces armées françaises à l’étranger (dans le chapitre 3 : "La stratégie de sécurité nationale", p. 76). Leur mise en œuvre peut être vérifiée au fur et à mesure de la guerre qui vient de commencer.

 

1 – Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationales.

- Al Qaida au Maghreb islamique-AQMI menace explicitement la France depuis de nombreuses années et a mené des actions contre ses ressortissants (enlèvements) et ses intérêts (attentats). La menace contre la sécurité nationale est donc avérée : "Quand on se réfère à la doctrine de ces groupes intégristes et singulièrement d’AQMI, la France est en ligne de mire" (Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, 24 septembre 2012).

- AQMI ne fait mystère ni de sa volonté de renverser par les armes les régimes en place au Maghreb et au Sahel pour instaurer un califat salafiste, ni de sa participation - notamment par des actions terroristes - au djihad mondial. Les organisations alliées d’AQMI                       - Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Ansar Eddine, Boko Haram et Ansaru - partagent pour tout ou partie les mêmes objectifs.

- L’ONU estime que la situation "menace la paix, la sécurité et la stabilité des États de la région" (Conseil de sécurité, Résolution 2056 du 5 juillet 2012), "constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales" (Conseil de sécurité, Résolution 2071 du 12 octobre 2012), " [fait] peser une grave menace, pour laquelle le temps presse, sur la population du Mali tout entier et la stabilité du Sahel, de l’Afrique en général et de la communauté internationale dans son ensemble" (Conseil de sécurité, Résolution 2085 du 20 octobre 2012).

- Par conséquent, la résolution 2056 prévoit des sanctions contre les groupes terroristes occupant le nord du Mali et la résolution 2085 demande à la communauté internationale d’ "aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de [leur] territoire". Réunis en urgence le 10 janvier 2013, lors du déclenchement de l’offensive djihadiste vers Mopti, "les membres du Conseil demand[èr]ent à nouveau aux États Membres d’accompagner le règlement de la crise au Mali et, en particulier, de fournir une assistance aux Forces de défense et de sécurité maliennes afin d’atténuer la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés".

 

2 – Examen, préalable à l’usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l’urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.

Depuis le début des affrontements au Mali, en janvier 2012, la France défend une approche multilatérale respectant strictement le droit international. Elle encouragea les négociations, démarche qu’elle préférait aux coûts humain et financier d’une intervention militaire par surcroît lourde de multiples aléas.  Mais, semble-t-il, sans s’illusionner.

Aussi, lorsque M. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies proposa, le 10 octobre 2012 une négociation préalable à une intervention militaire, M. Hollande se montra circonspect. D’une part, il jugeait cela inapproprié vis-à-vis d’AQMI : "Discuter avec qui ? Avec AQMI ? Qui peut imaginer qu’il puisse y avoir là des conversations qui puissent être utiles ?" D’autre part, il estimait possible un dialogue avec des forces politiques maliennes "laïques qui [voulaient] prendre part à la réconciliation nationale", ce qui désignait implicitement le Mouvement national de libération de l’Azawad-MNLA, qui faisait des ouvertures en ce sens. L’acceptation de la faction touarègue - dont l’action militaire déclenchée le 17 janvier 2012, a provoqué le chaos actuel et qui fut boutée hors de l’Azawad par les djihadistes au printemps 2012 - tend à démontrer que Paris tenait à un règlement négocié, pour autant qu’il n’incluait pas les terroristes islamistes. 

Le 10 janvier 2013, les autorités françaises semblent avoir partagé l’analyse stratégique du gouvernement provisoire malien. Les djihadistes paraissaient avoir l’intention de prendre Mopti, puis de pousser l’avantage jusqu’à Segou, dernier verrou avant Bamako. Cette perception s’appuyait en particulier sur le fait que des groupes attaquaient la bourgade de Konna tandis que d’autres tentaient, dans le même temps, de franchir le fleuve Niger pour prendre les éléments de l’armée malienne en tenaille. Il y avait donc urgence, alors que les dirigeants maliens se trouvaient en situation de légitime défense. Celle-ci est reconnue comme un droit par l’article 51 de la Charte des Nations Unies et peut s’exercer individuellement ou collectivement, donc avec l’aide de pays tiers comme la France.

Notons que l’offensive lancée par les djihadistes ne témoigne pas d’une volonté de négocier, pas même de la part d’Ansar Eddine, qui bénéficie, pourtant, de l’attitude pour le moins ambigüe de l’Algérie et du Burkina Faso.

 

3 – Respect de la légalité internationale.

- la résolution 2085, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 20 décembre 2012, "Demande instamment aux États Membres et aux organisations régionales et internationales de fournir un appui coordonné à la [Mission internationale de soutien au Mali-]MISMA, en étroite coordination avec celle-ci et avec les autorités maliennes, notamment sous la forme de formations militaires, de fourniture de matériel, de renseignement, d’appui logistique et de tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par des organisations terroristes". La formule "tout type d’aide" offre implicitement la possibilité d’une intervention militaire directe.

- le 10 janvier 2013, le président par intérim malien, Dioncounda Traoré, demande officiellement « l’aide militaire » de la France. Ceci entre dans le cadre des relations bilatérales d’État à État en général, entre la France et le Mali, en particulier.

- La France peut également se targuer des demandes explicites de soutien militaire formulées par les États voisins. Réunis à Abuja (Nigeria), le 11 novembre 2012, les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO, rejoints par les pays voisins et concernés (Mauritanie, Tchad, Algérie) ont adopté un plan de reconquête du Nord-Mali. Il s’agit d’une opération militaire africaine, mais avec soutien occidental. Cette intervention est autorisée - à l’unanimité - par la résolution 2085 du 20 décembre 2012.

- L’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, peu suspecte de francophilie (elle avait publiquement qualifiée le plan français d’intervention militaire de "crap" le 11 décembre 2012) a déclaré que, lors de la réunion en urgence du Conseil de sécurité le 10 janvier, il y a eu un "consensus clair sur la gravité de la situation et le droit des autorités maliennes de rechercher toute l’assistance possible". Cela revenait à autoriser, à l’unanimité, l’action militaire française.

 

4 – Appréciation souveraine de l’autorité politique française, liberté d’action, et capacité d’évaluer la situation en permanence.

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région pour la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, nombre d’observateurs ont signalé que la France renforçait sa présence militaire et intensifiait considérablement la collecte ainsi que le traitement de renseignements. Paris défendait d’ailleurs, à l’époque, le lancement le plus rapide possible d’une action armée.

- L’intervention déclenchée le 10 janvier 2013 se déroule sous le contrôle exclusif des autorités françaises. La décision politique est du seul ressort du Président de la République et la chaîne de commandement militaire est strictement nationale.

- Toutefois, les Nations Unies surveillent le déroulement des opérations (rapports du Secrétaire général au Conseil de Sécurité). La CÉDÉAO et l’Union africaine demeurent les organisations dirigeantes des opérations tout comme du processus de paix (résolution 2085 autorisant la "Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine"). Ajoutons que l’aide apportée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Danemark et, progressivement par d’autres États européens, supposent une coordination, une concertation et donc une forme de contrôle sur l’action de la France.

 

5 – Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.

- Le Président de la République a prononcé une brève allocution le 11 janvier 2013 dans l’après-midi pour officialiser et expliquer l’intervention qu’il avait ordonnée. L’exposé des objectifs est clair : " Le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord, dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. Il en va donc, aujourd’hui, de l’existence même de cet État ami, le Mali, de la sécurité de sa population, et celle également de nos ressortissants."

- Le Président de la République a précisé, dans la même intervention : " J’informerai régulièrement les Français sur son déroulement. Les ministres concernés, celui des affaires étrangères en liaison avec les Nations Unies, car nous intervenons dans le cadre de la légalité internationale, comme le ministre de la Défense donneront également toutes les informations utiles à la population."

- Et il a annoncé : "Enfin, le Parlement sera saisi dès lundi" [14 janvier]. Ce qui est conforme à l’article 35 de la Constitution (version consolidée après la révision du 23 juillet 2008) : " Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote." Lors de sa conférence de presse le 11 janvier, le ministre des Affaires étrangères a précisé que le Premier ministre recevrait lundi 14 janvier, avec le ministre de la Défense et lui-même, l’ensemble des responsables politiques qui doivent être consultés. Il ajouta : "Le Parlement bien sûr pourra comme il l’entend, nous entendre. La présidente de la Commission des affaires étrangères a pensé que mercredi [16 janvier] peut-être, ou à une autre date qui sera à la discrétion du Parlement, nous pourrions avoir toutes les consultations nécessaires."

- Rappelons que le rôle du Parlement est strictement consultatif pour le moment. En effet, l’article 35 prévoit que ce n’est que " Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois,  [que] le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort." Les précédents (Afghanistan, 22 septembre 2008 ; Tchad, République centrafricaine, Côte-d’Ivoire, Liban, Kosovo, 28 janvier 2009) montrent que jamais un gouvernement n’a été mis en difficulté au sujet d’une intervention extérieure depuis l’entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle.

- La question de l’autorisation préalable au déclenchement des opérations n’a pas de fondement juridique. En effet cela n’est nécessaire, aux termes de la Constitution (article 35, 1er alinéa) qu’en cas de guerre : " La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement." Or, il ne saurait y avoir, au sens juridique, de déclaration de guerre aux djihadistes, qui sont des acteurs non-étatiques illégaux.

 

6 – Capacité d’engagement français d’un niveau suffisant, maîtrise nationale de l’emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.

- Ancienne puissance coloniale, la France dispose de nombreux alliés dans la région, ce qui lui permet, même si le format en a été considérablement réduit ces dernières années, d’assurer une présence militaire substantielle (au Tchad, notamment).

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région à la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, la France a modifié et renforcé dans la région son dispositif militaire en général et aérien en particulier. En outre, elle a intensifié la présence de ses forces spéciales ainsi que la collecte et le traitement de renseignements.

- Alliée du Mali et étroitement associée à son évolution depuis son indépendance, en 1960, la France connaît bien la situation intérieure de ce pays. Cela l’a amenée à préconiser (parfois à accompagner), depuis plusieurs années, une solution politique aux problèmes du nord.

- La France a largement contribué à l’élaboration puis à la mise en œuvre de la "Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel" adoptée par l’Union européenne le 29 septembre 2011. Elle lie la sécurité et le développement, préconisant une coopération régionale doublée d’une aide internationale, sur fond d’amélioration de la gouvernance des pays de la région. Si le chaos malien ne milite guère en faveur de l’efficacité du programme, l’outil existe. Une réelle volonté politique - que la catastrophe actuelle devrait susciter -, tant des États membres de l’Union européenne, que des pays du Sahel, pourrait déboucher sur des améliorations notables et durables du sort des populations sahéliennes. Seule une transformation en profondeur de la gouvernance des pays du Sahel permettrait de progresser dans ce domaine et de réduire le mécontentement qui contribue à grossir les rangs des extrémistes de tout poil.

 

7 – Définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.

Cela reste le critère le plus difficile à remplir. Pour le moment les déclarations demeurent vagues.

- Le périmètre géographique officiel est le territoire du Mali, sans plus de précision. La lutte entamée le 11 janvier 2013 contre les djihadistes a nécessité d’agir au centre du pays (libération de Konna), au nord du pays (bombardement de positions djihadistes) et au sud (déploiement de forces à Bamako pour protéger les ressortissants français). Il n’est pas certain que d’autres actions ne devront pas avoir lieu dans les pays voisins eux-mêmes infectés par les djihadistes (Niger et Burkina Faso, en particulier)

- Le Président de la République a déclaré le 11 janvier 2013 : "Cette opération durera le temps nécessaire." Cette imprécision est inhérente à toute guerre, à plus forte raison dans un conflit asymétrique. Le spectre de l’enlisement plane et il serait fort imprudent de fixer un terme.

- Aucune "évaluation précise du coût" n’a été produite officiellement. Cela serait d’ailleurs fort hasardeux dans la mesure où l’on ne connaît encore ni la durée, ni l’ampleur de l’intervention. En outre, les éventuels pays contributeurs financiers n’ont encore rien fait savoir de leurs intentions.

 

Patrice Gourdin

L’intervention militaire au Mali. Première étape d’une résolution de la crise à l’échelle régionale ?

13 jan

Les circulations de groupes combattants dans la région a permis de faire de l’Azawad un nouveau point de fixation pour les activistes d’AQMI. La branche qui se revendique d’Al-Qaeda peut compter sur ses alliés salafistes d’Ansar Dine, groupuscule armé créé en décembre 2011 et dirigé par Iyad ag-Ghali sur le Mujao. La conquête des villes du Nord (Tombouctou, Kidal et Gao notamment) a souvent été opérée par Ansar Dine. Ce groupe s’est rapidement imposé au groupe touareg indépendantiste mais laïcisant, le MNLA, comme le prouvent les destructions des mausolées de Tombouctou par ses combattants à l’été 2012. Le chef d’Ansar Dine est lui aussi touareg, proche de la chefferie des Ifoghas, tribu dont une partie des cadres du MNLA est issue mais dont le territoire constituerait le sanctuaire d’AQMI. La légitimité d’Iyad ag-Ghali parmi les Touaregs car Iyad ag-Ghali a mené la révolte touarègue de 1990. Il demeure un symbole de la lutte autonomiste (voire indépendantiste), même si le sentiment de la population est partagé à son égard depuis qu’il a adhéré au salafisme dans les années 1990.

 

Eléments de lecture géopolitique : un jeu d’acteurs étatiques

Le Mali est partie intégrante de la CEDEAO, association régionale de 15 membres. Elle devait fournir l’essentiel des 3 300 hommes d’une force d’intervention pour la reconquête du nord-Mali, même si celle-ci pourrait également intégrer des éléments tchadiens. En principe sous les ordres du général Lecointre, une mission européenne nommée EUTM Mali devait assurer la formation de ces troupes africaines déployées. Depuis le début de la crise malienne, les autres membres de la CEDEAO souhaitent s’impliquer dans sa résolution, conscients qu’elle comporte une indéniable dimension régionale et les concerne tous. La CEDEAO agit selon un double processus, diplomatique et militaire. Jusqu’à ces dernières heures, il était mis en avant par l’ONU et les puissances extra-africaines.

 CMJN de base

Pourtant, depuis plusieurs semaines, le doute s’exprimait chez de nombreux militaires français sur la capacité réelle de la force potentiellement déployée par la CEDEAO à opérer la reconquête face à des islamistes bien aguerris. Par ailleurs, l’association régionale ne saurait être l’acteur majeur d’une résolution durable du problème touareg. Elle semblait toutefois ces dernières semaines prendre parti en faveur de l’autonomie du Nord-Mali pour rallier le MNLA, voire Ansar Dine. Un sommet est prévu mercredi ; il devrait accélérer le déploiement des contingents ouest-africains avec l’appui logistique des Britanniques notamment (avions de transport C-17). A défaut de jouer le rôle de premier plan dans la reconquête du nord-Mali, la force d’intervention devrait pouvoir prendre le relais des Français pour aider les Maliens à tenir les premières villes reconquises, notamment Konna.

 

En réalité, l’acteur décisif est sans doute l’Algérie. L’Algérie partage une frontière de plus de 1 300 kms avec le Mali et est la principale puissance politique et militaire de cette partie du Sahel qu’elle considère comme relevant de sa sphère d’influence. Par ailleurs, les dynamiques des islamistes se font du nord vers le sud. Le refoulement vers le sud des djihadistes issus du GIA puis du GSPC a permis au régime de s’écarter des violences de la guerre civile et de former une sorte de glacis, au sud écartant toute prééminence sur une région riche en ressources. L’Algérie est officiellement partie prenante et même leader des partenariats militaires anti-terroristes : avec les Etats-Unis et l’OTAN, avec la France mais aussi avec les Etats voisins. En réalité, l’armée algérienne qui dispose (contrairement aux acteurs régionaux) d’une vraie capacité à agir n’a jamais vraiment eu l’intention d’éradiquer AQMI.

 

Par rapport à l‘émergence d’une autonomie ou d’une indépendance touarègue au nord du Mali, laquelle serait dépendante d’une protection française, l’Algérie préfère vraisemblablement l’instabilité actuelle. La déstabilisation du pouvoir malien est perçue à Alger comme une victoire sur un acteur régional proche du Maroc, confortant la place de l’Algérie comme la puissance régionale face à ses concurrents maghrébins.  De fait, l’enjeu caché de la crise malienne est le redécoupage des zones d’influence après les « printemps arabes », la chute de Kadhafi en Libye et un retour de l’ingérence française en Côte d’Ivoire, sans compter l’appétit de nouveaux acteurs (américains, chinois, canadiens, etc).

 

L’accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates…) est potentiellement au centre de la bataille géopolitique qui se déroule dans le désert. Dans cette bataille, tout l’intérêt de l’Algérie est que la crise dure. L’une de ses préoccupations est sans doute un retour d’une influence forte de la France, y compris via Total. Associer l’Algérie à la résolution de la crise malienne et à la stabilisation politique du nord-Mali est donc complexe mais déterminant. C’est Hillary Clinton qui avait négocié avec Alger à l’automne 2012. Alger aurait donné son accord tacite à l’opération à condition qu’elle ne comporte que des troupes africaines. Des militaires algériens auraient participé, les 3 et 4 novembre, à une réunion de planification avec leurs homologues ouest-africains, même si Alger excluait toute participation à l’opération[1]. Après l’intervention française de ce week-end, il va donc falloir reprendre le bâton de pèlerin et donner des assurances aux Algériens.

 carte-Mali-richesses-minieres

            Enfin, la France joue principalement sa crédibilité. Comme l’indiquent les discussions autour du nouveau Livre Blanc de la Défense, Paris souhaite retrouver une influence importante et sécuriser ses apports énergétiques stratégiques en Afrique. Après l’implication dans la victoire militaire d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, dans la chute de Kadhafi en Libye et l’échec de l’intervention de ses forces spéciales dans la libération de deux jeunes Français (janvier 2011), ses marges de manœuvre au Sahel paraissaient limitées par la détention des otages français. Toutefois, Paris a entretenu depuis le début de la volonté sécessionniste de l’Azawad des liens avec le MNLA. C’est sans doute pour avoir un pion dans le nouvel échiquier qu’Alger maintient des canaux de communication avec Ansar Dine qu’elle considère comme un interlocuteur acceptable, davantage nationaliste qu’islamiste.

 

Des enjeux multiples à moyen terme

Que ce soit pour les questions des ressources naturelles ou de la lutte anti-terroriste (quelle implication américaine ?), les risques d’extension de la crise malienne vers les pays voisins, comme le Niger et la Mauritanie, ne sont pas négligeables. L’enracinement d’AQMI dans le Sahel semble désormais acquis. La déstabilisation humanitaire de la région est également prévisible. Déjà plus de 147.000 personnes se sont réfugiées au Niger, Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie au cours de l’année 2012[2]. La mobilisation humanitaire a, pour l’instant, permis de relever le défi de la disette mais le développement agricole et la capacité à surmonter les sécheresses sont un enjeu à moyen terme pour le Sahel. Face à une probable déstabilisation durable de la région, se pose la question aux puissances de l’ouverture d’un nouveau front durable de lutte contre le djihadisme à l’heure du retrait d’Afghanistan.

 

En tout cas, plusieurs leviers doivent être actionnés pour sortir de la crise malienne et ne pas voir apparaître un arc de crises africain de l’Afrique occidentale à la Somalie. La crise malienne est avant tout politique et militaire et ne doit pas déboucher sur une situation d’un Etat failli à la somalienne. Le second enjeu est celui des ressources, notamment les réserves  d’hydrocarbures estimées comme prometteuses dans les régions de Kidal, de Gao et de Taoudénit (région de Tombouctou). L’exploitation de ce pétrole « strait free » (sans détroit) aiguise les appétits. Les Etats-Unis développent un projet d’oléoduc d’Est en Ouest. L’uranium (Kidal), l’or, le manganèse et les phosphates seraient également présents en abondance. De façon cynique, l’enjeu des ressources peut sans doute mobiliser d’autres puissances autour de la France, pour l’instant seule en première ligne. Les Britanniques semblent prêts à nous suivre rapidement. Mais la crise malienne est surtout une conséquence des changements politiques depuis 2011. La disparition de l’arsenal de Kadhafi dispersé par les réseaux transsahariens de trafics illégaux fait de l’ensemble du Sahel de la Mauritanie au Niger une immense poudrière.

 

L’un des dangers principaux repose également dans l’extension de réseaux djihadistes réellement connectés à grande échelle. A ce titre, l’appellation commune revendiquée par différents groupuscules du Yémen, d’Egypte, de Libye (attentat contre l’ambassade américaine de Benghazi), de Tunisie et du Maroc est inquiétante. Or, les plus radicaux d’Ansar Dine semblent préférer se détacher d’Iyad ag-Ghali pour se regrouper sous cette appellation au nord-Mali.

 

L’échelle régionale comme cadre de résolution de la crise

En réalité, il faut mener une lutte antiterroriste globale dans la région. Il est à craindre que l’intervention actuellement en cours, même si elle constitue une réussite tactique, n’ait pas été suffisamment planifiée. Il faut maintenant agir au plus vite pour organiser un plan d’action sur les différents facteurs de prolifération du djihadisme. L’un des enjeux militaires est de cloisonner les espaces et d’empêcher AQMI, éventuellement vaincue ou chassée du nord-Mali d’installer de solides bases dans les autres régions fragiles. Ainsi, des liens avec les Sahraouis sont régulièrement évoqués. Chez les jeunes combattants du Front Polisario, la poussée salafiste se fait sentir. Ces Sahraouis ont déjà été à plusieurs reprises impliqués dans des actions d’AQMI et seraient, pour certains, déjà passés au nord Mali selon l’AFP (21 octobre 2012). Ils se réclament pour partie d’Ansar el-Charia. L’implication de l’Algérie paraît particulièrement nécessaire dans cette partie du Sahara.

 

La contamination peut également se faire vers le golfe de Guinée. En effet, cette région  méridionale connaît elle aussi l’expansion d’un Islam en mutation. Les conditions de l’accès au pouvoir du dioula Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire marquent un raidissement des tensions interethniques et interreligieuses. Une résolution durable de la crise saharo-sahélienne passe donc pas la stabilisation à moyen terme de la Côte d’Ivoire. Or, des contacts entre des partisans de Laurent Gbagbo et le capitaine Sanogo ont été signalés. Surtout, des enquêteurs de l’ONU ont rendu compte de rendez-vous entre des proches de Gbagbo et des représentants d’Ansar Dine à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal en août dernier[3]. Il faut également tâcher d’établir une cloison la plus étanche possible entre le Sahel et le Nigeria, afin d’empêcher le développement des liens tissés depuis 2011 entre AQMI et Boko Haram. Cette secte musulmane qui pratique le terrorisme au Nigéria semble se rapprocher dans ses méthodes et sa communication du modèle d’Al-Qaïda. La prolifération de l’islamisme radical a été illustrée par l’extension géographique des zones de prises d’otages et la multiplication des groupuscules acteurs de ces actes terroristes. Auteur de l’enlèvement d’un ingénieur français le 19 décembre dernier, le groupe dissident de Boko Haram, Ansaru, s’inscrit dans une dimension régionale. Il revendique la restauration du califat de Sokoto, ancien empire islamique peul créé au début du XIXe siècle qui s’étendait du Niger au Cameroun en passant par le nord du Nigeria.

 

L’un des enjeux est de limiter la prolifération de ces mouvements auprès des étudiants nigérians et de certains hommes politiques du nord du pays, écœurés par la corruption. Comme au Mali et dans d’autres Etats, la lutte antiterroriste à l’échelle régionale passe donc par un soutien à l’Etat nigérian et par un plan global. L’intervention française s’inscrit-elle dans la volonté de dépasser les réticences algériennes sur l’Azawad ? Est-ce une action dans l’urgence et non accompagnée d’une vision d’ensemble en concertation avec les autres nations occidentales (Grande-Bretagne et Etats-Unis) et avec la CEDEAO ? On peut le craindre mais il est sans doute encore temps de renforcer les coopérations. Les mois qui viennent nous apporteront des éclairages sur cette capacité française à incarner la lutte contre les djihadistes et pour la stabilisation régionale de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.

Walter Bruyère-Ostells


[1] Voir notamment Le Figaro du 28 octobre 2012.

[2] Chiffres fournis par USAID, « Mali : perspective sur la sécurité alimentaire », avril-septembre 2012.

[3] « Gbagbo à tout prix », Jeune Afrique, n° 2073, 28 octobre-10 novembre 2012.

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