HAARP, un programme américain de guerre climatique?

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Basé à Gakona, en Alaska, le High Frequency Active Auroral Research Program (HAARP) est un programme scientifique et militaire de recherche sur l’ionosphère. Il vise à établir une meilleure compréhension des caractéristiques et du comportement de cette couche supérieure de l’atmosphère, notamment pour améliorer le contrôle des systèmes de communication et de surveillance[1].
Cependant, le spectre complet des ambitions du projet reste inconnu. La nature et l’ampleur du programme suscitent un certain nombre de controverses, y compris de l’Union européenne, en particulier alimentées par l’existence de documents officiels de l’armée américaine faisant état d’applications de ces recherches à des fins hostiles[2].
La modification du climat représente en effet un potentiel considérable pour l’outil militaire. Débutant à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les études scientifiques en la matière se développent rapidement aux Etats-Unis et, probablement aussi, en Union soviétique. Si elles sont d’abord conduites dans un cadre civil –pour l’agriculture-,  la guerre du Vietnam est le premier théâtre de modification du climat dans un but militaire. Un grand nombre de nuages sont ainsi ensemencés pour prolonger la mousson et concentrés au-dessus de la piste Ho Chi Minh, créant des intempéries afin de neutraliser les lignes de communication nord-vietnamiennes[3].
D’un niveau technologique plus avancé, le programme HAARP est un des éléments les plus ambitieux de la quête d’une « maîtrise du climat », envisageable selon l’US Air Force à l’horizon 2025[4]. A travers la recherche du contrôle et de la modification du climat spatial, le programme pourrait être en mesure de développer des capacités sans précédent. Il convient toutefois de modérer et d’évaluer soigneusement la part de réalisme dans les avancées spectaculaires que les activistes ou membres du gouvernement –on se souviendra du projet avorté de « guerre des étoiles »- sont prompts à assurer. Quelles capacités pourraient vraisemblablement résulter du développement de HAARP ?

I/ L’intérêt de l’ionosphère

L’ionosphère est la partie de l’atmosphère terrestre située approximativement entre 60 et 500 km d’altitude. Elle est composée de couches de particules chargées électriquement qui transmettent, réfractent et reflètent les ondes radio, leur permettant de circuler sur de grandes distances. Elle est donc la zone de l’atmosphère véhiculant les communications à grandes distances.
Cette propriété dépend en outre des conditions des différentes couches, de la trajectoire géométrique des ondes et de la fréquence de radiation. Pour tout cheminement de signal à travers l’ionosphère correspond une gamme de fréquences. Cette gamme, bornée par la fréquence d’utilisation maximale et la fréquence d’utilisation minimale, correspond aux zones de l’ionosphère où peuvent être reflétées et réfractées ces ondes, comme l’indique le schéma ci-dessous :

Pic1[5]

(transmission des ondes radio dans l’ionosphère)
Cependant, comme le climat terrestre, les propriétés de l’ionosphère varient dans le temps. Cette variabilité, qualifiée de climat spatial, peut influencer les communications véhiculées dans l’ionosphère[6]. Il est par conséquent crucial de pouvoir comprendre, prédire et maîtriser la variabilité du climat spatial et de son influence sur les transmissions d’ondes sur de longues distances[7]. L’ampleur des opportunités offertes par de telles avancées paraît alors considérable.

II/ Les opportunités offertes par la modification du climat spatial

Pour des raisons technologiques mais également politiques, ces ambitions n’ont pas toutes la même probabilité de se réaliser d’ici à l’horizon 2025. Bien que cela ne corresponde pas forcément à l’ordre prioritaire des critiques[8], il est plus pertinent de les classer dans l’ordre décroissant de leur degré de réalisme.
1)    Contrôle des radars et communications à longue distance
La maîtrise des radars ennemis et des communications à longue distance est l’objet d’une recherche très active car hautement réalisable. L’objectif est de modifier le climat spatial dans l’ionosphère pour créer de nouvelles gammes de propagation des ondes, permettant d’améliorer la sécurité des communications alliées et de perturber ou d’interrompre celles ennemies[9].
Ce projet semble réalisable dans la mesure où les techniques visant à modifier le climat spatial ont déjà réussi au niveau expérimental. Ces techniques consistent à chauffer des régions de l’ionosphère par l’émission de puissants faisceaux, à la manière d’un four à micro-ondes[10].
2)    Renforcement de la portée des émissions électromagnétiques
Ce renforcement permettrait notamment d’améliorer les communications avec les sous-marins à des profondeurs importantes, ou d’utiliser de faisceaux puissants pour scruter les sous-sols, en quête d’hydrocarbures ou d’installations militaires souterraines par exemple[11].
3)    Détection de cibles
La détection de cibles ennemies serait envisageable grâce à la possibilité de tracer l’origine de l’émission de certaines ondes. Ce procédé requiert la création d’une ionosphère artificielle. Ce projet est lui aussi loin d’être infaisable. Proposé pour la première fois dans les années 1970 par le chercheur soviétique A.V. Gurevich, cette ionosphère artificielle remplirait exactement la même fonction que l’ionosphère naturelle, soit la réflexion et la réfraction. Elle serait une sorte de miroir dont les auteurs peuvent déterminer l’origine de l’onde réfléchie.
Ce miroir artificiel serait créé par l’émission de faisceaux qui, au contact d’ondes émises depuis une localité inconnue, les répercuteraient. La localité de réception des ondes répercutées permettrait alors, par simple exercice géométrique, de déterminer la localité d’origine des ondes en question. Les schémas ci-dessous illustrent le processus :

Pic2[12]

(Générateur de faisceaux pour créer un miroir artificiel)

Pic3[13]

(Réflexion par le miroir artificiel)
Une telle technologie permettrait un avantage militaire considérable, comme l’interception de missiles de croisière ou la localisation de cibles difficilement observables[14]. Relevant d’une logique similaire, il paraît également réalisable de modifier le climat de l’ionosphère en vue d’exercer un impact sur les engins spatiaux.
4)    Effets sur les engins spatiaux
Différents effets semblent possibles sur les engins spatiaux, selon l’objectif poursuivi :
-       Perturber les communications satellitaires : il s’agit dans ce cas de créer une scintillation ionosphérique artificielle. La modification des gammes de fréquence produirait des irrégularités dans la densité d’électrons, causant ainsi une scintillation sur de grandes gammes de fréquences, perturbant ainsi les communications entre satellites[15]. Cet effet serait en outre difficilement distinguable d’irrégularités naturelles. 
-       Détruire des engins spatiaux en vol : cette perspective est envisageable par la radiation d’une zone qui lui donnerait une charge électrique anormale, pouvant alors provoquer une explosion[16].
-       Recharger les batteries des engins alliés par le même phénomène de radiation, mais cet aspect n’est pas encore totalement maîtrisé[17].
5)    Création d’un « climat artificiel »
Ce phénomène pourrait se matérialiser selon deux types :
-       Influencer les informations météorologiques reçues par l’ennemi : cela découlerait des modifications de l’imagerie spatiale analysée précédemment par différentes techniques, et entrainerait des décisions erronées de la part de l’ennemi
-       Créer des phénomènes météorologiques : alors que les modifications du climat entreprises jusqu’à maintenant se basent sur des phénomènes réels, en cherchant à les modifier selon l’objectif, le projet HAARP aurait pour ambition, de par son ampleur, de créer des phénomènes météorologiques de toutes pièces. Ainsi, la maîtrise de courants atmosphériques pourrait permettre de contrôler le mouvement des nuages, et ainsi pouvoir générer de la foudre, des tempêtes ou, à l’inverse, de la sécheresse.
Les opportunités offertes par le programme, en cas de réussite, paraissent considérables. Mais existe-t-il des contraintes ?

III/ Les contraintes du programme 

Outre les obstacles techniques, le programme HAARP se heurte à quelques contraintes. Il semble toutefois qu’elles ne soient pas déterminantes pour le développement du projet.
1)    Le droit international
L’élément majeur de droit international auquel pourrait se heurter le programme HAARP est la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (ENMOD), signée en 1977 et entrée en vigueur en octobre 1978[18]. Toutefois, il est fortement improbable que cette convention ne pose un sérieux obstacle à la poursuite des recherches menées en Alaska.
Le texte du traité considère que les utilisations interdites sont seulement celles qui sont répandues, durables et graves[19], ce qui ne correspond pas aux objectifs visés par HAARP. Les opportunités offertes par le programme sont en mesure de conférer un avantage ultime en termes militaires, mais sans avoir d’effet direct étant à la fois répandu, durable et grave. Il est ainsi révélateur que le rapport de l’Union européenne de 1999 condamnant ces activités n’ait pas été relayé par les Nations Unies et n’ait fait l’objet d’aucune suite en droit international.
2)    Les coûts financiers
Il semble que, bien que les recherches en matière de modification du climat existent depuis une cinquantaine d’années (mais HAARP débute en 1993[20]), les coûts financiers sont relativement restreints. La production de nanoparticules pour les faisceaux paraît très peu chère et la recherche et développement est principalement conduite par le secteur privé[21]. Il est important de souligner que, même si la base aérienne de Gakona est cofinancée par l’US Navy et l’US Air Force, de nombreux acteurs privés, dont les universités d’Alaska et Stanford (Californie) y prennent ou ont pris part[22].
Semblant relever de la science-fiction, HAARP paraît plus vraisemblable que le projet de « guerre des étoiles » initié quelques années avant le lancement du programme. Mais l’inquiétude suscitée par les ambitions de ce projet peuvent conduire à de nombreuses accusations, parfois douteuses. Ainsi, HAARP a récemment été accusé de causer sécheresse, ouragans et tremblements de terre en Iran, ou d’avoir été la cause principale du tsunami ayant dévasté le Japon en 2011. S’il n’est pas possible d’établir avec certitude une causalité entre le programme et ces phénomènes, il est impératif, comme le recommande l’Union européenne, de suivre avec la plus grande attention ce programme et d’insister sur les conséquences imprévisibles d’un projet d’une telle ampleur.
Maxime Pour, diplômé de Sciences Po Aix 2013

[2] Il s’agit du Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996
[3] Weart, S., Environmental Warfare : Climate Modification Schemes, American Institute of Physics, 1er août 2008. Il s’agit de l’opération « Popeye », lancée en 1966.
[4] Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996, op. cit. p. 8
[5] Site internet du Vermont State College, http://apollo.lsc.vsc.edu/classes/met130/notes/chapter1/ion2.html
[6] Un certain nombre de facteurs en sont à l’origine : la variabilité des radiations solaires entrant dans l’atmosphère, le plasma solaire pénétrant la couche magnétique de la Terre, les gravitations produites par la lune et le soleil, ou le gonflement vertical de l’atmosphère dû au chauffage de la Terre par le soleil.
[7] Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996, op. cit. p. 37
[8] De nombreuses critiques s’élèvent contre le programme, insistant sur le spectre d’une modification du climat ou d’influences sur le système nerveux de populations ciblées. L’ouvrage majeur sur la question est celui des Américains Nick Begich et Jean Manning, Angels Don’t Play This HAARP, Earthpulse, 1995. L’Union européenne a également participé à l’opposition au programme, notamment dans son rapport du 14 janvier 1999, consultable sur le site internet du Parlement européen : http://www.europarl.europa.eu/press/sdp/backg/en/1998/b980209.htm 
[9] Rapport de l’UE du 14 janvier 1999
[10] Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996, op. cit. p. 21
[11] Rapport de l’UE du 14 janvier 1999, op. cit.
[12] Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996, op. cit. p. 23
[13] Ibid, p. 24
[14] Ibid, p. 24
[15] Ibid, p. 25
[16] Ibid, p. 26
[17] Ibid, p. 27
[18] Juda L., Negotiating a Treaty on Environmental Modification Warfare : The Convention on Environmental Warfare and Its Impact Upon Arms Control Negotiations, International Organization, Vol. 32, No. 4 (automne 1978)
[19] Goldblat J., The Environmental Warfare Convention : How Meaningful Is It ? Ambio, Royal Swedish Academy of Sciences, Vol. 6, No. 4 (1977)
[20] Site internet de HAARP : http://www.haarp.alaska.edu/haarp/status.html
[21] Air Force 2025, Weather as a Force Multiplier : Owning the Weather in 2025, août 1996, op. cit. p. 28
[22] Site internet de HAARP : http://www.haarp.alaska.edu/haarp/status.html
 
 

 
 
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