L’intervention militaire au Mali. Première étape d’une résolution de la crise à l’échelle régionale ?

13 Jan

Les circulations de groupes combattants dans la région a permis de faire de l’Azawad un nouveau point de fixation pour les activistes d’AQMI. La branche qui se revendique d’Al-Qaeda peut compter sur ses alliés salafistes d’Ansar Dine, groupuscule armé créé en décembre 2011 et dirigé par Iyad ag-Ghali sur le Mujao. La conquête des villes du Nord (Tombouctou, Kidal et Gao notamment) a souvent été opérée par Ansar Dine. Ce groupe s’est rapidement imposé au groupe touareg indépendantiste mais laïcisant, le MNLA, comme le prouvent les destructions des mausolées de Tombouctou par ses combattants à l’été 2012. Le chef d’Ansar Dine est lui aussi touareg, proche de la chefferie des Ifoghas, tribu dont une partie des cadres du MNLA est issue mais dont le territoire constituerait le sanctuaire d’AQMI. La légitimité d’Iyad ag-Ghali parmi les Touaregs car Iyad ag-Ghali a mené la révolte touarègue de 1990. Il demeure un symbole de la lutte autonomiste (voire indépendantiste), même si le sentiment de la population est partagé à son égard depuis qu’il a adhéré au salafisme dans les années 1990.

 

Eléments de lecture géopolitique : un jeu d’acteurs étatiques

Le Mali est partie intégrante de la CEDEAO, association régionale de 15 membres. Elle devait fournir l’essentiel des 3 300 hommes d’une force d’intervention pour la reconquête du nord-Mali, même si celle-ci pourrait également intégrer des éléments tchadiens. En principe sous les ordres du général Lecointre, une mission européenne nommée EUTM Mali devait assurer la formation de ces troupes africaines déployées. Depuis le début de la crise malienne, les autres membres de la CEDEAO souhaitent s’impliquer dans sa résolution, conscients qu’elle comporte une indéniable dimension régionale et les concerne tous. La CEDEAO agit selon un double processus, diplomatique et militaire. Jusqu’à ces dernières heures, il était mis en avant par l’ONU et les puissances extra-africaines.

 CMJN de base

Pourtant, depuis plusieurs semaines, le doute s’exprimait chez de nombreux militaires français sur la capacité réelle de la force potentiellement déployée par la CEDEAO à opérer la reconquête face à des islamistes bien aguerris. Par ailleurs, l’association régionale ne saurait être l’acteur majeur d’une résolution durable du problème touareg. Elle semblait toutefois ces dernières semaines prendre parti en faveur de l’autonomie du Nord-Mali pour rallier le MNLA, voire Ansar Dine. Un sommet est prévu mercredi ; il devrait accélérer le déploiement des contingents ouest-africains avec l’appui logistique des Britanniques notamment (avions de transport C-17). A défaut de jouer le rôle de premier plan dans la reconquête du nord-Mali, la force d’intervention devrait pouvoir prendre le relais des Français pour aider les Maliens à tenir les premières villes reconquises, notamment Konna.

 

En réalité, l’acteur décisif est sans doute l’Algérie. L’Algérie partage une frontière de plus de 1 300 kms avec le Mali et est la principale puissance politique et militaire de cette partie du Sahel qu’elle considère comme relevant de sa sphère d’influence. Par ailleurs, les dynamiques des islamistes se font du nord vers le sud. Le refoulement vers le sud des djihadistes issus du GIA puis du GSPC a permis au régime de s’écarter des violences de la guerre civile et de former une sorte de glacis, au sud écartant toute prééminence sur une région riche en ressources. L’Algérie est officiellement partie prenante et même leader des partenariats militaires anti-terroristes : avec les Etats-Unis et l’OTAN, avec la France mais aussi avec les Etats voisins. En réalité, l’armée algérienne qui dispose (contrairement aux acteurs régionaux) d’une vraie capacité à agir n’a jamais vraiment eu l’intention d’éradiquer AQMI.

 

Par rapport à l‘émergence d’une autonomie ou d’une indépendance touarègue au nord du Mali, laquelle serait dépendante d’une protection française, l’Algérie préfère vraisemblablement l’instabilité actuelle. La déstabilisation du pouvoir malien est perçue à Alger comme une victoire sur un acteur régional proche du Maroc, confortant la place de l’Algérie comme la puissance régionale face à ses concurrents maghrébins.  De fait, l’enjeu caché de la crise malienne est le redécoupage des zones d’influence après les « printemps arabes », la chute de Kadhafi en Libye et un retour de l’ingérence française en Côte d’Ivoire, sans compter l’appétit de nouveaux acteurs (américains, chinois, canadiens, etc).

 

L’accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates…) est potentiellement au centre de la bataille géopolitique qui se déroule dans le désert. Dans cette bataille, tout l’intérêt de l’Algérie est que la crise dure. L’une de ses préoccupations est sans doute un retour d’une influence forte de la France, y compris via Total. Associer l’Algérie à la résolution de la crise malienne et à la stabilisation politique du nord-Mali est donc complexe mais déterminant. C’est Hillary Clinton qui avait négocié avec Alger à l’automne 2012. Alger aurait donné son accord tacite à l’opération à condition qu’elle ne comporte que des troupes africaines. Des militaires algériens auraient participé, les 3 et 4 novembre, à une réunion de planification avec leurs homologues ouest-africains, même si Alger excluait toute participation à l’opération[1]. Après l’intervention française de ce week-end, il va donc falloir reprendre le bâton de pèlerin et donner des assurances aux Algériens.

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            Enfin, la France joue principalement sa crédibilité. Comme l’indiquent les discussions autour du nouveau Livre Blanc de la Défense, Paris souhaite retrouver une influence importante et sécuriser ses apports énergétiques stratégiques en Afrique. Après l’implication dans la victoire militaire d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, dans la chute de Kadhafi en Libye et l’échec de l’intervention de ses forces spéciales dans la libération de deux jeunes Français (janvier 2011), ses marges de manœuvre au Sahel paraissaient limitées par la détention des otages français. Toutefois, Paris a entretenu depuis le début de la volonté sécessionniste de l’Azawad des liens avec le MNLA. C’est sans doute pour avoir un pion dans le nouvel échiquier qu’Alger maintient des canaux de communication avec Ansar Dine qu’elle considère comme un interlocuteur acceptable, davantage nationaliste qu’islamiste.

 

Des enjeux multiples à moyen terme

Que ce soit pour les questions des ressources naturelles ou de la lutte anti-terroriste (quelle implication américaine ?), les risques d’extension de la crise malienne vers les pays voisins, comme le Niger et la Mauritanie, ne sont pas négligeables. L’enracinement d’AQMI dans le Sahel semble désormais acquis. La déstabilisation humanitaire de la région est également prévisible. Déjà plus de 147.000 personnes se sont réfugiées au Niger, Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie au cours de l’année 2012[2]. La mobilisation humanitaire a, pour l’instant, permis de relever le défi de la disette mais le développement agricole et la capacité à surmonter les sécheresses sont un enjeu à moyen terme pour le Sahel. Face à une probable déstabilisation durable de la région, se pose la question aux puissances de l’ouverture d’un nouveau front durable de lutte contre le djihadisme à l’heure du retrait d’Afghanistan.

 

En tout cas, plusieurs leviers doivent être actionnés pour sortir de la crise malienne et ne pas voir apparaître un arc de crises africain de l’Afrique occidentale à la Somalie. La crise malienne est avant tout politique et militaire et ne doit pas déboucher sur une situation d’un Etat failli à la somalienne. Le second enjeu est celui des ressources, notamment les réserves  d’hydrocarbures estimées comme prometteuses dans les régions de Kidal, de Gao et de Taoudénit (région de Tombouctou). L’exploitation de ce pétrole « strait free » (sans détroit) aiguise les appétits. Les Etats-Unis développent un projet d’oléoduc d’Est en Ouest. L’uranium (Kidal), l’or, le manganèse et les phosphates seraient également présents en abondance. De façon cynique, l’enjeu des ressources peut sans doute mobiliser d’autres puissances autour de la France, pour l’instant seule en première ligne. Les Britanniques semblent prêts à nous suivre rapidement. Mais la crise malienne est surtout une conséquence des changements politiques depuis 2011. La disparition de l’arsenal de Kadhafi dispersé par les réseaux transsahariens de trafics illégaux fait de l’ensemble du Sahel de la Mauritanie au Niger une immense poudrière.

 

L’un des dangers principaux repose également dans l’extension de réseaux djihadistes réellement connectés à grande échelle. A ce titre, l’appellation commune revendiquée par différents groupuscules du Yémen, d’Egypte, de Libye (attentat contre l’ambassade américaine de Benghazi), de Tunisie et du Maroc est inquiétante. Or, les plus radicaux d’Ansar Dine semblent préférer se détacher d’Iyad ag-Ghali pour se regrouper sous cette appellation au nord-Mali.

 

L’échelle régionale comme cadre de résolution de la crise

En réalité, il faut mener une lutte antiterroriste globale dans la région. Il est à craindre que l’intervention actuellement en cours, même si elle constitue une réussite tactique, n’ait pas été suffisamment planifiée. Il faut maintenant agir au plus vite pour organiser un plan d’action sur les différents facteurs de prolifération du djihadisme. L’un des enjeux militaires est de cloisonner les espaces et d’empêcher AQMI, éventuellement vaincue ou chassée du nord-Mali d’installer de solides bases dans les autres régions fragiles. Ainsi, des liens avec les Sahraouis sont régulièrement évoqués. Chez les jeunes combattants du Front Polisario, la poussée salafiste se fait sentir. Ces Sahraouis ont déjà été à plusieurs reprises impliqués dans des actions d’AQMI et seraient, pour certains, déjà passés au nord Mali selon l’AFP (21 octobre 2012). Ils se réclament pour partie d’Ansar el-Charia. L’implication de l’Algérie paraît particulièrement nécessaire dans cette partie du Sahara.

 

La contamination peut également se faire vers le golfe de Guinée. En effet, cette région  méridionale connaît elle aussi l’expansion d’un Islam en mutation. Les conditions de l’accès au pouvoir du dioula Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire marquent un raidissement des tensions interethniques et interreligieuses. Une résolution durable de la crise saharo-sahélienne passe donc pas la stabilisation à moyen terme de la Côte d’Ivoire. Or, des contacts entre des partisans de Laurent Gbagbo et le capitaine Sanogo ont été signalés. Surtout, des enquêteurs de l’ONU ont rendu compte de rendez-vous entre des proches de Gbagbo et des représentants d’Ansar Dine à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal en août dernier[3]. Il faut également tâcher d’établir une cloison la plus étanche possible entre le Sahel et le Nigeria, afin d’empêcher le développement des liens tissés depuis 2011 entre AQMI et Boko Haram. Cette secte musulmane qui pratique le terrorisme au Nigéria semble se rapprocher dans ses méthodes et sa communication du modèle d’Al-Qaïda. La prolifération de l’islamisme radical a été illustrée par l’extension géographique des zones de prises d’otages et la multiplication des groupuscules acteurs de ces actes terroristes. Auteur de l’enlèvement d’un ingénieur français le 19 décembre dernier, le groupe dissident de Boko Haram, Ansaru, s’inscrit dans une dimension régionale. Il revendique la restauration du califat de Sokoto, ancien empire islamique peul créé au début du XIXe siècle qui s’étendait du Niger au Cameroun en passant par le nord du Nigeria.

 

L’un des enjeux est de limiter la prolifération de ces mouvements auprès des étudiants nigérians et de certains hommes politiques du nord du pays, écœurés par la corruption. Comme au Mali et dans d’autres Etats, la lutte antiterroriste à l’échelle régionale passe donc par un soutien à l’Etat nigérian et par un plan global. L’intervention française s’inscrit-elle dans la volonté de dépasser les réticences algériennes sur l’Azawad ? Est-ce une action dans l’urgence et non accompagnée d’une vision d’ensemble en concertation avec les autres nations occidentales (Grande-Bretagne et Etats-Unis) et avec la CEDEAO ? On peut le craindre mais il est sans doute encore temps de renforcer les coopérations. Les mois qui viennent nous apporteront des éclairages sur cette capacité française à incarner la lutte contre les djihadistes et pour la stabilisation régionale de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.

Walter Bruyère-Ostells


[1] Voir notamment Le Figaro du 28 octobre 2012.

[2] Chiffres fournis par USAID, « Mali : perspective sur la sécurité alimentaire », avril-septembre 2012.

[3] « Gbagbo à tout prix », Jeune Afrique, n° 2073, 28 octobre-10 novembre 2012.

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