Boko Haram soupçonné de crimes contre l’humanité

5 juil

Rappels juridiques sur les compétences de la Cour Pénale Internationale (CPI)
La CPI a le droit d’exercer sa compétence sur un territoire et sur les ressortissants d’un pays membre « à l’égard des crimes suivants : le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression ». L’examen préliminaire de ces crimes internationaux peut être amorcé soit par le procureur lui-même en vertu de l’article 15 du Statut de Rome, soit par un État partie ou par le Conseil de sécurité de l’ONU, soit par une déclaration d’un État non partie au Statut, en vertu de l’article 12 paragraphe 3 du Statut. Cette analyse préliminaire procède en quatre phases.
La première phase analyse toutes les informations recueillies par le Bureau du procureur et écarte celles qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. La deuxième phase consiste à déterminer si les conditions préalables à l’exercice de la compétence de la Cour, définies à l’article 12 du statut de Rome, sont réunies. Il faut établir que le crime a été commis à compter de la date d’entrée en vigueur du Statut (compétence ratione temporis), par un ressortissant de l’État partie ou sur le territoire de cet État (compétence ratione loci ou ratione personae) et que le crime est un des quatre crimes définis à l’article 5 et punis par CPI (compétence ratione materiae). La troisième phase définit si le caractère de la requête est recevable en tenant compte des principes de complémentarité et de gravité. Ces deux notions sont définies dans l’article 17, paragraphe 1 du Statut de Rome. Le ‘principe de complémentarité’ est fondé sur la complémentarité qui existe entre le système judiciaire d’un pays et celui de la CPI. En d’autres mots, la CPI ne peut exercer sa compétence et poursuivre les auteurs présumés d’un crime que si la justice de l’État concerné n’a pas la volonté ou la capacité de le faire. Le ‘principe de gravité’ est défini par l’article 17 comme une affaire qui doit être suffisamment grave pour que la CPI s’en saisisse.
Enfin, la quatrième phase examine les ‘intérêts de la justice’, c’est-à-dire qu’il s’agit de déterminer si la justice internationale a des intérêts à poursuivre une enquête eu égard à la gravité des crimes et à l’intérêt de la victime. Notons ici qu’il est très rare que le procureur estime que la poursuite d’une enquête est contraire aux intérêts de la justice internationale. Après l’examen des informations, si le procureur de la CPI estime que ces quatre phases sont remplies, il décide alors de l’ouverture d’une enquête et d’une procédure judiciaire.
 
         Boko Haram accusé de ‘crimes contre l’humanité’
 
La multiplication des attentats commis par la secte islamiste Boko Haram envers les populations civiles et les symboles du pouvoir politique, éveillent l’attention de la communauté internationale et des ONG envers ce géant d’Afrique de l’Ouest. Depuis 2012, les principales ONG de défense des droits de l’homme pointent du doigt les exactions commises par la secte au Nord-Nigéria. Dans un rapport datant de 2012, l’organisation Human Right Watch dénonce déjà des ‘crimes contre l’humanité’ en évoquant notamment le cas des 1 200 civils tués par Boko Haram entre 2009 et 2012 et les attaques systématiques contre la communauté chrétienne. En 2012 également, l’ONU déclare à son tour que les attaques perpétrées par les membres de Boko Haram représentent sans doute des ‘crimes contre l’humanité’ et attire l’attention de la communauté internationale sur la nécessité d’une réaction rapide. Nous l’avons dit, en matière de ‘crime contre l’humanité’, c’est la CPI qui est l’autorité compétente en la matière en vertu du statut de Rome de 1998. Or, Boko Haram se rend coupable de plusieurs actions considérées comme ‘crimes contre l’humanité’ et viole notamment l’article 7 du statut de Rome. Cet article stipule que  les crimes contre l’humanité regroupent« les meurtres, […] les emprisonnements ou autre forme de privation grave de liberté physique, […] les persécutions de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste et les disparitions forcées de personnes », si ces actes sont « commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».
 
La procédure judicaire engagée contre Boko Haram
 
Une analyse préliminaire sur la situation au Nigéria ouverte par la CPI est rendue publique le 18 novembre 2010.
En novembre 2012, le bureau du procureur de la CPI confirme que les crimes commis par Boko Haram relèvent de la compétence de la Cour étant donné qu’ils répondent aux conditions préalables. Le Nigéria a en effet ratifié le statut de Rome en septembre 2001, Boko Haram mène des actions sur le territoire nigérian et il s’agit bien de crimes contre l’humanité, crimes punis par l’article 5 du Statut. Par conséquent la CPI est « compétente pour juger les crimes visés par le Statut, commis sur le territoire du Nigéria ou par des ressortissants de ce pays à compter du 1er juillet 2002 ». Au terme de la deuxième phase, « le Bureau estime qu’il existe une base raisonnable pour croire que des crimes contre l’humanité ont été commis au Nigéria. […] Le Procureur a donc décidé de passer à la phase 3 (recevabilité) de l’examen préliminaire de la situation au Nigéria ».  Bien que la procédure judiciaire n’en soit encore qu’à ses balbutiements, il s’agit déjà d’un acte symbolique de la part de la communauté internationale qui affirme ainsi sa volonté de s’emparer de ce dossier et de juger les coupables.
 
Les exactions commises par les forces gouvernementales : un risque de poursuites ?
 
De l’autre côté, les forces gouvernementales se rendent être aussi coupables de graves exactions commises contre les populations civiles. Les différentes ONG et notamment Amnesty International et Human Right Watch dénoncent des violations des droits de l’homme au Nigéria par les forces de sécurité et par le gouvernement. L’article 3 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) énonce le droit de tout individu à la vie; or les forces de sécurité nigérianes commettent régulièrement des actes de représailles sur des civils. Elles sont responsables de plusieurs milliers de morts lors de raids sur les villes du Nord où ont lieu les attaques de Boko Haram.
Les forces de sécurité vont également à l’encontre de l’article 9 de la DUDH en se livrant à des enlèvements forcés. Ces actes sont eux aussi contraires à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, signée en juillet 2009 par le Nigéria. L’article 17 de cette convention stipule que personne ne peut être détenu en secret et l’article 18 explique que si une personne est détenue par les services de l’Etat, elle a le droit de voir sa famille et de communiquer avec elle, avec un avocat ou avec toute autre personne de son choix. L’Etat doit communiquer l’identité exacte de la personne détenue, ainsi que la date et l’heure à laquelle elle a été arrêtée. L’article 1 ajoute qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut remettre en cause ces principes. Pourtant, l’Etat nigérian se rend coupable de violations de l’ensemble de ces principes à l’égard des personnes détenues. Les détentions illégales et secrètes de personnes ouvrent la voie à des exécutions extrajudiciaires et à la torture. Ces pratiques sont largement utilisées par les forces de sécurité nigérianes, qui commettent ici encore de graves violations des droits de l’homme et des traités internationaux. Elles violent notamment l’article 5 de la DUDH qui interdit la torture et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que le gouvernement nigérian a signée en 2001.
L’Etat est responsable de violations du droit à la propriété énoncé dans l’article 17 de la DUDH ainsi que de l’article 12 de cette même déclaration. Ces articles stipulent que « nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance ». Or, les forces de sécurité pillent, détruisent et brûlent des maisons sous prétexte d’une appartenance présumée des habitants aux groupes islamistes. Enfin, la détention arbitraire d’enfants et les actes de tortures auxquels ils sont souvent soumis sont contraires à la Convention relative aux droits de l’enfant que le Nigéria a adoptée en 1991. L’article 37 de cette convention stipule que les enfants ne doivent pas être soumis à des actes de torture ou à des traitements inhumains. Qui plus est, l’Etat ne peut emprisonner des enfants qu’en dernier ressort et la durée de la détention doit être la plus courte possible. 
Le rapport d’Amnesty International fait état de ces violations des droits internationaux en citant les exemples des casernes militaires de Giwa à Maiduguri et du centre de détention de la Brigade spéciale de lutte contre le banditisme à Abuja. Ce centre est aussi appelé ‘l’abattoir’ par les nigérians. Le rapport décrit les conditions terribles de détention, notamment celles des enfants, les actes de tortures et les punitions corporelles. Le rapport d’Human Right Watch est, quant à lui, plus centré sur les violations des lois internationales en ce qui concerne les règles de détention et d’arrestation par les forces de sécurité. Très récemment, suite à la répression sanglante menée par les forces de sécurité dans la ville de Baga les 16 et 17 avril 2013, les ONG internationales, Human Right Watch en tête de file, se sont mobilisées pour demander que ces crimes gouvernementaux soient également punis. Dans un communiqué de presse du 1er mai 2013, Human Right Watch demande notamment que l’enquête préliminaire en cours sur le Nigéria et sur Boko Haram intègre l’analyse de « l’incident de Baga ».
 
Pauline Guibbaud, diplômée de Sciences Po Aix (2012) et du Master II d’Histoire militaire (2013)

 

Sources
Statuts de Rome de la CPI, 1998
Convention relative aux droits de l’enfant, 20 novembre 1989
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 26 juin 1987
Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 20 December 2006
« Rapport sur les activités menées en 2012 par le Bureau du Procureuren matière d’examen préliminaire », Bureau du procureur de la CPI, novembre 2012.
Human Right Watch, Spiraling Violence: Boko Haram Attacks and Security Force Abuses in Nigeria, octobre 2012, 107 p.
Human Right Watch, communiqué de presse, « Nigeria: Un raid de l’armée marqué par une destruction massive et de nombreux décès », 1er mai 2013
Amnesty International, Nigeria: trapped in the cycle of violence, 2012, 88 p.

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