Les frappes françaises en Syrie : « néoconservatisme » à la française ou retour au « gaullo-mitterrandisme » ? 

Le 7 Avril 2018, l’armée syrienne a procédé à une attaque chimique sur la ville de Douma, dans la Ghouta orientale conduisant à d’importantes pertes civiles (estimées à une centaine de morts). Cette attaque visait à déloger un groupe rebelle ayant refusé l’accord d’évacuation de la zone et se place donc dans une logique de terreur. Le 13 Février 2018, Emmanuel Macron avait déclaré dans une conférence de presse que l’emploi de l’arme chimique par le régime syrien représentait pour lui une ligne rouge dont le franchissement serait susceptible de représailles militaires[1]. Par conséquent après une concertation avec ses alliés britanniques et américains, le président Macron a ordonné des frappes sur trois objectifs liés au programme chimique syrien, dans la nuit du 13 au 14 avril 2018. Malgré le succès de cette opération, d’importantes contestations ont surgi dans le pays de la part de l’opposition mais aussi sur la scène internationale avec des condamnations, notamment de la part de la Russie.

 

Cet évènement s’inscrit-il dans la continuité néoconservatrice des présidents Hollande et Sarkozy, ou sommes-nous à l’inverse dans la lignée gaullo-miterrandienne dans laquelle Macron s’est placé au début de son mandat ? 

De nombreux politiciens parmi l’opposition de droite ou de gauche ont critiqué l’action du président de la République en l’accusant de faire du « néo-conservatisme » à la française. Le néo-conservatisme est une doctrine originellement américaine, apparue lors du premier mandat de Georges W. Bush et prônant une vision universaliste du monde ou les valeurs américaines et occidentales de démocratie et de droits de l’homme doivent triompher, si nécessaire par la force. Cette doctrine se manifesta notamment sous la forme de l’axe du mal, ou encore par l’invasion de l’Irak et le renversement de Saddam Hussein en 2003. En France, l’expression néo-conservatisme à la française apparait suite à l’élection de Nicolas Sarkozy et le retour de la France dans l’OTAN. Ce dernier inscrit la France dans un camp occidental et s’engage de plus en plus aux côtés des américains dans des interventions militaires multiples : augmentation de la participation française en Afghanistan, guerre en Lybie, etc. François Hollande poursuit cette politique en s’engageant en Irak et en Syrie et en reprenant le terme de « guerre contre la terreur ». Ce néo-atlantisme se caractérise donc par une vision de la France appartenant à un ordre occidental comprenant américains, britanniques, ou encore européens, ainsi que par la promotion des valeurs occidentales comme valeurs universelles.

Ainsi, pour beaucoup, la décision du président Macron de frapper en Syrie ressemble beaucoup à ce néo-atlantisme dont il avait pourtant annoncé la fin au début de son mandat. Tout d’abord, cette frappe est très similaire à ce que François Hollande avait voulu faire en 2013 : annonce d’une ligne rouge ayant trait à l’utilisation d’armes chimiques par le régime sur des populations civiles, frappes aériennes de représailles, bien que limitées, depuis la France sur des objectifs liés au programme chimique syrien dans une coalition avec les alliés britanniques et américains. La seule différence entre les deux est que l’une fut annulée tandis que l’autre alla jusqu’au bout. Or François Hollande se plaçait clairement dans le néo-atlantisme, on peut donc faire la même analyse pour Emanuel Macron.

Par ailleurs, cette opération, fut menée avec les alliés américains et britanniques, et contre la Syrie soutenue par la Russie. A cet égard, la France se place donc parfaitement dans un camp occidental s’opposant à un camp non-occidental. De plus, la France intervient en Syrie au nom de principes moraux et universels, au nom de la responsabilité de protéger et pour faire respecter l’ordre international établit par les occidentaux, bien que les effets militaires ou ses intérêts sur le sujet soient très faibles.

Enfin, ces valeurs universelles sont « imposées » indépendamment du droit international et de la légitimité onusienne, considérés comme trop limités et peu efficaces, ainsi qu’aux dépens de la souveraineté des Etats. Ce qui n’est pas sans rappeler l’intervention américaine en Irak en 2003. Tous ces faits viennent donc accréditer la thèse d’une intervention se plaçant dans le cadre d’un néo-conservatisme à la française. Toutefois, lorsque l’on creuse plus en profondeur, ce néo-conservatisme semble n’être qu’un vernis.

En effet, contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord, Emmanuel Macron prône un retour aux fondamentaux du gaullo-mitterandisme dont il se revendique.

Le gaullo-miterrandisme est une doctrine de politique étrangère française qui consiste à affirmer la position indépendante de la France dans la communauté internationale en insistant notamment sur la multipolarité, le multilatéralisme et le non-alignement, notamment au travers d’une dissuasion nucléaire indépendante et tous azimuts.

Par cette intervention militaire, Emmanuel Macron a démontré la force de la France ainsi que sa crédibilité et celle de sa diplomatie et de sa dissuasion en faisant respecter la ligne rouge qu’il avait édicté, ce qui renforce sa position sur la scène internationale. L’outil militaire a permis à la France de revenir dans le jeu politique en Syrie, en renforçant sa posture de garant de l’ordre international. Cette intervention à première vue pour des motifs humanitaires, montre aussi le souci de maintenir son rang dans le monde et pour la défense des intérêts de la France. Le président reste donc bien dans la lignée du gaullo-mitterrandisme, en exprimant le rôle singulier et historique de la France qui a conduit à cette initiative.

La diplomatie française renoue ici avec le concept d’intérêts particuliers et son double objectif de lutte contre le terrorisme et de respect des conventions internationales (lutte contre la prolifération et l’emploi des armes de destructions massive)[2]. Il y a donc bien une tentative de rendre la place de la France cohérente dans le monde entre son discours et ses actes. L’action s’inscrit dans un cadre multilatéral, aux côtés de 3 des 5 membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et avec le soutien de la communauté internationale, comme le montre l’échec du projet de résolution russe condamnant les frappes[3]. Certains reprochent une action « illégale » car menée sans mandat de l’ONU, or Emmanuel Macron se serait appuyé sur la résolution 2118 qui rappelle l’interdiction d’utilisation d’armes chimiques dans le droit international, en se défendant de ne pas pouvoir intervenir via l’ONU parce que la Russie imposerait son veto.

Contrairement à ce que ces détracteurs ont affirmé, le président français ne s’est pas aligné aveuglément sur les Etats-Unis. Paris et Washington n’ont pas les mêmes ambitions politiques concernant le conflit syrien, puisque Trump, tout en soutenant ses alliés dans les moments clés, souhaite limiter son engagement dans la région. L’indépendance stratégique de la France ne fait pas obstacle au développement de la coopération avec les Etats-Unis quand leurs intérêts coïncident. Par ailleurs, ni Mitterrand, ni de Gaulle n’ont hésité à se joindre aux États-Unis lorsque la situation le demandait comme le montrent les exemples de la première guerre du Golfe en 1991 ou de la crise des missiles de Cuba en 1962. Pour reprendre la devise du gaullo-mitterrandisme « la France est alliée, mais non alignée »[4].

Le président Macron s’inscrit par ailleurs dans une dynamique collective en souhaitant inclure tous les acteurs. Depuis son arrivée au pouvoir, la France a pris le soin de ménager tous les acteurs, dont la Russie un acteur clef par son soutien à Damas, et a ainsi pu éviter l’escalade. D’ailleurs, les frappes n’ont entrainé aucune perte humaine, ni chez les Russes, ni chez les Syriens, comme voulu par le président[5]. Moscou, Paris, Washington et Londres sont restés en contact et c’est dans ce cadre que le président a aussi appelé la Turquie à se joindre à des négociations en vue de la résolution du conflit[6]. La priorité absolue selon Macron est que tout le monde collabore. Ainsi, en tendant la main à la Russie, Macron ne s’aligne pas totalement dans un camp pro-occidental, mais se veut être le médiateur, en rétablissant des relations équilibrées, représentant une France indépendante. On est donc bien là dans un cadre gaullo-mitterrandien et en opposition avec la diplomatie de François Hollande.

Malgré les contestations de la part de l’opposition accusant le président Macron de suivisme vis à vis des Américains, les décisions prisent sur la crise chimique se placent bien dans une lignée gaullo-miterrandienne et sont cohérentes avec les annonces d’Emmanuel Macron depuis le début de son mandat. Par ailleurs, la réussite de cette opération lui confère une crédibilité internationale qui rendra les négociations à venir plus aisées.

Néanmoins, la politique de puissance et de prestige que souhaite mettre en place Emmanuel Macron sous-entend une allocation des ressources au ministère de la Défense et des Affaires Etrangères plus conséquente qu’elle l’est actuellement. Si le président a en effet annoncé une augmentation du budget de la défense dans le cas de la LPM 2019-2025, le plus gros des augmentations sur la période 2022-2025, se place après la fin de son mandat et sont donc sujettes à caution. De plus, aucune augmentation n’a été prévue pour le ministère des Affaires Etrangères alors que ces champs d’interventions s’élargissent (influence au sein de l’UE, etc…). Dès lors, tenant compte des restrictions budgétaires et du respect de nos engagements européens, nous recommandons une concentration des efforts sur un nombre restreint de sujets prioritaires (comme la lutte contre le terrorisme) où la France doit avoir une ligne claire en accord avec ses intérêts. Sans cette augmentation de moyens, l’ambition gaullo-miterrandienne serait compromise et il serait alors plus pertinent d’envisager de s’appuyer sur l’allié américain dans un cadre néo-atlantiste. Gaullo-mitterrandisme ou néo-atlantisme, il faudra choisir.

Par Léa BERTHON et Florian MAZELLA, Etudiants en Master II, promotion 2018-2019,
Article écrit en Avril 2018.

 

RECHERCHES BIBLIOGRAPHIQUES :

 ARTICLES DE PRESSE :

Europe 1 avec Reuters « Macron réaffirme sa ligne rouge en Syrie, pas de preuve à ce stade », 13 Février 2018. http://www.europe1.fr/international/macron-reaffirme-sa-ligne-rouge-en-syrie-pas-de-preuve-a-ce-stade-3573767

France 24 avec AFP « Echec d’une résolution de l’ONY pour condamner les frappes en Syrie » 15 Avril 2018. http://www.france24.com/fr/20180414-echec-dune-resolution-lonu-condamner-frappes-syrie

France info Replay « Emmanuel Macron sur BFMTV et Mediapart face à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel » 16 Avril 2018. https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/interview-macron-direct-plenel-bourdin-bfmtv-mediapart-video_2707322.html

Définition des armes destruction massive selon le bureau des affaires de désarmement des Nations Unies. https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armas-nucleares/

 

REVUES SPECIALISEES : 

IFRI « Macron, An I Quelle politique étrangère ? » sous la direction de Thomas GOMART et Marc HECKER, Avril 2018. https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/macron-i-politique-etrangere

Pascal Boniface, « Le gaullo-mitterrandisme, un concept toujours pertinent » Revue internationale et stratégique 2018/1 (N°109), p. 22-35. https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2018-1-p-22.htm

Institut Montaigne « Gaullo-Mitterrandisme contre néo-conservatisme à la française – un vrai-faux débat ? » 3 Août 2017, par Michel Duclos. http://www.institutmontaigne.org/blog/2017/08/03/Gaullo-Mitterrandisme-contre-n%C3%A9o-conservateurs-%C3%A0-la-fran%C3%A7aise-%E2%80%93-un-vrai-faux-d%C3%A9bat

Justin Vaïsse, « Le passé d’un oxymore. Le débat français de politique étrangère », Esprit 2017/11 (Novembre), p. 75-91. https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-esprit-2017-11-page-75.htm?1=1&DocId=460166&hits=13+12+5+2+

Hubert Védrine et al., « La politique étrangère de la France en débat », Esprit 2018/3 (Mars), p. 103-116. https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-esprit-2018-3-page-103.htm?1=1&DocId=490160&hits=322+319+316+315+102+99+90+89+

Jean de Gliniasty, « Autour du gaullo-mitterrandisme », Revue internationale et stratégique 2017/3 (N° 107), p. 175-179. https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2017-3-page-175.htm

REFERENCES :

[1]  Reuters, Europe 1 « Macron réaffirme sa ligne rouge en Syrie, pas de preuve à ce stade » 13 février 2018. http://www.europe1.fr/international/macron-reaffirme-sa-ligne-rouge-en-syrie-pas-de-preuve-a-ce-stade-3573767

[2] Site du bureau des affaires de désarmement des Nations Unies https://www.un.org/disarmament/fr/amd/armas-nucleares/

[3] AFP, France 24, « Echec d’une résolution de l’ONU pour condamner les frappes en Syrie », 15 avril 2018. http://www.france24.com/fr/20180414-echec-dune-resolution-lonu-condamner-frappes-syrie

[4] Selon la formule d’Hubert Védrine,

[5] Interview Emmanuel Macron, sur BFM TV et Media part face à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel 15 avril 2018.https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/interview-macron-direct-plenel-bourdin-bfmtv-mediapart-video_2707322.html

[6] Ibid.

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