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MORTS EN OPEX

26 Mar

Compte rendu de l’ouvrage  de Nicolas MINGASSON, 1929 jours. Le deuil de guerre au XXIe siècle, Les Belles Lettres, octobre 2016, 384 p., 23 euros.

 

Ayant séjourné dans une compagnie de combat en Kapisa, le journaliste Nicolas Mingasson dépeint la spécificité du deuil de guerre du conflit afghan pour nos 90 tués (et 3 ou 4 suicides « avérés ») sur un total de 70 000 soldats professionnels projetés sur cette « terre de l’insolence ». L’introduction retrace la chronologie de notre engagement en Afghanistan à partir d’un précieux recueil de témoignages auprès des camarades survivants des « morts pour la France » et des familles endeuillées, sans oublier les orphelins et quelques-uns des 700 blessés. On peut toutefois regretter les rares comparaisons avec les conflits antérieurs, le flou entourant parfois le nom de l’unité et l’oubli de la mort particulière, quant aux rites, des  douze légionnaires (dont un officier). Il aurait été aussi utile de clairement définir le corpus, de le quantifier afin de mieux décrire ce sentiment général d’abandon, de frustrations et d’amertume qui prédomine à la suite du rembarquement précipité de décembre 2012.

            Ces réserves mises à part, l’ouvrage est des plus remarquables quant à l’analyse minutieuse de cette fragilité devant la mort de soldats professionnels occidentaux, et de leurs familles qui ont du mal à l’accepter en tant que risque du métier. Pourtant, la perspective du combat et la volonté de mettre un garrot au terrorisme font que l’Afghanistan apparaît comme un aimant. Au départ, comme pour toutes les générations du feu, c’est le même « Fais attention à toi » des mères, joint à une certaine appréhension au 2e ou 3e départ pour un séjour de six mois, car on sait ce qui vous attend là-bas. Le chef de corps du 21e RIMA de Fréjus, en avril 2010, dit simplement à ses hommes de « faire gaffe ». A l’inverse de leurs aînés d’août 14 ou d’Algérie, ces soldats français sont conscients de là où ils vont.

            De bonnes pages sont consacrées à la vie sur une FOB (base opérationnelle avancée), aux liens par Skype, Internet, téléphone portable, avec les familles. Cette dispersion empêche quelquefois de se concentrer sur la mission, au détriment du groupe. Le militaire d’Afghanistan vit dans l’immédiat. L’odeur de la poudre la première fois (et du sang bientôt) renforce cependant les liens très forts de la famille militaire, de la section, au contact d’un ennemi imprévisible. Nicolas Mingasson, comme d’autres auteurs avant lui qu’il aurait fallu citer, souligne bien le tournant de l’embuscade d’Huzbin, 10 tués, le 18 août 2008. Un témoin direct, de la section de réserve, a le terrible sentiment, par les liaisons radio, de vivre la mort de ses camarades en direct. Le soldat du XXIe siècle reste connecté, jusque dans les derniers instants, différence avec ses prédécesseurs. Cette révolte traduisant une inaccoutumance de la mort est tempérée par le professionnalisme, les réflexes longuement acquis qui permettent d’éviter, comme en Algérie, que l’on « tire dans le tas » pour se venger des autochtones. Au retour d’Huzbin et d’autres engagements, la troupe est en état de sidération. C’est le chef de corps, coupant Internet et téléphone portable, qui annonce la mort et l’impératif de continuer la mission, tout en étant seul, le soir, pour trouver les mots justes accompagnant la mort du fils aux parents ou de l’époux à sa femme. Parmi les témoignages recueillis, celui du médecin-chef de l’hôpital de Kaia à Kaboul. Ni lui ni ses infirmiers militaires n’étaient préparés à « traiter » 13 corps de juin à octobre 2011, tout en s’occupant des blessés. Pour les dépouilles déchiquetées par l’explosion d’un IED (mine), c’est l’épreuve de la toilette et de reconstitution partielle des chairs afin de les présenter ultérieurement aux familles. Le chapitre III de l’annonce aux parents est le plus remarquable. On y retrouve le rituel à l’ancienne de deux officiers, parfois accompagnés du maire, qui viennent délivrer, de jour comme de nuit, le terrible message. L’appel du colonel depuis la FOB précède parfois en cas de blessure grave. Les nouvelles au JT de 20 h ou la dépêche AFP annonçant la mort débouchent sur l’impératif de connaître les circonstances du décès. En Afghanistan, l’armée réapprend la mort.

            L’ayant vécu sur la FOB de Tagab, l’auteur décrit l’étrange ballet rendu aux morts sur la base, puis le voyage vers Kaia, le retour à la base, le retour à l’aéroport de Kaboul pour être enfin embarqué vers la métropole. S’en suit, après Huzbin, l’hommage national aux Invalides. Arrivé en France, le corps est reçu aux Batignolles, à la morgue de l’Institut médico-légal. La reconnaissance de la dépouille enlève aux parents les derniers doutes. S’en suit une semaine de cérémonies officielles avant les obsèques familiales. Si les traumatismes post-combat sont évoqués par l’auteur, ils concernent aussi les parents des « morts pour la France », seuls face à la douleur. Tel père sombre dans l’alcoolisme, un autre songe au suicide. Pour le soldat qui était au côté de son camarade de combat, c’est la rage de n’avoir rien pu faire pour le sauver. D’autres missions, au Mali entre autres, permettent de panser cette plaie. Mais elle ne se referme pas pour les orphelins et les veuves (terme le plus souvent récusé). Certaines se réfugient dans le déni de la mort de l’époux, d’autres ne « refont pas » mais « continuent » leur vie.

            En découle l’interrogation finale sur le « héros » ou non : quel sens donner à cette mort ? Pour la majorité des témoins-parents, un sentiment d’inutilité, celui d’être parti comme les Soviétiques d’Afghanistan « la queue entre les jambes ». A cette « mort pourquoi ? », vu l’état actuel de l’Afghanistan, s’ajoutent d’autres douleurs comme la difficulté de faire inscrire le nom du fils ou de l’époux sur le monument aux Morts de la ville. S’ils ne furent peut-être pas des héros, il faut reconnaître que ces soldats professionnels sont allés au bout de leur choix, de leurs convictions, estime l’auteur à juste titre. En bref, jusque dans la mort « comme hypothèse de combat » (Michel Goya), ils ont fait leur métier.

 

                                   Jean-Charles Jauffret

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