Pauline Guibbaud, Boko Haram, histoire d’un islamisme sahélien, Paris, L’Harmattan, 2014, 22 euros
C’est un ouvrage de synthèse que Pauline Guibbaud propose aujourd’hui. Ce travail était nécessaire, dans la mesure où le groupe terroriste Boko Haram a émergé ces dernières années comme un acteur central de la géostratégie sahélienne voire mondiale. Connu du grand public depuis les premiers enlèvements d’Occidentaux perpétrés en 2013, Boko Haram pose des problèmes beaucoup plus anciens et complexes au Nigéria et aux pays de la région. Le grand mérite de cet ouvrage est de fournir les clefs d’analyse nécessaires à la compréhension des orientations stratégiques et des actes du mouvement, dans une période où l’actualité qui lui est liée est brûlante.
Les capacités du groupe en matière de frappe ont augmenté de manière exponentielle depuis sa création en 2009 et plus particulièrement ces derniers mois. A cet égard, la perspective historique de cet ouvrage est extrêmement intéressante puisqu’elle permet de resituer Boko Haram dans le temps long de l’histoire nigériane et de celle de l’islam au Nigéria. Cela permet de dépasser les explications trop simplistes et les postures occidentalo-centrées trop souvent véhiculées par les analyses rapides, notamment médiatiques.
Depuis l’enlèvement de plus de 200 lycéennes au Nord-Nigéria en avril dernier, une vague de mobilisation internationale a gagné les sphères politique, artistiques et de la société civile. Mais par-delà cet événement, certes majeur par son ampleur, ce sont les grandes lignes de fracture qu’il faut saisir, et seule une compréhension des logiques d’ensemble peut permettre de réellement appréhender la situation et dépasser la légitime mais stérile émotion première liée à ces enlèvements. Or, il manquait dans le champ académique et médiatique une réelle somme des informations et expertises disponibles sur Boko Haram. En France particulièrement, le Nigéria, qui est pourtant un acteur géopolitique majeur en Afrique de l’Ouest et plus largement en Afrique subsaharienne, est trop peu étudié. Ce sont autant de lacunes que ce livre se proposait de combler, et l’exercice est réussi.
Le traitement de Boko Haram manque en effet généralement de profondeur et d’expertise, un travers encouragé par le traitement décousu et réduit à des "dépêches" caricaturales de l’actualité internationale. Voilà donc une lacune dans notre rapport à l’histoire du temps présent que cet ouvrage propose de combler, pour le cas particulier du Nigéria contemporain. Dans la mesure où Boko Haram représente un enjeu international majeur, cette démarche et son aboutissement promettent d’être très profitables pour les milieux académiques et médiatiques.
Le livre est dense et bien construit, écrit dans un style clair et précis. Cela sert le propos, qui réclame une grande acuité dans la présentation des faits, pour ne pas tomber dans le travers d’une compilation journalistique des attaques qui se succèdent. Cette rigueur dans le traitement des informations et la problématisation des enjeux, mis en perspective de manière intelligente, permettent au lecteur d’élever sa réflexion au-dessus des condamnations aveugles et anathèmes simplistes.
Au service de sa démarche, l’auteur convoque des sources diverses, nombreuses et les utilise à bon escient, pour croiser les points de vue, comprendre les enjeux et mettre en évidence les points de tension qui sont névralgiques.
Bien que l’on remarque un très net effort de refonte des thématiques dans un objectif de clarté et d’accessibilité au grand public, cet ouvrage demeure le fruit d’un travail de recherche universitaire, ce qui se ressent notamment dans l’importante subdivision du propos. Pour autant, le caractère académique du travail se révèle également positif car il induit une très grande rigueur dans le traitement des informations et dans le rapport aux sources.
Après une introduction qui pose les jalons de l’histoire du Nigéria et des enjeux géopolitiques liés à ce pays au début du XXIe siècle, l’ouvrage est divisé en deux parties dont la progression permet de bien saisir les enjeux liés à Boko Haram et plus généralement à l’islamisme au Sahel.
La première partie présente la menace islamiste au Nigéria. Un tableau de l’émergence et des héritages de Boko Haram est ainsi dressé, avec notamment une étude de l’islam sub-saharien, de ses particularités et de son influence sur la création de la secte. Les enjeux sécuritaires liés au groupe, les méthodes utilisées par Boko Haram, les enjeux humanitaires qui leur sont liés et les tentatives de réponse du gouvernement nigérian sont ensuite évoqués. Cette partie s’achève sur une présentation du cycle de la violence provoqué par le "tout sécuritaire" des réponses gouvernementales nigérianes.
La seconde partie effectue un travelling arrière et présente l’internationalisation des problématiques posées par Boko Haram et les groupes qui lui sont associés. L’éventuelle inscription de Boko Haram dans l’arc islamiste sahélien est analysée, ce qui permet de mieux comprendre les problématiques liées à l’établissement de liens ou d’allégeances entre différents groupes terroristes. Les évolutions dans les techniques et la stratégie du groupe sont ensuite présentés et mis en perspective avec les apports extérieurs et avec l’élargissement géographique et idéologique des revendications. Enfin, les éléments de réponse apportés par la communauté internationale sont détaillés, tant à l’échelle régionale qu’internationale.
La posture adoptée par l’auteur permet donc de prendre du recul sur le "phénomène" Boko Haram et de mieux saisir les questions liées aux liens entre les différents groupes terroristes et les enjeux que cela représente. Cela permet une compréhension des enjeux géostratégiques en Afrique subsaharienne et notamment de l’imbrication des problématiques aux échelles macro-locale et régionale.
Agathe Plauchut, doctorante en Histoire contemporaine au CHERPA, diplômée de Sciences Po Aix et du Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité.
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