Réunissant trois intervenants d’horizons diverses à l’initiative de Walter Bruyère-Ostells, maître de conférences en Histoire, la demi-journée d’études du 22 novembre 2012 à Sciences Po Aix a visé à établir un panorama des mutations du monde des combattants privés et des liens avec celles de l’outil militaire étatique. François-Xavier Sidos, ancien officier de la Garde Présidentielle des Comores sous les ordres de Bob Denard, a ouvert la conférence sur le thème des mutations du mercenariat et a cherché à balayer d’emblée un certain nombre d’a priori en la matière. Journaliste à Ouest-France, animateur du blog Lignes de défense et spécialiste reconnu du sujet, a poursuivi en analysant les formes d’externalisation de la défense, notamment en France. Philippe C. a finalement clôt la conférence en relatant son expérience en Irak dans une société anglo-saxonne.
Les mutations du mercenariat perçues par l’un de ses acteurs : (intervention de François-Xavier Sidos appuyée par un diaporama FXS 22 novembre 2012 )
Le phénomène du mercenariat est chargé en France d’un certain nombre de stéréotypes et d’apparences qui en faussent l’analyse. Parmi eux :
- La France se serait débarrassée de son mercenariat archaïque, artisanal, non professionnel, avec comme exemples les plus évidents les deux opérations aux Comores de décembre 1989 et d’octobre 1995. C’est une idée que François-Xavier Sidos réfute, en soulignant qu’il ne s’agissait nullement d’une « bande de copains », mais d’un groupe organisé et parmi les plus efficaces du continent africain. C’est ici le côté archaïque qui est mis en cause.
- La France lutterait contre le mercenariat, en particulier avec la loi d’avril 2003.
- La France n’agirait pas sur le marché des prestations militaires privées.
Toutefois la réalité est plus complexe : les opérations par des mercenaires français n’ont pas cessé (Zaïre 1997, Congo 1998-99-2000, Côte d’Ivoire 2003) pour celles dévoilées dans la presse. De plus, des Français opèrent de fait sur le marché des prestations militaires privées. Ils opèrent en effet dans des sociétés étrangères, comme sous-traitant de celles-ci et/ou dans des structures qu’ils créent à l’étranger. Aucune société militaire privée (SMP) ne pouvant exister sur le marché métropolitain français. Il remarque, par ailleurs, que la loi de 2003, si elle empêche à la France de développer un secteur militaire privé, n’a donné lieu à aucune procédure. Elle a donc pour principal effet de gêner une concurrence française aux acteurs militaires privés extranationaux, et plus particulièrement anglo-saxons.
Or, François-Xavier Sidos pointe ensuite une « coïncidence » intéressante. L’année 1989 est le théâtre de :
- L’opération Azalée, intervention militaire française visant à obtenir le départ des mercenaires de Bob Denard de leur base comorienne.
- La création d’Executive Outcomes (EO), la première grande SMP moderne et qui domine le marché dans la décennie suivante.
C’est au moment où la France, jusque-là en pointe dans ce domaine, se prive de mercenaires, que se développent les SMP. Depuis, le « discours autorisé », ou politiquement correct, opposerait le mercenariat « artisanal » au mercenariat moderne, entrepreneurial, organisé et efficace. Il y aurait un courant dominant en France, qui considérerait comme normal que la France ait abandonné son mercenariat archaïque, alors qu’au même moment se développait des multinationales anglo-saxonnes.
L’opposition mercenaires traditionnels/SMP servirait les intérêts anglo-américains en neutralisant toute concurrence française, mais en total décalage avec la réalité des faits.
Selon François-Xavier Sidos, trois formes de mercenariat se seraient développées à travers l’histoire, sachant évidemment qu’elles se juxtaposent souvent :
- Des formes « militaires » : intégration aux forces armées nationales, comme les Gardes écossais des rois de France, les Suisses, les Lansquenets et Reîtres, les Gardes présidentielles africaines,…
- Des formes « engagées » : agrégations de combattants autour d’une cause, d’un chef ou d’une occasion, comme les Brigades internationales de la Guerre d’Espagne ou certaines opérations spéciales de Bob Denard.
- Des formes « entrepreneuriales » : structures permanentes qui vendent leurs prestations, comme les Condottieri de la Renaissance ou les SMP actuelles.
M. Sidos pointe l’exemple auquel il a participé. Les mercenaires de Bob Denard appartiennent à la fois à la forme engagée, avec les coups d’Etat, et à la forme militaire, dans le cadre de la Garde présidentielle des Comores. Il revient alors sur cette dernière.
Créée en 1979, la Garde présidentielle des Comores est équipée et financée par l’Afrique du Sud de 1979 à 1989, en l’échange d’une station d’écoute du Mozambique. Elle aurait par ailleurs opéré en total accord avec la France, pour un certain nombre de raisons :
- Sur toute cette période, l’Afrique du Sud est équipée en armement par la France malgré l’embargo.
- Des cadres de la Garde sont été formés en France, y compris par le GIGN.
- Du matériel et de l’armement ont été fournis par la coopération militaire française.
- Le recrutement des cadres européens est effectué en France, sous le contrôle des services français.
Le « système Denard » n’avait en outre rien d’artisanal à l’époque. Il disposait d’antennes à Paris et Pretoria et d’une unité opérationnelle à Moroni, d’où d’autres opérations « couvertes » ont été montées (Tchad par exemple).
Véritable unité militaire, la Garde présidentielle était de l’ordre d’un bataillon et aurait eu le niveau opérationnel d’une unité parachutiste française. Il s’agissait ainsi de la principale force armée officielle des Comores. Cependant, à partir de 1988, un revirement français et sud-africain est observable. A la suite du décès du président Ahmed Abdallah, imputée à tort à Bob Denard (il sera acquitté), la France monte une intervention relevant la Garde présidentielle et exfiltrant Bob Denard en Afrique du Sud et certains autres membres en France.
Un nouveau coup d’Etat aux Comores intervient en 1995 par l’intervention d’une équipe dirigée par Bob Denard et au sein de laquelle François-Xavier Sidos est présent. Elle destitue le président Djohar. Une intervention militaire française est une fois de plus organisée, mais il est établi que Bob Denard a agi au profit des autorités françaises qui l’ont ensuite « lâché » (jugement du 20/06/2012 ; témoignage de M. Rocard dans un documentaire France O consacré à Bob Denard intitulé Le sultan blanc des Comores).
Il est important de rappeler que le mercenariat a été la norme, y compris en France, jusqu’à la Révolution française. Et même au cours des guerres de la Révolution et de l’Empire, de nombreuses troupes étrangères combattirent dans les armées françaises. Un bilan détaillé du recours au mercenariat depuis la Révolution est tiré par Walter Bruyère-Ostells dans son Histoire des mercenaires (Tallandier, 2011).
Par ailleurs, travaillant sur les archives personnelles de Bob Denard, il partage la plus grande partie des affirmations de François-Xavier Sidos. En revanche, certaines précisions doivent être apportées. Certaines opérations des hommes de Denard relèvent d’un « mercenariat engagé » ou de formes de volontariat armé international (engagement pour la cause Karen notamment) qui les rapproche de Malraux ou Che Guevara comme l’a indiqué François-Xavier Sidos. Pour autant, ces derniers sont uniquement impliqués dans des actions de volontariat armé sans la moindre dimension de mercenariat au sens où on l’entend généralement. En réalité, certains mercenaires peuvent répondre à des motivations idéologiques et non financiers, ce qui complique l’analyse du phénomène du mercenariat.
Pour en savoir davantage sur le point de vue de François-Xavier Sidos, on peut avoir recours à son ouvrage Les soldats libres : la grande aventure des mercenaires, Paris, L’Aencre, 2002. Pour la période du mercenariat français autour de Bob Denard, l’association Orbs Patria Nostra livre de nombreux témoignages et des photographies sur son site (www.orbspatrianostra.com)
L’externalisation en matière de défense : (Intervention de Philippe Chapleau appuyée par un diaporama Prsentation Ph. Chapleau)
La terminologie est importante, car les notions d’ « externalisation », de « SMP » et de « mercenariat » forment une relation triangulaire et séculaire. Elles renvoient toutes à quelques phénomènes communs :
- Elles répondent à l’absence de moyens financiers, humains ou matériels.
- Elles mettent en œuvre 3 acteurs : un donneur d’ordres, un entrepreneur de guerre et des exécutants.
Il s’agit également d’une relation séculaire :
- Les Suisses, qui étaient très loyaux : à la bataille de Malplaquet, il y en avait des 2 côtés, mais ils se sont battus fidèlement pour leurs donneurs d’ordre.
- La VOC (compagnie des Indes néerlandaises) est la 1ère multinationale de guerre de l’histoire. Son lancement date de 1602, à la création des Provinces unies. Elle va gérer la partie du monde à l’est du cap de Bonne Espérance pendant près de 2 siècles.
- Les condottieri.
Philippe Chapleau considère que les SMP peuvent être définies comme des structures commerciales privées qui fournissent à des clients, principalement étatiques, des prestations traditionnellement effectuées par les forces armées. Il souligne, lui aussi, la connotation péjorative des SMP en France, due à un héritage historique et à la médiatisation de bavures commises en Irak et en Afghanistan. Il fait cependant remarquer que ces bavures représente une infime minorité de comportements et que ce sont toujours les mêmes exemples qui sont repris (Dyncorps en ex-Yougoslavie et Blackwater en Irak).
Philippe Chapleau propose alors une nouvelle terminologie, plus spécifique aux activités de ces firmes :
- SPER : société de protection des environnements à risques (comme Gallice Security)
- ESOA : entreprise de soutien opérationnel aux armées (comme SGS, Sodexo Defence, Access)
Le recours aux SPER et ESOA s’explique par une question de moyens, et notamment deux facteurs majeurs :
- le stress budgétaire, car cela permet de contourner des investissements lourds avec des PPP (partenariat public/privé), par exemple pour les hélicoptères d’entraînement.
- le besoin de capacités additionnelles, comme l’emploi d’avions Antonov pour le théâtre afghan, le recours à des navires civils pour transporter de l’armement ou pour le soutien médical. En GB, comme dans d’autres pays, les capacités de soutien médical sont presque inexistantes, ce qui a encouragé le développement de compagnies privées dans ce secteur. Ainsi, quand les Australiens ont été déployés au Timor, ils ont recouru à une firme pour le soutien médical. Le problème se posera aussi sûrement pour le Mali, où l’on sait déjà que l’on aura des déficiences en matière médicale.
Les domaines concernés sont vastes :
- Formation (tous types).
- Logistique et le facility management. Les contrats dans ce domaine ont représenté des sommes financières importantes. KBR a ainsi signé un contrat de 29 milliards de dollars pour l’Irak (avec bénéfice à 9%).
- Protection/ sécurité maritime.
- Déminage : le gros du déminage est fait par des entreprises privées.
- Renseignement : 70% du renseignement américain vient de sociétés privées.
- Soutien médical.
Etat de l’externalisation en France :
Philippe Chapleau pointe deux constats : une prudence de mise au vu des risques (il rejoint les propos de François-Xavier Sidos), mais des externalisations plus nombreuses qu’on ne le croit. Elles concernent notamment :
- La restauration et facilities management.
- L’entraînement/formation (Apache Aviation, Strike Global Services, qui propose de la formation aux armées étrangères, mais aussi un soutien logistique et de la lutte anti-piraterie, avec notamment la fourniture de bateaux armurerie).
- La MCO (maintien en condition opérationnelle) et maintenance.
- Le soutien logistique.
- Le renseignement (CAE Aviation)
On constate en effet une hausse de l’externalisation dans la part du budget militaire français : 2% en 2001, 4% en 2008. On reste cependant loin des 25% du budget britannique.
Les premiers bilans peuvent être tirés de six dossiers étudiés par la Cour des Comptes : si un est défavorable et un autre marginalement positif, quatre autres ont permis des gains importants.
Philippe Chapleau propose quelques mesures afin d’encadrer et de développer avec efficacité ce domaine : cesser de procéder par à-coups, définir un périmètre, développer le secteur privé français et mettre en place des outils de contrôle. Il est en effet intéressant de développer un secteur privé français, pour :
- Etre prêt à répondre à la commande publique.
- Eviter que l’Etat ne fasse appel à des sociétés étrangères.
- Forcer la mise en place d’un cadre et d’outils de régulation.
La conjoncture actuelle est particulièrement importante. Avec les retraits d’Irak et d’Afghanistan, les groupes anglo-saxons se préparent à de nouvelles fusions et vont former des conglomérats gigantesques, ce qui risque de poser une menace aux sociétés françaises trop petites pour émerger sur un secteur très concurrentiel.
Pour en savoir davantage, nous nous incitons à lire le dernier ouvrage de Philippe Chapleau, Les nouveaux entrepreneurs de guerre, des mercenaires aux Sociétés Militaires Privées, Paris, Vuibert, 2011.
La troisième communication est le témoignage d’un contractor sur son expérience pendant la guerre d’Irak.
Sciences Po Aix et l’ensemble du master Histoire militaire comparée remercient chaleureusement les intervenants pour leur disponibilité et l’intérêt de leurs propos et espère les réunir prochainement dans le cadre d’une nouvelle conférence. La privatisation militaire est un phénomène de plus en plus étudié et nous vous renvoyons aux articles publiés sur le blog Etudes Géostratégiques pour d’autres informations.
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Félicitations pour le travail effectué sur le mercenariat et aux intervenants lors de cette conférence.
Bon article mais je signale un petit lapsus concernant le chapitre sur les Comores. Il s’agit d’une station d’écoute surveillant le Mozambique, non d’une station au Mozambique.
Vous avez raison. Je vais modifier le texte ; cela m’a échappé et l’étudiant qui a pris les notes a mal relevé les propos de FX Sidos qui a été tout à fait explicite, précisant même que les Sud-Africains chargés de cette surveillance étaient en contact régulier avec la GP et qu’ils portaient l’uniforme comorien pour plus de discrétion.