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LES LIENS ENTRE LE TERRORISME SHEBAB ET LA PIRATERIE SOMALIENNE

1 mai

Etudes géostratégiques s’ouvre aux étudiants de Sciences Po pour quelques exposés. Cet article est issu d’un travail fourni dans le cadre du cours optionnel de seconde année de Géopolitique des espaces maritimes. 

La Somalie est souvent considérée comme une caisse de résonance des imaginaires sécuritaires, en effet plusieurs discours présentent l’ « Etat effondré somalien » comme un creuset qui alimente de nombreuses synergies entre les menaces criminelle et terroriste. De telles représentations se rencontrent parfois dans des sources écrites comme l’atteste cet extrait de Baconnet A., « La Corne de l’Afrique : un carrefour stratégique »: « la Somalie est un Etat failli, où guerre civile, islamisme et piraterie présentent un fort potentiel de connexions et d’émulation ».

Il s’agira ici d’analyser et de clarifier les liens entre la piraterie somalienne et le terrorisme Shebab mais avant tout nous devons définir ces termes.

Qu’entend-on par piraterie ? L’article 101 de la Convention des Nation-Unies sur le droit de la mer de Montego Bay (1982) la définit comme l’exercice de « tout acte illicite de violence ou de détention ou toute dépravation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire, agissant à des fins privées, et dirigé contre un autre navire ou aéronef, ou contre des personnes ou des biens à leur bord, en haute mer ou dans un lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat. Cette définition permet de distinguer la piraterie maritime du terrorisme maritime, qui lui poursuit des objectifs politiques et non criminels de la piraterie. Surtout, elle apporte une précision fondamentale car cette définition et le dispositif prévu pour sa répression ne s’appliquent qu’aux attaques en haute mer ou dans les ZEE, soit au-delà de la limite des 12 milles marins. Dans les eaux territoriales, les attaques de pirates sont alors considérées comme des actes de brigandage qui relèvent de la juridiction de l’Etat côtier.

La piraterie somalienne pose, de par son contexte, une problématique particulière aux Etats et organisations de la communauté internationale qui cherchent à lutter contre elle car elle émane d’un Etat dit « effondré » et plongé dans une situation de guerre civile depuis la fin des années quatre-vingt. En effet, c’est à cette époque qu’éclate une guerre civile entre le dictateur Siyad Barre au pouvoir et une coalition d’opposants  appartenant à des clans différents et qui aboutit à la chute du régime, à la disparition des structures de l’Etat central et progressivement à la fragmentation politique et spatiale du territoire en 3 entités distinctes : le Somaliland, au nord-ouest qui proclame son indépendance, le Puntland au nord-est qui devient autonome tandis que le centre et le sud de la Somalie s’enfoncent dans une période d’affrontements violents menés par les War Lords (chefs de guerre). Dans cette zone, cette situation de guerre permanente s’accompagne d’un développement du banditisme, plongeant le pays dans un véritable désordre et perdure après l’échec des interventions humanitaire et militaire des Nations Unies de 1992 à 1995. La situation semble s’apaiser lorsque l’UTI (Union des Tribunaux Islamiques) prend le pouvoir en juin 2006 à Mogadiscio. Il s’agit d’une institution mi-politique, mi-judiciaire composée de chefs religieux, d’hommes d’affaires et de militaires qui repousse à la marge les warlords et qui rétablit un semblant d’ordre en imposant la charia qui instaure un ordre moral et religieux (interdiction du qat, peines très sévères contre le vol et le viol…). Les Etats-Unis vont alors soutenir une intervention militaire éthiopienne en Somalie qui entraîne la chute des Tribunaux islamiques en décembre 2006. Pour combler le vide du pouvoir, c’est le GFT (Gouvernement Fédéral Transitoire) créé en 2004 au moment de la Conférence de Nairobi avec l’appui de la communauté internationale qui s’installe à Mogadiscio en janvier 2007. Mais son fragile gouvernement est confronté à une reprise des violences menée en partie par l’ARS (Alliance pour la re-libération de la Somalie), un mouvement né de la dissolution de l’UTI. Mais en juin 2008, les efforts déployés par la communauté internationale depuis le début de l’année, à travers le Processus de Djibouti, aboutissent à un accord entre le GFT et une faction considérée comme plus modérée de l’ARS menée par Sheikh Sharif Ahmed, ce dernier arrivant à se faire élire à la tête du gouvernement en janvier 2009. Pourtant, les combats ont encore repris de plus belle depuis mai 2009, opposant l’actuel gouvernement de Sheikh Sharif Ahmed à deux groupes armés d’obédience islamiste qui constituaient les éléments les plus radicaux de l’UTI : le Hizbul Islam et surtout Al-Shabab qui affiche sa proximité idéologique avec Al Qaïda et qui pratique le terrorisme, multipliant des attentats meurtriers pour arriver à ses fins.

Si les activités principales de la piraterie somalienne inclut tous types de trafics (armes, drogues, humains) alors elles les lient plus ou moins directement avec toutes sortes d’organisations non étatiques. Cependant certains indices nous laissent croire qu’entre les enjeux de pouvoirs propres à la Somalie, comme les relations claniques ou familiales, et la faiblesse des autorités gouvernementales, une étude plus approfondie des représentations qui est faite de ces liens peut apporter un regard nouveau sur ces relations.

Ainsi, comment, depuis la chute de l’Etat central somalien, la considération de nombreux enjeux locaux influe-t-elle sur la compréhension des relations entre terrorisme et piraterie pour la communauté internationale ?

Si les représentations des liens entre terrorisme et piraterie en somalie sont aux normes de l’imaginaire sécuritaire propre aux nouvelles menaces non conventionnelles de l’ère globale, sans pour autant être combattu exactement de la même manière, une approche pragmatique de cette relations apparaît sous les considérations d’enjeux propres à la Somalie.

Les perceptions du terrorisme et de la piraterie comme menaces liés dans l’ère globale.

Une synergie possible entre piraterie et terrorisme ?

 

Les nouvelles menaces dans l’ère globale, comme le terrorisme ou le crime organisé, sont souvent caractérisées par le terme de « menaces non conventionnelles ». En effet, ces nouvelles menaces sont toutes deux caractérisées par l’absence d’une distinction claire entre moments de guerre et de paix.

Bruno Schiemsky  qui développe davantage cet argument dans Unholy High Seas Alliance en affirmant l’existence de liens structurels entre les pirates et la milice Al-Shabab. Il estime que cette collaboration réciproque s’effectue dans trois domaines. Tout d’abord, selon Bruno Schiemsky, les pirates fourniraient en armes la milice Al-Shabab à partir d’un trafic maritime organisé depuis l’Erythrée et apporteraient leur aide logistique pour faire venir des combattants étrangers sur le sol somalien. Ensuite, Al-Shabab prélèverait un pourcentage compris entre 20 et 50 % des rançons captées par les pirates et en échange, la milice entraînerait les pirates au maniement des armes : 2 500 pirates auraient ainsi reçu un tel entraînement. Enfin, les pirates formeraient les membres du groupe islamiste aux différentes techniques navales : navigation, abordage, notamment dans le but de constituer une petite force maritime au service d’Al-Shabab, sur le modèle de celle qui existe pour la rébellion des Tigres de libération de l’Îlam Tamoul au Sri Lanka

Les amalgames entre piraterie et terrorisme semblent aussi nourrir la presse quotidienne. Les analyses d’un article du Wall Street Journal est particulièrement révélateur de cette représentation. Pour cet article sur la Somalie, qui sonne l’alarme d’un risque de djihad maritime dans le golfe d’Aden, issu de la piraterie somalienne, il est nécessaire de réfléchir à l’utilisation des mêmes armes que celle de la lutte contre le terrorisme contre la piraterie.

L’intervention de la communauté internationale sur la compréhension des nouvelles menaces
La réponse à ces menaces asymétriques par l’administration américaine s’appuie sur la définition d’un Full Spectrum Dominance, c’est-à-dire un spectre des conflits qui est divisé en trois niveaux d’intensité : basse, moyenne et haute. Ce spectre des conflits correspond à un « continuum opérationnel allant des opérations en temps de paix jusqu’au conflit conventionnel majeur» et « vise le contrôle des crises et conflits, grâce au développement des capacités de flexibilité, de versatilité et de projection rapide », soit un « continuum stratégique du contrôle de la violence par la prévention-préemption-dissuasion et la coercition ». Cette doctrine se base également sur la création d’un Etat fort, capable d’exercer son autorité a l’intérieur de son territoire et d’empêcher l’émergence de diverses factions, ainsi que des réseaux de crimes organisés, or les applications de ces consignes sont difficiles à mettre en place dans les états en proie à une grande pauvreté et à la corruption, comme notamment le Puntland.

Aussi l’intervention d’acteurs locaux est souvent privilégiée dans la résolution des conflits. En effet, si les opérations Restore Hope  furent des échecs, la récente coopération entre l’ONU et les Etats de Puntland et du Somaliland commence à porter ses fruits. Cela montre qu’une considération plus pragmatique des problématiques locales permet une meilleure action en Somalie.

Une approche pragmatique basée sur la considération d’enjeux de pouvoirs locaux

 

Une relation mis à mal par des preuves factuelles

Tout d’abord, certains acteurs qui combattent la piraterie somalienne utilisent un argument géographique en précisant les zones ou la piraterie somalienne est présente, qui ne correspondent pas forcement à celles sous l’influence des groupes rebelles islamistes. En effet, les Shebab tiennent le sud de la Somalie et Mogadiscio tandis que les pirates plutôt le centre de la somalie et le nord-est (voir carte en annexe), il ne reste plus qu’Haradere, qui est un port très occupé, où les pirates peuvent faire face directement avec quelques mobilisations islamistes somalienne.

Ensuite un second argument est l’incompatibilité idéologique : les pirates et les milices islamistes sont deux entités différentes. Les pirates ont des objectifs purement lucratifs tandis que les Shebab ont des vues politiques. Cette incompatibilité atteint son paroxysme lorsque l’union des tribunaux islamiques prend le pouvoir en 2006 et initie les hostilités en réprimant violemment la piraterie et en combattant les pirates spécifiquement a Garacad et Haradere

Même si ces éléments permettent de nuancer les représentations que l’on a évoquées des liens entre piraterie et terrorisme, il faut également prendre en compte des variables propres à la Somalie.
 Des enjeux de pouvoirs propres à la somalie

 

Les pirates ont des objectifs purement mercantiles, si leur but est la croissance de leur business, un lien potentiel avec le terrorisme changerait l’échelle de répression, et n’aurait aucun intérêt à avoir a affronté le même type de combattant que les coalitions internationales qui luttent contre le terrorisme. Ainsi les pirates n’ont aucun intérêt à se connecter stratégiquement avec les pirates.

Par pragmatisme on ne peut négliger une possible coopération basée sur des liens de business pour les pirates qui opèrent à Mogadiscio et au sud de la Somalie. Selon le Quai d’Orsay, les pirates achèteraient souvent le silence des milices islamistes qui les ont combattus par le passé, ce qui autoriserait une certaine porosité, notamment concernant le trafic d’armes. La piraterie somalienne a également une longue tradition de division des rançons, 10% de ces rançons sont en moyenne redirigées vers les communautés locales, mais il est possible que les Shebab reçoivent ce subside à travers les relations claniques et familiales très fortes en Somalie.

Cela montre que les pirates se doivent d’être en bons termes avec les détenteurs du pouvoir, que ce soit au sein de leurs clans, mais aussi dans le cadre des autorités locales.

Si nous prenons l’ensemble des arguments évoqués nous obtenons une approche mesurée de potentielle synergie qui existerait entre les pirates somaliens et les groupes d’obédiences islamistes, les premiers ont d’abord des objectifs mercantiles et sont combattus majoritairement à l’échelle locale, de par la définition de juridiction essentiellement, tandis que les islamistes ont une ambition politique avant tout.

L’usage de la terreur politique est d’autant plus à éviter car elle leur coûterait leur relative impunité envers les autorités locales affaiblies depuis l’effondrement de l’Etat somalien. Enfin les diverses connexions entre les clans locaux et l’institution que représente la famille en Somalie sont cruciaux pour comprendre les relations entre la pauvreté, la corruption des autorités locales et les phénomènes de piraterie et de terrorisme islamiste.

Thomas Ramonda, étudiant à l’IEP d’Aix en 2e année

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