La question de la défense anti-missile n’est pas un sujet nouveau. Il s’agit d’un projet relativement ancien qui remonte à la conception des premiers missiles V1 et V2 par l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, au lendemain de ce conflit et dès les premières tensions avec l’URSS, les Etats-Unis, forts d’une puissance économique, technologique, industrielle et militaire sans rivale, se lancèrent dans la course aux moyens de se protéger contre toute attaque menée à distance par un ennemi. En 1956, soit moins d’un an après le premier essai de missile intercontinental soviétique, ils démarraient une série d’ambitieux programmes visant à compléter leur « épée » nucléaire par une « carapace » ou plutôt un « bouclier » afin que leur territoire devienne totalement inviolable contre toute attaque nucléaire.
Or, du fait d’une ambition sans doute trop importante au regard des technologies disponibles à l’époque, des programmes comme le « BAMBI » (1956-1957) ou le « SENTINEL » (1967) ont longtemps joué en la défaveur du projet en détériorant sa crédibilité. Cette ambition démesurée a notamment alimenté l’idée selon laquelle le projet ne pouvait être l’objet que de rêverie et ne pouvait relever que de l’ordre du fantasme. L’annonce faite par le président Reagan au sujet du programme « IDS » ou « guerre des étoiles » en 1983 n’en a été que l’apothéose. Sauf que derrière le grand coup médiatique que fut la démarche du président Reagan, celui-ci s’est tout de même permis d’opérer en coulisse un ajustement de taille ; désormais, le projet n’aurait d’objet que la protection du territoire contre un nombre limité de missiles et surtout contre des missiles de conception rudimentaire. La portée symbolique du projet s’en trouvait renforcée alors que ses ambitions avaient été réévaluées de manière beaucoup plus cohérente.
Ce n’est qu’une fois l’effondrement de l’URSS constaté, la pleine confiance américaine retrouvée et l’hégémonie confirmée que les ambitions ont été à nouveau relevées. Désormais, sous l’impulsion présidents George Bush (Senior) et Bill Clinton, le projet ne devrait pas seulement servir à « sanctuariser » le territoire américain mais il devrait également être en mesure d’offrir une protection aux troupes américaines déployées à l’étranger ou en opération (projet de défense de théâtre « TMD ») et, à partir de l’année 2000, de protéger les alliés des Etats-Unis qui le souhaiteraient. A cet égard, et contrairement aux idées reçues, les mesures prises par l’administration Bush (Junior) après les attentats du 11 septembre 2001 s’inscrivirent dans la continuité des administrations précédentes. Seul choix véritablement opéré, une composante, la « troisième position », serait implantée sur le sol européen. La Pologne et la République Tchèque, symboles de ce que George W. Bush appelait la « jeune Europe » pour marquer la rupture avec la « vieille Europe » franco-allemande, furent choisies pour accueillir les éléments de la composante européenne (des intercepteurs en Pologne et un radar en République Tchèque).
Ainsi, à cause de cette « troisième position » américaine en Europe, la question du bouclier antimissile s’avèrerait sensible pour ce qui est des rapports entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie. En effet, même si en août 1990, le président Bush avait annoncé la fin de la guerre froide, persisteraient encore, plus de dix et même vingt ans après, des relents de cette rivalité politico-idéologique ou encore ce que Thomas Graham appelle des « stéréotypes » de la guerre froide. Certes l’URSS s’était effondrée, les Etats-Unis avaient triomphé et la lutte idéologique avait pratiquement cessé, une dissymétrie s’était tout de même logiquement creusée sur la scène des relations internationales entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie. Les premiers étaient les grands vainqueurs de la confrontation bipolaire indirecte. Dès lors, ils se sont comportés comme une puissance hégémonique dont le rôle de gendarme était nécessaire à la bonne santé du monde. Et c’est bien ce messianisme qui conduisit les Etats-Unis dans le travers de l’unilatéralisme. La Russie vécut quant à elle l’effondrement de l’URSS comme un véritable drame et les propos tenus par Vladimir Poutine selon qui ce fut « la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle » n’ont fait que le rappeler. Humiliée, elle a d’abord cherché à rentrer dans le rang avant de reconquérir une notoriété et un respect sur la scène internationale en usant parfois de méthodes agressives.
En réalité, la sensibilité du dossier du bouclier antimissile n’était en rien technique ou militaire dans le sens où le bouclier déployé par les Etats-Unis en Europe et même dans le monde serait totalement inefficace contre la technologie nucléaire russe. En aucune manière la Fédération de Russie n’aurait perdu sa force de première frappe ou sa capacité de représailles par des frappes nucléaires. Plus exactement, cette sensibilité était donc politique car il est vrai que le contexte dans lequel l’idée d’installer un bouclier antimissile en Europe centrale s’est individualisée, a favorisé et même amplifié les craintes russes. Cette sensibilité était aussi géopolitique parce que la présence américaine dans ce que la Fédération de Russie persiste à considérer comme sa sphère d’influence privilégiée (son « étranger proche ») a alimenté les craintes du Kremlin au sujet d’un potentiel et progressif mouvement d’encerclement par les Etats-Unis et par l’OTAN. Laisser les Etats-Unis et qui plus est l’OTAN s’installer en Pologne et en République Tchèque aurait été, aux yeux de Moscou, leur laisser les mains libres en Europe. Ainsi, entre 2008 et 2009, alors que Vladimir Poutine et George W. Bush quittèrent leurs fonctions respectives pour laisser place à une nouvelle génération de dirigeants (Dimitri Medvedev et Barack Obama), les tensions étaient culminantes, surtout après l’épisode de la guerre de Géorgie en août 2008.
L’objet ici est donc double. D’abord, il s’agit d’analyser pourquoi Barack Obama en est venu à décider de modifier le projet de bouclier antimissile. Ensuite, il est intéressant de comprendre comment, à partir de ces ajustements techniques et géographiques, Barack Obama est parvenu à faire de sa modification (qui correspond plus sur le terrain à un renforcement des dispositifs) du projet une arme diplomatique qu’il pourrait manipuler afin d’obtenir des concessions de la part de la Fédération de Russie dans d’autres dossiers. Car si le bouclier antimissile n’était pas le dossier majeur de sa politique étrangère de la « main tendue », il n’en était pas non plus un projet mineur. Plus qu’améliorer les relations bilatérales (« Great bargain »), il permettrait également d’ouvrir les portes d’une meilleure progression des discussions sur le désarmement (nouveau traité START), la non-prolifération (question iranienne et nord-coréenne) et faciliterait l’accélération du virage asiatique opéré par les Etats-Unis.
Tout en dressant un bilan des évolutions de ces dossiers et de ces relations bilatérales, c’est l’occasion d’en évaluer les perspectives majeures. En effet, la démarche de Barack Obama jouit et souffre à la fois de son pragmatisme. Elle en jouit car en matière de coopération économique, les deux pays ont tout à y gagner (la Fédération de Russie a enfin pu adhérer à l’OMC) mais elle en pâtit car elle ne lui octroie qu’un socle de certitudes relativement fragiles. La coopération entre l’OTAN et la Fédération de Russie en matière de défense antimissile est un terrain ambitieux mais encore trop jonché d’obstacles. Et il est certain qu’en cas d’insatisfaction à l’égard des propositions otaniennes, la Fédération de Russie n’hésitera pas à retomber dans sa posture de contestation systématique. De même, l’évolution de ces relations américano-russes tient réélection de Barack Obama?
Quoi qu’il en soit, plus 2014 approche, plus la question des modalités du retrait occidental d’Afghanistan se fait pressante et plus la Fédération de Russie a de cartes en main pour négocier des dossiers tels que celui de la défense antimissile.
Benjamin Bord, diplômé de Sciences Po Aix et élève-moniteur du Master II en 2011-2012, auteur de Du Bouclier antimissile aux nouvelles relations américano-russes 2000-2011, Editions L’Harmattan, 2012, 209p.
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