Le nouveau concept stratégique de l’OTAN adopté le 19 novembre 2010 à Lisbonne fut commenté avec une grande satisfaction par les médias et les experts polonais de la défense. Les propositions formulées par la Pologne pendant la période d’élaboration étaient reprisesdans le nouveau concept. Membre de l’OTAN depuis 1999, la Pologne n’a pas participé aux travaux sur le Concept précédent, adopté en avril 1999. Cette fois, elle a pu exposer et défendre sa position particulière sur les rôles futurs de l’Alliance, les défis à relever et les réponses aux menaces. De nombreux facteurs expliquent la spécificité de l’approche polonaise dans le domaine de sécurité. Pour le pays frontalier de l’OTAN et de la Russie (la région de Kaliningrad), la perception des menaces (en particulier des menaces militaires) diffère de celle des pays de l’Ouest ou du Sud de l’Europe. La vision du rôle et des missions de l’Alliance en est une conséquence directe. La non-participation de la Pologne dans l’intervention de l’OTAN en Libye confirme, au moins partiellement, sa volonté d’un « retour aux sources », c’est-à-dire la défense collective.
La perception spécifique des menaces
Le sentiment d’une « inégalité de sécurité » entre les membres de l’Alliance perceptible en Pologne est traditionnellement imputé à l’histoire et la situation géopolitique. Toutefois, malgré l’amélioration incontestable de la sécurité du pays suite à l’élargissement de l’OTAN, les craintes d’être un membre du second ordre de l’Alliance furent exprimées déjà au moment de l’adhésion. Lors des négociations de « l’Acte fondateur l’OTAN –Russie » menées au printemps 1997, la Russie a obtenu trois concessions importantes de la part de l’Alliance. Il s’agissait de « trois non » concernant la non-installation des armes nucléaires, le non-stationnement de forces armées et la non-installation d’infrastructures militaires de l’Alliance sur les territoires des nouveaux membres de l’OTAN. Cette autolimitation facilita l’acceptation par la Russie de l’élargissement de 1999 mais en même temps limitait l’efficacité potentielle de l’Alliance en cas d’agression militaire d’un des nouveaux membres. Ainsi, du point de vue de la Pologne, cela accentua l’insuffisance des garanties résultant de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord.
Le conflit russo-géorgien d’août 2008 raviva les craintes et ouvrit le débat sur les « garanties dures » de l’OTAN et la crédibilité de la défense collective dans une alliance de plus en plus globale.[1] C’est précisément à ce moment que la décision de la professionnalisation de l’armée polonaise, maintes fois reportée, fut prise ainsi que la finalisation des négociations sur l’installation des éléments du bouclier anti-missiles, version Bush. Leur installation sur le territoire polonais devait pallier à la faiblesse de l’art. 5.
La crédibilité de l’OTAN dépend de sa capacité de dissuasion, y compris nucléaire. Du point de vue de la Pologne, elle ne peut être garantie que par la présence du parapluie des Etats-Unis en Europe. Les postulats de certains pays membres de l’OTAN concernant le retrait des armes nucléaires américaines affaibliraient sa capacité de dissuasion. Cela paraît d’autant plus inquiétant que la doctrine militaire russe n’exclut pas une attaque préventive nucléaire.
Parmi les principaux postulats de la Pologne pour le nouveau concept stratégique se trouvait la prise en compte plus importante de la dimension orientale de l’Alliance. Le renforcement de cette dimension contribuerait à la stabilisation du voisinage à l’Est, objectif que la Pologne cherche à atteindre notamment par le bais du Partenariat oriental dans le cadre de l’Union européenne.
Les postulats au nouveau Concept stratégique de l’OTAN
L’article 5
La Pologne (comme les Pays baltes et la République tchèque) souhaitait que le Nouveau concept réaffirme l’importance de l’article 5 du Traité de Washington en tant qu’engagement des pays signataires à la défense commune. Il s’agissait donc de confirmer que l’OTAN restait avant tout une alliance défensive afin de rééquilibrer ce rôle traditionnel par rapport au caractère global, de plus en plus expéditionnaire de l’OTAN du XXIème siècle.
De point de vue de la Pologne, la confirmation de la défense collective comme la responsabilité première de l’Alliance devait être accompagnée de « garanties visibles » de sécurité, en particulier pour les nouveaux membres. Il s’agissait d’inscrire dans le nouveau Concept stratégique des engagements concernant la planification de défense, des entraînements et des exercices communs. A moyen terme, la Pologne souhaitait le renforcement des infrastructures et de la présence de l’OTAN sur le territoire polonais.
La réforme des structures de l’OTAN prévoit la diminution de 11 à 6 du nombre des commandements. L’unique élément de la structure du commandement de l’Alliance installé en Pologne, le Centre d’Entraînement de Forces Interarmées (JFTC) à Bydgoszcz, restera. Dans la mesure, où le JFTC est chargé de l’entraînement multinational des forces au niveau tactique, il joue un rôle important dans l’entraînement de la Force de réaction de l’OTAN (la NRF). Cela rejoint un autre postulat polonais concernant la mise en place finale de la NRF. Jusqu’à 2012, la Pologne mettra à la disposition de la NRF 3000 soldats. Par ailleurs, il est inscrit dans la stratégie que la NRF interviendra pour préserver l’intégrité territoriale des pays membres. Cela était important pour la Pologne : le nouveau concept stratégique souligne la nécessité d’accroître les capacités de la NRF ainsi que des plans de défense en cas d’attaque. Le commandement de Brunssum (Pays Bas) - en cas de menace pourra mener une grande opération militaire en Europe centrale.
Parmi les « garanties visibles » dans domaine d’entraînement, la Pologne a organisé le séminaire au niveau stratégique « Allied Reach ». [2] Pendant trois jours (du 9 au 11 mai 2011), le commandement de l’OTAN en six groupes de travail étudia les problèmes liés à la situation actuelle et l’avenir de l’OTAN : cyberespace (en particulier, les menaces pour la sécurité internationale planifiées et réalisées sur la toile), système de réaction aux crises, principes de l’approche globale, partenariats au sein de l’Alliance, défense anti-missile, réforme de l’OTAN. Par ailleurs, les premières manœuvres avec la participation de la NRF auront lieu en Pologne en 2013.
Les plans de défense
Au cours du sommet de Lisbonne, les pays membres de l’OTAN ont adopté les plans de défense de la Pologne. Il s’agissait de la réactualisation des plans datant de 2001(élaborés après l’adhésion à l’Alliance en 1999), devenus dépassés à cause, entre autre, du retrait d’une partie des forces américaines de l’Europe. Les plans de défense ne sont pas rendus publics, mais quelques informations ont filtré dans la presse. La Pologne a également souhaité que l’Alliance élabore les plans de défense pour les Pays baltes. Effectivement, ces plans ont été préparés avant le sommet de Lisbonne et finalement adoptés lors de ce sommet. Le commandement de l’opération de défense de la Pologne et des Pays baltes serait assuré par le Commandement de Brunssum. En cas d’agression de la Pologne, l’OTAN utiliserait neuf divisions, dont quatre polonaises et cinq occidentales : britanniques, allemandes et américaines. Leur transport serait assuré par tous les moyens : terrestres, aériens, et maritimes. Les ports de débarquement furent désignés ainsi que les bâtiments de la marine de guerre qui défendront les côtes polonaises (navires britanniques et américains).[3] Par ailleurs, conformément aux demandes polonaises, la NRF serait également engagée dans la défense de la Pologne.
Les relations avec la Russie
Parmi les postulats polonais figurait l’élaboration de la position commune au sein de l’OTAN vis-à-vis de la Russie. De point de vue de la Pologne, de bonnes relations de l’OTAN avec la Russie (mais également avec l’Ukraine), sont primordiales, puisqu’elles contribuent à élargir l’espace de sécurité à l’Est. Mais en dépit du récent réchauffement des relations russo-polonaises, la méfiance est toujours présente. Les manœuvres militaires conjointes russo-biélorusses « Zapad 2009 » et « Ladoga 2009 » (août et septembre 2009) menées à proximité des frontières polonaises et baltes ainsi que la nouvelle doctrine militaire russe (février 2010) mentionnant l’OTAN comme un des principaux dangers militaires extérieurs ne contribuent pas à la dissiper. En particulier, certains observateurs polonais préconisent la prudence vis-à-vis des propositions russes concernant la nouvelle architecture de sécurité. La zone de sécurité, présentée par le président Medvedev à Munich, s’étendant de l’Amérique du Nord jusqu’à la Russie, marginaliserait l’Alliance atlantique.[4] Un tel scénario est considéré par les Polonais comme contraire aux intérêts de sécurité de la Pologne.
L’approche de la « double voie », souhaitée par la Pologne, consiste à développer la coopération OTAN-Russie tout en mettant en place des garanties de sécurité supplémentaires pour les membres frontaliers de l’Alliance. Cette approche fut recommandée dans le rapport du groupe d’experts dont faisait partie A. D. Rotfeld.[5] Ainsi, la Pologne est pour la coopération et le dialogue OTAN- Russie dans les domaines d’intérêt commun, par exemple en Afghanistan. Cependant, cette coopération ne doit pas affecter la cohésion de l’Alliance ainsi que sa capacité à remplir toutes ses fonctions. Il s’agit notamment des capacités de dissuasion nucléaire. Le nouveau concept stratégique prévoit que toutes les réductions de capacités nucléaires à venir de l’Alliance doivent prendre en compte les capacités nucléaires russes. Cette approche, conforme à la position polonaise sur cette question, contribue à la mise en place de mécanismes de transparence et de réciprocité. D’après l’ancien ambassadeur de la Pologne auprès de l’OTAN, la coopération OTAN-Russie doit s’appuyer sur quatre principes : réciprocité, responsabilité, garanties supplémentaires pour les pays frontaliers de l’OTAN et résilience.[6]
La politique de la « porte ouverte »
Des relations constructives avec la Russie ne doivent pas donner le droit à cette dernière d’influencer les relations de l’OTAN avec d’autres pays d’Europe Orientale.[7] Traditionnellement, la Pologne s’est toujours prononcée en faveur de la poursuite de l’élargissement de l’Alliance atlantique à l’Est, c’est-à-dire de la politique de « la porte ouverte ». Cette position est constante depuis l’élargissement de 1999. Les Pays baltes, qui ne faisaient pas partie du premier groupe des pays de l’ancien bloc de l’Est ayant adhéré à l’OTAN, trouvèrent en la Pologne un avocat de leur cause au sein de l’Alliance. De même, depuis les révolutions de « couleurs » en Ukraine et en Géorgie, la Pologne a appuyé les aspirations de ces deux pays à adhérer à l’OTAN (et également à l’UE). Ce fut notamment le cas lors du sommet Köhln - Strasbourg en avril 2009, au cours duquel les candidatures au MAP (plan d’action pour l’adhésion) de l’Ukraine et de la Géorgie furent toutefois ajournées. Depuis, l’Ukraine, dont l’opinion publique n’a jamais été majoritairement favorable à l’adhésion à l’OTAN, a officiellement renoncé à cet objectif au profit d’une politique d’équilibre entre d’un côté la Russie et de l’autre l’OTAN. Malgré cela et conformément aux priorités polonaises, l’OTAN a maintenu le principe de la « porte ouverte » pour l’Ukraine.
La situation de la Géorgie reste complexe après la guerre russo-géorgienne d’août 2008 et la proclamation de l’indépendance de deux Républiques sécessionnistes (Ossétie du Sud et Abkhazie). Toutefois, la Géorgie a intensifié ses démarches diplomatiques et a obtenu à Lisbonne son adhésion au Plan d’action pour l’adhésion (MAP). Une éventuelle adhésion permettrait de renforcer la position du pays et de remettre à l’ordre du jour les négociations sur le recouvrement des territoires sécessionnistes :[8] lors du sommet de Lisbonne, l’OTAN a réaffirmé le principe de l’intégrité territoriale de la Géorgie.
L’inscription de la politique de la « porte ouverte » dans le nouveau concept stratégique permet de prolonger l’action de la Pologne en vue du rapprochement des deux pays des structures euroatlantiques. Cette action est également menée par la Pologne dans le cadre du « Partenariat oriental » de l’Union européenne. D’une manière générale, l’adhésion de ses voisins orientaux aux valeurs et standards occidentaux est essentielle pour la Pologne puisqu’elle contribue à élargir l’espace de stabilité et de sécurité dans son voisinage immédiat.
Défense anti-missile
La Pologne s’est prononcée pour la construction d’un système commun de défense antiaérienne dans le cadre de l’OTAN. On pourrait y inclure, d’après la proposition polonaise, des éléments du système américain installés sur le territoire polonais. Il s’agit des systèmes SM-3 qui doivent être installés avant 2018, d’une batterie de missiles « Patriot » et d’une unité d’aviation américaine (les avions F-16 et les avions de transport C-130), faisant partie du bouclier anti-missile « version Obama ». Lors de sa visite à Varsovie, les 28-29 mai 2011, le président Obama a confirmé l’installation des éléments du bouclier sur le territoire polonais. De point de vue de la Pologne, il serait souhaitable que ces éléments soient intégrés dans le système de défense anti-missile de l’OTAN. La participation de la Pologne dans la version précédente du bouclier, élaborée par l’administration Bush, a suscité les critiques des alliés concernant le risque pour l’unité de l’Alliance de détériorer les relations avec la Russie. Le premier problème ne se pose pas dans le cas d’un système commun. La coopération proposée à la Russie par l’OTAN dans le domaine de défense anti-missile devrait permettre de lever l’opposition russe. Toutefois, la réunion des ministres de défense dans le cadre du COR (le 8 juin 2011) consacrée essentiellement à la coopération dans la construction du bouclier antimissile n’a pas permis de dépasser les divergences. La Russie pose des conditions à cette coopération, notamment un droit de regard sur le fonctionnement du bouclier et des garanties que ce dernier ne neutralise pas le potentiel nucléaire russe. En revanche, les positions russes concernant la mise en place d’une défense antimissile sectorielle (dans ce concept, la défense antimissile russe assurerait la défense de la partie orientale de l’OTAN) paraissent inacceptables pour les pays d’Europe centrale.
Afghanistan
L’élaboration de la stratégie de sortie de l’Afghanistan faisait partie des postulats. Après l’annonce lors de la campagne présidentielle de 2010 du retrait du contingent polonais en 2012, le président Komorowski a modifié sa position avant le sommet de Lisbonne. Après 2012, la mission de combat du contingent polonais changera de caractère pour se transformer en mission de formation. Les soldats polonais ne participeront plus aux combats, mais formeront l’armée et la police afghanes. D’après les propos du président polonais, l’Alliance doit accentuer ses efforts dans la recherche d’une solution politique au conflit afghan, afin de transmettre la responsabilité de la sécurité du pays aux Afghans.[9] A partir de la 10ème rotation, c’est-à-dire à l’automne 2011, débute le processus de réduction du contingent polonais engagé dans la FIAS. Il s’agit aussi bien des forces envoyées en Afghanistan que du renfort stratégique du contingent en Pologne. Début 2012, avec l’arrivée de la 11ème rotation, le caractère de la mission se transforme « en mission de formation et de stabilisation ».[10] Le gouvernement polonais a également annoncé le retrait définitif du contingent en 2014, en même temps que le retrait des autres forces de l’OTAN.[11]
La décision du gouvernement polonais de ne pas participer à l’intervention de l’OTAN en Libye confirme la vision polonaise de l’Alliance : la défense commune et les engagements résultant de l’article 5 doivent rester sa tâche principale. Par ailleurs, les Polonais majoritairement (à 82%) ont appuyé cette décision du gouvernement.[12] Ce résultat est conforme à la tendance déjà observée lors des sondages concernant l’opération en Afghanistan. La société polonaise est réticente quant aux interventions militaires. Un autre facteur expliquant ce non engagement dans la mission en Libye est également à mettre en rapport avec les capacités technique et humaine de l’armée polonaise, déjà engagées dans plusieurs missions.
Dorota Richard
Docteur en sciences politiques et relations internationales, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, intervenante dans le Master II.
[2] Le séminaire a réuni plus de deux cents représentants de l’OTAN, des Etats-majors des pays membres, des organisations internationales et des ONG.
[4] « NATO nie znosi prozni » z Aleksandrem Kwasniewskim o poskich postulatach na lizbonski szczyt sojuszu Polska Zbrojna N°47 21/11/2010
[5] Rapport «Panstwa czlonkowskie NATO wobec nowej koncepcji strategicznej Sojuszu » PISM, mars 2010
[6] J.M. Nowak «Security Landscape from the Central European Point of View» Pulaski Policy Papers 17/05/2010 http://pulaski.pl
[8] «NATO po szczycie w Lizbonie – konsekwencje dla EuropySrodkowej i wschodniej» OSW 06/01/1011 http://osw.waw.pl
[10] « Mniej w Afganistanie » Polska Zbrojna N°25 19/06/2011