Archive | novembre, 2012

Camerone : l’épisode fondateur de la Légion

26 Nov

Plutôt que de commenter en termes élogieux qui pourraient paraître douteux aux mal intentionnés de la part de son successeur, je vous renvoie au commentaire de guerres-et-conflits sur l’ouvrage d’André-Paul Comor consacré à l’épisode fondateur du mythe Légion Etrangère, Camerone :

« Déjà auteur de plusieurs ouvrages sur la Légion étrangère, à laquelle il a consacré une partie de ses recherches, André-Paul Comor (par ailleurs directeur d’un important ouvrage collectif, Dictionnaire de la Légion étrangère, à paraître dans les prochains mois dans la collection ‘Bouquins’, chez Robert Laffont) nous propose aujourd’hui une étude entièrement consacrée à cette bataille emblématique, fondatrice, mythique.

Les deux premiers chapitres (« La belle affaire du Mexique », pp. 15-31 ; « Vers l’aventure », pp. 33-64) remettent « l’affaire du convoi de Puebla » dans son contexte, le déploiement du Régiment étranger le long de l’indispensable axe de ravitaillement qui part de Vera Cruz, dans l’environnement malsain et désolé des Terres chaudes du Mexique. Le long convoi qui se met en route à la fin du mois d’avril est considéré comme celui « de la dernière chance » : il « va s’étirer sur près de cinq kilomètres » et son (insuffisante) escorte est précédée par « un détachement chargé de reconnaître la route », sous le commandement du capitaine Danjou, adjudant-major : « le colonel lui confie le commandement de la compagnie de service pour une mission de routine qui va changer le cours de l’histoire de la Légion ».

L’important chapitre 3 (pp. 65-130) décrit par le menu le détail du « Combat de Camaron », le 30 avril, de la première escarmouche vers 07h00 au repli vers l’hacienda, du début du siège à la mort du capitaine Danjou, après sa fameuse réponse à l’ultimatum mexicain : «  Nous avons des cartouches et nous ne nous rendrons pas ». Malgré leur résistance, les légionnaires sont soumis aux assauts de plus en plus rudes des Mexicains, renforcés par les fantassins du colonel Milan. En début d’après-midi, ils doivent se replier sous un hangar, blessés et assoiffés, également victimes de l’incendie allumé par les assaillants. Il ne reste plus à 17h00 qu’une poignée de légionnaires, dont « huit encore valides en état de sa battre ». A 18h00, « la 3e compagnie est réduite aux cinq hommes encore valides » : Maudet, Maine, Catteau, Constantin, Wensel. La dernière cartouche, la dernière charge à la baïonnette. Puis le silence et la célèbre réponse d’un officier mexicain à l’ultime demande des survivants : « On ne refuse rien à des hommes tels que vous ! ». Le bilan de la journée pourra être établi après que les blessés aient été relevés : la 3e compagnie a perdu 70% de son effectif.

André-Paul Comor s’intéresse ensuite au sort des prisonniers et blessés, restés aux mains des Mexicains, et donne des chiffres très précis (ou aussi précis que possible) sur la réalité des pertes dans les deux camps. Mais il rappelle aussi que l’exploit de Camerone tombe assez rapidement dans l’oubli et que d’autres combats outre-mer, en Afrique du Nord ou au Tonkin, auraient pu tout aussi bien marquer durablement la mémoire légionnaire. C’est en fait à la veille de la Première Guerre mondiale que « Camerone sort de l’oubli. Des officiers prennent peu à peu conscience du parti qu’ils peuvent tirer de cet épisode somme toute secondaire de la campagne du Mexique pour distinguer la Légion au sein de l’armée française. L’histoire cède la place à la mémoire, et bientôt au mythe à valeur universelle ».

Le dernier chapitre (« De l’histoire à la mémoire : le testament de Camerone », pp.131-147) est donc consacré par l’auteur à reconstituer les étapes successives de l’utilisation du nom de Camerone, de « l’invention », devenue un besoin lorsqu’il est nécessaire d’assurer la cohésion de la « jeune Légion » durant l’entre-deux-guerres, à « la ritualisation », après la Seconde guerre mondiale.

Utilement complété par des nombreuses références d’archives, une riche bibliographie, des annexes très précises, plusieurs cartes et un bon index, ce vrai livre d’histoire permet de faire un point tout à fait précis d’un fait d’armes devenu la quintessence des traditions légionnaires.

Tallandier, Paris, 2012, 190 pages. 18,50 euros. »

Vous pouvez par ailleurs retrouver l’entretien qu’André-Paul Comor a accordé à Remy Porte (http://guerres-et-conflits.over-blog.com/)

Réflexions sur la guerre motorisée

14 Nov

Durant l’intervalle fécond de l’entre-deux-guerres se produit une circulation des idées techniques et doctrinales entre la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Celle-ci peut être retracée de manière précise en passant au crible une abondante littérature. L’information militaire circule en effet essentiellement par l’écrit, même s’il ne faut pas négliger la transmission par des réseaux plus ou moins informels et transnationaux. La prégnance du passé, glorifié, nié ou réécrit, se fait sentir chez tous les anciens belligérants qui émergent péniblement de la Grande Guerre. La diabolisation de l’ennemi subsistant alors que les canons se sont tus fait partie des cicatrices durables laissées par chaque conflit intra-européen. En ce qui concerne la dynamique de modernisation des armées, parmi les armements inédits suscités par les impasses tactiques de ce conflit atteignant une échelle et une intensité industrielles, le char de combat, invention concomitante des Français et des Britanniques, occupe une place singulière dans le spectre des innovations militaires. L’itinéraire de ses promoteurs comme de ses détracteurs apporte un éclairage souvent original sur les conditions de la genèse d’une arme, l’intégration des enseignements de la guerre passée et la fabrique de la suivante. Avant l’embrasement de 1914, les leçons de la guerre de Sécession sont assez peu tirées sur le Vieux Continent, comme par la suite les enseignements de la guerre des Boers et de la guerre russo-japonaise. Tous les pays européens ne prêtent pas vraiment attention aux exemples d’enlisement dans une logique d’attrition. Les effets considérables des réseaux de fils de fer barbelés, employés de manière systématique pour aménager des positions lors des guerres balkaniques et dont le franchissement impose aux Bulgares en 1913 un coût exorbitant en vies humaines, sont largement négligés par les armées européennes. Il y a corrélativement sous-estimation du pouvoir de destruction et du caractère utilisable de la mitrailleuse, l’arme des conquêtes coloniales. Pour sortir de la guerre de tranchées qui s’installe sur le front ouest dès septembre 1914,  « les inventeurs cherchaient fiévreusement dans leurs images, dans les annales des guerres d’autrefois, les moyens de se défaire des fils de fer barbelés »,  se souvient le philosophe Paul Valéry, dans La Crise de l’esprit en 1919.

On se concentrera ici sur les premières années du char. Il apparaît initialement sur le champ de bataille un peu à la manière des éléphants d’Hannibal : engin massif, inédit, techniquement peu fiable, objet de scepticisme dans son propre camp. Il fonctionne surtout initialement comme arme de terreur face aux fantassins allemands. Sa capacité à franchir les réseaux de barbelés, fortification provisoire dotée d’un pouvoir meurtrier inattendu, et les nids de mitrailleuses constitue néanmoins l’un des facteurs qui permet aux Alliés d’emporter la décision. Leurs adversaires ne possèdent pas d’héritage dans le domaine des cuirassés terrestres, le haut-commandement ayant très tardivement encouragé la construction de ces engins. Seule une vingtaine d’A7V, fortins peu maniables, sont mis en service à partir de mars 1918. Les Beute-Panzerkampfwagen, de rustiques Mark IV ou V britanniques capturés puis retournés contre leurs concepteurs, rendent davantage service à l’armée du Reich. Il n’existe pas d’équivalent de l’expérience fondatrice française de la bataille de Berry-au-Bac du 16 avril 1917. Des chars, les Allemands retiennent le « Jour noir de l’Armée allemande devant Amiens », le 8 août 1918, attribuant leur défaite au brouillard qui tourne à l’avantage des Alliés et surtout à l’utilisation massive des tanks Mark V étoile par les Britanniques.

Ersnt Kabisch décrit, a posteriori, en 1933, « les Allemands disséminés à l’avant, dans la zone de couverture de nos positions, tout d’abord aplatis sur le sol pour échapper aux terribles effets de l’artillerie ennemie, et puis, l’instant d’après, abordés par des lignes massives de fantassins ou par les colosses d’acier des compagnies de chars qui, à 4 ou 5 mètres devant eux, sortaient brusquement de la muraille sombre qui les entourait.  Le 2 octobre de la même année, le représentant du Grand Quartier Impérial déclare à la tribune du Reichstag que la situation s’est modifiée actuellement de fond en comble et il n’y a plus de possibilité de vaincre l’ennemi par suite de l’apparition sur le champ de bataille d’un facteur décisif, les chars ».Ces engins monstrueux sont destinés à connaître des perfectionnements et des évolutions décisives en ce qui concerne les matériaux, les formes et les volumes, un arbre généalogique assez touffu se développant de l’immédiat après-guerre à l’orée de la conflagration suivante. Dans son roman dénonçant l’absurdité meurtrière de la guerre, paru pour la première fois en 1929, Erich Marie Remarque décrit ainsi leur apparition durant la dernière année du conflit : « Les tanks, qui étaient autrefois un objet de raillerie, sont devenus une arme terrible. Ils se déroulent en de longues lignes blindées et incarnent pour nous, plus qu’autre chose, l’horreur de la guerre. Ces canons qui déversent sur nous leurs feux roulants, nous ne les voyons pas ; les lignes offensives des adversaires sont composées d’êtres humains, comme nous ; mais ces tanks sont des machines, leurs chenilles sont infinies, comme la guerre : elles apportent la destruction, lorsque impassiblement elles descendent dans les entonnoirs et en ressortent sans s’arrêter, véritables flotte de cuirasses mugissantes et crachant la fumée, bêtes d’acier invulnérables écrasant les morts et les blessés… Devant elles, nous nous faisons aussi petits que nous pouvons dans notre peau trop mince ; en face de leur puissance colossale, nos bras sont des fétus et nos grenades des allumettes. Obus, vapeurs de gaz et flottilles de tanks : choses qui vous écrasent, vous dévorent et vous tuent. » (À l’Ouest rien de nouveau, Paris, Le Livre de Poche, 1991, 287 p., pp.275-276).

Il s’agit d’une réaction spontanée qui a dû être celle de nombre de soldats et d’officiers appartenant à la sphère germanique. Ils perçoivent d’abord une sorte de Juggernaut, au moyen duquel les Alliés s’apprêteraient à les écraser, traversant enfin leurs dispositifs de tranchées et de fortifications de campagne. Il s’agit également de minimiser les erreurs de leur propre commandement. Si la guerre des mines et celle des gaz sont des initiatives proprement allemandes, Français et Britanniques expérimentent, au prix de bien des difficultés, ce que l’on nomme initialement tanks et artillerie d’assaut. Les tentatives de compréhension des doctrines d’emploi propres à ce type d’engin sont ultérieures. Leur utilisation suppose des ajustements et provoque des interrogations quant au modèle de citoyen qu’une nation est idéalement censée secréter. Réponse apportée dans l’urgence afin de dépasser une situation inextricable résultant de la supériorité de la puissance de feu sur la mobilité, ils incitent par la suite praticiens et planificateurs à imaginer des variantes, à l’échelle européenne, dans le cadre constitué par l’espace, le temps et les forces. De manière générale, les états-majors préfèrent le considérer comme une arme supplémentaire, complémentaire de l’infanterie, compatible avec les habitudes tactiques éprouvées.

En ce qui concerne l’armée française, il est spécifié dès 1921 que « les chars de combat facilitent la progression de l’infanterie en brisant les obstacles passifs et les résistances actives opposés par l’ennemi et constituent une subdivision de l’arme de l’infanterie. » (Ministère de la guerre, État-major de l’armée, Instruction provisoire sur l’emploi tactique des grandes unités, Paris, Imprimerie nationale, 1921, 137 p., p.13 et p.25). Militar-Wochenblatt, l’hebdomadaire semi-officiel de l’armée de 100 000 hommes concédée à la jeune République allemande, se fait régulièrement l’écho des débats qui agitent les états-majors en France et en Grande-Bretagne. Même si les troupes surencadrées et surentraînées sont privées de matériel moderne par une clause spécifique du traité de Versailles, l’article 171, qui proscrit la possession, la production ainsi que l’import ou l’export de véhicules blindés, tanks et toutes constructions semblables susceptibles d’être utilisées pour faire la guerre, les développements à l’étranger sont suivis très attentivement. Les officiers d’outre-Rhin placent parfois un espoir supérieur en tel ou tel modèle de char ou d’automitrailleuse français que les hommes des unités dans lesquelles ils sont intégrés. Des Panzerattrappen, reproductions en matériaux léger des engins possédés par les autres forces européennes, représentent les blindés interdits lors des manœuvres, de façon à inclure la force mécanique dans l’organisation future de la Reichwehr.

Les armements nouveaux sont également pris en compte dans les exercices sur carte. Ces pratiques suscitent d’abord les railleries des Français, puis l’inquiétude s’immisce peu à peu. On se rend compte du dynamisme de cette petite armée, soutenue par des larges franges de la population et stimulée par l’aiguillon de la Revanche. La France, affichant son pacifisme, choisit cependant de placer sa confiance dans le système de fortification connu sous le nom de ligne Maginot. Le vainqueur de Verdun tend à s’assurer une suprématie en ce qui concerne la pensée militaire et dans le champ des représentations collectives, à défaut d’occuper physiquement le terrain de l’ennemi principal. La présence française, mal supportée, s’étend aux territoires rhénans de 1918 à 1930, à la Haute Silésie de 1920 à 1922, à la Ruhr de 1923 à 1924, régions auxquelles s’ajoute le mandat confié par la Société des Nations sur le territoire du Bassin de la Sarre de 1920 à 1935. Il s’agit essentiellement d’une prise de gage symbolique rassurant l’opinion. L’Allemagne n’est plus dans la perspective conquérante d’avant 1914, le rapport des forces politiques et militaires lui est nettement défavorable, même si elle possède par rapport à son voisin français une indéniable supériorité démographique.

Chez les anciens belligérants, le débat sur la modernisation de l’appareil militaire révèle et fait évoluer les lignes de fracture au sein des instances décisionnelles, politiques et techniques. Des fragilités et des réticences se manifestent dans les états-majors, chez les cavaliers en France par exemple. Certaines des structures antérieures sont également remises en question au sein même des sociétés des puissances anciennes. Tout mon travail doctoral consistera à dégager les continuités et les ruptures de cette période de paradoxale maturation, car ce n’est pas dans leurs heures de gloire et de supériorité technique que les armées réfléchissent le plus. La dynamique de l’innovation militaire dépend de facteurs complexes, ces mouvements de flux et de reflux dans la conception et concrétisation des idées novatrices se remarquant tout au long du XXe siècle et à l’orée du suivant. On réalise des tableaux comparatifs croisés à partir de la substance extraite de périodiques significatifs : la Revue de cavalerie, la Revue militaire française, La Revue d’infanterie ; Militär-Wochenblatt, Wissen und Wehr ; Army Quarterly, The Royal Tank Corps Journal, Journal of The Royal Unites Service Institution.

Cette approche chrono-thématique, s’inscrivant dans une démarche d’histoire militaire comparée, permet de dégager des perspectives inédites, se démarquant d’études plus linéaires. Il s’agit également de reconstituer un panorama de la genèse et de l’évolution des familles d’engins blindés en France, en Grande-Bretagne et marginalement en Allemagne en utilisant notamment les illustrations parues dans les publications de l’époque. Les armes anti-char, les obstacles, actifs ou passifs que l’on peut y opposer, se perfectionnent parallèlement. En effet, conformément au schéma dialectique du glaive et du bouclier, toute arme nouvelle se voit à plus ou moins long terme opposer une parade qui la prive au moins partiellement de sa supériorité exorbitante. On se propose de traiter de manière systématique les comptes rendus dans la presse par les observateurs des trois pays, assistant aux mêmes manœuvres mais n’en tirant pas forcément les mêmes interprétations et conclusions. En étudiant le processus de motorisation des armées, on s’efforce d’analyser les choses avec le regard d’un lecteur contemporain des faits qui se produisent, sans préjuger de ce que l’on sait de la suite du cours de l’Histoire. À travers l’exemple de l’intégration des chars de combat au tissu doctrinal préexistant en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne - seule nation à opter pour le regroupement des blindés en une arme autonome - on s’efforcera de discerner les racines historiques et géographiques communes des cultures militaires européennes.

 

Candice Menat

Doctorante en Histoire au CHERPA (Sciences Po Aix) sous la direction de Rémy Porte

La contribution de la Pologne au nouveau Concept stratégique de l’OTAN

9 Nov

Le nouveau concept stratégique de l’OTAN adopté le 19 novembre 2010 à Lisbonne fut commenté avec une grande satisfaction par les médias et les experts polonais de la défense. Les propositions formulées par la Pologne pendant la période d’élaboration étaient reprisesdans le nouveau concept. Membre de l’OTAN depuis 1999, la Pologne n’a pas participé aux travaux sur le Concept précédent, adopté en avril 1999. Cette fois, elle a pu exposer et défendre sa position particulière sur les rôles futurs de l’Alliance, les défis à relever et les réponses aux menaces. De nombreux facteurs expliquent la spécificité de l’approche polonaise dans le domaine de sécurité. Pour le pays frontalier de l’OTAN et de la Russie (la région de Kaliningrad), la perception des menaces (en particulier des menaces militaires) diffère de celle des pays de l’Ouest ou du Sud de l’Europe. La vision du rôle et des missions de l’Alliance en est une conséquence directe. La non-participation de la Pologne dans l’intervention de l’OTAN en Libye confirme, au moins partiellement, sa volonté d’un « retour aux sources », c’est-à-dire la défense collective.

La perception spécifique des menaces

Le sentiment d’une « inégalité de sécurité » entre les membres de l’Alliance perceptible en Pologne est traditionnellement imputé à l’histoire et la situation géopolitique. Toutefois, malgré l’amélioration incontestable de la sécurité du pays suite à l’élargissement de l’OTAN, les craintes d’être un membre du second ordre de l’Alliance furent exprimées déjà au moment de l’adhésion. Lors des négociations de « l’Acte fondateur l’OTAN –Russie » menées au printemps 1997, la Russie a obtenu trois concessions importantes de la part de l’Alliance. Il s’agissait de « trois non » concernant la non-installation des armes nucléaires, le non-stationnement de forces armées et la non-installation d’infrastructures militaires de l’Alliance sur les territoires des nouveaux membres de l’OTAN. Cette autolimitation facilita l’acceptation par la Russie de l’élargissement de 1999 mais en même temps limitait l’efficacité potentielle de l’Alliance en cas d’agression militaire d’un des nouveaux membres. Ainsi, du point de vue de la Pologne, cela accentua l’insuffisance des garanties résultant de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord.

Le conflit russo-géorgien d’août 2008 raviva les craintes et ouvrit le débat sur les « garanties dures » de l’OTAN et la crédibilité de la défense collective dans une alliance de plus en plus globale.[1] C’est précisément à ce moment que la décision de la professionnalisation de l’armée polonaise, maintes fois reportée, fut prise ainsi que la finalisation des négociations sur l’installation des éléments du bouclier anti-missiles, version Bush. Leur installation sur le territoire polonais devait pallier à la faiblesse de l’art. 5.

La crédibilité de l’OTAN dépend de sa capacité de dissuasion, y compris nucléaire. Du point de vue de la Pologne, elle ne peut être garantie que par la présence du parapluie des Etats-Unis en Europe. Les postulats de certains pays membres de l’OTAN concernant le retrait des armes nucléaires américaines affaibliraient sa capacité de dissuasion. Cela paraît d’autant plus inquiétant que la doctrine militaire russe n’exclut pas une attaque préventive nucléaire.

Parmi les principaux postulats de la Pologne pour le nouveau concept stratégique se trouvait la prise en compte plus importante de la dimension orientale de l’Alliance. Le renforcement de cette dimension contribuerait à la stabilisation du voisinage à l’Est, objectif que la Pologne cherche à atteindre notamment par le bais du Partenariat oriental dans le cadre de l’Union européenne.

Les postulats au nouveau Concept stratégique de l’OTAN

L’article 5

La Pologne (comme les Pays baltes et la République tchèque) souhaitait que le Nouveau concept réaffirme l’importance de l’article 5 du Traité de Washington en tant qu’engagement des pays signataires à la défense commune. Il s’agissait donc de confirmer que l’OTAN restait avant tout une alliance défensive afin de rééquilibrer ce rôle traditionnel par rapport au caractère global, de plus en plus expéditionnaire de l’OTAN du XXIème siècle.

De point de vue de la Pologne, la confirmation de la défense collective comme la responsabilité première de l’Alliance devait être accompagnée de « garanties visibles » de sécurité, en particulier pour les nouveaux membres. Il s’agissait d’inscrire dans le nouveau Concept stratégique des engagements concernant la planification de défense, des entraînements et des exercices communs. A moyen terme, la Pologne souhaitait le renforcement des infrastructures et de la présence de l’OTAN sur le territoire polonais.

La réforme des structures de l’OTAN prévoit la diminution de 11 à 6 du nombre des commandements. L’unique élément de la structure du commandement de l’Alliance installé en Pologne, le Centre d’Entraînement de Forces Interarmées (JFTC) à Bydgoszcz, restera. Dans la mesure, où le JFTC est chargé de l’entraînement multinational des forces au niveau tactique, il joue un rôle important dans l’entraînement de la Force de réaction de l’OTAN (la NRF). Cela rejoint un autre postulat polonais concernant la mise en place finale de la NRF. Jusqu’à 2012, la Pologne mettra à la disposition de la NRF 3000 soldats. Par ailleurs, il est inscrit dans la stratégie que la NRF interviendra pour préserver l’intégrité territoriale des pays membres. Cela était important pour la Pologne : le nouveau concept stratégique souligne la nécessité d’accroître les capacités de la NRF ainsi que des plans de défense en cas d’attaque. Le commandement de Brunssum (Pays Bas) - en cas de menace pourra mener une grande opération militaire en Europe centrale.

Parmi les « garanties visibles » dans domaine d’entraînement, la Pologne a organisé le séminaire au niveau stratégique « Allied Reach ». [2] Pendant trois jours (du 9 au 11 mai 2011), le commandement de l’OTAN en six groupes de travail étudia les problèmes liés à la situation actuelle et l’avenir de l’OTAN : cyberespace (en particulier, les menaces pour la sécurité internationale planifiées et réalisées sur la toile), système de réaction aux crises, principes de l’approche globale, partenariats au sein de l’Alliance, défense anti-missile, réforme de l’OTAN. Par ailleurs, les premières manœuvres avec la participation de la NRF auront lieu en Pologne en 2013.

Les plans de défense

Au cours du sommet de Lisbonne, les pays membres de l’OTAN ont adopté les plans de défense de la Pologne. Il s’agissait de la réactualisation des plans datant de 2001(élaborés après l’adhésion à l’Alliance en 1999), devenus dépassés à cause, entre autre, du retrait d’une partie des forces américaines de l’Europe. Les plans de défense ne sont pas rendus publics, mais quelques informations ont filtré dans la presse. La Pologne a également souhaité que l’Alliance élabore les plans de défense pour les Pays baltes. Effectivement, ces plans ont été préparés avant le sommet de Lisbonne et finalement adoptés lors de ce sommet. Le commandement de l’opération de défense de la Pologne et des Pays baltes serait assuré par le Commandement de Brunssum. En cas d’agression de la Pologne, l’OTAN utiliserait neuf divisions, dont quatre polonaises et cinq occidentales : britanniques, allemandes et américaines. Leur transport serait assuré par tous les moyens : terrestres, aériens, et maritimes. Les ports de débarquement furent désignés ainsi que les bâtiments de la marine de guerre qui défendront les côtes polonaises (navires britanniques et américains).[3] Par ailleurs, conformément aux demandes polonaises, la NRF serait également engagée dans la défense de la Pologne.

Les relations avec la Russie

Parmi les postulats polonais figurait l’élaboration de la position commune au sein de l’OTAN vis-à-vis de la Russie. De point de vue de la Pologne, de bonnes relations de l’OTAN avec la Russie (mais également avec l’Ukraine), sont primordiales, puisqu’elles contribuent à élargir l’espace de sécurité à l’Est. Mais en dépit du récent réchauffement des relations russo-polonaises, la méfiance est toujours présente. Les manœuvres militaires conjointes russo-biélorusses « Zapad 2009 » et « Ladoga 2009 » (août et septembre 2009) menées à proximité des frontières polonaises et baltes ainsi que la nouvelle doctrine militaire russe (février 2010) mentionnant l’OTAN comme un des principaux dangers militaires extérieurs ne contribuent pas à la dissiper. En particulier, certains observateurs polonais préconisent la prudence vis-à-vis des propositions russes concernant la nouvelle architecture de sécurité. La zone de sécurité, présentée par le président Medvedev à Munich, s’étendant de l’Amérique du Nord jusqu’à la Russie, marginaliserait l’Alliance atlantique.[4] Un tel scénario est considéré par les Polonais comme contraire aux intérêts de sécurité de la Pologne.

L’approche de la « double voie », souhaitée par la Pologne, consiste à développer la coopération OTAN-Russie tout en mettant  en place des garanties de sécurité supplémentaires pour les membres frontaliers de l’Alliance. Cette approche fut recommandée dans le rapport du groupe d’experts dont faisait partie A. D. Rotfeld.[5] Ainsi, la Pologne est pour la coopération et le dialogue OTAN- Russie dans les domaines d’intérêt commun, par exemple en Afghanistan. Cependant, cette coopération ne doit pas affecter la cohésion de l’Alliance ainsi que sa capacité à remplir toutes ses fonctions. Il s’agit notamment des capacités de dissuasion nucléaire. Le nouveau concept stratégique prévoit que toutes les réductions de capacités nucléaires à venir de l’Alliance doivent prendre en compte les capacités nucléaires russes. Cette approche, conforme à la position polonaise sur cette question, contribue à la mise en place de mécanismes de transparence et de réciprocité. D’après l’ancien ambassadeur de la Pologne auprès de l’OTAN, la coopération OTAN-Russie doit s’appuyer sur quatre principes : réciprocité, responsabilité, garanties supplémentaires pour les pays frontaliers de l’OTAN et résilience.[6]

La politique de la « porte ouverte »

Des relations constructives avec la Russie ne doivent pas donner le droit à cette dernière d’influencer les relations de l’OTAN avec d’autres pays d’Europe Orientale.[7] Traditionnellement, la Pologne s’est toujours prononcée en faveur de la poursuite de l’élargissement de l’Alliance atlantique à l’Est, c’est-à-dire de la politique de « la porte ouverte ». Cette position est constante depuis l’élargissement de 1999. Les Pays baltes, qui ne faisaient pas partie du premier groupe des pays de l’ancien bloc de l’Est ayant adhéré à l’OTAN, trouvèrent en la Pologne un avocat de leur cause au sein de l’Alliance. De même, depuis les révolutions de « couleurs » en Ukraine et en Géorgie, la Pologne a appuyé les aspirations de ces deux pays à adhérer à l’OTAN (et également à l’UE). Ce fut notamment le cas lors du sommet Köhln - Strasbourg en avril 2009, au cours duquel les candidatures au MAP (plan d’action pour l’adhésion) de l’Ukraine et de la Géorgie furent toutefois ajournées. Depuis, l’Ukraine, dont l’opinion publique n’a jamais été majoritairement favorable à l’adhésion à l’OTAN, a officiellement renoncé à cet objectif au profit d’une politique d’équilibre entre d’un côté la Russie et de l’autre l’OTAN. Malgré cela et conformément aux priorités polonaises, l’OTAN a maintenu le principe de la « porte ouverte » pour l’Ukraine.

 La situation de la Géorgie reste complexe après la guerre russo-géorgienne d’août 2008 et la proclamation de l’indépendance de deux Républiques sécessionnistes (Ossétie du Sud et Abkhazie). Toutefois, la Géorgie a intensifié ses démarches diplomatiques et a obtenu à Lisbonne son adhésion au Plan d’action pour l’adhésion (MAP). Une éventuelle adhésion permettrait de renforcer la position du pays et de remettre à l’ordre du jour les négociations sur le recouvrement des territoires sécessionnistes :[8] lors du sommet de Lisbonne, l’OTAN a réaffirmé le principe de l’intégrité territoriale de la Géorgie.

L’inscription de la politique de la « porte ouverte » dans le nouveau concept stratégique permet de prolonger l’action de la Pologne en vue du rapprochement des deux pays des structures euroatlantiques. Cette action est également menée par la Pologne dans le cadre du « Partenariat oriental » de l’Union européenne. D’une manière générale, l’adhésion de ses voisins orientaux aux valeurs et standards occidentaux est essentielle pour la Pologne puisqu’elle contribue à élargir l’espace de stabilité et de sécurité dans son voisinage immédiat.

Défense anti-missile

La Pologne s’est prononcée pour la construction d’un système commun de défense antiaérienne dans le cadre de l’OTAN. On pourrait y inclure, d’après la proposition polonaise, des éléments du système américain installés sur le territoire polonais. Il s’agit des systèmes SM-3 qui doivent être installés avant 2018, d’une batterie de missiles « Patriot » et d’une unité d’aviation américaine (les avions F-16 et les avions de transport C-130), faisant partie du bouclier anti-missile « version Obama ». Lors de sa visite à Varsovie, les 28-29 mai 2011, le président Obama a confirmé l’installation des éléments du bouclier sur le territoire polonais. De point de vue de la Pologne, il serait souhaitable que ces éléments soient intégrés dans le système de défense anti-missile de l’OTAN. La participation de la Pologne dans la version précédente du bouclier, élaborée par l’administration Bush, a suscité les critiques des alliés concernant le risque pour l’unité de l’Alliance de détériorer les relations avec la Russie. Le premier problème ne se pose pas dans le cas d’un système commun. La coopération proposée à la Russie par l’OTAN dans le domaine de défense anti-missile devrait permettre de lever l’opposition russe. Toutefois, la réunion des ministres de défense dans le cadre du COR (le 8 juin 2011) consacrée essentiellement à la coopération dans la construction du bouclier antimissile n’a pas permis de dépasser les divergences. La Russie pose des conditions à cette coopération, notamment un droit de regard sur le fonctionnement du bouclier et des garanties que ce dernier ne neutralise pas le potentiel nucléaire russe. En revanche, les positions russes concernant la mise en place d’une défense antimissile sectorielle (dans ce concept, la défense antimissile russe assurerait la défense de la partie orientale de l’OTAN) paraissent inacceptables pour les pays d’Europe centrale.

Afghanistan

L’élaboration de la stratégie de sortie de l’Afghanistan faisait partie des postulats. Après l’annonce lors de la campagne présidentielle de 2010 du retrait du contingent polonais en 2012, le président Komorowski a modifié sa position avant le sommet de Lisbonne. Après 2012, la mission de combat du contingent polonais changera de caractère pour se transformer en mission de formation. Les soldats polonais ne participeront plus aux combats, mais formeront l’armée et la police afghanes. D’après les propos du président polonais, l’Alliance doit accentuer ses efforts dans la recherche d’une solution politique au conflit afghan, afin de transmettre la responsabilité de la sécurité du pays aux Afghans.[9] A partir de la 10ème rotation, c’est-à-dire à l’automne 2011, débute le processus de réduction du contingent polonais engagé dans la FIAS. Il s’agit aussi bien des forces envoyées en Afghanistan que du renfort stratégique du contingent en Pologne. Début 2012, avec l’arrivée de la 11ème rotation, le caractère de la mission se transforme « en mission de formation et de stabilisation ».[10] Le gouvernement polonais a également annoncé le retrait définitif du contingent en 2014, en même temps que le retrait des autres forces de l’OTAN.[11]

La décision du gouvernement polonais de ne pas participer à l’intervention de l’OTAN en Libye confirme la vision polonaise de l’Alliance : la défense commune et les engagements résultant de l’article 5 doivent rester sa tâche principale. Par ailleurs, les Polonais majoritairement (à 82%) ont appuyé cette décision du gouvernement.[12] Ce résultat est conforme à la tendance déjà observée lors des sondages concernant l’opération en Afghanistan. La société polonaise est réticente quant aux interventions militaires. Un autre facteur expliquant ce non engagement dans la mission en Libye est également à mettre en rapport avec les capacités technique et humaine de l’armée polonaise, déjà engagées dans plusieurs missions.

Dorota Richard
Docteur en sciences politiques et relations internationales, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, intervenante dans le Master II.


[1] J. Onyszkiewicz « Czy NATO umrze za Gdansk » Polityka http://polityka.pl

[2] Le séminaire a réuni plus de deux cents représentants de l’OTAN, des Etats-majors des pays membres, des organisations internationales et des ONG.

[3] « Ewentualnie 9 dywizji » Gazeta Wyborcza 5/11/2010 http://wyborcza.pl

[4] « NATO nie znosi prozni » z Aleksandrem Kwasniewskim o poskich postulatach na lizbonski szczyt sojuszu Polska Zbrojna N°47 21/11/2010

[5] Rapport «Panstwa czlonkowskie NATO wobec nowej koncepcji strategicznej Sojuszu » PISM, mars 2010

[6] J.M. Nowak «Security Landscape from the Central European Point of View» Pulaski Policy Papers 17/05/2010 http://pulaski.pl

[7] «Prezydent Bronislaw Komorowski dla Gazety » Gazeta Wyborcza, 18/11/2010 http://wyborcza.pl

[8] «NATO po szczycie w Lizbonie – konsekwencje dla EuropySrodkowej i wschodniej» OSW 06/01/1011 http://osw.waw.pl

[9] « Prezydent Bronislaw Komorowski dla Gazety » Gazeta Wyborcza, 18/11/2010 http://wyborcza.pl

[10] « Mniej w Afganistanie » Polska Zbrojna N°25 19/06/2011

[11] « MON : wychodzimy z Afganistanu w 2014 roku » 23/06/2011 http://wyborcza.pl

[12] D’après les résultats du sondage du 25 mars 2011 réalisé par l’Institut Homo Homini pour la Radio Polonaise http://rzeczpospolita.pl

Pourquoi Vladimir Poutine limoge son ministre de la Défense

8 Nov
Anatoly Serdioukov, ministre de la Défense de la Fédération de Russie depuis février 2007, est limogé mardi 6 novembre par Vladimir Poutine. Empêtré depuis une semaine dans une affaire de corruption et de mœurs, l’auteur de la plus grande réforme militaire russe depuis la création de l’armée Rouge est remplacé par Sergueï Choïgou, alors gouverneur de la région de Moscou et ministre des situations d’urgence – et surtout non attendu pour ce poste.
Ce remplacement soudain à un échelon si élevé de l’administration fédérale est surprenant à différents niveaux. Il doit être envisagé dans le contexte plus général de la lutte anti-corruption, de la réforme militaire et du renforcement du pouvoir du président Poutine.
Les causes principales du renvoi de M. Serdioukov :
1)     Lutte anti-corruption :
La raison officielle de la mise à l’écart du ministre de la Défense est le détournement de plusieurs dizaines de millions d’euros par une société dépendant du ministère, « Oboronservis ». Cette dernière était censée débarrasser le ministère de tous les biens immobiliers superflus dont il a hérité de l’époque soviétique. M. Serdioukov, ayant fait fortune dans l’immobilier, paraissait alors correspondre au profil idéal.
La firme est pourtant rapidement accusée de ventes opaques à des acquéreurs amis, sans que le Kremlin ne réagisse. Mais depuis quelques mois, l’opposition anti-Poutine dénonce avec vigueur la corruption rampante qui afflige le pays.
Le scandale financier de la semaine dernière, qui ne concerne d’ailleurs même pas directement le ministre mais sa concubine, ne représente pas, aux yeux de plusieurs journalistes, d’acte particulièrement anormal. L’occasion est plus de réaffirmer l’ordre moral que cherche à incarner Vladimir Poutine et à faire de M. Serdioukov un exemple de la lutte anti-corruption. Le contexte des difficultés de la réforme militaire est également important à prendre en compte.
2)     Conduite de la réforme militaire :
S’il est l’auteur d’une réforme militaire majeure, Anatoly Serdioukov est également un homme extrêmement controversé au sein du ministère de la Défense. Son style de commandement a été qualifié de « bulldozer », le ministre n’acceptant aucun obstacle à ses objectifs, ce qui est par ailleurs la raison initiale de sa nomination à ce poste. Cette méthode autoritaire lui a toutefois attiré les foudres d’une grande partie des officiers généraux. De nombreux officiers et spécialistes ont volontairement démissionné, et les influents généraux à la retraite n’ont pas caché leur opposition.
Ce remplacement a donc également vocation à apaiser les esprits au ministère de la Défense et à éviter que ce dernier ne devienne trop anti-Poutine. Sergueï Choïgou présente certains avantages dans un tel contexte.
Les avantages de Sergueï Choïgou :
Général d’armée et jusque-là ministre des situations de crise, M. Choïgou connaît l’environnement militaire et paraît à même de gérer les conflits au sein du ministère.
Ayant successivement été, de 1991 à 2012, vice-président du Comité d’Etat pour la construction et l’architecture à Moscou, ministre pour la défense civile, les urgences et la lutte contre les catastrophes naturelles, et depuis avril 2012 gouverneur de la région de Moscou, Sergueï Choïgou n’a pas pris part aux conflits internes du ministère. Il a par ailleurs été reconnu pour son efficacité en terme de coopération.
Enfin, M. Choïgou est un membre de confiance de l’équipe de Vladimir Poutine. Siégeant au conseil suprême du parti au pouvoir « Russie unie », M. Choïgou fait partie du cercle le plus proche du président, les « Petertsy », originaires, comme lui, de Saint-Pétersbourg.
 
Maxime Pour,
Diplômé de Sciences Po Aix et tuteur du master II (2012-2013)

Les enseignements de l’intervention en Libye de 2011 sur la stratégie aérienne et sur la doctrine d’emploi des moyens aériens français

3 Nov

Au terme de l’intervention en Libye de 2011, il nous paraît possible de tirer des enseignements utiles pour l’avenir. Cet exercice s’avère d’autant plus souhaitable que cet engagement représente un véritable tournant dans l’emploi de la troisième dimension. Il convient de distinguer les préceptes à retenir selon qu’ils se trouvent être de portée générale, de ceux à appliquer dans l’éventualité de futurs conflits présentant des caractéristiques proches. Il nous faut aussi apprécier dans quelle mesure l’emploi des moyens aériens ont représenté un progrès. C’est pourquoi nous examinons successivement les forces et les faiblesses qui peuvent être relevées à l’issue de ce conflit au regard des campagnes aériennes passées et des théories admises de la guerre aérienne.

Le contexte particulier dans lequel survient la crise libyenne de 2011, ainsi que la Résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, exécutoire, inédite et restrictive, imposent une utilisation dominante de la puissance aérienne et conditionnent les modes d’action dans l’intervention de la coalition. Le conflit offre une fenêtre d’opportunité à la France. Pour notre pays existent alors de nombreux enjeux spécifiques à un moment où les États-Unis procèdent à une politique étrangère en retrait. Dans ces conditions, nous devons nous interroger sur les formes de coercition qu’il convient d’appliquer dans l’utilisation de la troisième dimension, dans une problématique qui nous paraît paradoxale. En effet, il s’agit ici de rendre compatible une combinaison qui allie, d’une part, le respect de contraintes indispensables au maintien de la légalité de l’intervention coalisée, et d’autre part l’obtention d’une efficacité militaire apte à atteindre les objectifs recherchés. Cette problématique constitue aussi bien un dilemme pour le commandement que pour les équipages, car en dernier ressort, ils s’imposent toujours de garantir l’efficacité d’un tir en évitant les dommages collatéraux. Il convient en conséquence de mettre en œuvre de manière adaptée une stratégie aérienne et de fixer le mode d’utilisation de chacun des moyens aériens à mobiliser.

En matière de stratégie, la campagne aérienne en Libye de 2011 s’appuie sur un mélange de principes anciens et nouveaux et n’apparaît pas véritablement novatrice. Nous relevons toutefois que, si la validité des théories de John Warden, de Robert Pape et de John Boyd ne sont aucunement remises en cause, leur application mérite absolument d’être actualisée. En effet, les principes de Warden consistent à obtenir la paralysie stratégique de l’adversaire en neutralisant son centre de gravité. Ce dernier est matérialisé par cinq cercles concentriques (direction, fonctions vitales, infrastructures, population, forces armées). Cette méthode paraît incompatible avec le mandat de l’ONU qui destine strictement l’action aérienne à la protection des populations, et non pas à cibler ou à exercer des pressions sur un système étatique. Cette campagne révèle que les cercles concentriques semblent aujourd’hui dépassés. Les opérations de 2011 s’apparentent plus à la notion d’approche globale matérialisée par le découpage systémique PEMSII (Politique, Economique, Militaire, Social, Infrastructure et Information), qui est beaucoup plus large. A l’inverse, Robert Pape, qui examine différentes options de mise en œuvre de la coercition, considère que la seule utilisation susceptible d’amener l’aviation au succès est d’attaquer uniquement les forces militaires de l’adversaire. En Libye, il semble que ce type de campagne est effectivement conduit. Cependant, après avoir subi de lourdes pertes, les troupes loyalistes s’adaptent à cette stratégie en recherchant l’imbrication, et en pratiquant le camouflage ou encore la dispersion. John Boyd, quant à lui, analyse les processus permettant de détruire une cible par un bombardement aérien. Il en déduit une « boucle OODA » (observation, orientation, décision et action). Ces quatre principes conservent toute leur actualité. Toutefois, lors de la campagne libyenne, leur mise en séquence n’est plus valable car l’observation et l’orientation s’accomplissent en permanence, tandis que la décision et l’action se gèrent à très court terme.

En revanche, nous observons une évolution notable dans la doctrine d’emploi des moyens aériens, notamment par la France. Les conditions particulières de l’intervention en Libye invitent, en effet, à pratiquer de nouvelles formes de coercition dans l’utilisation des forces aériennes. C’est pourquoi, la coalition opte pour une stratégie du déni selon un rythme gradué qui consacre une approche européenne de la guerre aérienne. Cette démarche est rendue possible par les progrès significatifs enregistrés dans les processus de ciblage qui tendent à plus de précision, ainsi que par l’emploi particulier de certains moyens aériens.

En termes de compétences, un certain nombre d’éléments écrits et pensés par les armées françaises, et pour lesquels elles s’entraînent, confirment ici leur validité. C’est notamment le cas de la complémentarité entre toutes les composantes, des raids aéromobiles de nuit, de la projection de puissance, du ciblage d’opportunité, du tir contre terre par les bâtiments de la Marine, ou encore de l’emploi des sous-marins-nucléaires d’attaque et des Atlantique 2 pour le renseignement. Des lacunes capacitaires importantes subsistent toutefois. Elles concernent principalement les drones, les avions-ravitailleurs et les capteurs ISR, mais également le volume des moyens en général (disponibilité des matériels, des équipages, de la maintenance). Nous pouvons ainsi considérer que la France se trouve dans l’incapacité de tenir seule ce type d’opération dans la durée. Cette constatation renforce l’idée du besoin de partager les moyens avec ceux de ses alliés, a fortiori en période de crise budgétaire. Or, à cet égard, les choix sont rendus difficiles, compte tenu des volontés politiques propres à chacun des différents pays européens. Ces divergences représentent un authentique enjeu, car l’Europe ne peut exister sur le plan stratégique qu’avec un instrument de puissance, principalement la force armée.

Concernant l’engagement des hélicoptères, nous relevons que pour la première fois dans l’histoire de l’ALAT, un groupe aéromobile à dominante destruction est projeté, à partir de la mer, pour remplir des missions de raids aéromobiles violents dans la profondeur, en l’absence de toute unité amie engagée sur la zone d’intervention. Le choix d’engager des hélicoptères de combat dotés de munitions de précision et de capteurs adaptés, évoluant de nuit et au plus près du sol, se traduit par un succès éclatant en Libye. En provoquant une forte attrition et en désorganisant les lignes ennemies, les raids ont produit des effets significatifs sur l’issue de la guerre. En effet, leur mode d’action complète parfaitement celui des avions.

Toutefois, cette guerre n’aurait pu être victorieuse sans des adaptations également significatives dans le commandement et dans l’utilisation des moyens aériens. En effet, d’un point de vue militaire, nous sommes confrontés ici à une double problématique : celle d’une opération multinationale et celle d’une intervention interarmées. A cet égard, en plus d’une évolution des structures de commandement, il nous est apparu primordial de nous questionner sur la pertinence d’une cohabitation de différentes chaînes de commandement avec celle de l’OTAN. En effet, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis conservent sur place des moyens propres qu’ils ne mettent pas à disposition de l’Alliance. Ces pays peuvent ainsi faire valoir leurs priorités politiques et accélérer le tempo des opérations.

Au-delà de ces éléments qui nous paraissent essentiels, nous avons pris le soin d’évaluer sur le terrain la coopération interarmées française. Nous nous sommes également efforcé de tirer des enseignements de portée plus générale, en identifiant des déficiences éventuelles, en appréciant le niveau d’intégration de la France à l’OTAN et en considérant les perspectives pour l’Europe de la défense. Ainsi, des lacunes capacitaires importantes subsistent. Elles concernent principalement les drones, les avions-ravitailleurs et les capteurs ISR, mais également le volume des moyens en général (disponibilité des matériels, des équipages, de la maintenance). Nous pouvons ainsi considérer que la France se trouve dans l’incapacité de tenir seule ce type d’opération très longtemps.

Cette constatation renforce l’idée du besoin de partager les moyens avec ceux de ses alliés européens, a fortiori en période de crise budgétaire. Or, à cet égard, les choix sont rendus difficiles, compte tenu des volontés politiques propres à chacun des différents pays. Les Européens ont eu des difficultés pour définir le commandement de l’opération. En outre, une division est apparue entre ceux qui acceptent de frapper au sol et ceux qui se contentent d’observer ou de défendre. Par ailleurs, cette intervention renforce a posteriori le bien fondé du retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Cependant, ainsi que nous l’avons analysé, ce retour demeure incomplet. Un travail doit notamment être accompli pour que des personnels français accèdent à des postes stratégiques dans les structures de l’Alliance. La France et la Grande-Bretagne confirment également leur leadership militaire en Europe.

Le bilan de cette intervention de plus faible intensité que d’autres conflits récents – en Irak, au Kosovo ou en Afghanistan – nous apparaît globalement positif. Cette campagne aérienne incarne en effet, à n’en pas douter, une réussite militaire. Les enseignements tirés devraient assurément participer à l’orientation de nos choix doctrinaux ainsi qu’à notre politique de défense, à l’effet d’éviter des erreurs prévisibles.

Raphy SZTERNBERG, diplômé du Master II d’Histoire militaire en 2012

D’après son mémoire de recherche sous la direction d’Eric Nicod

Études Géostratégiques

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Latin America Watch

Latin America Watch est un blog de veille et d’analyse de la situation des pays d’Amérique Latine.

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Diploweb.com, revue geopolitique, articles, cartes, relations internationales

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Foreign Affairs

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

CFR.org -

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Historicoblog (3)

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Lignes de défense

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Guerres-et-conflits

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

La voie de l'épée

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Suivre

Recevez les nouvelles publications par mail.

Rejoignez 173 autres abonnés