SOUS LE FEU

23 Mar

Michel GOYA, Sous le feu, La mort comme hypothèse de travail. Edition Tallandier, 2014, 266p.

 Sous le feu

Dans cet ouvrage, le colonel Michel Goya, entraine le lecteur au cœur de l’action, pour comprendre les mécanismes du combat. Il mène une analyse du comportement adopté par des Hommes au combat et distingue sur un axe représentant une loi de puissance, trois types de réaction sur les champs de bataille : certains se battent et sont acteurs du combat d’une manière comprenant différents degrés d’implication et d’héroïsme, tandis que d’autres sont pétrifiés par la peur et ne peuvent agir, incarnant une fonction de figurant. Cette approche théorique est illustrée par des récits historiques, attestant notamment qu’environ 20% des soldats effectuent 80% des actions décisives[1].

L’auteur nous délivre les impressions des premiers combats, le « dépucelage de l’horreur » selon les termes de Louis Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit, témoignant de la similitude de ces sentiments au travers des époques. La peur au départ très forte laisse place à un processus d’accoutumance, une phase très active s’en suit mais au bout d’une quarantaine de jours des troubles psychologiques se ressentent. Le champ de bataille, lieu dévasté et déformé, constitue « une zone de mort » recouverte par une voute sonore accentuant ainsi le sentiment de cloisonnement et nécessite de la part du soldat une fine analyse de chaque son afin d’en déterminer sa nature et son origine.

Dans cet environnement la mort, peut venir du ciel ou par « en bas », au moyen de mines ou plus récemment d’IDE[2], qui ont notamment été à l’origine de 40% des pertes en Irak. Ces moyens de destruction modernes accroissent le sentiment de fatalité et d’impuissance. Le combat depuis un char ou un navire de guerre n’en est pas moins éprouvant, le confinement dissociant les hommes de l’action se déroulant à l’extérieur.

L’auteur souligne que l’attente du combat, peut se révéler pour le soldat encore plus éprouvante que le combat lui-même, l’impossibilité d’action face à la gravité de la situation étant insoutenable. Le début de l’affrontement peut être perçu comme une libération, avant que le fonctionnement de l’esprit ne soit influencé par l’horreur. Au combat, l’esprit se focalise sur un seul objectif, incitant à baisser l’attention quant à la diversité des menaces environnantes. L’efficacité du commandement sur le champ de bataille est essentielle pour obtenir une obéissance du groupe au sein duquel une répartition des rôles se forme d’une façon implicite suivant les compétences de chacun. Un phénomène d’imitation, présent notamment lors des deux guerres mondiales et en Afghanistan, peut entrainer des emballements collectifs, ainsi au combat une « ivresse du feu » n’est pas nécessairement productive si les cibles ne sont pas clairement désignées et identifiées.

Au combat un soldat est amené à donner la mort dans un cadre légal, un acte froid ajoutant à la pression psychologique. Le colonel relève une différence entre les aviateurs, les artilleurs ou les marins tirant à distance et les soldats ayant davantage de contact avec leurs victimes, comme les tireurs d’élite ou les pilotes d’hélicoptère. Tuer peut cependant se révéler nécessaire pour protéger la vie de camarades, cet acte est alors mieux accepté, comme le souligne l’auteur au regard du témoignage du pilote de l’ALAT[3] Brice Erbland, ainsi la peur de mourir et la peur de tuer influencent autant les combattants.

La prise de décision dans une situation de combat revêt une importance particulière et la pression a un effet stimulant ou paralysant pour le responsable donnant des ordres. Il doit agir dans un cycle court de réflexion. Ensuite « la mission reçue, les valeurs morales, les objectifs personnels […] et le seuil de risque[4] » influencent les choix dans l’action, comme le montrent les décisions prises par le général de division de Saqui de Sannes lors d’une intervention en Somalie en 1992.

Après s’être concentré sur le déroulement du combat, cet écrit présente les moyens de sélection des combattants, notamment au regard de leur réaction face au stress et de leur résistance psychologique. La confiance que le soldat a en soi, en son commandement et en son matériel sont centrales et lui permettent d’agir. Le colonel Goya délivre dans cet ouvrage une approche anthropologique de l’organisation militaire en soulignant que la camaraderie au sein d’un petit groupe est garante d’efficacité et ce d’autant plus que les soldats ont des fonctions interdépendantes. L’esprit de corps permet à des hommes ne se connaissant pas avant de combattre efficacement ensemble.

Alors que remporter des victoires, même petites, accentue la volonté de vaincre, mener une guerre asymétrique rend les succès plus difficiles à percevoir. Il est donc important pour les soldats de savoir pourquoi ils combattent ; mais, comme le montre l’auteur, la source de motivation n’est pas forcément la notion de patrie mais le bien-fondé de la cause. Comme le rappelle l’auteur à l’appui d’exemples historiques, la puissance des armes dont disposent les soldats n’est pas forcément gage de leur réussite au regard des risques générés par leur utilisation.

La formation des soldats est abordée dans cet ouvrage, et nécessite l’apprentissage d’un fin dosage entre réflexe et réflexion. Des entrainements réalistes sont notamment plébiscités par les soldats, pouvant ainsi anticiper la rudesse des combats à venir. Mais si l’expérience tactique est positive au combat, elle peut cependant s’oublier rapidement.

Pour conclure, le colonel Goya souligne l’importance et la nécessité pour les soldats d’une reconnaissance de l’utilité de leurs actions et de leurs sacrifices par la société de l’Etat qu’ils défendent sans relâche.

 

Par Elisabeth Brue, étudiante du Master II  en 2013-2014.


[1] p. 33.

[2] Engin explosifs improvisés.

[3] Aviation Légère de l’Armée de Terre.

[4] p. 122.

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