BOOK REVIEW - INTERNATIONAL RELATIONS AND HUMANITARIAN CRISIS de Fabienne Le Houérou

9 Apr

L’ouvrage que vient de publier, en anglais, le Dr Le Houérou est d’une extrême densité. Il revêt un intérêt évident en ce qu’il synthétise et met en perspective les années de recherche et les diverses crises que l’auteure a étudiées en profondeur.

 

Issu de l’enseignement qu’elle délivre à Sciences Po Aix, ce livre est pour Fabienne Le Houérou l’occasion de condenser et de rendre accessible à tous les réflexions que lui inspire sa connaissance transversale des grandes crises humanitaires. C’est donc un travail de maturité qui est livré ici, le résultat d’une réflexion fine et d’un regard affûté qui permettent de saisir en à peine plus de 230 pages les lignes de partage et les logiques à l’œuvre dans une vie internationale d’une incroyable complexité.
La méthode employée est édifiante. Les sources classiques (ouvrages de référence, revues académiques, rapports d’organisations internationales et d’ONG, médias, etc.) sont ici convoquées et minutieusement exploitées, mais elles sont également mises en perspective avec des instruments plus originaux, comme des supports photographiques ou des enregistrements audio et vidéos réalisés par l’auteure au cours de ses nombreux terrains de recherche. La méthode historique et des outils plus novateurs sont donc ici combinés pour saisir la complexité des situations évoquées.
La question que l’auteure pose est à la fois simple et infiniment complexe : qu’est-ce qui sous-tend les interventions « humanitaires » au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire militaires et se revendiquant de la sécurité collective? Qu’y a-t-il d’humain dans l’humanitaire?
Pour répondre à ce questionnement, le Dr Le Houérou a choisi d’étudier huit des grandes crises de la deuxième moitié du XXe siècle, et la réaction de la communauté internationale dans chacun de ces cas. Cela permet de saisir le caractère résolument construit, et politiquement motivé, du concept d’humanitaire, mais aussi de comprendre les soubassements du rapprochement opéré entre l’humanitaire civil et le militaire depuis la fin de la guerre froide. Le concept même d’humanitaire est ainsi défini et critiqué pour son caractère à ce point polyvalent qu’il en oublie d’être signifiant.

L’ouvrage est donc divisé en dix chapitres dont chacun, hormis le premier et le dernier qui s’attachent à dresser un arrière-plan historique et théorique, traite d’une crise humanitaire majeure. Ces exemples, traités individuellement mais dans une logique d’ensemble, permettent de saisir les caractéristiques communes entre les grandes crises humanitaires qui ont agité la vie internationale pendant la période de guerre froide et après celle-ci. Chaque cas permet en effet de saisir les grandes évolutions du principe humanitaire.
Le premier chapitre étudie les fondements de la réponse humanitaire, et notamment la notion de « charité » dans toutes ses dimensions. Ce concept, hérité de la culture antique, est présent dans les grandes religions actuelles, sous des formes visant souvent, in fine, le clientélisme. Le cas de la charité en islam, ou sadaka, est particulièrement étudié ici, de même que celui de la charité dans le christianisme, le bouddhisme et l’hindouisme. L’action humanitaire serait donc un héritage sécularisé, passé par le prisme des Lumières et de la Révolution française, de cette notion de « charité » religieuse.
Le deuxième chapitre aborde la question de la crise tibétaine de 1959 et ses suites. Une histoire de la relation entre le Tibet et la Chine est rapidement dressée et les intérêts chinois au Tibet sont exposés. La question de la qualification du conflit, et notamment de la pertinence ou non du concept de génocide, est également posée. Dans ce cas précis, Fabienne Le Houérou préfère parler de « génocide culturel » ou encore d’ « ethnocide ».
Le troisième chapitre traite de la révolution en Ethiopie en 1985, préparée par des années de famine sous l’empereur Haile Selassie et par les agitations et privations des premières années de la dictature de Mengistu. Cela permet à l’auteure d’évoquer le rôle de l’économie dans la guerre, ainsi que les mutations dans la nature des crises et des réactions humanitaires opérées après ce qu’il s’est passé en Ethiopie.
Le quatrième chapitre ouvre la série des grandes crises de l’après-guerre froide, en abordant le fiasco somalien de la première moitié des années 1990. Après une description claire des lignes de fracture claniques et de l’émergence des seigneurs de la guerre, cette partie analyse les affrontements de l’immédiat après-guerre froide et les logiques géopolitiques à l’œuvre. Cela permet d’étudier la réaction internationale, notamment celle de l’ONU, et d’analyser les missions ONUSOM I et II et Restore Hope. La déroute de la diplomatie internationale est ainsi décrite et passée au crible, ce qui permet de comprendre les conditions de la descente aux enfers de la Somalie, devenue un failed state.
Le cinquième chapitre évoque la question des affrontements et des épurations ethniques en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1995. La très grande complexité de cette région, et notamment les soubassements ethniques des conflits, est ici rendue sous une forme très claire. Les réactions internationales aux diverses crises (Croatie, Serbie puis Kosovo) sont présentées et examinées, ce qui permet de percevoir les enjeux liés à cette très célèbre « poudrière ».
Le sixième chapitre étudie avec minutie et acuité le génocide rwandais, et notamment le poids de l’héritage colonial allemand puis belge dans la possibilité de mise en place de cet évènement. Les éléments de planification du génocide sont évoqués (médias à propagande raciste, établissement de listes, formation de milices). De même, cette partie présente les éléments-clés de la crise rwandaise, notamment la confusion fatale à l’époque entre le génocide et la guerre civile, le rôle de l’Eglise, l’utilisation du viol comme arme du génocide, la question du rôle de la France et des Etats-Unis, ou encore la (maigre) tentative de réaction internationale et les difficultés qu’elle a rencontrées.
Le septième chapitre s’attache à l’étude des deux guerres du Congo, qui ont (chrono)logiquement suivi les flux massifs de réfugiés rwandais hutu en direction du Zaïre voisin en 1994. Le soutien du nouveau régime rwandais, pour des raisons liées à la poursuite des anciens génocidaires, à la rébellion qui prit le pouvoir au en RDC en 1997 est ainsi étudié. La seconde guerre du Congo, qui succéda immédiatement à la première, est analysée à l’aune des jeux d’alliance régionaux qu’elle a mis en œuvre. L’impuissance de la diplomatie et des interventions internationales est soulignée, ainsi que le rôle des ressources dans la persistance des conflits dans la région.
Le huitième chapitre analyse la crise du Darfour et les conditions historiques et économiques de sa préparation, de même que les soubresauts qui ont agité le Soudan et sa région depuis l’indépendance. L’addition de politiques de l’identité violemment instrumentalisées depuis les années 1980 et d’une série de sécheresses dramatiques ont ainsi conduit à l’explosion de violence de 2003. Le terme de « génocide » est évoqué dans ce contexte particulier, mais l’auteure en critique une utilisation opportuniste et avance une étude du Darfour au prisme de la catégorie d’analyse d’ « ethnocide », prenant davantage en compte les données socio-économiques et climatiques.
Le neuvième chapitre aborde les guerres en Afghanistan depuis 1979. La guerre contre les Soviétiques de 1979 à 1991 est ainsi étudiée, puis l’organisation de la société afghane et du régime taliban des années 1990 est présentée. C’est enfin la plus large intervention militaire de l’après-guerre froide, celle de la coalition occidentale qui dure depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui est abordée. On comprend alors les dessous de ce que les commentateurs en sont venus à appeler le « bourbier afghan ».
Le dernier chapitre est l’occasion de mettre en lumière l’impact des crises sur les êtres humains qui les traversent, et pas seulement sur la géopolitique mondiale. La situation des personnes déplacées et réfugiées est ainsi évoquée, ainsi que celle des femmes victimes de violences sexuelles en temps de guerre.

Les influences d’une crise sur l’autre, les conséquences diplomatiques d’échec ou de succès dits humanitaires sont ainsi présentées et illustrées tout au long de l’ouvrage. La dimension politique de l’humanitaire est mise en exergue et les contradictions de la diplomatie occidentale sont soulignées. Mais c’est aussi le piège de l’incrimination de l’ONU qui est évité : les arcanes décisionnelles sont ici déconstruites, pas à pas, pour comprendre le (dys)fonctionnement du « machin ». Au fond, l’humanitaire n’a d’humaine que la racine latine de son étymologie. Il est bien davantage un instrument géopolitique entre les mains de realpoliticiens qu’un idéal porteur d’espoir et de progrès.
Le choix des crises traitées ici aurait pu être davantage justifié et expliqué, mais est d’une pertinence certaine dans l’approche holistique adoptée par l’auteure. En effet, le coeur de l’étude étant le rapport qu’entretiennent les relations internationales et l’humanitaire, les crises étudiées ont été choisies en fonction de leur pertinence dans l’histoire de l’élaboration ou du recul de la notion d’intervention humanitaire.
Le traitement qui est fait de la notion de « génocide », critiqué comme une catégorie qui revient à relativiser les autres types de crimes (ethnocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, etc.) et qui à ce titre devrait être abandonnée, me semble un débat intéressant à ouvrir. L’auteure a raison de noter qu’il y a une inégalité de traitement dans les crimes, basée sur cette distinction conceptuelle, alors que les populations concernées souffrent tout autant quel que soit le crime commis contre elle, génocide ou non. Il ne s’agit donc pas de subordonner la possibilité d’une réaction internationale à la qualification ou non d’une crise par le mot de « génocide ». Cela conduirait aux dérives qui ont pu être observées dans le cas du Darfour et qui le sont, dans une moindre mesure, dans le cas de la Centrafrique, pour laquelle certains observateurs ont très rapidement parlé de « quasi-génocide » afin de mobiliser des réactions diplomatiques, alors que la situation ne correspondait pas aux critères d’un génocide selon la Convention internationale de 1948. Il ne faut pas rendre le génocide à tel point paradigmatique qu’il minimiserait les autres crimes tout en se vidant lui-même de son sens à force d’être convoqué et dévoyé pour décrire des situations qui n’en relèvent pas.
Néanmoins, le principe même du génocide est intrinsèquement différent de celui des autres crimes, et cela doit être dit. Il ne s’agit pas seulement de la destruction de tout ou partie d’une population, il s’agit d’une volonté concertée de la faire disparaître, c’est-à-dire une adhésion idéologique, philosophique, à l’anéantissement d’un groupe ethnique, racial ou religieux. Cela suppose des relais très solides, essentiellement ceux d’un Etat, à même de planifier et d’organiser les massacres. Contrairement aux autres crimes, le génocide ne laisse pas de place à l’espoir, pas de place à l’humanité. Le groupe ciblé par le génocide est déshumanisé (les Tutsi étaient des inyenzi, des cancrelats pour les Hutu), et c’est cette négation de l’humanité qui est caractéristique du génocide.

Loin de porter un regard angélique sur les questions liées à l’aide humanitaire et au travail des grandes ONG et organisations internationales, le Dr Le Houérou expose ici non seulement les vertus mais aussi les travers d’un système qui en vient, parfois, à entretenir les fléaux contre lesquels il entend lutter. Ce livre amène ainsi à saisir à et à penser les logiques qui conduisent la communauté internationale à préférer guérir les conséquences plutôt que les causes des crises humanitaires.
Les grands enjeux de pouvoir et les manoeuvres diplomatiques sont ici dévoilés. L’auteure ne se soustraie à aucun des défis que lancent les théories des relations internationales actuelles, affrontant les concepts de neutralité, de souveraineté et d’ingérence, et abordant sans tabou les questions liées aux motivations d’intervention ou de non-intervention des grandes puissances du Conseil de sécurité. Elle brosse également en creux, au-travers des cas pratiques étudiés, le rôle des médias dans les grandes crises humanitaires et dans leur perception par l’opinion publique mondiale, ce que certain ont appelé le CNN effect.
Chercheuse rompue à l’exercice de la pluridisciplinarité réussie, c’est donc un ouvrage riche et complet que Fabienne Le Houérou livre ici. Il saura être utile non seulement aux étudiants en relations internationales, en leur permettant de mieux comprendre les enjeux liés aux crises humanitaires, mais aussi aux chercheurs travaillant sur l’une ou l’autre des grandes crises abordées, notamment du fait des perspectives qu’il ouvre sur les autres conflits, ou encore au grand public, qui y trouvera des clefs d’initiation précieuses et didactiques en matière de relations internationales.

 

Agathe Plauchut
Diplômée de Sciences Po Aix et du Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité.
Doctorante en histoire contemporaine (co-direction CHERPA-CNRS).

Une Réponse to “BOOK REVIEW - INTERNATIONAL RELATIONS AND HUMANITARIAN CRISIS de Fabienne Le Houérou”

  1. diambere 05/06/2014 à 1010 59 #

    A reblogué ceci sur diawaradiambere.

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