L’Union européenne s’entraîne à la gestion de crise MULTI LAYER 12

31 Déc

Du 01 au 26 octobre, l’Union européenne a conduit son septième exercice de gestion de crise: Multi Layer 12. Organisé par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), ML 12 a permis de tester les structures de gestion de crises qui participent à la Politique de Sécurité et de Défense Commune. L’objectif était d’évaluer le fonctionnement et l’interopérabilité de ces instances et des mécanismes de réponses aux crises. Les échelons de décision des niveaux politique, militaro-stratégique et opérationnel ont donc travaillé sur une planification commune. Le scénario prévoit la persistance d’une crise post-conflit entre deux Etats fictifs: Nusia et Recuria. Initialement, le processus décisionnel politico-militaire de prise en compte de la crise a eu lieu à Bruxelles. Il s’est traduit par l’élaboration successive d’un document cadre stratégique, d’un concept de gestion de crise, d’options militaires stratégiques et d’une directive initiale de planification. ML 12 fait ensuite intervenir un Operational Headquarter (OHQ) au niveau stratégique militaire, localisé à Potsdam (Allemagne) et armé par environ 200 militaires des Etats membres. Enfin la base de Brindisi (Italie) a accueilli un état-major opérationnel Force Headquarter (FHQ). Au bilan, ML12 aura concerné près de 500 personnes issues des structures du SEAE, de la Commission (DG Echo, ayant en charge les questions humanitaires et de protection civile), des délégations de l’UE, du Conseil, des Etats membres et même d’organisations internationales telles que l’ONU et le CICR. Le retour d’expérience de cet exercice est actuellement en cours d’élaboration et devrait aboutir au printemps 2013.

Entretien avec Jean-Alexis Tanchou, directeur de la société Opéra-Ergonomie, en charge de la division défense et sécurité.
Cette entreprise est spécialisée dans la spécification fonctionnelle de briques des systèmes C4ISR (Computerized Command, Control, Communications, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Jean-Alexis Tanchou apporte son expertise sur la partie analyse de l’information et celle de la fusion de données. Membre du STANAG 4586 traitant de l’interopérabilité au sein de l’OTAN, il en organise la session française en janvier 2012. Dans le cadre de ses activités, il participe à différentes campagnes embarquées aux côtés des opérationnels (Bab-El-Mandeb, Golfe Persique, Mer d’Arabie, Ormuz) ce qui lui permet de renforcer son expertise dans le domaine de la menace asymétrique, de la sûreté et de la défense maritime. Jean-Alexis Tanchou est auditeur de la 187e session régionale de l’IHEDN suivie avec Walter Bruyère-Ostells.

Q : La gestion des crises actuelles repose sur l’acquisition, le partage et la diffusion de l’information et du renseignement. Ce processus est-il maîtrisé par les structures européennes de gestion de crise?

R : L’exercice de gestion de crise de l’Union européenne Multi Layer 2012 a eu comme objectif de permettre à ses acteurs de tester les nouvelles procédures de l’UE pour la gestion de crises, et notamment la capacité des structures civiles et militaires à articuler leur action pour mettre en œuvre l’approche globale. Cette capacité passe avant toutes choses par l’harmonisation de la connaissance des facteurs de crise et de leurs conséquences. En ce sens, tous les acteurs impliqués dans la résolution d’une crise doivent dès le départ être en mesure de l’appréhender avec les mêmes clés de lecture, avec la même fiabilité. Cependant, et parce que le concept de gestion de crise globale engage une collaboration entre deux univers, entre deux cultures qui sont intrinsèquement opposées, il est vraisemblable que la répartition de ces clés de lecture se fasse au détriment de la pérennité de la qualité de l’information. Comprenons bien: nous sommes face à un mariage de raison entre civils et militaires. L’exercice ML 12 vient de faire la démonstration qu’un dialogue entre ces deux mondes est possible. Certes, les échanges ne sont pas aisés, certes la démonstration de la fluidité des communications n’est pas, au lendemain de l’exercice, un modèle d’excellence opérationnelle. Mais pourquoi pourrions-nous le critiquer? Le retour d’expérience qui sera issu de ML 12 devra permettre d’identifier les points à partir desquels nous devrons travailler pour faire de l’absence culturelle de dialogue le point de départ d’une analyse structurelle sous forme d’évaluation collective, afin de fournir très précisément des leviers de compréhension inhérents à l’interaction entre les différents «gestionnaires» d’une crise…globale. Le renseignement demeurera le socle de l’engagement que cela soit au niveau politico-stratégique, au niveau militaro-stratégique et bien entendu au niveau opératif.

Nous le comprenons tous car avec les fonctions de connaissance et d’anticipation, il est avant toutes choses un «outil» de structuration et de consolidation de la souveraineté nationale de chacun des 27 Etats membres de l’Union. Néanmoins, ce qui est identifié comme un point de passage indispensable pour les états-majors militaires, demeure plus mesuré pour les structures civiles intra-institutionnelles. Nous disposons dans les pays où nous sommes impliqués d’un contact avec la réalité à très forte valeur ajoutée, notamment au travers des représentants de l’Union européenne qui sont engagés physiquement auprès des populations. Partager une lecture privilégiée de ces connaissances au travers d’une coordination qui interdirait la suggestion d’une ligne de conduite opérationnelle serait d’autant plus efficace que cette connaissance des enjeux humains allie dès à présent qualification et mobilité. C’est pour cela que l’expertise de l’Union européenne, impliquée dans le soutien des populations, est reconnue et soutenue. L’excellence opérationnelle de la DG ECHO est en ce sens un exemple à suivre au travers de sa fine connaissance des principes humanitaires. Le challenge, extraordinairement innovant, sera non seulement de réussir la coordination mais aussi de sensibiliser les acteurs sur le terrain à l’idée que le renseignement est un outil qui participe à la stabilisation de situations qui se retrouveraient fragilisées par l’évolution de tendances que nous n’aurions pas su anticiper faute d’être en mesure d’en comprendre les changements. Acquérir et organiser l’information utile, enrichir et raccourcir le cycle décisionnel permettent d’anticiper et d’accélérer le rythme de la manœuvre et donc d’apporter aux populations des leviers de sécurisation. Sans doute faudra-t-il accompagner ces acteurs, porteurs d’expertises d’autant plus importantes qu’elles sont hétéroclites, vers l’ouverture d’un dialogue, ciblé et privilégié, avec les autorités militaires et cela très en amont des crises. Intégrer ces acteurs comme des leviers de performance de la fonction connaissance et anticipation peut être une source d’optimisation de la connaissance partagée de la situation. Faisons une proposition: pourquoi ne pas imaginer rassembler deux mondes qui ne semblent pas faits pour dialoguer au travers d’un projet visant à proposer un apprentissage de la culture du renseignement ? L’exploitation des données issues du terrain participe à la compréhension de l’évolution des tendances sociales et culturelles, les évolutions économiques et politiques mais aussi sécuritaires des pays dans lesquels sont inscrites les missions humanitaires. Le retour, collectif, d’expérience de l’exercice ML12 devrait nous permettre de nous projeter sur la faisabilité d’une action de formation globale, civilo-militaire dans ce domaine.

De fait, et nous venons de le voir, le processus de partage de l’information au sens civilo-militaire pourrait devenir, demain, un outil de pacification au service des populations. C’est donc, selon moi, le bon moment pour que ces deux univers se structurent autour d’un projet dont l’unique objectif serait de fournir à tous les acteurs de la gestion de crise globale une langue commune. Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte que les besoins sécuritaires sont de niveaux différents car le «besoin d’en connaître» n’est pas homogène. Ceci n’est pas de nature à décomplexer les échanges… De fait, les personnes que nous avons rencontrées reconnaissent unanimement la faiblesse du système actuel. Ceci trouve une explication dans un fonctionnement et un cloisonnement hérités d’avant le traité de Lisbonne. Il y a donc une superposition des systèmes, ce qui peut minimiser également le déploiement du retour d’expérience. La circulation physique des informations est elle-même alourdie par la dispersion de mêmes services au sein de différents bâtiments, l’institution ne proposant pas encore un système commun sécurisé de partage de l’information, on comprend mieux alors la complexité de l’exercice mais surtout, et c’est une réelle opportunité, le fabuleux challenge que représente notre capacité à réussir l’harmonisation du partage de l’information. L’objectif qui est devant nous, et qui est un objectif de rassemblement, nous permettra de tester notre volonté de communiquer au-delà de clivages partisans.

Q : TOPFAS (Tool for Operationnal Planning, Force Activation and Simulation) est un outil de planification de l’OTAN. Il suit un processus de planification et aide à la publication des documents de planification. TOPFAS a été utilisé au cours de l’exercice à l’Operational Headquarter (OHQ) de Potsdam. Ce logiciel a-t-il joué un rôle déterminant dans le cadre de cet exercice?

R : TOPFAS est un outil connu. L’Allemagne a fait le choix depuis l’OHQ de Potsdam de le tester dans un environnement européen. Les résultats heureux du test de TOPFAS à l’occasion de ML12 ont renforcé le constat que l’OHQ permanent de Potsdam est reconnu comme un instrument de performance dans le dispositif allemand. Mais ne nous trompons pas, nous sommes dans une phase de construction alors ne nous interdisons pas de considérer les outils à inventer, dès à présent, pour accompagner l’émergence d’une solution propriétaire qui sera européenne. Nous pourrions imaginer des évolutions et des adaptations spécifiques en utilisant TOPFAS mais dans ce cas nous demeurerons toujours inscrits dans une logique d’action globale et non pas dans la cohérence d’une approche globale. L’action globale est une vision tendant à développer une culture du «courttermisme» et qui ne saurait présager de résultats pérennes et adaptés à la recherche de solutions de qualité, qui elles, s’inscriraient dans le temps. Des solutions intrinsèquement liées à la culture collaborative des 27 Etats membres de l’Union Européenne. La recherche de la cohérence des buts nous oblige aujourd’hui même, à combiner les outils de dialogues. Comment pourrions-nous en ne nous inscrivant pas dans cette démarche éviter de nous enfermer dans une culture de l’acquis au risque de nous interdire d’explorer de nouvelles pistes? Analyser la performance des systèmes et analyser les effets participent à l’analyse des besoins. Hors aujourd’hui cette analyse est écartée car l’outil est déjà désigné. N’est-ce pas prématuré? Analyser et évaluer les critères de performances sont rarement des actions préjudiciables. En ce sens, nous n’avons pas le droit de considérer le logiciel TOPFAS comme le seul outil qui pourrait répondre à la recherche d’une solution globale, précisément parce que nous n’avons pas clôturé la phase exploratoire. Mais l’avons-nous commencée? Nous considérons aujourd’hui un outil qui nous a permis de dialoguer parce que nous nous sommes donné les moyens de son succès. Ce succès dirigé et accompagné nous permet-il de le faire rayonner au delà de l’exercice ML12? Nous isoler dans une lecture ramassée et figée de nos besoins est l’assurance d’augmenter et d’aggraver les facteurs de fragilité qui, irrémédiablement, impacteraient les outils de demain.

Il nous appartient donc au travers d’une démarche responsable de prouver que la performance recherchée passera par le développement d’un démonstrateur qui par ses résultats sera porteur d’une vraie valeur pour l’avenir. Ceci serait la garantie pour tous, de ne pas partir sur des socles existants et qui entrainent de mauvaises hypothèses. De quoi a-t-on besoin? Indéniablement il nous faut inventer un driver d’interopérabilité et de connexion. Réfléchissons à la construction d’un prototype qui permettrait de fournir la preuve du concept et qui se rapprocherait d’un outil de normalisation. Il nous appartient donc tout comme il appartient aux industriels Français de considérer ces opportunités et de guider la normalisation et la standardisation de demain sur l’ensemble des échanges.Customiser» TOPFAS serait au mieux de l’action globale et non de l’approche globale. Le processus que nous proposons ici n’est rien d’autre que l’acteur principal du mariage entre l’évaluation et l’amélioration de la cohérence des buts.

La gestion de crise globale et multidimensionnelle au sens de l’Union Européenne est très éloignée de la «coïncidence des objectifs» au sens de l’OTAN. Cette approche souligne le cheminement collectif vers un objectif partagé tout utilisant les outils des autres nations pour les piloter. La limite de l’exercice est plus rapidement identifiable que ne le sont les leviers de performance recherchés dans l’approche globale. Si l’on pense qu’il est nécessaire d’éviter la juxtaposition des systèmes, il nous faudra alors reconsidérer les principes de bases que sont notamment la formation, la dimension culturelle, la conduite et la planification des opérations complexes et enfin la logique de dimension fonctionnelle. Ne pas faire cela revient à fournir la garantie de l’émergence d’une erreur qui sera partagée. En effet, la recherche de solutions en ne considérant uniquement que l’ambition des systèmes ne pourra être que synonyme d’échec. Ne pas percevoir que l’évolution des tendances nous propose une formidable opportunité qui appellera dès demain le déploiement d’un standard, serait une erreur d’autant plus préjudiciable pour notre industrie de défense que les domaines concernés touchent autant à la fusion de données qu’à la sureté maritime.
Attention, changements profonds et durables devant nous…

Q : Pourriez-vous nous décrire votre perception générale des résultats de l’exercice ML12, en particulier dans les domaines de l’adaptation des procédés de gestion de l’information, des relations Bruxelles-OHQ-FHQ et des connaissances des procédures de gestion de crise par les acteurs de ML12?

R : L’exercice est contesté en interne car il est proposé dans un format inhabituel: durée jugée excessive, nombre d’acteurs jugé trop important. Cette contestation a des conséquences sur le niveau d’implication de chacune des structures intra-institutionnelles. La connaissance de la gestion de crise globale et du partage de l’information avec les délégations hors de l ‘ UE pourrait être améliorée. De plus, la différence de la surface financière des budgets civils et militaires freine le dynamisme de l’exercice. La résistance au changement et une différence de capacité d’engagement d’équivalent temps plein (personnel détaché en permanence sur l’exercice) semblent donc avoir été les deux freins, sources de défaillances, au démarrage de l’exercice. Le SEAE est une structure jeune et, dont la ressource humaine n’a pas encore totalement assimilé la culture « gestion de crise », ce qui peut expliquer le manque de connaissance des procédures. L’objectif principal de ML12 résidait dans l’opportunité de tester de nouvelles procédures pour la gestion de crises globales, il apparaît du fait du point évoqué ci-dessus que cet objectif était probablement trop ambitieux. Ceci permet de comprendre pourquoi les retours d’expériences issus des différents exercices ne sont pas mis en œuvre de façon collective mais de façon isolée. Soyons vigilants, nous sommes ici en présence d’un axe de réflexion qu’il nous faudra considérer avec soin si nous recherchons de la performance. N’ayons pas peur de poser une question qui apportera une réponse fédératrice. Dans cette affaire comme dans les précédentes, si le retour d’expérience n’est pas déployé et mesuré collectivement, quel est alors le sens des exercices collectifs?

Le principal problème est illustré par l’interaction entre la gestion de crise globale et la politique générale car c’est la fusion de ces deux volumes qui est source de dysfonctionnements. Ceci étant dit, il faut bien comprendre que l’intérêt des exercices est quand même assez souvent d’en mesurer les limites. Aussi, et nous le verrons dans les prochaines semaines, il est plutôt heureux que nous puissions identifier toutes ces pistes d’améliorations. Des pistes qui permettront demain à différents industriels de proposer des réponses technologiques adaptées à l’analyse intégrée. La critique est facile car
l’exercice est avant tout innovant. Mais c’est là son principal intérêt, il propose une lecture nouvelle de la résolution des crises en intégrant très profondément dans le dispositif des acteurs qui d’habitude ne se parlent pas. Si l’on entend que l’exercice a peut-être été trop ambitieux, on peut affirmer qu’il ne le fut pas assez à la lecture des nombreuses pistes qui se dégagent devant nous. Des pistes pour améliorer la collaboration entre civils et militaires à un moment où l’émergence de crises multidimensionnelles et l’expansion de conflits de type asymétrique, ne peuvent que nous inciter à montrer la plus grande vigilance quant à la réussite de l’association de toutes les compétences pour lutter durablement et efficacement contre ces menaces.

(D’après la lettre de la Lettre de la RMF UE-décembre 2012 LRMF 43 Décembre 2012 avec l’amicale autorisation de Jean-Alexis Tanchou)

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