LE RISQUE DJIHADISTE DANS LES BALKANS

Depuis les récentes pertes territoriales de l’État Islamique en Irak et en Syrie, le retour des djihadistes inquiète nombre d’États. Pour ceux qui ont formé les plus gros contingents d’étrangers, le risque majeur est une intensification des actions terroristes sur leur sol[1], qui peut être également l’objet d’une implantation territoriale car la différence majeure apportée par l’État Islamique par rapport à Al-Qaïda est que la territorialité, au travers de l’établissement d’un califat, est au centre de l’idéologie et de l’action djihadiste[2]. A ce propos, certaines zones sont soumises à une surveillance particulière comme l’Asie Centrale qui demeure un foyer important de djihadistes comme le montrent les dernières attaques sur le sol américain[3]. L’Asie du Sud-Est, à l’image des Philippines et de la Malaisie, constitue déjà un terrain d’action pour les terroristes islamistes[4]. Même si elle n’a pas connu d’actions d’une telle ampleur, une autre région du monde suscite la crainte et la méfiance des organisations internationales et des grandes puissances. En effet, les Balkans ont constitué dès 2015 une des principales zones de départ des combattants étrangers en Irak et en Syrie[5]. La France par exemple, au sein de la Revue Stratégique d’Octobre 2017, s’inquiète de la situation dans les Balkans. Deux paragraphes synthétiques, à défaut d’être précis, relient les difficultés des États balkaniques avec le risque du djihadisme :

            « Les Balkans représentent un enjeu majeur pour l’Europe et pour la sécurité de l’ensemble du continent. La région reste divisée par son histoire et par des trajectoires économiques très contrastées. Ainsi, cette zone souffre de faiblesses qui peuvent être utilisées à des fins de déstabilisation par des mouvements radicaux (notamment jihadistes), des groupes criminels ou des États tiers. Le retour de troubles dans les Balkans représenterait un lourd échec des efforts réalisés par l’UE et l’OTAN pour la stabilisation de cette région. Il aurait également un impact sérieux sur la sécurité intérieure des pays européens »[6].

            Mais de quelles faiblesses s’agit-il ? La succession de phrases dans ce résumé laisse à penser que le djihadisme pourrait progresser sur la base des contentieux nationalistes issus des conflits des années 1990 et sur la situation économique. Or, malgré la perpétuation de ces problématiques, aucun attentat majeur ni menace d’un califat dans les Balkans n’est pas apparue. Il convient donc d’être plus précis sur la nature du danger que peut représenter le djihadisme dans les Balkans, surtout s’il est question d’une éventuelle réimplantation territoriale ou d’une intensification des actions de nature terroriste. A l’heure où les retours au pays constituent une problématique internationale, nous allons voir dans cet article si les Balkans peuvent constituer à terme une zone d’actions à grande échelle de groupes terroristes ou une nouvelle implantation territoriale du djihadisme tel qu’il est aujourd’hui pratiqué par l’État Islamique. Pour répondre à cette interrogation, un état des lieux du djihadisme balkanique s’impose, afin d’analyser ses formes et sa nature. A cela, l’analyse des risques au vu de la situation respective de chaque pays peut être réalisée, afin de voir si une implantation territoriale djihadiste est à craindre pour les Balkans.

 

Un islam régional qui n’échappe pas aux dynamiques radicales

            Les chiffres du djihad international en Irak et en Syrie signalent une présence originaire des Balkans, région qui est décrite comme un des points de départs des principaux flux de combattants. Selon le rapport d’Octobre 2017 de l’organisation The Soufan Center intitulé « Beyond The Caliphate : Foreign Fighters and The Threat Of Returnees »[7], il y aurait eu jusqu’à aujourd’hui environ 845 combattants originaires des Balkans en Irak et en Syrie depuis la création de l’État Islamique[8], dont l’immense majorité (800) venant de quatre pays (Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine)[9]. Aucun Roumain, Croate, Monténégrin ou Slovène n’est répertorié dans cette analyse (le nombre de musulmans en Roumanie étant déjà de base assez faible par rapport au total de la population[10]), et seuls moins de 10 Bulgares ont été identifiés[11]. La Serbie, quant à elle, a vu 50 de ses ressortissants s’envoler vers l’Irak et la Syrie depuis 2013[12]. Pour les pays où les musulmans représentent une part importante de la population, les chiffres sont donc plus significatifs. L’Albanie compterait aux environs de 90 djihadistes passés vers le Levant, 140 pour la Macédoine, 248 pour la Bosnie-Herzégovine, et encore plus inquiétant encore le Kosovo avec 317 combattants[13]. Les flux djihadistes sont quasiment absents des Balkans Orientaux (Roumanie, Bulgarie), ainsi que des pays à majorité orthodoxe ou catholique. Une relation subsiste donc entre la présence de l’islam dans les Balkans et le djihadisme. Pour un œil averti, une telle affirmation ne pose pas de soucis tant toutes les formes d’islam à travers le monde sont traversées par des influences radicales pouvant mener des individus au djihad. Cependant, l’islam des Balkans a souvent joui d’une différenciation, en partie justifiée, mais qui aujourd’hui peut constituer un tropisme trompeur.

            En effet, au sein des élites intellectuelles françaises, les postures ont eu tendance à idéaliser l’islam des Balkans, notamment lors de la Guerre en Bosnie de 1992 à 1995. Un certain « fantasme occidental » pour reprendre le titre d’un article du Monde Diplomatique[14], règne autour de la perception française de l’islam dans les Balkans. Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin y rappellent que « les réalités de l’islam vécu et pratiqué dans les Balkans restent bien sûr plus complexes que le binôme réducteur opposant radicalité et modération, et cet islam restera toujours traversé par les contradictions et les tensions qui affectent l’ensemble du monde musulman, tout en étant riche de son histoire spécifique »[15]. L’image d’un islam des Balkans tolérant et ouvert, s’intégrant dans une société pluri-culturelle, est à relativiser. Des décennies de communisme ont désintégré les instances religieuses traditionnelles, porteuse d’un islam éloigné des influences wahhabites et salafistes[16]. Face à cette désagrégation, la fin de la Yougoslavie comme de la dictature communiste en Albanie ont ouvert la voie à des influences religieuses étrangères. Outre l’implantation de Moudjahidines en Bosnie-Herzégovine après 1995, de nombreuses mosquées à travers la région ont échappé aux autorités traditionnelles mais aussi au contrôle assez faible d’États parfois à la forme encore embryonnaire. Les financements venus du Golfe pour des mosquées, la formation d’imams à l’étranger (Égypte, Arabie Saoudite) ainsi que l’installation d’imams salafistes[17], sont des caractéristiques de ce phénomène qui a permis de créer des conditions favorables à la diffusion d’un islam radical, puis plus tard au recrutement de futurs djihadistes. A tel point que la radicalité religieuse est parfois considéré comme endogène à certaines sociétés, comme en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. En Bosnie-Herzégovine, 67 mosquées sont considérées comme des lieux de radicalisation notamment dans les zones rurales et montagneuses[18]. Le nombre de combattants djihadistes ne représenterait donc en conséquence qu’une petite partie de la population partisane de l’idéologie islamiste. Les pays qui ont connu la guerre récemment comme la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo sont donc les principaux pourvoyeurs de combattants, mais ce sont également des pays qui n’ont pas la réputation d’être parmi les plus stables, et qui de surcroît ont les institutions religieuses les moins aptes à contrôler les mosquées extrémistes. Si les chiffres semblent dérisoires comparés à ceux de la Russie, de la France ou de la Jordanie[19], ces données doivent être recontextualisées par rapport à la situation intérieure au vu de la perspective du retour des djihadistes. Par conséquent, l’instabilité, cause probable du départ de combattants, peut à présent se transformer en moteur pour un passage à l’acte sur le territoire de ces États.

 

Fragilité et perméabilité des pays de la région

            Le nombre de combattants venus des Balkans est à mettre en perspective avec le nombre d’habitants de chaque pays, mais aussi par rapport à la situation des États. En comparaison avec la Russie, la France ou la Jordanie, un contexte socio-économique fécond pour toute forme de dérive règne dans les Balkans occidentaux. L’idéologie islamiste peut prospérer compte tenu de la faiblesse structurelle des institutions islamiques locales, mais aussi à cause d’une situation fragile sur le plan économique et politique. En Bosnie-Herzégovine, 62,7% des jeunes sont au chômage[20]. Au total, plus de 800 000 personnes n’ont pas d’emploi dans ce pays, soit près d’un quart de la population[21]. Pour l’ensemble de la région, la crise financière de 2008 a été fortement ressentie. Or, le contexte socio-économique ne peut évoluer que si des conditions sine qua non de stabilité politique sont respectées. Nombre de pays de la région présentent encore de fortes difficultés à conduire des politiques efficaces, parfois même à maintenir une cohésion et une unité entre les différentes entités au sein de leurs frontières. La Macédoine, comprenant une forte minorité musulmane, a connu de nombreux mouvements sociaux ces dernières années, dont certains portant le sceau des nationalismes, en particulier avec la minorité albanaise[22]. En Bosnie-Herzégovine, le pays reste fracturé entre les différents cantons et les différentes nationalités, provoquant un manque d’harmonisation (entre autres) des politiques économiques et sécuritaires, ne pouvant alors permettre à l’État central de gérer les causes et les conséquences du djihadisme. Au Kosovo, pays le plus pauvre de la région, les soupçons de détournements des fonds européens et de corruption dans les sphères du pouvoir ne sont pas de nature à rassurer les observateurs internationaux[23]. La fragilité politique se conçoit aussi dans la relation avec l’Europe. Même si pour nombre de politiques locaux, l’adhésion au sein de l’Union Européenne reste un horizon indépassable et que d’anciens courants nationalistes se sont transformés en partis pro-européens (le cas le plus éloquent étant celui de la Serbie), à court terme, difficile d’envisager une nouvelle adhésion dans les Balkans. L’adhésion à l’OTAN de l’Albanie et du Monténégro venant démontrer au passage qu’une telle démarche ne s’accompagne plus d’une adhésion à l’Union Européenne comme ce fut le cas dans les années 2000. Le Brexit vient également complexifier la donne. Outre le fait que les institutions européennes soient focalisées sur ce sujet, la Grande-Bretagne est le pays qui possédait l’expertise la plus poussée sur les Balkans, et qui portait une attention toute particulière aux questions contemporaines balkaniques[24]. La distanciation du lien entre les pays des Balkans et l’Union Européenne brouille donc les perspectives politiques et économiques de la région. L’aide européenne demeure néanmoins essentielle pour la prospérité de ces États.

            Fragilité donc, mais aussi perméabilité. Nous avons évoqué le nombre de combattants partis. Mais combien sont revenus ? Si une certaine opacité règne autour des chiffres, apportant une nouvelle preuve de la difficulté de ces États à ne serait-ce qu’à évaluer la portée du phénomène, nous avons quelques données pour la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. La Bosnie-Herzégovine a 115 individus restant en Irak et en Syrie pour 46 retours, tandis que le Kosovo a 138 personnes restant pour 117 retours. La proportion de retours pour le Kosovo est inquiétante. Presque la moitié des combattants sont revenus et en l’absence de structure opérationnelle pour les prendre en charge, ceux qui sont toujours radicalisés ont pu redévelopper leur influence sur place[25]. En Bosnie-Herzégovine, les autorités ne semblent pas s’alourdir de procédures, puisqu’elles considèrent de facto ces individus comme dangereux[26]. Ce qui ne signifie en aucun cas qu’il existe une surveillance efficace. D’ailleurs, en 2016, Interpol avait déjà signalé deux individus aux autorités à ce sujet[27], preuve de la dépendance de la Bosnie-Herzégovine aux services de renseignements étrangers et internationaux. Au-delà de la présence numérique, l’aspect qualitatif de ces individus nourrit également l’inquiétude. La moyenne d’âge des combattants balkaniques est la plus élevée des principales régions pourvoyeuses de djihadistes.[28] Certains d’entre eux ont déjà combattu en Bosnie-Herzégovine au sein des Moudjahidines entre 1992 et 1995, et après Dayton, nombre d’entre eux ont pris racine et se sont vus attribuer la nationalité bosniaque[29]. Ces combattants se sont donc aguerris à la suite de plusieurs conflits, mais il est néanmoins difficile d’estimer leur importance numérique au sein des individus susceptibles de revenir parmi les données à notre disposition concernant la Bosnie-Herzégovine. Le tableau n’est pas cependant complètement noir, puisque les autorités religieuses tentent de reprendre le contrôle, avec tout de même des fortunes diverses. L’Albanie est la plus rassurante à ce sujet, où les autorités religieuses reprennent progressivement la main sur des mosquées radicales, en lien très étroit avec l’État qui, de son coté, a renforcé en 2014 l’arsenal juridique contre les départs au djihad[30]. D’autres pays ont cependant des roches plus poreuses. Toujours en Bosnie-Herzégovine, l’attentat de Zvornik en 2015[31], en Republika Srpska, a déjà démontré ô combien la séparation de chaque entité est dangereuse pour la sécurité du pays. Des cantons non-serbes, ainsi que les services de sécurité à Sarajevo, ont eu l’information quelques jours avant l’attentat de Zvornik qu’une menace planait sur cette ville. Les autorités de la Republika Srpska n’ont jamais été informées[32]. Autre illustration de cette perméabilité, la trajectoire du « Boucher des Balkans », le Kosovar Lavdrim Muhaxeri, s’autorisant une halte par la Macédoine lors d’un aller-retour depuis le Moyen-Orient selon les autorités italiennes à la fin de l’année 2016, sans être inquiété[33]. Il est mort en juin dernier, mais son passage dans les Balkans entre deux voyages au Levant rappelle toute l’impuissance des États face aux flux de circulation de combattants djihadistes, mais aussi son implantation locale et pluri-nationale, puisque son réseau était suspecté de vouloir commettre un attentat lors d’un match Albanie-Israël[34]. Ces individus revenant de conflit ont tout le loisir de rester dans un conditionnement au mieux radical et salafiste, au pire djihadiste, au sein des nombreuses mosquées hors de contrôle qui essaiment sur les territoires bosniaques, albanais et kosovars en particulier. Qu’ils se situent en amont ou en aval de la radicalisation et du passage à l’acte, un petit nombre d’individus ont une marge de manœuvre pour déstabiliser la région. D’autant plus que le soutien populaire ou structurel que peut obtenir l’islam radical sur place est très important dans des pays comme la Bosnie-Herzégovine ou le Kosovo.

 

Peut-on craindre un scénario irako-syrien ?

            Toute récupération des problèmes nationaux ou ethniques dans les discours de l’État Islamique peut faire basculer des populations locales (notamment en Albanie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine et Kosovo) d’une perspective nationale à une perspective religieuse. A ce sujet, les pays qui nourrissent le plus d’inquiétudes sont toujours la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo. La concurrence avec les populations serbes s’accompagne aussi d’un aspect confessionnel. Or, en cas d’attaque la situation peut rapidement déraper, comme le rappelle la Commission des Affaires Étrangères à propos de la Bosnie-Herzégovine : « En revanche, les conséquences d’une attaque qui viendrait toucher la Republika Srpska seraient dévastatrices sur la stabilité du pays »[35]. Les tensions ethniques et nationales sont toujours vives avec la Republika Srpska. D’ailleurs, celle-ci n’a pas hésité ces derniers mois à reconstituer ces propres troupes[36], principalement à des fins d’intimidation face aux autres formes de pouvoir dans le pays. Néanmoins, aucun de ces phénomènes ne s’est confondu pour le moment avec celui du djihadisme. Les confrontations nationales entre Croates, Musulmans[37] et Serbes de la Republika Srpska ne se sont pas intensifiées à cause du terrorisme, y compris après l’attentat de Zvornik en 2015 qui reste un cas isolé de passage à l’acte. Pour l’instant donc, il n’y a pas de mélange des problématiques, en particulier avec la question nationale. La propagande des djihadistes dans les Balkans vise des cibles générales et n’utilise pas pour le moment un discours reprenant les divisions de l’histoire. L’Albanais Ebu Belkisa, de son vrai nom Almir Daci, l’un des chefs principaux de l’État Islamique pour les Balkans, a appelé depuis le Moyen-Orient à commettre des attentats contre les Albanais qui ne rejoindraient pas l’organisation[38]. La menace djihadiste dans les Balkans est globale, vise musulmans comme non-musulmans. Les dernières attaques en Égypte qui ont fait plus de 300 morts, rappellent que les autres branches de l’islam sont visées, notamment le Soufisme[39], présent aussi traditionnellement en Albanie.

            Autre caractéristique du conflit au Moyen-Orient, le rôle des puissances étrangères. Qu’en est-il des Balkans, carrefour des cultures, historiquement zone d’affrontement des grandes puissances ? Tout d’abord, l’influence russe, souvent évoquée du fait de la solidarité slave, relève d’une part de fantasme[40]. Quand elle se montre réelle, le résultat obtenu n’est pas toujours positif pour la Russie, comme au Monténégro avec les conséquences désastreuses pour le pays d’un soutien russe au secteur de l’énergie[41]. De plus, le Southern Stream étant remplacé par le Turkish Stream, l’approvisionnement en gaz de l’Europe ne représente plus un moyen d’influence majeur dans la région. L’acteur le plus dépendant des Russes s’avère en vérité être la Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine. La relation avec Belgrade s’est quelque peu distendue, les Serbes relevant le double jeu des Russes sur la question de la souveraineté des États (les cas de l’Abkhazie, de l’Ossétie du Sud et du Donbass inspirent aux Serbes une certaine méfiance vis-à-vis de la position russe sur le Kosovo[42]). La Turquie est l’acteur extérieur qui a le plus renforcé son influence. Outre les relations culturelles et historiques, la Turquie est un pôle majeur, notamment auprès des étudiants venant des Balkans, et les minorités de tous les pays de la région s’y concentrent[43]. L’influence turque contemporaine ne se matérialise pas seulement auprès des populations musulmanes, mais également avec la Serbie[44]. La figure d’Erdogan connaît une forte popularité auprès des musulmans bosniaques notamment, mais le poids de la Turquie, avec les récentes évolutions constitutionnelles n’entraînent pas pour le moment de confrontations avec d’autres acteurs internationaux dans les Balkans. D’ailleurs, en cas de réchauffement de la tension entre Serbes et Bosniaques en Bosnie-Herzégovine, le rapprochement entre la Russie et la Turquie peut représenter un moyen de résolution au vu des influences respectives. En 1995 déjà, la délégation américaine conduite par Richard Holbrooke avait pris soin d’activer ces leviers d’influence pour peser sur la situation en Bosnie-Herzégovine[45]. Ce rappel historique nous permet de faire la transition vers l’acteur international principal de la région qu’est l’OTAN, et par voie de conséquence, des États-Unis. Disposant d’une base au Kosovo, l’Alliance Atlantique reste physiquement et politiquement présente. Si un scénario catastrophe embrase les pays les plus sensibles (Bosnie-Herzégovine, Kosovo), l’établissement de l’Alliance dans les Balkans peut permettre de contenir une propagation des conflictualités. Pour l’instant, l’OTAN reste donc le seul acteur international doué de capacités coercitives dans la région.

            L’espace balkanique est un espace de concurrence entre des influences étrangères. Cependant, en aucun cas ; elles ne sont de la même intensité qu’au Moyen-Orient. De plus, les enjeux économiques et énergétiques sont faibles, et réduits depuis la modification du tracé des gazoducs. Les influences en jeu dans les Balkans sont plus de l’ordre du Soft Power. Hormis pour un acteur comme la Republika Srpska, la perspective à moyen terme, y compris pour les pays sensibles, reste l’adhésion à l’UE ou à l’OTAN.

 

Le djihadisme dans les Balkans : un problème à part entière qui nécessite une grande vigilance

            Les risques de terrorisme dans les Balkans sont réels et non négligeables. Les constats sont inégaux, et quatre pays sont sérieusement exposés. En Albanie, en Macédoine, mais surtout en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, des conditions sont réunies pour une implantation territoriale du djihadisme au vu de l’importance de ses réseaux et de la faiblesse des structures étatiques et religieuses. Néanmoins, la propagande des combattants balkaniques de l’État Islamique ne fait pas état d’une telle perspective pour le moment.

            Le bilan individuel de chaque État, y compris pour les moins menacés, n’est guère rassurant. Pourtant, le changement d’échelle permet d’évacuer certaines craintes. Les Balkans n’apparaissent pas dans les rapports officiels comme l’une des premières hypothèses pour une prochaine émergence d’un islam radical et djihadiste territorial. Ceci est justifié, car les problématiques de la région à propos des nationalités notamment, ne sont pas couplées aux éléments du djihadisme local. Une évolution dans ce sens cependant représenterait une élévation de la menace d’un conflit, notamment en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo. Surtout, les influences et les enjeux internationaux ne sont pas aussi importants qu’au Moyen-Orient. Les oppositions entre grandes puissances, régionales ou internationales, se situent majoritairement dans la catégorie du Soft Power, la maîtrise du Hard Power revenant à l’OTAN, qui reste l’acteur décisif pour la sécurité de la région.

            Cependant, la stabilité des Balkans ne sera assurée que par un traitement sérieux des causes qui nourrissent aussi bien le djihadisme que la corruption ou encore l’émigration. L’amélioration des perspectives politiques et économiques de ces pays reste l’élément principal de l’avenir des Balkans. Ce rôle-là, il échoit à l’Union Européenne, qui à défaut d’être une puissance militaire et diplomatique, reste une puissance économique et politique. Malgré les désillusions, les controverses et les doutes, elle est encore aux yeux de tous ces pays la seule perspective valable pour le futur.

                                Maxime Jorand, Étudiant du Master 2 en 2017-2018

[1]    The Soufan Center, « Beyond The Caliphate : The Threat Of Returnees ». Sous la direction de Richard BARRETT, The Soufan Center, The Global Strategy Network, New York, 31 octobre 2017, p. 5.

[2]    Idem.

[3]    http://www.rtl.fr/actu/international/attentat-a-new-york-comment-l-ouzbekistan-est-devenu-un-foyer-de-jihadistes-7790766168

[4]    http://www.lefigaro.fr/international/2017/05/26/01003-20170526ARTFIG00239-daech-veut-creer-un-califat-aux-philippines.php

[5]    The Soufan Center, « Foreign Fighters, An Updated Assessment Of The Flow of Foreign Fighters into Syria and Iraq ». The Soufan Center, New York, Décembre 2015, p. 5, pp. 17-18

[6]    Revue Stratégique de Défense et de Sécurité Nationale 2017. Ministère des Armées, sous la direction d’Arnaud DANJEAN. p. 25

[7]    The Soufan Center, « Beyond The Caliphate : The Threat Of Returnees ». Ibid., p. 11

[8]    Ibid., pp. 12-13

[9]                 Idem.

[10]  https://www.courrierdesbalkans.fr/la-roumanie-musulmane-le-tableau-complet-de-l-islam-pres-de-chez-nous. Moins de 100 000 musulmans vivent en Roumanie, étrangers compris (variations des chiffres selon les sources, 70 000 selon cet article).

[11]           The Soufan Center, « Beyond The Caliphate : The Threat Of Returnees ». Ibid., pp. 12-13

[12]  Idem.

[13]  Il faut également rappeler que ces chiffres ne prennent pas en compte les combattants partis pour d’autres organisations comme Al-Qaida ou Al-Nosra, l’implantation territoriale ne faisant pas partie de leur idéologie.

[14]  « Dans les Balkans, le plus vieil islam d’Europe : Fantasmes Occidentaux », Jean-Arnault DERENS, Laurent GESLIN, Le Monde Diplomatique, septembre 2016, p. 13

[15]  Idem.

[16]  « Dans les Balkans, le plus vieil islam d’Europe », Jean-Arnault DERENS, Laurent GESLIN, Le Monde Diplomatique, septembre 2016, p. 1, p. 12-13

[17]  Nathalie CLAYER, « Les musulmans des Balkans. Ou l’islam de « l’autre Europe » », Le Courrier des pays de l’Est, 2004/5 (n° 1045), pp. 21-23

[18]  Balkan Investigative Reporting Network, « Balkan Jihadists : The Radicalisation and The Recruitment of Fighters in Syria and Iraq ». BIRN, BIRN’s Strengthening Media Reporting and Public Understanding of Extremism in the Western Balkans project, Balkan Insight, Grande-Bretagne, 2016, p. 13

[19]  The Soufan Center, « Beyond The Caliphate : The Threat Of Returnees ». Ibid., p. 10.

[20]  Assemblée Nationale, « Rapport d’Information déposé par la Commission des Affaires Etrangères sur les Balkans ».   Rapporté par Pierre-Yves LE BORGN’ et Jean-Claude MIGNON, 22 février 2017, n°4450, p. 51

[21]  Balkan Investigative Reporting Network, « Balkan Jihadists : The Radicalisation and The Recruitment of Fighters

      in Syria and Iraq », Ibid., p. 14

[22]  Ibid., pp. 25-31

[23]  Assemblée Nationale, « Rapport d’Information déposé par la Commission des Affaires Etrangères sur les Balkans ».   Ibid., p. 57

[24]  Ibid., p. 66

[25]  The Soufan Center, « Beyond The Caliphate : The Threat Of Returnees ». Ibid., p. 12

[26]  Balkan Investigative Reporting Network, « Balkan Jihadists : The Radicalisation and The Recruitment of Fighters in Syria and Iraq », Ibid., p. 12

[27]  Ibid., p. 11

[28]  http://www.iris-france.org/69948-developpement-de-lislam-radical-dans-les-balkans-quelle-realite/

[29]  « Dans les Balkans, le plus vieil islam d’Europe », Jean-Arnault DERENS, Laurent GESLIN, Le Monde Diplomatique, septembre 2016, p. 12-13

[30]  Balkan Investigative Reporting Network, « Balkan Jihadists : The Radicalisation and The Recruitment of Fighters in Syria and Iraq », Ibid., pp. 8-9

[31]  https://www.courrierinternational.com/une/republika-srpska-une-attaque-terroriste-abjecte-qui-vise-letat-de-bosnie-herzegovine

[32]  Ibid., p. 12

[33]  http://www.opex360.com/2017/06/15/le-chef-de-lei-pour-les-balkans-aurait-ete-tue/

[34]  https://www.i24news.tv/fr/actu/international/147897-170614-attentat-dejoue-avant-un-match-albanie-israel-quatre-inculpations-au-kosovo

[35] Assemblée Nationale, « Rapport d’Information déposé par la Commission des Affaires Etrangères sur les Balkans ».  Ibid., p. 102

[36]  Ibid., p. 88

[37]  http://www.opex360.com/2017/06/15/le-chef-de-lei-pour-les-balkans-aurait-ete-tue/

[38]  Balkan Investigative Reporting Network, « Balkan Jihadists : The Radicalisation and The Recruitment of Fighters in Syria and Iraq », p. 9

[39]  https://www.i24news.tv/fr/actu/international/147897-170614-attentat-dejoue-avant-un-match-albanie-israel-quatre-inculpations-au-kosovo

[40]  Nous utilisons ici la majuscule en référence à la catégorisation titiste

[41]  http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/24/attaque-meurtriere-contre-une-mosquee-du-nord-sinai_5219889_3212.html

[42]  Assemblée Nationale, « Rapport d’Information déposé par la Commission des Affaires Etrangères sur les Balkans ».  Ibid., p. 102

[43]  Ibid., p. 97

[44]  Idem.

[45]  Richard HOLBROOKE, To End A War, New York, Random House Publishing Group, 1998, p. 129 (Turquie) et pp. 143-144 (Russie)

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