Archive | octobre, 2014

Les sociétés militaires privées : de l’intérêt de la qualification

16 Oct

Dès lors qu’on évoque les sociétés militaires privées (SMP), une des premières questions qui se pose est celle de leur qualification. C’est une question fondamentale et il est impossible de trouver de la littérature sur le sujet qui ne prenne position. Beaucoup qualifient abusivement les SMP de mercenaires ; certains éludent la question en affirmant qu’elles opèrent dans un vide juridique ; d’autres, plus au fait de la science juridique, perçoivent leurs employés – quand ces sociétés sont employées par des États – comme des civils suivant les forces armées, voire dans certaines situations comme des membres des forces armées irrégulières.
La question de la qualification est intéressante pour le juriste en raison de la complexité de l’exercice. Les SMP désignent en effet un panel de sociétés et de fonctions très diverses. Si les SMP sont souvent associées dans l’imaginaire collectif à des mercenaires, elles offrent un panel de services bien plus large que les seules fonctions de combats qui ne représentent finalement que la portion congrue des activités des SMP. Il est vrai que le domaine d’intervention des SMP est très étendu puisqu’il couvre pour l’essentiel des missions de soutien, d’appui et de logistique. Ce que Peter W. Singer nomme « les firmes militaires de soutien » par opposition aux firmes militaires prestataires qui sont employées pour des activités plus militaires dans son sens belliciste et qui peuvent les amener à conduire ou participer aux hostilités ; et aux firmes militaires de consultation, composées de conseillers en matière de défense et de sécurité ainsi que d’instructeurs1. À tire d’exemple il est possible de regarder la situation en Irak en mars 2011 : le « base support » autrement dit l’entretien des bases, la gestion de la restauration et de l’habillement représentait 61% du total des agents des SMP, quand la sécurité ne représentait que 18% des effectifs2. Mais derrière cet aspect purement juridique – presque technique – de la qualification stricto sensu, une autre question se pose, celle des enjeux de cette qualification.
Au-delà des SMP, de manière générale, la qualification juridique va entrainer des conséquences importantes, notamment dans la détermination de statuts et de régimes applicables. En l’espèce, la qualification juridique d’une SMP ou de ses employés permettra


de définir leurs droits, leurs obligations et leurs responsabilités, ainsi que ceux qui incombent à l’État qui les emploie ou duquel elles ont la nationalité.
La question de la qualification ne se limite pas à une seule discipline juridique ; elle concerne un ensemble de de branches du droit qui peuvent connaitre des mêmes qualifications ou au contraire diverger. La qualification juridique se fait dans chaque discipline en fonction des définitions et des éléments propres à celle-ci. Néanmoins, ces différentes matières ne doivent pas être perçues comme cloisonnées entre elles car la qualification dans l’une d’elle peut influencer les autres. On le constate à travers les définitions utilisées dans ces différentes matières. Ainsi la Convention de New York de 1989 contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires3, comme la Convention de l’Organisation de l’Union Africaine de 1977 sur l’élimination du mercenariat en Afrique4 reprend – exception faite d’un alinéa sur la participation directe aux hostilités – la définition du mercenaire en droit humanitaire5. Par ailleurs l’étude de jurisprudences de Cours statuant dans des domaines différents permet également d’observer cette influence. A titre d’exemple la Cour internationale de Justice, statuant sur l’affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, vise les conclusions «hautement convaincantes » du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie6.
La qualification retenue en droit humanitaire par exemple ne va pas se limiter à cette discipline et pourra s’étendre au droit pénal ou au droit de la responsabilité. Mais il est important de garder à l’esprit que si une branche du droit peut influencer une autre, elles restent distinctes et sont parfois hermétiques, proposant leur propre définition. Prenons la définition du mercenaire : cette dernière est très restrictive en droit humanitaire puisqu’elle énonce six critères cumulatifs dont certains, comme le fait de prendre part aux hostilités « en vue d’obtenir un avantage personnel », sont pour le moins subjectif. Le professeur Éric David, spécialiste du droit humanitaire et de la question du mercenariat et du volontariat international, écrit d’ailleurs à propos de ces critères que « les conditions requises pour qu’un combattant apparaisse comme mercenaire sont tellement restrictives qu’il faudrait être


suicidaire pour réussir à les remplir »7 ; cette volonté de réduire au minimum la définition s’explique par la ratio legis du droit humanitaire. Ce dernier a en effet pour vocation de régir les conflits armés et d’offrir une protection juridique aux acteurs de ces conflits. Or, les mercenaires représentent la seule catégorie juridique à être privée de protection en droit humanitaire. Afin que la qualification de mercenaire ne puisse être entendue trop largement – ce qui aurait pu exclure un nombre important de personnes de la protection du droit humanitaire – sa définition a été voulue la plus limitée possible. En revanche en droit pénal, le droit n’a pas cette vocation humaniste ; il n’a pas pour but de préserver les personnes des souffrances inutiles de la guerre mais pour réprimer une activité considérée comme répréhensible. Sa définition a donc pour objectif de comprendre l’ensemble des activités qui doivent être sanctionnées. Si la Convention des Nation unies de 1989 et celle de l’OUA de 1977 ont repris la définition du premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève de 1949, elles l’ont également étendue à des activités plus larges que des activités armées. La Convention de l’OUA inclut les activités de financement dans la définition du mercenariat, et ces deux conventions ont étendu la définition à des situations qui se situent hors du champ de compétence ratione materiae du droit humanitaire car en dehors d’un conflit armé comme « les actes de violences concertés visant à renverser un gouvernement ».
De même, malgré des renvois réciproques entre la CIJ et le TPIY, on note des divergences d’interprétation dans leurs jurisprudences. La plus connue de ces oppositions est sans doute celle portant sur la qualification de conflit armé international de la guerre de Bosnie. En partant des mêmes faits et de la même notion de contrôle, les deux juridictions sont parvenues à des conclusions différentes : le Tribunal a qualifié la situation de conflit armé international en développant l’idée d’un contrôle global de la Serbie sur les milices serbes de Bosnie alors que la Cour a, quant à elle, préféré le concept d’un contrôle effectif, plus restreignant, et a qualifié le conflit de non international. Cette divergence peut s’expliquer par les différences qui existent entre les juridictions. Pour le TPIY qui statue en matière pénale, qualifier un groupe armé d’organe d’un État lui permet de qualifier le conflit d’international et donc d’étendre sa compétence à un plus grand nombre d’infractions. En revanche, la CIJ met en jeu la responsabilité des États – États qui consentent librement à sa juridiction – et la qualification des groupes armés va donc déterminer si l’État est responsable des comportements de ces groupes, ce qui en plus de la réparation d’un éventuel dommage va emporter d’importantes répercussions diplomatiques.


À travers ces clivages, on voit apparaitre les enjeux que porte la question de la qualification. Sans entrer dans les détails de la qualification, il est nécessaire de présenter rapidement les conséquences importantes que peut entrainer la qualification des SMP.
Le premier cas concerne le droit humanitaire. S’il n’est pas le plus important en termes géopolitique et de relations internationales, il l’est par sa nature et par le nombre de personnes qu’il va concerner. Le droit humanitaire distingue entre deux grandes catégories d’acteurs dans les conflits, les combattants qui ont le droit de prendre part aux hostilités et qui peuvent être visés par les attaques et les civils qui a contrario sont exclus des hostilités et qui doivent être épargnés autant que faire se peut par les parties aux conflits. Il existe bien évidemment dans chacune de ces catégories des sous-divisions mais qui pour le moment ne demandent pas que l’on s’y attarde. Si les employés des SMP sont considérés comme des civils, ce qui est le cas dans la plupart des cas situations si l’on en croit les commentaires du CICR sur le document de Montreux8, alors ils n’ont pas le droit de participer directement aux hostilités. Cela signifie qu’ils ne bénéficient pas du privilège du combattant qui l’exonère de répondre de sa responsabilité tant pénale que civile pour les faits qu’ils ont mené dans la conduite des hostilités. En l’absence de ce privilège, les civils qui participent aux hostilités – et donc les SMP le cas échéant – peuvent être poursuivis pour les infractions qu’ils ont pu commettre (meurtre, homicide involontaire, destruction de biens…) et peuvent être amenés à réparer les dommages et préjudices causés.
À côté de cette responsabilité des personnes physiques se pose également la question de la responsabilité de la SMP en tant que personne morale. Si les premières peuvent bénéficier d’une immunité judiciaire, les secondes ne le peuvent en aucun cas. En l’état actuel des choses il n’existe pas de juridiction internationale compétente pour juger les personnes morales. Cependant cela ne signifie pas qu’elles ne peuvent pas être sanctionnées en raison de violation du droit international par une Cour nationale, soit en raison de l’effet direct de la norme, soit par la voie d’une transposition en droit interne. La France, en matière de crime de mercenariat sanctionne non seulement les mercenaires mais également toutes les personnes qui entrainent ou permettent les activités de mercenariat. La Convention de New York de 1989 relative au mercenariat n’a pas été signée et ratifiée par la France, ainsi la question de son application directe ne se pose pas. Néanmoins la loi 14 avril


2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire9, introduisant et pénalisant le crime de mercenariat en droit français est pour le moins inspirée de la Convention de New York. Sans qu’il s’agisse réellement d’une transposition, on peut y voir l’exemple d’une norme internationale appliquée par le truchement d’une norme nationale dans l’ordre interne.
Enfin la qualification de la SMP va lui prêter un lien plus ou moins étroit avec l’État qui l’emploi. L’imputabilité du fait d’un agent d’une SMP à l’État va dépendre pour l’essentiel de la qualification de ce personnel. Si la SMP est considérée comme appartenant aux forces armées, ou si elle agit sous le contrôle ou en suivant les directives et instructions de l’État, elle pourra être associée à un organe de facto de l’État10 et en tant que tel les actions de ce dernier pourront engager la responsabilité de l’État. L’État est responsable de ses propres actions et omissions, mais il l’est aussi pour les violations de ses subdivisions et de ses organes qui en tant que représentants de l’État vont engager sa responsabilité. Si la SMP est un organe de l’État ce dernier sera donc responsable, y compris en cas d’action ultra vires de la SMP ou de ses membres. L’État pourrait être alors amené à réparer les préjudices causés par la SMP agissant pour son compte, y compris si cette dernière outrepasse les attributions qui lui ont été fixées dans le cadre de sa mission, « toute autre solution permettrait aux Etats d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir par le
truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction »11.
Cependant cela ne doit pas faire oublier qu’en dehors de toute question de qualification, l’État qui emploie une SMP est débiteur d’obligations. Il découle notamment de l’article 1er commun aux Conventions de Genève et de l’article 1 paragraphe 1 du Premier protocole additionnel que l’État a l’obligation de respecter le droit humanitaire. La même obligation existe en matière de Droit international des droits de l’Homme dans les préambules des deux Pactes de 1966. Le Comité International de la Croix-Rouge – initiateur et gardien des Conventions de Genève – voit dans le devoir de l’État de respecter les conventions celui de « les faire respecter par ses autorités civiles et militaires, les membres de ses forces armées et, de façon générale, l’ensemble de la population »12. Cette obligation de faire respecter les


conventions ratifiées par l’État n’est pas spécifique aux droits humains, elle trouve son fondement dans le principe général du pacta sunt servanda13, c’est-à-dire l’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi. Il incombe ainsi à l’État de veiller au respect de ses obligations internationales par les SMP qu’il emploie. Cette obligation prend notamment la forme d’un devoir de due diligence « afin de prévenir et, le cas échéant, réprimer les actes des entreprises privées ou de leurs employés qui attentent aux droits humains »14.
Enfin la qualification des SMP peut également influer sur la qualification de la nature d’un conflit et donc sur le droit applicable dans celui-ci. Dans la mesure où une SMP est constituée en un groupe armé organisé, la question qui se pose sur la nature du conflit est la même que celle qui se posait au TPIY et la CPI sur les milices serbes durant la guerre de Bosnie. Certains États utilisent en effet des SMP afin d’intervenir de manière indirecte dans un conflit généralement interne. La question s’est déjà posée en Bosnie ou au Sierra Leone. Si une SMP peut être assimilée à un organe de facto de l’État ou si elle agit sous sa conduite alors le conflit qui était jusque-là non international devient international avec une extension importante des règles applicables, mais surtout l’État viole le principe de non-recours à la force et de non-ingérence de la Charte des Nation unies avec toutes les
incidences diplomatiques qu’une telle violation peut engendrer.
sécurité privées et le droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2006, vol. 88, p.202. Sans reconnaitre que cette obligation s’applique à toute la population, l’auteur affirme « Ces personnes peuvent de toute évidence inclure aussi les employés des SMP/SSP engagées par un État qui ne sont pas membres de ses forces armées ».

1 SINGER Paul W.,Corporate Warriors, 2003, in DUFORT Philippe, Typologies des acteurs de l’industrie des services militaires, Centre d’études des politiques étrangères et de sécurité Université du Québec à Montréal, Octobre 2007, p.15-16
2 Moshe Schwartz, Joyprada Swain, Congressional Research Service, Department of Defense Contractors inAfghanistan and Iraq: Background and Analysis, R40764, p. 15-17
3 article 1, paragraphe 1, Convention de New York de 1989 contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires
4 article 1, paragraphe 1, Convention de l’Organisation de l’Union Africaine de 1977 sur l’élimination du mercenariat en Afrique
5 article 47 du protocole 1 aux conventions de Genève
6 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p.134, §223
7 DAVID Éric, principes de droits des conflits armés, Bruxelles, Bruylant, 4ème éd., 2008, p494
8 CICR, Le document de Montreux, Commentaires explicatifs, p.36
9 Article 436-1 du code pénal
10 Article 8 du projet d’article de la commission du droit international
11 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, op. cit, p.205, par.392 12 SANDOZ Yves, SWINARSKI Christophe, ZIMMERMANN Bruno, Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, Genève : CICR, Martinus Nijhoff, 1986, p.35, par.41. et GILLARD Emanuela-Chiara, « Quand l’entreprise s’en va-t-en guerre : les sociétés militaires et sociétés de sécurité privées et le droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2006, vol. 88, p.202. Sans reconnaitre que cette obligation s’applique à toute la population, l’auteur affirme « Ces personnes peuvent de toute évidence inclure aussi les employés des SMP/SSP engagées par un État qui ne sont pas membres de ses forces armées ».
13 SANDOZ Yves, SWINARSKI Christophe, ZIMMERMANN Bruno, op cit, p.36, par.42.
14 COTTIER Michael, « Attribution de mandats aux entreprises de sécurité et militaire privées et régulation de leurs activités : éléments à considérer », Revue internationale de la Croix-Rouge, 2006, vol. 88, p.228.

Thibaut Lanteri, étudiant du Master Histoire Militaire, Géostratégie, Défense et Sécurité (promotion 2014-2015)

Les faiblesses de la réponse occidentale face aux dérives islamistes fondamentalistes

8 Oct

Malgré des efforts certains et une réelle implication dans la lutte contre le djihad global, force est de constater les lacunes des mesures actuellement mises en oeuvres par la communauté internationale pour lutter contre ce phénomène. Cette insuffisance se retrouve non seulement au niveau coercitif puisqu’un vide juridique évident persiste en matière de terrorisme empêchant une répression efficace (A), mais également en amont, rendant nécessaire une politique de prévention complémentaire à toute coercition (B).
A) Le djihad face au Droit interne et international: de la lacune juridique au vide sécuritaire

Le phénomène terroriste n’est pas sans poser de véritables difficultés quant à sa définition eu égard à l’équivoque entourant la nature de ses actions. Les actes de tels mouvements, au vu des méthodes bien particulières qu’ils emploient, ne présentent pas les caractéristiques d’une guerre classique, ce qui complexifie non seulement leur approche mais également leur qualification. On peut dire qu’avec l’avènement du terrorisme, il y a eu un changement radical non seulement des causes et de la nature de la guerre par rapport au modèle classique, mais aussi et surtout de ses effets: pour les terroristes, le combat et la violence sont une fin, un but en soi et non un simple moyen, tandis que pour les sociétés occidentales, il s’agit de l’ultime recours à mettre en oeuvre seulement après épuisement et échec de toutes les autres voies de règlement possibles. Autrement dit, les mouvements terroristes actuels se caractérisent par  »l’extrémisme de leurs objectifs et par l’ampleur, la coordination et le caractère impitoyable de leurs opérations »30. A cet égard, on peut dire que  »le terrorisme est une activité de temps de paix dont l’objectif est la guerre »31 tandis que les nations occidentales s’emploient à l’inverse à  »préserver les générations futures du fléau de la guerre »32.

Ainsi, l’ambivalence et l’ambigüité du terme de guerre contre le terrorisme semblent laisser subsister un réel flou quant à la conduite à tenir en la matière, et le fait que le terrorisme ne puisse pas être qualifié de guerre à proprement parler soulève des problèmes juridique inédits. Puisque les règles du Droit international humanitaire et des conflits armés ne peuvent s’appliquer qu’en temps de guerre, la première question qui se pose est donc de savoir quel bloc normatif doit régir les combats contre les réseaux islamistes et quel statut attribuer à ces combattants de la foi puisque la lutte contre ce phénomène comme le phénomène lui-même ne peuvent être qualifiés de  »guerre » au sens propre. De ce point de vue, les Etats occidentaux se trouvent déstabilisés face aux moyens utilisés par les mouvements terroristes, et la conception de la belligérance qui, en vertu notamment des normes édictées par le Droit international, prévalait jusqu’alors dans nos sociétés apparaît largement obsolète et inadaptée à régir de telles situations.

Les groupes à caractère terroriste ne respectent aucune règle juridique internationale et agissent de manière absolument contraire aux valeurs d’humanité, de proportionnalité et de discrimination dans l’attaque soutenues par les pays occidentaux et résultant du Droit humanitaire et des conflits armés. C’est finalement, en filigrane, toute la problématique du statut des membres des mouvements à caractère terroriste qui se pose, ces derniers n’entrant dans aucune catégorie existante des textes actuellement en vigueur, ce qui n’est pas sans causer de multiples difficultés quant à leur appréhension et leur répression en termes juridiques. En effet, le Droit international humanitaire et des conflits armés a un champ d’application bien défini et les terroristes ne tombent pour l’heure aucunement sous le coup des règles qu’il édicte, soit parce-que les spécificités de cette mouvance ne correspondent pas aux critères définis par ces normes, soit encore en raison d’une exclusion expresse de ces groupes du domaine du Droit international comme c’est notamment le cas pour les Conventions de Genève ou le Statut de Rome. C’est ainsi la répression elle-même des auteurs d’actes terroristes qui est perturbée et menacée par l’absence de définition consensuelle du statut des membres de ces groupes. Le flou juridique qui entoure les mouvements djihadistes gangrène assurément la mise en oeuvre des mesures coercitives prévues par les textes pour réprimer la commission de crimes internationaux. Puisque ces groupes n’entrent pas dans le champ d’application des Droits de Genève et de La Haye, il n’est pas possible de sanctionner leurs actes sur le fondement de ces règles. L’ambivalence du statut des auteurs d’actes de terrorisme, entre combattants et criminels, pose ainsi inévitablement la question du bloc normatif à même de régir leurs actions, et l’alternative binaire entre Droit pénal interne et règles internationales inspirées de la justice militaire semble pour le moins inadaptée33. Pourtant, l’existence d’un cadre juridique dans la lutte antiterroriste apparaît fondamentale tant dans le but de rallier l’opinion collective autour d’une conception favorable des interventions occidentales que pour accroître la légitimité de telles opérations au sein de la communauté internationale. En effet,  »le respect de certaines limites peut être juridiquement nécessaire et politiquement souhaitable, même dans une guerre contre des terroristes impitoyables »34.

Si le Droit humanitaire et le Droit des conflits armés prévoient des incriminations pouvant à première vue correspondre aux actes à caractère terroriste, comme celles de crime de guerre, de crime contre l’humanité, de crime de génocide et de crime d’agression figurant dans le Statut de Rome, force est de constater leur inapplicabilité à la réalité des situations de terrorisme en raison notamment de l’exclusion de cette menace du domaine de compétence de la Cour pénale internationale (CPI). L’inapplicabilité des normes internationales aux actes de terrorisme et l’absence d’incrimination spécifique qui en découle nuisent non seulement à la répression des acteurs du djihad mais préjudicient également aux populations civiles et aux victimes. En effet, en l’absence de crime défini par un texte, il n’est pas possible de prononcer des mesures coercitives pour punir cette action. Par conséquent, sans incrimination applicable aux attaques de la nébuleuse, il est interdit de sanctionner les crimes commis par ses membres35. Ce vide juridique est actuellement extrêmement pénalisant et dangereux pour la sécurité juridique internationale puisqu’il laisse impunis les auteurs d’actes à caractère terroriste ou les sanctionne sur le fondement de textes et d’incriminations inadaptés.

Il apparaît donc plus que jamais nécessaire, au vu de l’inflation des crimes terroristes et de l’envergure croissante de telles actions, d’oeuvrer à la mise en place d’une juridiction internationale spécialisée en la matière. L’absence d’organe juridiquement compétent, au niveau international, pour réprimer les attaques djihadistes renforce encore davantage le vide juridique résultant de l’absence d’incrimination correspondant aux crimes terroristes à proprement parler. Le terrorisme étant un crime aux particularités très marquées l’empêchant de tomber sous le coup des incriminations déjà existantes, la création d’une juridiction spécialisée expressément compétente dans ce domaine apparaît comme une mesure plus que salutaire pour la sécurité internationale. Ce faisant, il importe de s’interroger sur le type de juridiction le plus approprié à ces actions, à savoir un tribunal ad hoc ou une cour internationale permanente. Si le tribunal ad hoc semble difficile à mettre en oeuvre et ne correspond pas exactement aux spécificités de l’action terroriste en raison de son étendue spatio-temporelle par essence indéterminée et, pourrait-on dire, indéterminable, en revanche une juridiction permanente à l’image de la Cour pénale internationale nous paraîtrait davantage adaptée.

Car si l’on s’en réfère au Statut de Rome, bien qu’il exclue les actions terroristes de son domaine de compétence, les incriminations pour lesquelles la Cour est compétente pourraient aisément être adaptées aux spécificités de la nébuleuse, sur le fondement notamment de la prochaine définition du crime d’agression qui laisse entrevoir un espoir quant à l’inclusion des attaques djihadistes dans le champ d’action de la Cour. Ainsi, il est prévu que  »la Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée […] qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard »36. Il est donc nécessaire qu’un avenant soit apporté au Statut de Rome existant. Suite à la conférence de révision du Statut qui s’est tenue à Kampala le 11 juin 2010 il ressort, aux termes de l’article 8 bis que la Cour pourra exercer sa compétence à l’égard de ces crimes à compter du 1er janvier 201737.
Toutefois, il nous semble opportun d’insister également sur le fait qu’un nouveau problème se fait jour qui concerne, quant à lui, directement notre ordre national avec la récente montée en puissance du phénomène des français partis combattre en Syrie. Si des mesures ont été prises, avec entre autres la mise en place du plan anti-djihad par le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve en avril 2014 ou encore l’avènement des états généraux contre le radicalisme par l’Union des Mosquées de France à Avignon suite à la fusillade de Bruxelles au mois de juin, l’engouement de la jeunesse pour un combat supposé idéologique qui les dépasse reste tenace. Si les services de renseignement, et notamment la DCRI (la Direction Centrale du Renseignement Intérieur), surveillent sans relâche les individus présumés  »à risque », les lacunes de notre système sont criantes, ainsi qu’en témoigne par exemple la disparition de Souad Merah, la soeur de Mohammed Merah responsable des tueries de Montauban et Toulouse en 2012, ou encore celle d’une famille entière en septembre 2014. Dans la même optique, on peut faire état de la révélation, par le quotidien Libération, de la volonté affirmée par Mehdi Nemmouche, le tueur présumé du Musée juif de Bruxelles en mai 2014, de  »faire cinq fois Merah au 14 Juillet »38, intention dont les services de veille auraient prétendument eu connaissance. Le risque représenté pour les citoyens apparaît ainsi de manière encore plus flagrante puisque c’est un emblème de la Nation qui aurait pu être touché.

Le problème principal demeure là encore l’appréhension de ces combattants de la foi, cette fois à leur retour en France, car aucune incrimination ne permet de les condamner pour leur simple départ, laissant donc dans une impunité quasi-totale de véritables  »bombes humaines » ayant suivi une formation confessionnelle et opérationnelle spécifique, radicalisées et désormais aguerries à l’art du combat et au sacrifice ultime. Le Premier ministre britannique David Cameron a annoncé, suite à la décapitation des deux journalistes américains James Foley et Steven Sotloff vraisemblablement par un ressortissant de Grande-Bretagne en septembre 2014, son projet de confisquer le passeport des citoyens anglais partis pour le djihad. Un première hypothèse qui n’a pas, pour l’heure encore, trouvé d’écho en France. Toutefois, face à la décapitation de David Haines, un autre ressortissant britannique par les membres de l’EI ce dimanche 14 septembre ainsi que la menace de récidive sur un autre otage, Allan Henning, et la décapitation du français Hervé Gourdel par un groupe algérien lié à l’EI, une réponse harmonisée de la communauté internationale semble se faire jour, illustrée notamment par la mise en place de frappes aériennes en Irak.

Dès lors, au vu des lacunes criantes de l’appareil coercitif et du vide juridique qui persiste en matière de terrorisme islamiste, tant au niveau international qu’interne, force est de constater que la lutte contre ce phénomène sous le seul angle répressif semble vouée à l’échec. Aussi, c’est un travail en amont qui s’impose, c’est-à-dire la mise en oeuvre d’une politique de prévention efficace complémentaire et coordonnée avec la mise en place de sanctions juridiques effectives.

B) Terrorisme islamiste et politiques de prévention: une complémentarité nécessaire

Le Droit s’est révélé impuissant à réglementer efficacement la menace terroriste et combattre le fléau djihadiste au seul moyen d’un appareil coercitif s’est avéré absolument insuffisant. Les faiblesses et les incohérences de l’instrument juridique ont imposé aux Défenses occidentales de revoir leur stratégie en matière antiterroriste, ce qui a notamment abouti à un accroissement des missions en amont de toute intervention militaire. L’approche préventive est ainsi apparue comme une alternative incontournable pour tenter de lutter au mieux et de se prémunir de la manière la plus efficace possible contre les attaques islamistes fondamentalistes. Cette logique de prévention est d’autant plus indispensable que la caractéristique première des actes de terrorisme est justement leur imprévisibilité: la nébuleuse peut frapper n’importe où et n’importe quand, et c’est justement cet effet de surprise qui effraie les Etats occidentaux en mettant en déroute leurs armées suréquipées face à un adversaire aux techniques aussi primitives qu’anachroniques.

En effet,  »alors que les arsenaux occidentaux sont prévus pour faire face à une armée «classique», en ordre de bataille sur un terrain d’opérations clairement défini, la menace a muté pour devenir largement infra-étatique, voire individuelle, sans perdre pour autant en dangerosité »39. L’initiative des démocraties occidentales de parfaire leur appareil de renseignement peut donc s’analyser comme le reflet de leur implication réelle et concrète dans la lutte contre le djihad islamiste mondial. Il s’agit d’infiltrer les milieux terroristes afin de déceler leurs intentions, permettant ainsi une meilleure protection contre les attaques dépistées.

Si à première vue l’initiative peut sembler opportune, les services de renseignement se sont rapidement heurtés à des difficultés. La spécificité des attaques terroristes comme la particularité d’un milieu hostile, montagneux ou désertique, peu connu des forces occidentales, ont largement paralysé ces missions et mis en exergue l’inadaptation des méthodes en vigueur pour anticiper les actes islamistes radicaux. L’emprise des armées occidentales en milieu montagneux suppose en effet une véritable capacité à mener efficacement des manoeuvres plus complexes dans un environnement qui impose, du fait de sa rudesse et de sa rusticité, de très fortes contraintes jusqu’alors peu coutumières de nos forces. La spécialisation des troupes, qui doit passer par une préparation tant physique que mentale, apparaît dès lors comme absolument indispensable pour former des belligérants à même de mener une lutte effective sur ces territoires. De même, les conditions climatiques posent également problème et mettent en exergue les contraintes imposées par ce milieu. En dépit de notre large supériorité technologique, et peut-être pourrait-on même dire à cause d’elle, la difficulté du combat sur de tels terrains perturbe aussi bien les opérations militaires menées par les forces armées occidentales que l’action en amont des services de renseignement. En ce sens, ce qui change  »c’est la «tyrannie du milieu», c’est-à-dire du terrain et de la météorologie »40. Cela signifie qu’au traditionnel cadre espace-temps vient se greffer une troisième dimension qu’il importe de ne pas négliger, celle du relief, et avec elle son corollaire météorologique, permettant ainsi de parler de la montagne ou du désert comme d’un terrain tri-dimensionnel. On peut finalement dire que  »cette nouvelle variable, véritable déterminant de la manoeuvre, va donc conditionner le raisonnement tactique »41 et stratégique de nos services de renseignement engagés dans la prévention de la menace terroriste.

De ce point de vue, le milieu dans lequel évoluent les membres de ces groupes apparaît comme un véritable facteur dimensionnant pour la communauté internationale, et tout particulièrement en matière de renseignement puisque ces services doivent collecter l’information dans l’environnement naturel des terroristes, c’est-à-dire le terrain montagneux et, depuis peu, désertique. Si leurs attentats ne se déroulent pas en zone montagneuse ou aride mais davantage en milieu urbain, en revanche la préparation a lieu dans cet environnement hostile, berceau de la très grande majorité des organisations djihadistes connues à ce jour. Ces espaces offrent non seulement une discrétion sans précédent mais regorge également de cachettes quasi-inaccessibles sans une connaissance précise et minutieuse du terrain, permettant ainsi aux terroristes d’échapper sans trop de peine aux forces occidentales. Cela impose donc aux services de renseignement une lecture de la situation au travers du prisme déformant de l’environnement ainsi que la prise en compte de  »topo-principes », c’est-à-dire de principes liés à la topographie du milieu. Cela suppose ainsi une modification complète des grilles classiques d’acquisition de l’information et du déroulement des opérations puisqu’il faut désormais adapter ces règles traditionnelles aux particularités de l’environnement abritant les conflits islamistes contemporains.

Le rôle du renseignement apparaît de ce fait absolument fondamental dans la lutte antiterroriste car c’est grâce aux informations ainsi recueillies que les opérations peuvent être adaptées et améliorées en fonction des exigences du terrain. En effet, les conditions extrêmes de ces milieux rudes, changeants et exigeants ne sont pas sans générer une certaine incertitude quant aux situations locales et c’est justement  »la connaissance des spécificités du milieu […] [qui] permet d’y adapter au mieux la manoeuvre et d’en exploiter toutes les opportunités »42. De ce point de vue, il convient de prendre en considération le rôle fondamental des contraintes du milieu sur la manoeuvre et le déploiement des troupes, ce qui rend absolument nécessaire une bonne évaluation de l’environnement et de ses contingences notamment grâce au travail fourni en amont par les services de renseignement qui  »sondent le terrain pour en déceler toutes les potentialités et les limites d’emploi afin d’y engager ensuite rationnellement les forces »43. En définitive, la  »bataille du renseignement » repose sur une stratégie globale permettant de pallier les contraintes du milieu au moyen de l’acquisition d’informations aidant les armées occidentales à faire face aux multiples difficultés inhérentes à l’environnement. Car sous-estimer ce facteur reviendrait en somme à conférer à l’ennemi, autochtone rustique et entraîné à se mouvoir sur un terrain si hostile, un avantage non négligeable et une longueur d’avance certaine. La connaissance du milieu apparaît donc comme une condition sine qua non de la réussite de nos interventions militaires, confirmant ainsi l’importance du renseignement dans la lutte antiterroriste prise sous l’angle préventif, bien qu’il soit nécessaire de revoir la grille de lecture occidentale pour repenser profitablement la stratégie de ces services.

Une autre approche s’est alors imposée et une analyse davantage centrée sur les motivations psychologiques des terroristes est apparue comme une alternative indispensable en matière de prévention des actes djihadistes. Une capacité de décèlement précoce aidée par une connaissance plus  »intime » des terroristes permettrait de mieux comprendre les ressorts de leurs actions et donc de s’en prémunir plus efficacement. Car si le djihad, la guerre sainte, c’est-à-dire en définitive  »tout type d’action, individuelle ou commune, entreprise par des musulmans pour suivre le chemin de Dieu »44, trouve indéniablement son fondement dans les difficultés politiques, économiques et sociales rencontrées actuellement par les sociétés arabo-musulmanes, les comportements propres à l’individu ne sont pas non plus étrangers à la rancoeur farouche manifestée par ces groupes extrémistes.

L’attisement d’une haine globale anti-occidentale et plus particulièrement anti-américaine a ainsi conduit à une radicalisation progressive du combat pour la foi qui, plus qu’une simple opposition idéologique, a muté en une véritable lutte à mort contre les démocraties de la coalition internationale. Le terrorisme  »peut manifester les souffrances et les désarrois d’un monde arabo-musulman qui se pense humilié, opprimé et maltraité par l’Occident et qui a globalement échoué au bout de cinquante ans de décolonisation »45 et  »le djihadisme contemporain est ainsi caractérisé par une aversion extrême vis-à-vis des normes et des valeurs occidentales, de l’économie de marché, du mercantilisme, du matérialisme, du culte du corps et de l’hédonisme d’une société permissive »46. Dès lors,  »tuer les américains et leurs alliés, qu’ils soient civils ou militaires, est un devoir qui s’impose à tout musulman qui le pourra »47.

Ce faisant, un profil psychologique des djihadistes se dessine et laisse entrevoir en filigrane le processus d’enrôlement complexe dans lequel l’individu est fanatisé, converti à un Islam extrémiste réinterprété à l’aune des contingences du djihad et formaté au sacrifice suprême. Les terroristes  »n’agissent pas à la suite d’une impulsion comme le ferait le serial killer mais au terme d’un processus mûrement réfléchi »48. D’ailleurs, on peut dire que  »pour les fanatiques et les terroristes, les victimes ne comptent pas. Elles sont désincarnées, déshumanisées, au regard de ce dont ils se réclament. Le remords et la culpabilité sont absents »49.

Cette potentielle dangerosité est encore davantage accrue par une formation spécifique dispensée aux nouvelles recrues djihadistes afin que leur énergie soit  »contrôlée, canalisée, orientée vers des tâches particulières servant le but de l’organisation terroriste »50. Grâce à un processus pourrait-on dire  »pédagogique » basé sur un embrigadement massif dispensé par les recruteurs, les terroristes nouvellement engagés subissent un lavage de cerveau bien rôdé qui ôte à l’individu sa personnalité pour en faire un élément vidé de toute existence propre en-dehors du groupe qu’il a rejoint. Ainsi, ce versant mental et religieux de la préparation ne doit pas être sous-estimé puisque finalement  »le coeur de la stratégie, l’arme absolue, n’est pas militaire mais spirituelle et psychologique »51. Toute humanité doit dès lors être soustraite à l’individu, qui se mue en une arme tant offensive que défensive car, dépouillé de tout esprit critique et fanatisé à la cause, il devient désormais un combattant sans faille que plus rien ne peut arrêter. En d’autres termes,  »si nous parvenons à immuniser l’individu sur le plan confessionnel et opérationnel, il sera habillé d’une cuirasse sécuritaire. Grâce à cette cuirasse, l’individu musulman se transforme en citadelle solide et imprenable, impossible à infiltrer et fière de mourir pour la défense de sa foi »52.

La préparation de l’esprit, autant psychologique que confessionnelle, apparaît donc primordiale et absolument complémentaire de la formation opérationnelle des nouvelles recrues djihadistes et tend à être largement facilitée par les nouvelles technologies. De ce point de vue, la diffusion massive de la propagande islamiste sur les réseaux Internet et l’extention des cibles de recrutement potentielles s’est accompagnée d’un corollaire inévitable: l’élargissement de l’espace opérationnel sur lequel peuvent dorénavant agir ces mouvements. Les moyens de communication de masse jouent donc un rôle absolument fondamental dans la stratégie des djihadistes contemporains. En exagérant à peine le trait, on peut sans doute affirmer que  »il n’y aurait pas d’Al-Qaïda sans Internet »53. En d’autres termes,  »le Web est devenu au fil des années le média le plus populaire et également le plus efficace vecteur de communication à la fois le plus développé et le plus difficile à contrôler »54. En ce sens, de multiples sites font l’apologie du combat pour la foi islamiste et diffusent massivement l’idéologie de ces groupes à la planète entière. Des forums spécialisés dispensent une éducation religieuse aux futurs combattants en leur inculquant des préceptes erronés et abusivement réinterprétés du Coran. D’autres sites proposent encore une formation au maniement d’explosifs ou à la préparation d’attentats à travers des consignes très pédagogiques et des vidéos pour le moins explicites. En naviguant sur des sites Web djihadistes, des forums de discussion et autres listes de diffusion islamistes, il est désormais possible pour tout internaute désireux de rejoindre les rangs du combat pour la foi de se former en ligne tant au niveau idéologique qu’opérationnel. La vulgarisation des préceptes et des techniques terroristes, désormais facilement accessibles au plus grand nombre via la toile, ouvre la voie à un recrutement extrêmement important et diversifié qui n’est pas sans largement préoccuper la communauté internationale.

La prévention des attaques djihadistes doit donc s’analyser comme un élément essentiel de la lutte contre ces mouvements fanatiques et la connaissance précise d’un adversaire sans visage apparaît aussi essentielle que complexe. Si le renseignement demeure le pivot de toute mission en amont, l’approche psychologique ne constitue pourtant pas, quant à elle, une voie à négliger et plus qu’alternatifs ces deux instruments doivent davantage s’entendre comme des moyens pleinement complémentaires, voire même cumulatifs, permettant de concourir à une prévention plus efficace.

Conclusion: le terrorisme, une menace qui dure?

En dépit des solutions proposées, la menace islamiste radicale reste encore extrêmement vive et la résilience des mouvements terroristes ainsi que leur exaltation de la violence les rendent toujours plus dangereux. L’harmonisation de ces diverses pistes de réflexion, tant préventives que répressives, devrait permettre de mener une lutte plus adéquate pour tenter de contenir le fléau fondamentaliste. La massification du phénomène ainsi que sa radicalisation imposent de mettre en oeuvre une politique active contre le djihad global contemporain, tant au niveau international qu’interne.

Toutefois, la lutte contre le djihad global ne parvient aujourd’hui pas à éradiquer cette menace ni même seulement à la limiter. Malgré un engagement évident pour tenter d’endiguer le risque terroriste, force est de constater que sa disparition est à notre sens encore illusoire. De ce point de vue, il semble davantage opportun de contenir le phénomène plutôt que de chercher à l’éliminer en totalité, cette dernière hypothèse confinant à la candeur la plus totale et s’apparentant, eu égard à l’étendue de la menace et à sa massification préoccupante, plus à une  »chasse aux puces », à un travail de Sisyphe qu’à une réalité probable et tangible. L’intervention de la communauté internationale pour combattre l’EI en Irak témoigne de l’implication des démocraties dans la lutte contre le terrorisme, nouvelle forme de barbarie moderne. Pour autant, si l’intention est bien présente, il est encore trop tôt pour gager de l’efficacité d’une telle opération.

Si Camus affirmait, dans son oeuvre Les Justes, qu’il n’est pas possible de discuter avec une idéologie, il nous semble malgré tout que la compréhension du phénomène djihadiste, de sa complexité et de ses subtilités, constitue une avancée certaine vers l’endiguement d’un tel fléau et que comprendre le terrorisme est un premier pas pour le réduire. S’il convient de ne pas se laisser aller à une candeur visant la disparition totale de ces groupes, il n’est en revanche pas vain d’espérer circonscrire et freiner leurs actions.  »Car le terrorisme, difficile, voire quasiment impossible à éradiquer totalement, se contient. Contenir le terrorisme, c’est presque le détruire. Comprendre ce que veulent les terroristes, comprendre comment ils opèrent, est le fondement de la lutte antiterroriste »55. En d’autres termes, on peut dire  »qu’une lutte effective et durable contre le terrorisme passe d’abord par sa déconstruction physique et psychologique et que cette dernière, la plus importante des deux à long terme, ne peut s’effectuer qu’à travers une connaissance approfondie du phénomène, en quelque sorte un apprivoisement méthodique de tous ses tenants et aboutissants »56.

En toutes hypothèses, lutter contre le terrorisme demande plus que de lutter contre les terroristes. Le combat contre le djihad islamiste mondial dépasse en effet largement le conflit militaire et le poids des armes; c’est au fond un combat impossible, une utopie qui revient en filigrane à se battre contre la psychologie humaine et son penchant inné pour la violence. Cette inclinaison à la brutalité qui caractérise l’individu transcende les cultures et les civilisations et demeure, aussi dérangeant que cela puisse paraître, une propension naturelle de l’être humain profondément tiraillé dans sa lutte intérieure, selon la théorie freudienne, entre Eros et Thanatos, c’est-à-dire entre ses pulsions de vie et de mort.

 »Il y a en l’homme de la noirceur. Une extrême noirceur qu’il faut regarder en face. »
Yves Michaud, Changements dans la violence

 

 Florence Vitte

Doctorante contractuelle au CHERPA, diplômée du Master II Histoire militaire en 2014

 

30Gilles AndréanietPierre Hassner(dir.), op.cit.,p.173
31Gilles Andréani et Pierre Hassner (dir.), Ibid., p.173 (tiré de André Glucksmann,  »Nihilisme ou civilisation », Politique
internationale, n°97, automne 2002)
32Préambule de la Charte des Nations Unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 et entrée en vigueur le 24 octobre
1945
33Gilles Andréani et Pierre Hassner, op. cit., p.241 34Gilles Andréani et Pierre Hassner, Ibid., p.180
35C’est le principe fondamental dit de la légalité des délits et des peines (Nullum crimen, nulla poena sine lege: il n’y a pas de crime, il n’a y pas de peine sans loi).
36Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, article 5, alinéa 237Coalition pour la Cour pénale internationale – Réaliser les promesses d’une Cour juste, efficace et indépendante – Crime d’agression http://www.iccnow.org/?mod=agression&lang=fr
38Patricia Tourancheau, »Mehdi Nemmouche: «Je vais faire cinq fois Merah au 14 Juillet », Libération, 7 septembre 2014
http://www.liberation.fr/societe/2014/09/07/je-vais-faire-cinq-fois-merah-au-14-juillet_1095637
39Bruno Delamotte, Question(s) d’intelligence – Le renseignement face au terrorisme, Editions Michalon, Paris, 2005, 132p, p.11
40Colonel Hervé de Courrèges, Colonel Pierre-Joseph Givre, Colonel Nicolas Le Nen, Guerre en montagne, Economica, Paris, 2010 (2ème édition), 176p, p.12
41Colonel Hervé de Courrèges, Colonel Pierre-Joseph Givre, Colonel Nicolas Le Nen, Ibid., p.12
42Colonel Hervé de Courrèges, Colonel Pierre-Joseph Givre, Colonel Nicolas Le Nen, Ibid., p.23 43Colonel Hervé de Courrèges, Colonel Pierre-Joseph Givre, Colonel Nicolas Le Nen, Ibid., p.3844Marc Sageman, Le vrai visage des terroristes – Psychologie et sociologie des acteurs du djihad, Autrement Editions, Paris, 2010, 156p, p.18
45Jean-François Daguzan, Terrorisme(s): abrégé d’une violence qui dure, CNRS, Paris, 2006, 189p, p.26 46Jean-Michel Dasque, op.cit., p.71
47 »Déclaration du Front islamique mondial pourle jihad contre les Juifs et les croisés » in Gilles Kepel, op. cit., p.67 48Jean-Michel Dasque, op. cit., p.66
49Philippe Faucon,  »Quelque-chose en-dehors de toute compréhension humaine », Le Monde, 24 mars 2012
http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/03/24/quelque-chose-en-dehors-de-toute-comprehension- humaine_1675134_3224.html
50François Géré, Pourquoi le terrorisme, Larousse, Paris, 2006, 160p, p.110
51Mathieu Guidère, Le manuel de recrutement d’Al-Qaïda, Editions André Versailles, Paris, 2007, 267p, p.74 52Mathieu Guidère, Ibid., p.75
53Gilles Kepel,  »Il n’y aurait pas d’Al-Qaïda sans Internet », Le Monde, 19 janvier 2006 http://www.lemonde.fr/proche-
orient/article_interactif/2006/01/19/gilles-kepel-il-n-y-aurait-pas-d-al-qaida-sans-l- internet_693546_3218.html 54Barthélémy Courmont, L’après Ben Laden – L’ennemi sans visage,François Bourin Editeur, Paris, 2011, 271p, p.92
55ArnaudBlin, op.cit.,p.35 56ArnaudBlin, op.cit.,p.35

Florence Vitte, étudiante du Master Histoire Militaire, Géostratégie, Défense et Sécurité (promotion 2013-2014)

Le terrorisme islamiste, un enjeu sécuritaire majeur aux caractéristiques particulières

6 Oct

L’environnement international actuel est confronté, depuis plus d’une décennie, à une mutation des menaces qui pèsent sur la sécurité mondiale et, plus particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001, le terrorisme islamiste a pris un essor considérable en termes de dangerosité, acquérant ainsi une capacité de nuisance certaine pour les démocraties occidentales et outre-atlantiques. Aux guerres dites classiques qui prévalaient jusqu’alors, c’est-à-dire conventionnées et précisément définies, a ainsi succédé un genre de conflit absolument déstructuré et anachronique, plus proche d’une guérilla que d’une guerre traditionnelle, qui a bouleversé l’ensemble de la doctrine militaro-stratégique de la communauté internationale. En d’autres termes, on est passé d’une guerre insurrectionnelle à une guerre contre-insurrectionnelle, et ce nouveau défi pour le monde de la Défense n’est pas sans avoir un impact évident sur l’approche du phénomène guerrier contemporain.

Depuis quelques années pourtant, un terrorisme davantage organisé et tendant à se rapprocher d’un modèle militaire voit le jour avec un but bien précis: dominer un Etat et imposer sur ce territoire déterminé un Islam rigoriste et fondamentaliste. Ainsi, c’est dans ce monde nouveau, éclaté, turbulent et agité, aussi mouvant qu’instable, qu’a pris progressivement racine un terrorisme massif, irrationnel, mutant, fluide et criminalisé: la menace islamiste radicale, illustrée notamment par la nébuleuse Al-Qaïda, figure de proue du djihadisme, aujourd’hui concurrencée par des groupes africains de création récente à l’instar de Boko Haram ou de l’EI (ex-EIIL).

Catalyseur de facteurs politiques, sociaux et économiques fragiles et inégalitaires, le djihad contemporain fonde son action sur son exclusion de la mondialisation et rend responsable de l’ensemble des maux et de la décadence du monde musulman les démocraties occidentales, et plus particulièrement la puissance américaine. Le retour à un Islam des origines, à la pureté de la religion telle qu’enseignée par le Prophète, apparaît alors comme la seule alternative à même de pallier la crise que traverse la communauté des croyants, la Oumma. Le terrorisme, jusqu’alors non religieux, se teinte à présent inéluctablement d’un penchant spirituel où l’idéologie dépasse et transcende désormais les seuls objectifs politiques. De ce point de vue, le terrorisme peut finalement apparaître comme la cristallisation de querelles ethniques autour du facteur religieux, à l’image de l’opposition récurrente entre sunnites et chiites.

Dès lors, les particularités de cette action radicale ne sont pas sans avoir d’importantes répercussions sur le terrain et notamment sur les modalités de la lutte que mènent les armées des deux rives de l’Atlantique. Nos forces sont en effet largement inadaptées au combat qu’impose la traque des membres de tels groupes, qui usent de méthodes à l’opposé de la culture stratégique occidentale et américaine, laquelle postule sur la supériorité technologique comme réponse à tous les problèmes, terrorisme inclus. Or, en la matière, cette prééminence technique apparaît plus comme une faiblesse que comme un avantage, et ces mouvements armés rapidement adaptables tirent souvent profit de l’inadéquation de nos moyens à la situation. La convergence de tous ces éléments, dangerosité, particularités et massification des attaques islamistes fondamentalistes, appelle donc à la mise en place d’une lutte effective contre le phénomène djihadiste, qui représente aujourd’hui la menace la plus prégnante pour nos démocraties.

Charles Pasqua1 affirmait qu’il faut  »terroriser les terroristes »2, mais force est de constater qu’actuellement, malgré les efforts sécuritaires et stratégiques mis en oeuvre, les acteurs de l’Islam radical continuent de s’attaquer presque impunément aux régimes démocratiques occidentaux et outre-atlantiques. Les particularités de ce conflit anachronique, devenu un défi sécuritaire majeur, creusent encore le vide juridique persistant en la matière, empêchant ainsi la mise en oeuvre d’une politique de lutte et de prévention efficace. En effet, les spécificités du combat pour la foi (I) gangrènent la mise en oeuvre d’une réponse occidentale adaptée à cette violence sans limite (II). Décryptage d’une menace qui dure.

En dépit de certains abus sémantiques, le djihad visant à l’application d’une théocratie islamiste fondamentaliste ne présente pas les caractéristiques des conflits dits classiques. Pour l’heure encore, ces groupes terroristes semblent en position de force face à nos Défenses occidentales, dont l’action est aujourd’hui encore gangrénée par la nature éminemment floue de ce type de conflit (A) et la mutabilité accrue des modes opératoires utilisés, mise en lumière notamment depuis le conflit malien de 2012 (B).

A) Le djihad, une guerre comme les autres?

Le paradigme international actuel est caractérisé par la massification inquiétante d’un défi de première importance pour la sécurité à l’échelle de la planète entière: les attaques terroristes islamistes. Plus particulièrement encore depuis les attentats du World Trade Center, l’Islam fondamentaliste a su faire preuve, à maintes reprises et malgré des moyens anachroniques et limités, de sa capacité de nuisance contre certaines des armées les plus puissantes du globe. L’impact de ces attentats, tant médiatique que psychologique et humain, n’a cessé de s’amplifier cette dernière décennie puisque, à titre d’exemple, le 11 septembre 2001 a fait autant de morts que l’ensemble des attaques terroristes islamistes perpétrées depuis les années 1970. Aujourd’hui, si les pouvoirs publics comme les citoyens sont conscients du risque que représente la croissance préoccupante des factions islamistes radicales revendiquant l’instauration d’un régime théocratique des plus rétrogrades fondé sur une application stricte de la loi musulmane, la Charia, les moyens dont disposent les cibles prioritaires de ces attaques sont, plus qu’insuffisants, largement inadaptés face à une telle menace.

Le principal clivage qu’il convient de mettre en avant et qui concède une supériorité de fait aux djihadistes est sans nul doute l’appréhension, dans toutes ses acceptions, des parties face à la mort. Si l’on s’en réfère à la théorie freudienne,  »l’indéniable tendance est chez nous à écarter la mort, l’éliminer de la vie. Nous avons tenté de l’annihiler en la taisant »3. La mort, finalement considérée comme un échec et une injustice, effraie les civilisations occidentales et choque la conscience populaire encore influencée par le concept édulcoré et hautement antinomique de conflit sans pertes humaines, plus communément désigné par l’oxymore de  »guerre propre ». A l’inverse, les mouvements terroristes reposent sur une instrumentalisation de la violence comme ciment de la solidarité entre les membres du groupe et mourir en martyr est, plus qu’un simple moyen, le but ultime vécu comme une fin glorieuse et héroïque, comme l’expression de la plus haute religiosité. Le sacrifice expiatoire est l’objectif ultime des kamikazes djihadistes, ce qui les rend potentiellement extrêmement dangereux:  »mourir sur la voie de Dieu est un honneur souhaité par ceux de ma communauté qui luttent; nous aimons la mort sur la voie de Dieu autant que vous aimez la vie, nous ne craignons rien, nous espérons une telle mort »4. En d’autres termes, on peut dire que cette brutalité inouïe est fédératrice du terrorisme et que cette idéologie  »décline toutes les variantes du meurtre et de la violence: se tuer, se faire tuer, tuer, tuer en se tuant ou en se faisant tuer »5. L’acte violent, rendu possible par la réification de l’adversaire, est donc un acte absolument volontaire et réfléchi, ce qui permet notamment de distinguer les terroristes des tueurs en série; car si ces derniers agissent sous une impulsion désordonnée et incontrôlée, les djihadistes sont quant à eux incontrôlables mais agissent de manière parfaitement contrôlée et dans un but bien déterminé. La véhémence qui caractérise l’action terroriste peut ainsi s’analyser tant comme un savoir-faire que comme un résultat permettant finalement de dire, de manière imagée, que  »le terrorisme est un métier »6. Le choix du sacrifice comme technique privilégiée met dès lors en exergue l’ambiguïté fondamentale de tels mouvements, qui confondent but et méthode, et paralyse encore davantage l’action des armées occidentales et outre-atlantiques. Enfin, l’exemplarité des attaques comme le caractère hautement macabre qui les accompagne doit aussi se comprendre comme l’expression des revendications des membres du djihad, car le terrorisme est avant tout un moyen de communication. En ce sens, on peut parler en la matière de  »tératologie symbolique »7 où l’exemplarité se fait le vecteur d’un message idéologique, politique et sociétal sous-jacent. La logique des groupes islamistes fondamentalistes apparaît donc comme un processus tout à fait particulier qui empêche d’assimiler la menace djihadiste aux guerres dites classiques en raison des spécificités constitutives de telles actions.

En effet, le terrorisme islamiste ne saurait être considéré comme une guerre à proprement parler, c’est-à-dire prise dans son acception traditionnelle. La guerre est, plus qu’un simple terme, un véritable concept dont la définition n’a jamais fait l’unanimité. Pour autant un consensus, au niveau des Nations Unies notamment, s’est établi pour définir traditionnellement la guerre de manière négative comme une rupture de la paix. La paix apparaît ainsi non seulement comme l’état de normalité des Etats, mais également comme la situation dans laquelle ils doivent se trouver. De manière plus précise, on peut définir la guerre classique comme une lutte armée présentant une certaine amplitude et se déroulant sur une certaine durée de temps, entre des collectivités organisées ayant une autonomie politique au moins relative. Or les conflits terroristes contemporains bafouent en permanence cette approche puisqu’à l’origine, ils se déroulent non seulement sur un espace spatio-temporel indéterminé ou du moins non défini précisément, mais aussi parce-que les groupes djihadistes ne disposent réellement ni de structure de commandement effective, ni d’autonomie, ni même d’un territoire qui leur est propre. Les attentats peuvent donc avoir lieu n’importe où et n’importe quand, au gré des cibles préférentielles désignées arbitrairement comme des oppresseurs de la foi musulmane dans son expression la plus radicale, c’est-à-dire construite sur  »le rejet de toute forme d’occidentalisation »8.
Ce faisant, le terrorisme ne saurait être qualifié de guerre au sens propre. Et si, abusivement, on a pu parler de guerre contre le terrorisme, il s’agit davantage d’une méprise lexicale et d’un phénomène de mode tendant à qualifier de guerre toute situation plus ou moins conflictuelle (on a ainsi pu parler de guerre économique, de guerre contre la faim, contre les médias…) que d’une exactitude juridique. Se méprenant de cet usage sémantique inadapté, les pays occidentaux et notamment les Etats-Unis n’ont pas hésité à employer le terme de  »guerre contre le terrorisme », sûrement de manière abusive. L’expression de guerre contre le terrorisme9 a ainsi été employée dès septembre 2001 par l’administration du Président Georges W. Bush pour définir les opérations militaires menées par les Etats-Unis contre Al-Qaïda en réponse aux attentats du 11 septembre. Toutefois, depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama en 2009, cette expression tendancieuse a finalement été abandonnée par les autorités américaines. Il s’agit d’une tournure sémantique largement contestée car non seulement rares ont été les dirigeants de l’autre rive de l’Atlantique à se penser réellement en guerre, mais cette expression ne correspond pas non plus à la réalité de la définition juridique de la guerre en Droit international. En ce sens, l’ex-Premier ministre français Dominique de Villepin n’a pas hésité à fustiger cette qualification excessive dans la mesure où la lutte contre le terrorisme ne met pas face à face deux entités étatiques mais des Etats avec des groupuscules dépourvus de tout caractère institutionnel, même s’ils se réclament d’un territoire. Dans la même optique Terry Jones, écrivain britannique, n’hésite pas à dénoncer, non sans ironie, l’emploi erroné de ce terme: pour lui,  »la première victime de la guerre, c’est la grammaire »10. Enfin, Jean-Pierre Steinhofer, officier supérieur de l’Armée de terre diplômé de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr, va quant à lui plus loin en affirmant encore que la guerre contre le terrorisme est  »une perversion sémantique, stratégique, militaire et juridique » qui fausse le raisonnement, une  »aberration intellectuelle » puisque  »le terrorisme n’est pas un ennemi, c’est une méthode de combat »11. D’autres, enfin, justifieront l’utilisation du terme de guerre par l’allégorie:  »la guerre contre le terrorisme est avant tout une métaphore, comme la guerre contre la drogue ou la guerre contre le crime. A ce titre, son emploi appartient à l’emphase normale du vocabulaire politique et reflète l’énormité de l’enjeu et de la mobilisation que représente, depuis le 11 septembre, la répression du terrorisme djihadiste international »12. Pourtant, force est de constater que la lutte menée contre les mouvements terroristes depuis le 11 septembre 2001 a largement dépassé le seuil de la simple hyperbole. En effet, les dégâts et la violence lors des attaques ont atteint une ampleur tout à fait comparable aux dommages que peut causer une véritable guerre.
De ce point de vue, puisque le terrorisme est un conflit contemporain qui n’oppose pas seulement des Etats mais des idéologies, qui ne présente aucune limite géographique et ne dispose à l’origine d’aucun territoire déterminé, d’aucune autonomie politique ni d’aucun ennemi clairement et surtout précisément identifié, il doit dès lors se comprendre non pas comme une insurrection globalisée mais plutôt comme une multitude de conflits distincts. Il s’agit finalement d’un conflit asymétrique mettant face à face des acteurs non étatiques désorganisés et réduits en nombre qui déclarent la guerre au reste du monde, à une pluralité de cibles hétérogènes en même temps, reflétant ainsi la nature bien particulière de l’action djihadiste actuelle. De manière synthétique, on peut dire que le terrorisme est une  »anti-guerre dont le but ultime est de sectionner les fondations et les repères sociaux, économiques et politiques »13 d’une société en s’attaquant à ses symboles, puisque c’est une  »arme qui vise le coeur même de l’individu au sein de la collectivité, en d’autres termes sa liberté, sa sécurité, sa propriété, soit tout ce que, traditionnellement, l’Etat – tout au moins démocratique – est censé lui garantir »14.

Ces spécificités qui caractérisent les mouvements terroristes s’accompagnent depuis peu d’une mutation des méthodes utilisées par ces factions fondamentalistes, renforçant encore davantage leur dangerosité. Depuis 2012 en effet et notamment le conflit malien encore en cours, les groupes terroristes s’organisent de plus en plus selon une structuration inspirée du modèle militaire dont le but est, pour la première fois, non plus seulement d’imposer un régime théocratique fondé sur l’application stricte de la loi musulmane, mais aussi voire surtout de s’emparer d’un Etat et d’imposer sa domination religieuse et politique sur ce territoire.

B) Les mutations de l’action terroriste depuis l’intervention française au Mali (2012)

Depuis 2012, le conflit au Mali pour lequel la France est intervenue a mis en lumière une mutation récente de l’activité terroriste islamiste ayant pris racine principalement dans les groupes africains. Dorénavant, il semble que les mouvements fondamentalistes se revendiquent être un Etat et veuillent, pour la première fois, acquérir une assise territoriale afin d’y imposer leur autorité et, ce faisant, leur propre conception de la Charia. Ainsi, aux groupes déterritorialisés succèdent désormais des mouvances bien localisées souhaitant s’implanter sur une terre précise.

Les groupes terroristes sont également beaucoup plus organisés qu’avant et cette structuration nouvelle permettrait presque de les rapprocher d’une véritable armée. En ce sens, les raids militaires sont fréquents et succèdent aux attentats-suicides qui, bien qu’encore d’actualité, tendant à se raréfier. Pour l’heure, la question qui se pose désormais est de savoir si cette tendance va se pérenniser et si elle va s’étendre à l’ensemble des mouvements djihadistes ou pas.

A titre d’exemple, il nous semble opportun de s’intéresser plus avant aux deux groupes armés islamistes africains qui semblent illustrer cette tendance, pourrait-on dire  »avant-gardiste », de l’action terroriste: le groupe nigérian Boko Haram et l’Etat Islamique (l’EI, ex-EIIL) principalement implanté en Irak et en Syrie.

Boko Haram, dont la traduction littérale signifie que  »l’enseignement occidental est impur », est un groupe sunnite pour la prédication et le djihad, fondé au Nigeria en 2002. Son objectif est clairement sous-tendu dans sa dénomination éloquente: instaurer une application stricte de la loi musulmane telle qu’enseignée par le Prophète pour l’étendre à l’ensemble du pays et combattre l’éducation occidentale, considérée comme un véritable pêché et comme le point de départ du déclin des sociétés islamiques. De ce point de vue, les attaques sanglantes de Boko Haram contre les chrétiens se multiplient et sèment un climat de terreur dans un Etat aujourd’hui déchiré par une véritable  »guerre de religion »15. D’ailleurs, l’enlèvement de plus de deux-cent lycéennes à Chibok le 14 avril 2014, destinées à être  »traitées en esclaves, vendues et mariées »16, exprime la haine du mouvement envers les principes pédagogiques occidentaux et particulièrement contre l’accès des jeunes filles à la scolarité.

Aujourd’hui, l’estimation des effectifs de ce mouvement terroriste varient:  »selon un rapport de l’organisation britannique Chatham House, Boko Haram compterait 8000 hommes »17, tandis que pour Mathieu Guidère, spécialiste des questions relatives au monde arabo-musulman, le groupe est  »un mouvement insurrectionnel islamiste qui compte aujourd’hui près de 30 000 membres »18. Boko Haram, dont la notoriété a été accrue depuis le rapt des jeunes lycéennes, souhaite instaurer un califat au Nigeria et tend, de ce fait, à se rapprocher d’un autre mouvement similaire: l’Etat islamique, auquel le groupe nigérian a clairement exprimé son soutien19.
L’EI, ou Etat islamique, ancien Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) est une organisation armée djihadiste active depuis 2002. En avril 2013, le groupe sunnite proclame le rétablissement du califat sur les territoires d’Irak et de Syrie qu’il contrôle et abandonne son appellation d’EIIL pour adopter désormais celle d’EI20. L’EI se considère en effet comme un véritable Etat, l’Etat islamique, non reconnu internationalement et en guerre en Syrie et en Irak, pays desquels il contrôle une partie du territoire, de chaque côté de leur frontière commune21.

Actuellement, comme pour Boko Haram, les effectifs réels du groupe sont encore mal connus, mais toutes les estimations concordent sur un point: la massification des recrutements. Globalement, le nombre de membres du mouvement est compris entre 10 000 et 50 00022. Yves Boyer, Professeur de relations internationales à l’Ecole polytechnique et directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique, estime quant à lui entre 20 000 et 30 000 ceux ayant rejoint les rangs de l’EI23. Plus effrayant encore, selon l’Observatoire des Droits de l’Homme, en août 2014 les combattants auraient dépassé le seuil des 50 000 en Syrie, dont 6 000 recrutés pour le seul mois de juillet24. Autre point inquiétant pour la communauté internationale, l’EI attire de nombreux français partis pour le djihad, à l’image de Mehdi Nemmouche25. Aujourd’hui, on peut même affirmer qu’en Syrie, un djihadiste occidental sur trois est français26.

Ce groupe ultra-radical serait encore plus violent qu’Al-Qaïda et entretiendrait avec la nébuleuse des relations tendues, rivales et très ambigües. D’ailleurs, l’opposition persistante entre ces deux organisations terroristes pourrait, à terme, conduire à un  »schisme au sein du djihad global »27. En ce sens l’EI, lorsqu’il a instauré son califat sur les provinces syriennes et irakiennes qu’il contrôle, a demandé à la nébuleuse et autres organisations djihadistes de se soumettre à son autorité, confirmant ainsi le désir de puissance et de rayonnement tant politique que religieux du groupe, qui dispose désormais de trois arguments de poids  »à faire valoir pour obtenir l’allégeance des combattants du jihad: l’étendue de son territoire, la puissance militaire et financière qui en découle, et sur le plan idéologique, la création hautement symbolique de ce califat »28.

Dès lors, la réaction et le type d’intervention qu’il convient de mener pour lutter contre cette nouvelle tendance des groupes terroristes, pour l’heure encore cloisonnée mais qui pourrait peut-être, dans les mois ou les années à venir, s’étendre à l’ensemble des activistes du djihad mondial, sont totalement différents de celles que la communauté internationale a pu mettre en place jusqu’à présent. Cette stratégie se caractérise par des missions ponctuelles qui visent pour l’heure exclusivement à limiter l’expansion, à réfréner l’avancée de ces groupes, comme l’illustre notamment l’intervention française au Mali en 2012. Toutefois, il est encore trop tôt pour avancer une analyse exacte quant à la pertinence de la réponse occidentale et outre-atlantique à ces attaques. Actuellement, les démocraties occidentales et outre-atlantiques oeuvrent à la mise en place d’une politique extérieure concordante et adaptée, et une récente coalition a pu être mise en place pour tenter de répondre à la conjoncture chaotique syro-irakienne, devenue aujourd’hui un défi sécuritaire majeur puisque l’Organisation des Nations Unies parle désormais de  »crime de guerre en Irak »29.

Aussi, en dépit d’un large consensus quant à la nécessité d’adapter la réponse stratégique et tactique aux particularités de ce conflit d’une violence sans nom, les démocraties occidentales et outre-atlantiques peinent, en raison des spécificités et des mutations extrêmement rapides de ces groupes, à mettre en place une politique de lutte efficace et les lacunes de nos Défenses préjudicient largement à la sécurité de l’environnement mondial tout entier.

 

 Florence Vitte

Doctorante contractuelle au CHERPA, diplômée du Master II Histoire militaire en 2014

Projet de recherche soutenu financièrement par la Région PACA

 

1L’activité ministérielle de Charles Pasqua, deux fois ministre de l’Intérieur (1986-1988 et 1993-1995), est notamment marquée par ses actions en matière de lutte contre le terrorisme.
2Alain Chouet, Au coeur des services spéciaux – La menace islamiste: fausses pistes et vrais dangers, La Découverte, Paris, 2013, 349p, p.50
3Sigmund Freud, Anthropologie de la guerre, Fayard, Paris, édition 2010, 384p, p.289
4Ben Laden,  »Extraits d’un entretien avec CNN » in Gilles Kepel, Al-Qaïda dans le texte, PUF, Paris, 2008, 474p, p.59 5Hélène L’Heuillet, Aux sources du terrorisme – De la petite guerre aux attentats-suicides, Fayard, Paris, 2009, 246p, p.2086Jean-Luc Marret, Techniques du terrorisme, PUF, Paris, 2002, 177p, p.31
7Pierre Mannoni, Les logiques du terrorisme, Editions In Press, Paris, 2004, 227p, p.153 8Jean-Michel Dasque, Géopolitique du terrorisme, Ellipses, Paris, 2013, 303p, p.27
9En américain, on a ainsi pu parler de War on terrorism, War on terror ou encore Global war on terror http://fr.wik ipedia.org/wiki/Guerre_contre_le_terrorisme
10Terry Jones, Préambule de Ma guerre contre la guerre au terrorisme, Flammarion, Paris, 2006, 229p 11Jean-Pierre Steinhofer,  »L’ennemi innomé », Défense nationale,n°712, octobre2008
12Gilles AndréanietPierre Hassner(dir.), Justifierlaguerre?Del’humanitaireaucontre-terrorisme,Pressesde Sciences Po, Paris, 2013, 485p, p.197
13Arnaud Blin, Al-Qaïda – Manuel pratique du terrorisme, Editions André Versailles, Paris, 2009, 190p, p.13
14ArnaudBlin, Ibid.,p.1315Jean-Philippe Rémy,  »Le Nigeria face au spectre d’une guerre de religion », Le Monde, 29 décembre 2011
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/12/29/le-nigeria-face-au-spectre-d-une-guerre-de- religion_1623966_3212.html
16 »Nigeria: leslycéennesenlevéesseronttraitéesen«esclaves»,«vendues»et«mariées» »,LeFigaro,05mai2014
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/05/05/97001-20140505FILWWW00120-nigeriarapt-revendication-de-boko- haram.php
17Tanguy Berthemet,  »L’ambition grandissante de Boko Haram », Le Figaro, 04 septembre 2014
http://www.lefigaro.fr/international/2014/09/04/01003-20140904ARTFIG00338-l-ambition-grandissante-de-boko- haram.php
18Mathieu Guidère,  »Boko Haram: la mobilisation médiatique est-elle efficace ou contre-productive? », Le Figaro, 13 mai 2014
http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/05/13/31002-20140513ARTFIG00104-boko-haram-la-mobilisation-mediatique- est-elle-efficace-ou-contre-productive.php19 »Nigeria: le chef de Boko Haram soutient al-Baghdadi, le «calife» de l’EIIL », France 24, 13 juillet 2014
http://www.france24.com/fr/20140713-nigeria-syrie-irak-shekau-chef-boko-haram-soutien-al-baghdadi-calife-eiil- djihad/
20 »L’EIIL annonce un «califat islamique en Syrie et en Irak» », Le Nouvel Observateur, 29 juin 2014
http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20140629.OBS2132/l -eiil-etablit-un-califat-islamique-en-syrie-et-en-irak.html 21http://fr.wikipedia.org/wiki/État_islamique_(État)
22 »L’Etat islamique, combien de combattants? », Le Monde, 22 août 2014 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/08/22/l-etat-islamique-combien-de-combattants_4475352_3218.html 23Yves Boyer,  »L’Etat islamique d’Irak et du Levant, «ennemi n°1 de l’Islam» », Le Figaro, 21 août 2014 http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2014/08/21/31002-20140821ARTFIG00342-l-etat-islamique-d-irak-et-du-levant-
ennemi-n1-de-l-islam.php
24 »Syrie: les combattants de l’Etat islamique ont dépassé les 50 000 », L’Orient le jour, 19 août 2014
http://www.lorientlejour.com/article/881654/syrie-les-combattants-de-letat-islamique-ont-depasse-les-50000.html
25Marie Le Douaran,  »L’Etat islamique en Irak et au Levant, incubateur de djihadis tes français », L’Express, 3 juin 2014
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/l-etat-islamique-en-irak-et-au-levant-incubateur-de- djihadistes-francais_1548183.html
26Edouard deMareschal,  »En Syrie, un djihadiste occidental surtrois serait français », Le Figaro, 5 septembre 2014
http://www.lefigaro.fr/international/2014/09/05/01003-20140905ARTFIG00012-en-syrie-un-djihadiste-occidental-sur- trois-serait-francais.php?pagination=2#nbcomments
27Romain Caillet,  »Avec l’EIIL, «Al-Qaïda est peu à peu ringardisée» », Le Point, 12 avril 2014http://www.lepoint.fr/monde/avec-l-eiil-al-qaida-est-peu-a-peu-ringardisee-12-04-2014-1812481_24.php
28RFI,  »Irak: l’EIIL proclame le califat islamique, avec al-Baghdadi en calife », Les voix du monde, 29 juin 2014
http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140629-irak-eiil-proclame-creation-califat-islamique-tikrit-al-qaida-syrie/
29 »L’ONU évoque des crimes de guerre en Irak », Le Monde, 16 juin 2014
http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/06/16/l-onu-evoque-des-crimes-de-guerre-en- irak _4438736_3218.html

Florence Vitte, étudiante du M2 Histoire Militaire, Géostratégie, Défense et Sécurité (promotion 2013-2014)

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