Gummersbach, 4 octobre 2013.
« Nous arrivons … il fait nuit. Le vent nous fouette le visage, l’humidité de la brume nous colle les vêtements à la peau et le froid nous salue de sa morsure. Nous entamons l’ascension de la côte qui nous mènera à notre prochaine destination. Laurent ouvre la marche… calme… imperturbable… le pas léger. Le Professeur le suit, nous sentons l’endurance de ses jambes expérimentées. Nous les suivons… le pas lourd… chargés de nos effets. L’ascension est rude. Les muscles sont mis à mal. A chaque pas, nous espérons voir le bout du chemin. Eprouvés par un long voyage, notre moral montre les premiers signes de faiblesse. Mais à elle seule, la ténacité du Professeur faisait résonner dans nos cœurs un seul mot qui nous poussait à avancer… « Courage ! ». Arrivés au terme de notre marche, c’est ainsi que nous vîmes se dresser … la Theodor Heuss Akademie ! » (version longue)
Introduction
Dans le cadre de la célébration des 50 ans du Traité de l’Elysée, un dialogue franco-allemand a été organisé à la Théodor-Heuss Akademie de Gummersbach par Laurent Borzillo et Maximilan Losch, anciens diplômés de l’IEP d’Aix en Provence. Ce séminaire s’est articulé autour de conférences, débats et travaux de groupes entre participants issus de parcours universitaires variés. Par la diversité de leurs disciplines, les intervenants de cette manifestation ont pu apporter un regard transversal sur les problématiques de la défense européenne. Cet article rend compte des différentes facettes de ce séminaire.
Une ouverture sur une note guerrière…
Afin de s’immerger dans les problématiques de défense et de prendre conscience de la dure réalité d’une opération extérieure, à laquelle les soldats de la FIAS ont été confrontés en Afghanistan, un film a été projeté aux participants dès le premier soir, L’Ennemi intime réalisé par Florent Emilio Siri.
Dans ce long-métrage, la représentation de la violence est employée de manière fine, d’un point de vue historique. Le mérite du réalisateur est de faire naître l’appréhension des scènes brutales telles la découverte des cadavres par Rachid, l’exécution des prisonniers par le lieutenant Terrien et l’élimination d’un groupe d’insurgés au napalm. Loin d’être un support scénaristique pour stimuler le spectateur, le recours à la violence procède du souci de témoigner de la vérité d’une horreur de guerre. Le Professeur Jauffret soutenait à ce propos que 90% des faits racontés sont vrais dans leur aspect scénaristique, et qu’il s’agissait d’un des rares films politiques sur la guerre d’Algérie. Un parallèle avec la guerre d’Afghanistan n’est pas fortuit dans la mesure où plusieurs des exactions présentées dans le film se sont reproduites sur le théâtre afghan.
Politique de la défense européenne : état des lieux
Une conférence fut proposée par Monsieur Le Professeur Jauffret et la doctorante Tahmina Hadjer sur "les opérations militaires lors des interventions à l’étranger : une comparaison France Allemagne". Le Professeur Jauffret a souligné que la France effectuait deux types de projections de puissance, soit en coalition, comme en Afghanistan, ou seule comme au Mali. Dans ce dernier, la flotte française avec ses bâtiments de projection type Dixmude et des troupes déjà présentes sur le sol africain ont rendu possible une intervention rapide, afin de repousser les mouvements d’Aqmi et du Mujao. Avec l’aide des forces tchadiennes, les troupes françaises sont parvenues les 10 et 11 mars 2013 à maitriser environ 400 djihadistes dans la région de Gao en tirant parti des leçons du combat d’Uzbin en Afghanistan en 2008. Après avoir retracé l’histoire et la situation géopolitique de l’Afghanistan, Tahmina Hadjer a présenté les aspects de l’intervention de la Bundeswehr en Afghanistan au sein de la coalition. Les forces allemandes localisées au nord du pays ont souhaité éviter la confrontation dans un premier temps, pour ensuite changer d’optique sous d’influence des Etats-Unis sauf en cas de légitime défense. Elle a conclu en exposant les scénarii probables sur l’évolution de la situation afghane tels le dialogue avec les talibans, la constitution d’un Etat taliban ou une possible guerre civile, en cas d’échec de l’OTAN et de la FIAS à établir une réelle démocratie dans ce « pays de l’insolence ». Une différence d’approche entre la France, l’Allemagne et les Etats-Unis peut être observée au sujet de l’Afghanistan, les pays européens ne partageant pas cette même volonté d’y imposer la démocratie à tout prix au regard du concept américain de ‘nation building’. En ce qui concerne l’avenir de l’Afghanistan le Professeur Jauffret songe à deux possibilités. La première consiste en un retrait des forces coalisées avec un maintien des bases américaines sur place, la sécurité du pays devant être assurée par l’ANA (Armée Nationale Afghane), la seconde en une partition du pays. Il espère cependant que la jeunesse afghane sera en mesure de changer le destin de ce pays.
Les nouveaux défis sécuritaires auxquels l’Union Européenne fait face ont ensuite été exposés aux participants par Peter Scholl-Latour. Selon lui, dans un monde complexe faisant face à des défis multiples, l’Union Européenne devrait être en mesure de fonder une armée unie en Europe afin de rester crédible dans le domaine de la défense envers les pays émergents tels l’Inde ou la Chine. Il souligne cependant un manque de volonté européenne et notamment de vrais hommes politiques européens capables de diriger l’Union.
Vers une concrétisation de l’Europe de la défense ?
Le député Karl Lamers et le diplomate Frank Elbe ont présenté aux étudiants leurs points de vue concernant l’avenir de la PESC et la PSCD. Karl Lamers a souligné l’interdépendance des Européens et ce notamment dans le domaine de la défense, la sécurité de tous ne pouvant être éternellement assurée par les Américains. Selon lui, la politique étrangère et la politique intérieure sont indissociables. Il démontre que les Européens ont plus de choses en commun que de différences, ce qui doit encourager des actions communes notamment dans le domaine de la défense. De son côté, Frank Elbe présente l’Union Européenne comme une histoire à succès grâce à la paix désormais établie sur le continent. Le défi auquel l’Europe fait actuellement face est selon lui sa gestion de la mondialisation. Alors qu’il avait participé à l’élaboration de Traité de Maastricht, il fut déçu des résultats concernant l’Europe de la défense soulignant un manque d’ambition politique dans ce domaine sensible. Frank Elbe estime qu’il est urgent que les Européens définissent leurs priorités au sujet de la sécurité. Il soutient l’idée d’une amélioration des relations avec les pays de l’Europe de l’Est et du Sud, notamment en améliorant la politique européenne envers la Russie et l’Ukraine, que l’on ne peut exclure des problématiques sécuritaires du continent européen.
Une réflexion neuve sur les nouveaux enjeux de la défense européenne
Afin d’affiner la perception des participants sur les enjeux de l’Europe de la défense, quatre groupes de travail ont été constitués autour des sujets suivants : la coopération militaire européenne, les opérations extérieures de la Bundeswehr et de l’armée française, l’environnement stratégique de l’Union Européenne et le « Parlamentsvorbehalt » vs. « domaine réservé ». Ces groupes de travail ont été l’occasion de confronter des avis divers autour des thématiques de la défense européenne. Le traitement de ces sujets s’est nourri des nombreux points de vue des participants, à quoi s’ajoutent une cohésion de groupe, une ambiance de travail agréable, et une écoute mutuelle de chacun. Ceci permettant de faire émerger de vraies perspectives d’avenir pour l’Europe grâce à l’aide des intervenants et des textes mis à disposition.
Marianne et Michel : entre dialogue et gastronomie
Loin de se limiter à sa dimension académique, le séminaire a permis la rencontre des cultures française et allemande. Les étudiants français eurent la chance de découvrir la gastronomie allemande. Sur une note un peu plus festive, dans le cadre d’une discussion informelle mettant à l’honneur ce vieux couple que forment Marianne et Michel, les participants purent déguster des vins français et allemands le tout accompagné des recommandations de fin œnologue du Professeur Jauffret. A l’instar de ces images d’Epinal, les dialogues entre participants autour d’un feu de cheminée donnèrent lieu à des échanges … chaleureux !
Conclusion
Il est possible de percevoir ce séminaire franco-allemand comme s’inscrivant dans la continuité des balbutiements de la construction d’une communauté européenne de la défense, par la rencontre de plusieurs étudiants de France et d’Allemagne autour des questions de la défense européenne. Ce à quoi le Professeur Jean-Charles Jauffret conclut magistralement par la formule : « C’est vous [les jeunes] qui ferez l’Europe !»
Youri Laviolette et Elisabeth Brue, étudiants de Master II en 2013-2014
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