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Afghanistan : l’impossible conférence sur la sécurité

13 juin

Vous pouvez retrouver le dernier article du Professeur Jean-Charles Jauffret sur Diploweb en cliquant ici http://www.diploweb.com/Afghanistan-l-impossible.html

LE NŒUD GORDIEN AFGHAN

17 avr
Le 6 avril 2013, en divers lieux, six Américains sont tués en Afghanistan, dont une jeune diplomate et un médecin afghan. Peu après, un raid de représailles de l’aviation de la coalition aurait tué le même nombre de civils afghans, dont des enfants. Business as usual dans le sens de la terreur et de la contre-terreur ? Pas tout à fait, depuis le 16 août dernier, les Américains n’avaient pas subi de pertes aussi importantes pour une année 2012 qui a vu très fortement décroître le taux de pertes de la coalition. Pour quelles raisons ? C’est qu’il se passe de drôles de choses au pays de l’insolence, alors que l’attention des médias se reporte sur le Mali, la Corée du Nord et le drame syrien…
Le poker menteur
En 2001, sous mandat international, pensant faire la guerre à Al-Qaida par acte de légitime défense, la coalition est tombée dans Le Piège afghan selon le titre du reportage interrompu par leur enlèvement d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier. Cette vengeance du 11 septembre a entraîné les Etats-Unis et leurs alliés dans douze années de guerre pendant lesquelles l’Occident a tout promis pour ne laisser qu’un narco-Etat, une corruption généralisée, des milliers de morts et des taliban plus puissants que jamais, estime le grand reporter Eric de Lavarène dans un documentaire à charge . Pour l’ancien ambassadeur britannique en Afghanistan, Sir Sherard Cowper-Coles, auteur de Cables from Kabul : the Inside Story of the West , la guerre est perdue : « L’histoire retiendra une affaire de vengeance et des erreurs de jugement. La guerre contre Al-Qaida s’est transformée en volonté de reconstruire un Etat et de stabiliser l’une des régions les plus complexes de la planète » . Une prise de conscience tardive d’une nouvelle guerre prenant de l’ampleur se plaqua sur les principes de la contre-insurrection. Celle-ci fut abandonnée trop tôt après la mort, au Pakistan, complice, de Ben Laden le 2 mai 2011, pour un retour au seul contre-terrorisme et ses « dommages collatéraux » qui achèvent de transformer la FIAS (Force internationale d’assistance et de sécurité) en armée d’occupation. Ainsi, les nations et leurs opinions publiques défaitistes impliquées dans cette affaire très mal conduite pratiquent la politique de l’autruche. Foin de la notion de sécurité collective à l’origine de l’intervention en 2001.
Si mal conduite par des Américains surtout préoccupés par la chasse aux djihadistes et une OTAN aux bottes de plomb subissant plutôt que conduisant la guerre, l’affaire afghane se termine, provisoirement, par le plus grand poker menteur de l’histoire. Depuis décembre 2012-janvier 2013, au moment (10 et 11 janvier) où Karzaï, reçu à Washington, tente auprès d’Obama d’obtenir, en vain, une réponse claire quant au maintien de bases, de FS (forces spéciales) et d’aéronefs après 2014, les taliban, passés maître dans l’art d’abuser des opinions publiques défaitistes qui ne demandent qu’à croire que tout va pour le mieux en Afghanistan, cessent toute attaque d’envergure contre des forces coalisées qui rembarquent plus vite que prévu. De leur côté, tout en usant de l’arme destructrice, en marge du droit international, des FS (14 000 hommes en 2012, une moyenne de 400 opérations/semaine) et des missiles Hellfire lancés par l’arme sournoise des drones armés (un tir en moyenne tous les 4 jours), tant en Afghanistan qu’au Pakistan, les États-Unis veulent faire croire que l’inaction soudaine des insurgés contre les intérêts de la coalition prouve que les frappes répétées contre les commandants locaux permettent d’envisager un retrait, sinon victorieux, du moins serein. De leur côté, les taliban amusent la galerie en participant, peu ou prou, à des négociations sur la paix depuis 2009, essentiellement à Doha, tandis que depuis le 4 février 2013, un plan de paix de Londres, réunissant Hamid Karzaï, Asif Ali Zardari (Pakistan) et David Cameron croit possible de conclure un accord d’ici six mois. Les conversations avec les taliban sont la reconnaissance de facto d’une défaite politique et d’une solution à court terme qui ne tient pas compte de la sécurité du pays.
Vers une nouvelle guerre civile ?
Au moment du retrait précipité des coalisés, certains signes inquiétants font craindre le pire. En 2012, les 6 millions de réfugiés afghans (dont 1,7 million au Pakistan), refusent de rentrer dans leur pays. Autour de Kaboul, des victimes des talibans et des « dommages collatéraux » de la coalition viennent à nouveau grossir les camps de réfugiés, tandis que des déracinés vivent dans des grottes à quelques encablures d’une capitale où les barons de la drogue et les pillards de l’aide internationale étalent un luxe ostentatoire. De plus, les rats quittent le navire : le régime, qui n’a aucun projet de société à proposer, voit une partie de son élite politique, pas nécessairement la plus corrompue, prendre la fuite en achetant des passeports étrangers et construire, pour les plus riches, de somptueuses résidences à Dubaï et au Qatar. L’argent du pillage des dons de la communauté internationale et des profits de la drogue s’y trouve à l’abri. Des familles de dirigeants afghans sont déjà dans le paradis doré des Emirats arabes unis et de Doha. Un tel exemple est-il capable de tendre les énergies face à l’offensive des taliban qui a déjà commencé.
Pour l’année 2012, 304 officiels afghans, dont des gouverneurs de provinces, ont été tués, soit une augmentation de 700% par rapports aux années précédentes. Tout aussi grave, entre mars 2012 et mars 2013, 3 000 soldats et policiers afghans ont été tués, presque autant que la coalition depuis 2001. Kaboul est-elle condamnée à revivre, après la chute de l’administration mise en place par les Américains, un scénario évoquant les terribles années 1992-1996, du renversement de Najibullah à l’Emirat islamique ? La situation n’est pas la même et les factions sont moins nombreuses. Il semble que deux Afghanistan seraient susceptibles d’apparaître. D’un côté, autour de taliban revanchards, un bloc pachtoun moins soudé qu’il n’y paraît , de l’autre, depuis 2011 autour d’une Alliance du Nord en voie de reconstruction, un NFA (National Front for Afghanistan) sous l’autorité d’Ahmed Zia Massoud (frère du regretté commandant) regroupant Tadjiks, qui réarment, Ouzbeks et Hazaras. A moins que ces derniers, piliers de l’actuelle administration Karzaï, ne constituent une troisième force chiite, rendant encore plus inextricable l’imbroglio afghan.
Mais tout ne se jouera pas en vase clos. La menace d’une renaissance du terrorisme oblige les coalisés à laisser une force minimale pour éviter le pire, c’est-à-dire une renaissance d’Al-Qaida en territoire afghan. C’est l’hypothèse du maintien de bases américaines et de l’OTAN et même d’une force de réaction rapide, indispensable pour épauler la fragile ANA ; solution déjà évoquée par le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, en septembre 2011, dans le cadre du « partenariat stratégique ». Rien ne garantit cependant la pérennité du gouvernement centralisé de Kaboul dans son désir de vouloir contrôler autre chose que la grande banlieue de la capitale ou de quelques bastions. Si bien que la question de la partition du pays, est inhérente à celle de la guerre civile. Mais est-elle la seule issue envisageable ?
Autre aspect dont il faut tenir compte, les investissements et les prospections minières de pays comme la Chine et l’Inde indiquent que l’Afghanistan a bien intégré le XXIe siècle. L’argent de la drogue n’est pas le seul agent de la mondialisation. Le soutien financier international au gouvernement afghan est envisagé après 2014. Les accords de partenariat se multiplient, comprenant des programmes d’assistance dans le domaine culturel et universitaire. Pour le chercheur en sciences politiques, Georges-Henri Bricet des Vallons, le retrait des coalisés laisse un pays dans un piètre état, mais où les intérêts économiques dominent : « La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan » .
L’Espoir ?
Le village fortifié afghan fait partie de la cité mondiale, ses richesses encore inexploitées ne le condamnent plus à l’isolement. Le bilan de la coalition est positif sur ce plan de l’ouverture. Il reste des routes, aéroports, hôpitaux, écoles, universités… Ces juges, médecins, officiers, administrateurs formés à l’école de l’Occident sont autant de promoteurs de modernité. Kaboul fait figure de mégalopole avec ses centres commerciaux et ses embouteillages. « Surfant » sur internet, à l’écoute d’Al-Jazira et maniant Twitter et Facebook les jeunes citadins croient en l’avenir de leur nation-arlequin, hors de l’emprise des taliban et de leur modèle médiéval. Les Afghans eux-mêmes ont une arme secrète : leur jeunesse. En effet, 65% de la population ont moins de 25 ans. De jeunes entrepreneurs, des députées de la Chambre basse, les démocrates qui entourent le Dr Abdullah Abdullah ou Ahmed Zia Massoud qui propose une assemblée représentatives de toutes les ethnies, croient au XXIe siècle. En août 2011, Hamid Karzaï annonce qu’il ne briguera point un troisième mandat présidentiel pour les élections de 2014. Si son frère se présente, cela reconduirait le système maffieux actuel et le régime présidentiel où le chef de l’Etat gouverne sans Premier ministre. Mais on peut rêver d’un premier vrai débat politique et, peut-être, la venue d’un homme nouveau digne de confiance, tel le Dr Abdullah Abdullah, Tadjik époux d’une Pachtoune ?
L’écrivain Atiq Rahimi espère qu’en écho du « printemps arabe » l’optimisme de l’action l’emportera sur le pessimisme de l’intelligence. Et ce, lors d’une émission sur France-Culture consacrée à l’Afghanistan, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en compagnie de témoins afghans : « La démocratie est une valeur-lumière, elle appartient à l’humanité, nous Afghans avons droit à la liberté » . L’historien afghan Azin Nain, enseignant à l’Université de Bourgogne, croit encore (comme Henry Kissinger), que le chemin de la paix passe par une diplomatie forte impliquant l’entente régionale autour de la stabilité de l’Afghanistan. Il assure que la société civile afghane aspire à une paix durable et que les femmes ont bravé l’interdit des taliban pour participer à la vie politique du pays : « La guerre n’est pas une fatalité afghane ; elle peut être vaincue par la volonté de cette majorité silencieuse qui en a assez de voir ses enfants périr dans les flammes d’un nouveau conflit dont les enjeux dépassent de loin l’Afghanistan » .
Nul ne peut prédire l’avenir immédiat du pays de l’insolence malgré ce qui ressemble aux prémices de la guerre civile au regard de la croissance exponentielle, depuis plus d’un an, des attaques contre les représentants, civils et militaires, de l’administration Karzaï. Il reste à espérer que 40 années de souffrances, depuis le début des luttes de factions en 1973, mettent enfin la guerre hors-la-loi, que le départ des occupants laissent entre eux des Afghans capables de transcender leurs différences, tout en se dégageant de l’obscurantisme militant des taliban ce qui est, toutefois, moins sûr. Mais, comme le dirait André Malraux, cette Condition humaine si douloureuse dans ce pays meurtri n’attend-elle pas sa Voie royale, celle de L’Espoir ?
Jean-Charles JAUFFRET, professeur des Universités et directeur du Master II
(Cet article reprend en grande partie la conclusion de notre ouvrage, Afghanistan, 2001-2013 : la guerre inachevée, Autrement, avril 2013, 350 p.)

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