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LE NŒUD GORDIEN AFGHAN

17 Apr
Le 6 avril 2013, en divers lieux, six Américains sont tués en Afghanistan, dont une jeune diplomate et un médecin afghan. Peu après, un raid de représailles de l’aviation de la coalition aurait tué le même nombre de civils afghans, dont des enfants. Business as usual dans le sens de la terreur et de la contre-terreur ? Pas tout à fait, depuis le 16 août dernier, les Américains n’avaient pas subi de pertes aussi importantes pour une année 2012 qui a vu très fortement décroître le taux de pertes de la coalition. Pour quelles raisons ? C’est qu’il se passe de drôles de choses au pays de l’insolence, alors que l’attention des médias se reporte sur le Mali, la Corée du Nord et le drame syrien…
Le poker menteur
En 2001, sous mandat international, pensant faire la guerre à Al-Qaida par acte de légitime défense, la coalition est tombée dans Le Piège afghan selon le titre du reportage interrompu par leur enlèvement d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier. Cette vengeance du 11 septembre a entraîné les Etats-Unis et leurs alliés dans douze années de guerre pendant lesquelles l’Occident a tout promis pour ne laisser qu’un narco-Etat, une corruption généralisée, des milliers de morts et des taliban plus puissants que jamais, estime le grand reporter Eric de Lavarène dans un documentaire à charge . Pour l’ancien ambassadeur britannique en Afghanistan, Sir Sherard Cowper-Coles, auteur de Cables from Kabul : the Inside Story of the West , la guerre est perdue : « L’histoire retiendra une affaire de vengeance et des erreurs de jugement. La guerre contre Al-Qaida s’est transformée en volonté de reconstruire un Etat et de stabiliser l’une des régions les plus complexes de la planète » . Une prise de conscience tardive d’une nouvelle guerre prenant de l’ampleur se plaqua sur les principes de la contre-insurrection. Celle-ci fut abandonnée trop tôt après la mort, au Pakistan, complice, de Ben Laden le 2 mai 2011, pour un retour au seul contre-terrorisme et ses « dommages collatéraux » qui achèvent de transformer la FIAS (Force internationale d’assistance et de sécurité) en armée d’occupation. Ainsi, les nations et leurs opinions publiques défaitistes impliquées dans cette affaire très mal conduite pratiquent la politique de l’autruche. Foin de la notion de sécurité collective à l’origine de l’intervention en 2001.
Si mal conduite par des Américains surtout préoccupés par la chasse aux djihadistes et une OTAN aux bottes de plomb subissant plutôt que conduisant la guerre, l’affaire afghane se termine, provisoirement, par le plus grand poker menteur de l’histoire. Depuis décembre 2012-janvier 2013, au moment (10 et 11 janvier) où Karzaï, reçu à Washington, tente auprès d’Obama d’obtenir, en vain, une réponse claire quant au maintien de bases, de FS (forces spéciales) et d’aéronefs après 2014, les taliban, passés maître dans l’art d’abuser des opinions publiques défaitistes qui ne demandent qu’à croire que tout va pour le mieux en Afghanistan, cessent toute attaque d’envergure contre des forces coalisées qui rembarquent plus vite que prévu. De leur côté, tout en usant de l’arme destructrice, en marge du droit international, des FS (14 000 hommes en 2012, une moyenne de 400 opérations/semaine) et des missiles Hellfire lancés par l’arme sournoise des drones armés (un tir en moyenne tous les 4 jours), tant en Afghanistan qu’au Pakistan, les États-Unis veulent faire croire que l’inaction soudaine des insurgés contre les intérêts de la coalition prouve que les frappes répétées contre les commandants locaux permettent d’envisager un retrait, sinon victorieux, du moins serein. De leur côté, les taliban amusent la galerie en participant, peu ou prou, à des négociations sur la paix depuis 2009, essentiellement à Doha, tandis que depuis le 4 février 2013, un plan de paix de Londres, réunissant Hamid Karzaï, Asif Ali Zardari (Pakistan) et David Cameron croit possible de conclure un accord d’ici six mois. Les conversations avec les taliban sont la reconnaissance de facto d’une défaite politique et d’une solution à court terme qui ne tient pas compte de la sécurité du pays.
Vers une nouvelle guerre civile ?
Au moment du retrait précipité des coalisés, certains signes inquiétants font craindre le pire. En 2012, les 6 millions de réfugiés afghans (dont 1,7 million au Pakistan), refusent de rentrer dans leur pays. Autour de Kaboul, des victimes des talibans et des « dommages collatéraux » de la coalition viennent à nouveau grossir les camps de réfugiés, tandis que des déracinés vivent dans des grottes à quelques encablures d’une capitale où les barons de la drogue et les pillards de l’aide internationale étalent un luxe ostentatoire. De plus, les rats quittent le navire : le régime, qui n’a aucun projet de société à proposer, voit une partie de son élite politique, pas nécessairement la plus corrompue, prendre la fuite en achetant des passeports étrangers et construire, pour les plus riches, de somptueuses résidences à Dubaï et au Qatar. L’argent du pillage des dons de la communauté internationale et des profits de la drogue s’y trouve à l’abri. Des familles de dirigeants afghans sont déjà dans le paradis doré des Emirats arabes unis et de Doha. Un tel exemple est-il capable de tendre les énergies face à l’offensive des taliban qui a déjà commencé.
Pour l’année 2012, 304 officiels afghans, dont des gouverneurs de provinces, ont été tués, soit une augmentation de 700% par rapports aux années précédentes. Tout aussi grave, entre mars 2012 et mars 2013, 3 000 soldats et policiers afghans ont été tués, presque autant que la coalition depuis 2001. Kaboul est-elle condamnée à revivre, après la chute de l’administration mise en place par les Américains, un scénario évoquant les terribles années 1992-1996, du renversement de Najibullah à l’Emirat islamique ? La situation n’est pas la même et les factions sont moins nombreuses. Il semble que deux Afghanistan seraient susceptibles d’apparaître. D’un côté, autour de taliban revanchards, un bloc pachtoun moins soudé qu’il n’y paraît , de l’autre, depuis 2011 autour d’une Alliance du Nord en voie de reconstruction, un NFA (National Front for Afghanistan) sous l’autorité d’Ahmed Zia Massoud (frère du regretté commandant) regroupant Tadjiks, qui réarment, Ouzbeks et Hazaras. A moins que ces derniers, piliers de l’actuelle administration Karzaï, ne constituent une troisième force chiite, rendant encore plus inextricable l’imbroglio afghan.
Mais tout ne se jouera pas en vase clos. La menace d’une renaissance du terrorisme oblige les coalisés à laisser une force minimale pour éviter le pire, c’est-à-dire une renaissance d’Al-Qaida en territoire afghan. C’est l’hypothèse du maintien de bases américaines et de l’OTAN et même d’une force de réaction rapide, indispensable pour épauler la fragile ANA ; solution déjà évoquée par le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, en septembre 2011, dans le cadre du « partenariat stratégique ». Rien ne garantit cependant la pérennité du gouvernement centralisé de Kaboul dans son désir de vouloir contrôler autre chose que la grande banlieue de la capitale ou de quelques bastions. Si bien que la question de la partition du pays, est inhérente à celle de la guerre civile. Mais est-elle la seule issue envisageable ?
Autre aspect dont il faut tenir compte, les investissements et les prospections minières de pays comme la Chine et l’Inde indiquent que l’Afghanistan a bien intégré le XXIe siècle. L’argent de la drogue n’est pas le seul agent de la mondialisation. Le soutien financier international au gouvernement afghan est envisagé après 2014. Les accords de partenariat se multiplient, comprenant des programmes d’assistance dans le domaine culturel et universitaire. Pour le chercheur en sciences politiques, Georges-Henri Bricet des Vallons, le retrait des coalisés laisse un pays dans un piètre état, mais où les intérêts économiques dominent : « La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan » .
L’Espoir ?
Le village fortifié afghan fait partie de la cité mondiale, ses richesses encore inexploitées ne le condamnent plus à l’isolement. Le bilan de la coalition est positif sur ce plan de l’ouverture. Il reste des routes, aéroports, hôpitaux, écoles, universités… Ces juges, médecins, officiers, administrateurs formés à l’école de l’Occident sont autant de promoteurs de modernité. Kaboul fait figure de mégalopole avec ses centres commerciaux et ses embouteillages. « Surfant » sur internet, à l’écoute d’Al-Jazira et maniant Twitter et Facebook les jeunes citadins croient en l’avenir de leur nation-arlequin, hors de l’emprise des taliban et de leur modèle médiéval. Les Afghans eux-mêmes ont une arme secrète : leur jeunesse. En effet, 65% de la population ont moins de 25 ans. De jeunes entrepreneurs, des députées de la Chambre basse, les démocrates qui entourent le Dr Abdullah Abdullah ou Ahmed Zia Massoud qui propose une assemblée représentatives de toutes les ethnies, croient au XXIe siècle. En août 2011, Hamid Karzaï annonce qu’il ne briguera point un troisième mandat présidentiel pour les élections de 2014. Si son frère se présente, cela reconduirait le système maffieux actuel et le régime présidentiel où le chef de l’Etat gouverne sans Premier ministre. Mais on peut rêver d’un premier vrai débat politique et, peut-être, la venue d’un homme nouveau digne de confiance, tel le Dr Abdullah Abdullah, Tadjik époux d’une Pachtoune ?
L’écrivain Atiq Rahimi espère qu’en écho du « printemps arabe » l’optimisme de l’action l’emportera sur le pessimisme de l’intelligence. Et ce, lors d’une émission sur France-Culture consacrée à l’Afghanistan, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en compagnie de témoins afghans : « La démocratie est une valeur-lumière, elle appartient à l’humanité, nous Afghans avons droit à la liberté » . L’historien afghan Azin Nain, enseignant à l’Université de Bourgogne, croit encore (comme Henry Kissinger), que le chemin de la paix passe par une diplomatie forte impliquant l’entente régionale autour de la stabilité de l’Afghanistan. Il assure que la société civile afghane aspire à une paix durable et que les femmes ont bravé l’interdit des taliban pour participer à la vie politique du pays : « La guerre n’est pas une fatalité afghane ; elle peut être vaincue par la volonté de cette majorité silencieuse qui en a assez de voir ses enfants périr dans les flammes d’un nouveau conflit dont les enjeux dépassent de loin l’Afghanistan » .
Nul ne peut prédire l’avenir immédiat du pays de l’insolence malgré ce qui ressemble aux prémices de la guerre civile au regard de la croissance exponentielle, depuis plus d’un an, des attaques contre les représentants, civils et militaires, de l’administration Karzaï. Il reste à espérer que 40 années de souffrances, depuis le début des luttes de factions en 1973, mettent enfin la guerre hors-la-loi, que le départ des occupants laissent entre eux des Afghans capables de transcender leurs différences, tout en se dégageant de l’obscurantisme militant des taliban ce qui est, toutefois, moins sûr. Mais, comme le dirait André Malraux, cette Condition humaine si douloureuse dans ce pays meurtri n’attend-elle pas sa Voie royale, celle de L’Espoir ?
Jean-Charles JAUFFRET, professeur des Universités et directeur du Master II
(Cet article reprend en grande partie la conclusion de notre ouvrage, Afghanistan, 2001-2013 : la guerre inachevée, Autrement, avril 2013, 350 p.)

Al Qaeda, état des lieux

31 Jan

Diplômé en 2012 du Master II, Romain Sens propose un état des lieux sur la nébuleuse Al Qaeda en 3 points : Al Qaeda central, les franchises ou branches régionales de la nébuleuse et Al Qaeda dans les printemps arabes. La première partie est mise en ligne aujourd’hui ; les deux parties suivantes viendront compléter cet état des lieux dans les jours qui viennent.

 

Partie 1 : Le Waziristan, dernier sanctuaire d’Al-Qaïda Central.

 

Depuis le 11 septembre 2001, l’organisation djihadiste internationale Al-Qaïda a eu à affronter de nombreux défis après être entrée en guerre ouverte totale avec les Etats-Unis.

Les objectifs de son fondateur Oussama Ben Laden étaient doubles : provoquer des attentats terroristes de masse sur le sol occidental afin d’effrayer les populations américaines et européennes et les convaincre d’obliger leurs gouvernants à se retirer du Moyen-Orient, tant en termes de déploiement militaire que d’influence géopolitique. Dans le même temps, ces attaques devaient galvaniser les populations arabo-musulmanes et les amener à chasser leurs gouvernants autocrates afin de réinstaurer un califat, en commençant par l’échelle régionale.  Cette doctrine caractéristique du djihadisme a été la matrice de la nébuleuse Al-Qaïda depuis sa fondation à la frontière afghano-pakistanaise en 1987 par Oussama Ben Laden et Abdullah Azzam.

Contrairement à l’AKP turque par exemple, Al-Qaïda s’est toujours opposée à un processus de prise de pouvoir par la voie démocratique, affirmant que la Charia et le Califat ne doivent être imposés que par la seule force des armes (la légitimité du Califat devant provenir d’Allah et non du peuple). Cependant les conséquences du 11 septembre 2001 ont entrainé une divergence au sein de l’organisation quand à la stratégie globale à adopter. Oussama Ben Laden, voulait frapper l’Occident de la même façon que lors des attentats du 11 septembre 2001 par des attaques spectaculaires. Sans être directement orchestrés par Oussama Ben Laden, les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2006 se sont inscrits dans cette stratégie. Mais le renforcement de la lutte anti-terroriste au sein des pays occidentaux a empêché l’organisation de rééditer ensuite des attentats de cette ampleur. De même la lutte que mènent depuis 11 ans les Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan contre la nébuleuse djihadiste constitue l’une des raisons de l’échec d’Al-Qaïda à poursuivre des campagnes terroristes. De graves reproches ont été adressés à Ben Laden par certains de ses cadres après l’invasion de l’Afghanistan par les troupes de l’OTAN : en ayant attaqué spectaculairement les Etats-Unis en 2001, Oussama Ben Laden avait réveillé un géant endormi, dont la riposte a privé l’organisation de son principal sanctuaire depuis la prise de pouvoir à Kaboul des Talibans en 1996. De fait, en détruisant les camps d’entraînements d’Al-Qaïda en Afghanistan, notamment celui de Jalalabad, les Etats-Unis ont détruit la principale base de préparation aux attaques terroristes en Occident. Ne pouvant plus toucher l’ennemi jusque chez lui (même si de nombreuses tentatives continuent d’être menées comme celle de Farouk Omar sur le vol américain du 24 décembre 2009), Al-Qaïda a donc entamé une réorientation stratégique.

La stratégie d’Al-Qaïda repose désormais sur l’équation suivante. Avant de pouvoir un jour frapper à nouveau (et si possible plus durement et durablement) l’Europe et les Etats-Unis, Al-Qaïda estime qu’il est nécessaire de prendre le pouvoir dans des régions du monde arabo-musulman ; d’y exercer un contrôle du territoire et d’y faire respecter la souveraineté de la Charia ; et surtout (ce qui reste l’échec majeur d’Al-Qaïda depuis 2001), d’arriver à susciter l’adhésion des populations gouvernées par les djihadistes. Une fois ces nouveaux « émirats » sous contrôle, une politique d’expansion politique faisant tâche d’huile dans tout le monde arabo-musulman serait alors mise en place. Une fois le califat régional reconstitué, celui-ci serait en mesure d’affronter un choc des civilisations avec l’Occident, la mobilisation de l’Oumma dans son ensemble devenant bien plus efficace d’un point de vue militaire que ne peuvent l’être les cellules terroristes infiltrées.

Nous analyserons la façon dont Al-Qaïda s’efforce aujourd’hui de mettre en œuvre cette nouvelle stratégie d’implantation territoriale : en maintenant son implantation centrale en Afpak malgré la pression américaine ; en développant un système de franchises ; et en prenant appui sur la dynamique du printemps arabe.

 

L’Af-Pak : Al-Qaïda Central

Dès le mois de décembre 2001 et la fuite de l’état-major d’Al-Qaïda à travers les montagnes de Tora Bora, les djihadistes, hébergés par le régime taliban au pouvoir à Kaboul depuis 1996, ont perdu le sanctuaire afghan. Dès l’attaque américaine les combattants talibans se sont repliés dans leur sanctuaire des zones tribales pakistanaises que sont principalement le Waziristan du Nord et le Waziristan du Sud : ils sont en effet issus des tribus pachtounes présentes des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise (Ligne Durand tracée par les Britanniques au XIXe siècle), lesquelles ne reconnaissent pas la frontière ni d’autre autorité que la leur. Les combattants d’Al-Qaïda (surnommés par les talibans, les « Arabes ») ont pu également se replier dans ces zones et ont été hébergés dans les villages du Nord-Waziristan.

Les camps d’entraînement au combat ou à la préparation d’actes terroristes se sont donc reformés, sur un modèle plus réduit et plus artisanal (un « compound » de quelques maisons en terre cuite abritant plusieurs dizaines de combattants pouvant servir de « camp d’entraînement »). De ce sanctuaire du Waziristan (et de la ville de Quetta au Baloutchistan pakistanais où le Mollah Omar dirigerait la « Choura de Quetta », qui serait l’état-major des talibans), le djihad contre l’Amérique et l’Occident a continué, les combattants talibans, pachtounes afghans ou pakistanais, traversant sans cesse la frontière afghano-pakistanaise pour aller frapper les troupes de l’OTAN sur le sol afghan.

En 11 ans de guérilla en Afghanistan, la situation n’a pas fondamentalement évolué. Tout l’enjeu sera de savoir si après le départ des troupes de combat de l’OTAN en 2014, la nouvelle armée afghane sera en mesure de résister à la tentative de reconquête du pouvoir des talibans afghans. Rien n’est encore certain à ce sujet. Les combattants pachtounes afghans luttent dans leur pays pour la reconquête du pouvoir, leur calendrier étant avant tout national. Les djihadistes d’Al-Qaïda ne sont guère présents sur les lignes de front afghanes. Ils ne seraient plus que quelques centaines (environ 400), regroupés notamment au sein de « l’Armée de l’Ombre », branche militaire d’Al-Qaïda en Afghanistan.

Ces djihadistes ne sont pas de simples combattants, mais plutôt des vétérans du Djihad, Arabes ou autres (Tchétchènes, Ouzbeks…), qui ont perfectionné leurs méthodes d’action sur d’autres champs de bataille et viennent assister les combattants talibans en leur apportant un savoir-faire, notamment en termes d’IED (Improvised Explosive Devices), ces mines artisanales qui n’existaient pas en Afghanistan avant l’arrivée des combattants d’Al-Qaïda en Irak et qui sont responsables de 80% des pertes occidentales depuis 2001.

En Afghanistan même il n’y a plus de camps d’entraînements terroristes depuis 2001 et la présence d’Al-Qaïda y est à ce jour minime. Sur le versant pakistanais, Al-Qaïda se situe surtout dans la zone tribale du Waziristan du Nord, où elle se trouve sous la protection du clan pachtoune des Haqqani, dont le chef, Jallaludin, est un vétéran de la guerre contre les Soviétiques. Dans ces zones tribales, des djihadistes venus du monde entier continuent de venir s’entraîner dans les camps rudimentaires du Waziristan, sous la direction de chefs militaires d’Al-Qaïda, et vont ensuite parfois faire le coup de feu de l’autre côté de la frontière contre les troupes américaines. Mohamed Merah, lors de ses voyages au Pakistan, est passé par les zones tribales pakistanaises et y a été formé au combat par un instructeur d’Al-Qaïda, Moez Garsallaoui, un Belgo-Tunisien, abattu par un tir de drone américain dans le nord du Pakistan au début du mois d’octobre 2012.

A défaut de pouvoir pénétrer dans ces zones tribales au sol du fait de l’interdiction formelle de l’armée pakistanaise, les forces américaines et notamment la CIA, tentent au moyen de drones tueurs (Reaper et Predator) d’abattre les principaux chefs d’Al-Qaïda  et commandants talibans. Si le plus fréquemment les cibles abattues sont des cadres ou combattants de second rang, davantage chargés de mener les combats tactiques au quotidien que d’orchestrer le Djihad international, il arrive tout de même que des cibles de haute valeur soient abattues par ces drones comme dans le cas d’Atiyah Abd-al Rahman (ancien numéro 2 d’Al-Qaïda) abattu au Pakistan le 22 août 20011 ou de son successeur Abu Yahya al-Libi abattu au Pakistan lui aussi le 4 juin 2012. Ces succès certains ont permis d’affaiblir l’organisation djihadiste au fil des années, les nouveaux chefs disposant d’une expérience guerrière et de qualités de commandement moindres que ceux qu’ils doivent remplacer. Les principaux dirigeants d’Al-Qaïda, en tête des killing lists américaines, consacreraient d’ailleurs beaucoup plus de temps et de moyens à assurer leur propre sécurité personnelle qu’à la préparation d’attentats sur les territoires des pays ennemis. L’opération « Neptune Spear » menée à Abotabbad (bien loin du Waziristan donc mais très près de la capitale pakistanaise, Islamabad), le 1er mai 2011 a conduit à l’exécution de la principale figure dirigeante d’Al-Qaïda, Oussamma Ben Laden.

Avec la mort du fondateur de l’organisation, celle-ci aurait pu se déliter subitement, compte-tenu du charisme exercé par le chef saoudien. Il n’en a rien été. L’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, numéro  2 d’Al-Qaïda du vivant d’Oussama Ben Laden, très probablement réfugié également au Pakistan, a naturellement pris la tête de l’organisation. Son commandement n’a depuis lors pas donné lieu à un changement de stratégie fondamental d’Al-Qaïda. Mais il semble probable que, du fait des contraintes dues à la menace constante exercée par les drones américains, Al-Qaïda Central n’ait plus guère de prise militaire sur les fronts autres que celui de l’Af-Pak. La doctrine et la stratégie du chef d’Al-Qaïda, édictées par messages audio et vidéo à destination des autres fronts en activité, restent néanmoins très suivies par les djihadistes internationaux. Son autorité est davantage morale ou politique que militaire.

La situation d’Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan, reste largement dépendante des autres acteurs présents de part et d’autre de la ligne Durand. Malgré la pression constante exercée par la CIA sur l’organisation, tant que celle-ci disposera d’un sanctuaire inviolable par la terre, elle se contentera d’encaisser les coups venus du ciel. C’est la raison de la discorde plus ou moins vivace selon les périodes entre les Etats-Unis et le Pakistan. En effet, les militaires américains estiment que tant qu’Al-Qaïda disposera d’un sanctuaire au Waziristan pakistanais, l’organisation ne pourra être détruite. Or le Waziristan est une zone tribale dans laquelle traditionnellement l’armée pakistanaise ne pénètre pas, du fait notamment de l’extrême répulsion des populations locales à tout autre pouvoir que celui de leurs tribus. De plus, ces territoires pachtounes sont les repaires des talibans, de nombreux talibans pakistanais étant basés au Sud-Waziristan (capitale de district Wana) tandis que de nombreux talibans afghans sont réfugiés au Nord-Waziristan (capitale de district Miranshah) (étant entendu que la distinction au sein des tribus pachtounes entre Afghans et Pakistanais n’a guère de signification).

Si le chef suprême des talibans afghans, le Mollah Omar est probablement réfugié à Quetta au Baloutchistan, les principaux chefs militaires des talibans afghans opèrent à partir du Nord-Waziristan. Parmi eux, les chefs du Réseau Haqqani, Jallaludine et son fils Sirrajudine, offrent leur protection à la direction d’Al-Qaïda. Au Sud-Waziristan, s’est créé le Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des Talibans du Pakistan TTP) sous la direction de Baïtullah Mehsud (abattu au Pakistan le 5 août 2009 par un drone américain) puis de son cousin Hakimullah Mehsud. Le TTP, créé en 2007, s’est ouvertement déclaré en guerre contre le gouvernement pakistanais. En effet, après que l’armée pakistanaise eut lancé un assaut sanglant en plein Islamabad pour reprendre le contrôle de la Mosquée Rouge occupée par des militants islamistes armés, le TTP a considéré que cet acte était la preuve de la duplicité du gouvernement pakistanais, lui reprochant notamment son alliance avec les Etats-Unis et son accord tacite avec la CIA pour laisser celle-ci bombarder sans relâche les zones tribales par le biais de ses drones tueurs.

C’est depuis cette rupture que le gouvernement pakistanais fait une distinction entre « bons talibans » (afghans) qui se contentent de se réfugier dans les zones tribales pakistanaises pour ensuite aller combattre l’armée américaine en Afghanistan et les « mauvais talibans » (pakistanais)  qui combattent ouvertement l’armée pakistanaise sur son sol . L’armée pakistanaise a ainsi engagé en octobre 2009 une opération terrestre massive pour reprendre le sud-Waziristan, principale base du TTP, pour détruire celui-ci. La capitale du district, Wana, a été prise, et plus d’un millier de combattants du mouvement auraient été tués. Plutôt que de livrer un combat frontal contre l’armée pakistanaise, le TTP a préféré par la suite axer son action sur une longue campagne d’attentats suicides qui a fait plus de 5000 morts depuis 2007. Il réclame, en échange d’une cessation des hostilités, l’adoption de la Charia comme source officielle du droit pakistanais, la fin de l’assistance aux Etats-Unis dans leur guerre dans la zone Af-Pak et la réorientation des forces pakistanaises vers le conflit indo-pakistanais.

Après cette offensive au sud-Waziristan, les Etats-Unis ont espéré que l’armée pakistanaise poursuivrait son offensive au sol en pénétrant au nord-Waziristan et dans sa capitale, Miranshah pour y démanteler les camps d’entrainements des talibans afghans et surtout pour y détruire l’état-major d’ Al-Qaïda central  soupçonné d’y être implanté, raison principale des combats menés par les Américains dans la zone Af-Pak. Mais cette offensive n’est pas venue, et le sanctuaire d’Al-Qaïda et de ses alliés talibans est resté inviolé au sol. En effet, le gouvernement pakistanais sans l’avouer préfère préserver ses alliés talibans afghans en vue de leur reprise du pouvoir à Kaboul après le départ des troupes américaines afin de pouvoir compter sur un Afghanistan allié qui leur servirait de « profondeur stratégique »  en cas de reprise du conflit avec l’Inde.

Même si elle est très affaiblie, la direction d’Al-Qaïda peut donc continuer à ne pas s’avouer vaincue.  Les Etats-Unis espèrent probablement abattre un jour prochain par un tir de drone le chef de l’organisation Ayman Al-Zawahiri (sans certitude absolue sur sa présence dans la zone). Ils pourraient ainsi décréter que les trois responsables majeurs des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri et Khalid Sheik  Mohammed  (numéro 3 de l’organisation en 2001 et cerveau des attentats de la même année, arrêté au Pakistan en 2003 et actuellement jugé aux Etats-Unis), ont été mis hors-jeu et ainsi décréter la fin de la guerre entamée en 2001 en Afghanistan. Mais sans destruction de l’état-major complet d’ « Al-Qaïda central » et de ses infrastructures, ses membres pourraient désigner un nouveau successeur à Al-Zawahiri, continuant à bénéficier de la protection des talibans et d’un sanctuaire terrestre, laissant ainsi le problème se perpétuer.

Sans intervention au sol des Américains, des Pakistanais ou une rupture de l’alliance entre les talibans et Al-Qaïda, la direction centrale de l’organisation djihadiste continuera ses activités terroristes (réduites actuellement du fait de l’intense campagne de bombardements de drones sur les zones tribales pakistanaises). De fait, la fin annoncée de l’engagement lourd américain en Afghanistan à partir de 2014, (il est question d’y laisser néanmoins des forces spéciales pour continuer à y traquer Al-Qaïda même si la décision n’a pas encore été définitivement prise) apparaît décisif pour le futur de l’organisation. Si les Américains se retirent effectivement de la zone en 2014 sans avoir réussi à détruire la direction du mouvement terroriste, que l’alliance avec les talibans tient jusque là et que ces derniers reprennent le pouvoir à Kaboul par la suite,  alors Al-Qaïda pourra apparaître comme victorieuse du champ de bataille afghano-pakistanais. Dans la guerre asymétrique que mènent les djihadistes d’Al-Qaïda et leurs alliés talibans contre l’armée américaine, le faible gagne s’il n’est pas détruit tandis que le fort est perçu comme perdant s’il n’a pas éliminé le faible.

Même si sa taille s’est fortement réduite (passant du territoire afghan à la zone tribale pakistanaise du Waziristan du Nord) le sanctuaire d’Al-Qaïda Central dans la zone Af-Pak reste donc en l’état actuel des choses une réalité.

 

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