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L’Union Européenne et le conflit malien

30 Apr

- Comment la situation du Mali a-t-elle évolué depuis janvier 2012 ?

Des éléments touaregs indépendantistes disparates et minoritaires formèrent, à l’automne 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad-MNLA. Le 17 janvier 2012, ils déclenchèrent une offensive-éclair qui leur assura en quelques semaines le contrôle des deux-tiers nord du Mali. La succession de revers essuyée par l’armée régulière et le massacre de plusieurs dizaines de soldats maliens à Aguelhoc (le 24 janvier) exacerbèrent le mécontentement de la population du sud. Exploitant ce contexte instable, le capitaine Amadou Haya Sanogo renversa le président sortant, Amadou Toumani Touré, quelques semaines avant les élections présidentielles. Il forma un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État. Mais la communauté internationale refusa de légitimer le coup d’État et adopta une série de sanctions qui isolèrent le pays. Loin de sauver la situation, le capitaine Sanogo l’aggrava et, le 6 avril 2012, le MNLA, épaulé par des groupes salafistes djihadistes (Al Qaida dans les pays du Maghreb islamique-AQMI, Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest-MUJAO, Ansar Eddine), proclama unilatéralement l’indépendance de l’Azawad. Contraint par la pression internationale, le capitaine Sanogo esquissa un retrait et accepta la désignation d’un président par intérim : Dioncounda Traoré, intronisé le 12 avril. Le 26 avril, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO fixait la période de transition à 12 mois. Fin juin 2012, le MNLA fut évincé par les salafistes djihadistes, qui devinrent maîtres du Nord Mali. La perspective de voir s’enraciner une base terroriste aussi large, poussa l’Union africaine à saisir, le 7 juin 2012 , l’ONU pour obtenir son “appui“ à une intervention militaire dans la zone. Dès le 5 juillet 2012 (résolution 2056), le Conseil de sécurité estimait que « la situation au Mali mena[çait] la paix et la sécurité internationales ». Il plaçait son action dans le cadre du Chapitre VII de la Charte, envisageant par conséquent de recourir à la coercition. La CÉDÉAO, concernée au premier chef, décida de mettre sur pied une force régionale et obtint l’accord de l’ONU. Cela en deux temps : la résolution 2071 (12 octobre 2012) en adopta le principe ; la résolution 2085 (20 décembre 2012), tout en préconisant une solution politique à la crise, entérina les modalités pratiques proposées par les États africains pour constituer une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine-MISMA. Mais les délais de préparation étaient longs et le déploiement devait prendre des mois. Aussi les salafistes djihadistes tentèrent-ils de s’emparer du Sud Mali avant que les autorités de Bamako et la MISMA soient en mesure d’entamer la reconquête du Nord. Lancée le 10 janvier 2013, cette attaque provoqua l’appel au secours du président malien par intérim. Ce dernier se tourna immédiatement vers la France, qui répondit positivement et déclencha l’opération Serval le 11 janvier 2013 pour briser l’offensive. Cette action était conforme aux dispositions de la résolution 2085, qui demandait aux États membres d’« aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de [leur] territoire ». Elle répondait également à la demande formulée par le Conseil de sécurité le 10 janvier « d’accompagner le règlement de la crise au Mali et, en particulier, de fournir une assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes afin d’atténuer la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés ». D’ailleurs, ledit conseil appuya l’intervention française à l’unanimité le 14 janvier 2013. Le 12 mars, la France (avec l’appui des États-Unis) demanda officiellement à l’ONU de prendre le relais à partir du mois de juin en déployant une opération de maintien de la paix, la Mission de stabilisation - et non pas d’intervention - des Nations unies au Mali. Le schéma proposé le 27 mars par le secrétaire général de l’ONU fut repris dans la résolution 2100 (25 avril 2013) adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Une Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali-MINUSMA doit prendre le relais de la MISMA (dont elle intégrera les effectifs) le 1er juillet. Forte de 11 200 soldats et de 1 440 policiers, elle agira sous Chapitre VII. Elle est chargée de la « stabilisation de la situation dans les principales agglomérations » et doit apporter sa « contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays […,] à l’application de la feuille de route pour la transition, y compris le dialogue national et le processus électoral ». Elle se voit également investie de « la protection des civils et du personnel des Nations Unies, de la promotion et de la défense des droits de l’homme, du soutien à l’action humanitaire, de l’appui à la sauvegarde du patrimoine culturel et de l’action en faveur de la justice nationale et internationale ».

 

- Mais l’Union européenne-UE, dans tout cela ?

 

Les résolutions de l’ONU l’incitent à agir. La résolution 2056 (5 juillet 2012)demande l’aide des États membres, donc de chacun des 27, « pour empêcher la prolifération d’armes et de matériels connexes de tout type dans la région du Sahel » et pour « soutenir l’entreprise de réforme des forces de sécurité maliennes et en renforcer les capacités ». La résolution 2071 (12 octobre 2012)  « Invite […] les États Membres et les organisations régionales et internationales, y compris l’Union africaine et l’Union européenne [souligné par nous], à prêter, dès que possible et de manière coordonnée, aux forces armées et aux forces de sécurité maliennes leur concours et leur savoir-faire, ainsi que leur appui en matière de formation et de renforcement des capacités, conformément aux exigences nationales, dans le but de rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire, de défendre l’unité et l’intégrité territoriale du Mali et de réduire la menace que représentent AQMI et les groupes qui lui sont affiliés ». La résolution 2085 (20 décembre 2012)  réitère la demande formulée en octobre. Elle «  décide d’autoriser le déploiement au Mali, pour une durée initiale d’une année, de la […] MISMA ». Pour assurer le succès de celle-ci, elle « demande instamment aux États Membres et aux organisations régionales et internationales de fournir un appui coordonné à la MISMA, en étroit  coordination avec celle-ci et avec les autorités maliennes, notamment sous la forme de formations militaires, de fourniture de matériel, de renseignement, d’appui logistique et de tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par des organisations terroristes, y compris AQMI, le MUJAO et les groupes extrémistes qui leur sont affiliés ». Bref, l’appel, parmi les 193 États membres, aux 27 de l’Union européenne est sans ambiguïté.

 

- Toutefois, l’Union européenne a-t-elle, dans le Sahel, des intérêts suffisamment importants pour l’inciter à intervenir ?

 

De fait, ces derniers sont multiples, au point que le Sahel est présenté par les diplomates européens eux-mêmes comme la « frontière géopolitique » de l’extrême sud de l’Union européenne. Les attentats et les prises d’otages n’épargnant ni leurs ressortissants ni leurs territoires, les 27 doivent prendre part à la lutte contre le terrorisme. Dans ses messages, AQMI (ex-Groupe salafiste pour la propagande et le combat-GSPC) menace d’ailleurs explicitement le continent européen, que la mouvance salafiste djihadiste a frappé à plusieurs reprises, notamment à Madrid le 11 mars 2004 - 191 morts, 1400 blessés - et à Londres le 5 juillet 2005  - 56 morts, 700 blessés. Les 27 sont également très impliqués dans la lutte contre la criminalité organisée, responsable de prises d’otages purement crapuleuses, ainsi que du trafic de drogue qui alimente la toxicomanie d’une partie de sa population. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest participent de manière significative à la sécurité énergétique (pétrole, gaz naturel, uranium) du Vieux Continent, comme le rappela de manière sanglante l’attaque des Signataires par le sang (dissidents d’AQMI), le 16 janvier 2013, contre le site gazier d’In Amenas, en Algérie, près de la frontière libyenne. D’autres matières premières, transformées par les industries européennes, proviennent de cette zone. La situation dégradée en Afrique de l’Ouest et la criminalité triomphante dans la zone Sahara-Sahel facilitent grandement l’immigration illégale qui se dirige vers l’Europe de l’Ouest. La présence, parmi les 27, de plusieurs anciennes puissances coloniales (France et Grande-Bretagne, mais aussi Belgique, ou Portugal, notamment), a noué des liens historiques et culturels importants. Des diasporas issues des pays africains concernés vivent et travaillent parfois depuis des décennies dans plusieurs États membres de l’Union européenne. Elles demeurent sensibles à l’évolution de leurs pays d’origine, ainsi qu’aux politiques africaines de leurs pays d’accueil.

En outre, même s’ils sont davantage présents en Afrique depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis semblent recentrer leur priorité stratégique autour de l’Asie. Quant aux Chinois, aux Indiens et aux Brésiliens, de plus en plus implantés sur le continent, ils s’investissent peu dans son développement et pratiquement pas dans sa sécurité. Cela confère une responsabilité accrue à l’Union européenne.

 

- L’Union européenne a-t-elle une politique spécifique pour le Sahel ?

Elle a conscience des enjeux et s’intéresse au Sahel depuis plusieurs années.

Dans le document qui fonde sa vision du monde et guide ses éventuelles prises de position, la « Stratégie européenne de sécurité », adoptée le 8 décembre 2003, elle constatait que « la sécurité est une condition nécessaire du développement ». Elle identifiait cinq menaces principales qui, à l’exception de la prolifération des armes de destruction massive, se retrouvent au Sahel en général et au Mali en particulier : le terrorisme, les conflits régionaux, la déliquescence des États et la criminalité organisée. Or, le document constatait que « les voisins engagés dans des conflits violents, les États faibles où la criminalité organisée se répand, les sociétés défaillantes ou une croissance démographique explosive aux frontières de l’Europe constituent pour elle autant de problèmes ». En 2008, dans le rapport du 10 décembre établissant le bilan de l’action extérieure et révisant la stratégie de 2003, de nouveaux risques étaient intégrés : piraterie, atteinte à la sécurité informatique ou à la sécurité énergétique, trafic d’armes légères, conséquences du changement climatique. Les trois derniers se manifestent au Sahel.

En décembre 2007, dans le prolongement du premier sommet Afrique-Union européenne qui s’était tenu au Caire en 2000, l’Union européenne conclut un « Partenariat stratégique » avec le continent, représenté par l’Union africaine. Mais cela n’a, pour l’instant, produit aucune stratégie commune effective. Depuis 2008, l’Union européenne préconise pour la région une action combinant sécurité et développement, en vertu de quoi elle affecta au Sahel, pour la période 2008-2013, des crédits substantiels. 533 millions d’euros pour le seul Mali, dont on se demande, au regard de l’effondrement du pays en 2012, à quoi ils purent bien servir, si du moins ils ont été utilisés aux fins pour lesquelles ils avaient été versés. Cet argent est donné par le biais du Fonds européen de développement, l’institution qui dispense l’aide européenne au développement depuis la signature du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (25 mars 1957). De multiples financements pour des programmes spécifiques s’ajoutent à cette dotation.

Cependant, alors que les salafistes djihadistes sévissent au Sahel depuis 2003 et ont enlevé de nombreux ressortissants européens, l’Union européenne n’a défini, après plusieurs années de travaux préparatoires, une politique spécifique que le 28 septembre 2011, avec l’adoption de la  « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel ». Celle-ci  s’organise autour de quelques axes majeurs : la promotion du dialogue politique et de l’action diplomatique pour une résolution pacifique des différends internes et interétatiques ; l’instauration de l’État de droit et la mise en place d’une bonne gouvernance, condition préalable au développement ; le renforcement des capacités (notamment économiques et sociales) des États pour prévenir la radicalisation des populations déshéritées ; la construction d’un espace de sécurité grâce à une politique efficace de prévention ou de résolution des conflits. Inscrite dans le cadre d’une gestion non-militaire des crises et donc financée par l’Instrument de stabilité mis en place en 2007 à cet effet, cette stratégie suscita autant d’intérêt que d’espoirs. Elle relie l’insécurité, le sous-développement et les défaillances des gouvernements, trois éléments indissociables si l’on veut espérer résorber les difficultés du Sahel. Par surcroît, elle entend s’attaquer à ces maux simultanément et dans les trois dimensions spatiales pertinentes  : locale (les régions sahéliennes de chaque pays), nationale (les États incorporant une partie de la zone sahélienne) et régionale  (les États d’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie, l’Algérie, la Libye, le Tchad et le Nigeria), en y associant l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO (ainsi que la Ligue des États arabes, l’Union du Maghreb arabe, l’ONU, les États-Unis, le Canada, le Japon). Élaboré par le Service européen d’action extérieure, il s’agit d’un projet-phare pour l’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale. Toutefois, l’application de ces excellentes intentions demeura  limitée. En effet, la majorité des 27 États membres de l’Union européenne n’accorde guère d’intérêt, sans même parler de priorité, au Sahel. La plupart manquent, en outre, d’expertise sur la région. De ce fait, l’insécurité alimentaire demeure sous-estimée, tout comme l’impact régional de la guerre civile en Libye a été sous-évalué. La fragmentation des aides empêche la mise en œuvre d’une approche réellement globale et nuit au contrôle effectif des dépenses. Enfin, la question de la mise en œuvre de la Politique de sécurité et de défense commune-PSDC se posa dès le début de la dégradation de la situation au Nord Mali, mais elle fut ajournée sine die face aux réticences du gouvernement malien et de certains États européens (comme l’Allemagne), traditionnellement réservés envers toute intervention militaire.

 

- Comment la politique de l’Union européenne dans la région a-t-elle évolué depuis le 22 mars 2012 ?

Le putsch du capitaine Sanogo, le 22 mars 2012, provoqua la suspension immédiate de l’aide dispensée par l’Union européenne. Mais, devant l’urgence de la situation de pénurie qui frappe une partie de la population du Sahel (particulièrement au Mali, où elle est aggravée par le conflit du Nord), elle dut poursuivre le programme d’aide alimentaire spéciale créé en novembre 2011 et même l’amplifier en juin 2012 (budget porté à 500 millions d’euros).

Le 16 juillet 2012, elle créa la mission EUCAP SAHEL-Niger, qui s’inscrit dans le cadre des actions civiles de la PSDC prévues par le traité de l’Union européenne. En effet, l’article 42, paragraphe 1, stipule que « la politique de sécurité et de défense commune […] assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. » L’article 43, paragraphe 1, précise que « les missions visées à l’article 42, paragraphe 1, dans lesquelles l’Union peut avoir recours à des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de conseil et d’assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. » Donc, EUCAP SAHEL-Niger, « action de formation, d’encadrement, de conseil et d’assistance pour contribuer au renforcement des capacités dont dispose le Niger en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée et faire en sorte que ce pays puisse mieux contrôler son territoire, afin de réaliser des projets de développement et de faciliter le développement d’une manière générale », s’inscrit parfaitement dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

Le 15 octobre 2012, les 27 avaient pris la décision de monter une mission de soutien au profit du Mali, dont ils définirent les objectifs et les moyens le 19 novembre 2012. Le concept de gestion de crise fut approuvé le 10 décembre 2012. Il se fondait sur les objectifs de la PSDC et la résolution 2071, adoptée le 12 octobre 2012 par le Conseil de sécurité de l’ONU. L’offensive générale vers le Sud lancée par Ansar Eddine le 10 janvier 2013 accéléra l’approbation globale (17 janvier 2013) de la mission de formation de l’Union européenne au Mali, EUTM-Mali, qui commença son travail le 2 avril 2013, plus rapidement que prévu initialement. Mise en place pour une durée initiale de 15 mois, elle doit former et conseiller l’armée régulière, en vue de la rendre capable de rétablir l’intégrité territoriale et la sécurité du Mali. Elle ne mènera pas de missions de combat. Elle comprend un état-major de 50 membres, 250 instructeurs, plus 250 soldats en appui et protection, tous placés sous le commandement du général (français) Lecointre. La France en est la nation cadre, ce qui en fait le principal bailleur de fonds. En même temps, Paris assura l’essentiel de l’entretien du contingent tchadien, dont l’engagement fut crucial dans la bataille de l’Adrar des Ifoghas. L’EUTM Mali se trouve sous la responsabilité suprême de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Madame Ashton.

La MISMA, autorisée par la résolution 2085 du 20 décembre 2012, intégrée à la MINUSMA à partir du 1er juillet (résolution 2100 du 25 avril 2013), aura à soutenir les forces maliennes, d’abord pour sécuriser le Sud Mali, puis pour reconquérir le nord. L’ensemble des militaires africains concernés manquent pratiquement de tout : matériel, moyens logistiques et  renseignement. Avec d’autres pays, l’Union européenne s’oriente vers un soutien financier par le biais de la “Facilité de paix pour l’Afrique” - créée en 2004 avec l’Union africaine -, ainsi que vers une aide dans la planification des opérations à venir (au mieux à l’automne 2013).

Mais des réticences persistent car la majorité des 27 ne juge toujours pas prioritaire l’action au Sahel. Aussi, au-delà du soutien politique verbal apporté à l’unanimité, le 17 janvier 2013,  à l’action militaire de la France, il n’y a aucune intervention commune directe. La solidarité passe par le canal bilatéral interétatique (Grande-Bretagne, Danemark, Belgique, en particulier). Au total, les États-Unis sont le principal partenaire des Français, en termes tant financiers (50 millions de dollars pour les opérations militaires franco-tchadiennes au Nord-Mali et près de 100 millions de dollars au profit des forces africaines de la MISMA) qu’opérationnels (renseignement, transport, ravitaillement en vol). Les observateurs ont noté l’absence d’envoi de la Force de réaction rapide de l’Union européenne, pourtant opérationnelle depuis 2007. Le fait que la France ait agi, le 11 janvier, sans concertation préalable - officiellement pour répondre à l’urgence extrême de la situation - avec ses 26 partenaires n’explique ni n’excuse pas tout.

Cependant, pour reprendre un commentaire acide mais non dénué de fondement, l’Union européenne « fait ce qu’elle sait le mieux faire : payer. » Elle a relancé, le 19 février 2013, la coopération économique suspendue après le  putsch du capitaine Sanogo. La logique de la « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel » demeure au cœur de sa démarche, comme l’a rappelé avec force le commissaire européen chargé du développement, M. Andris Piebalgs, le 26 février. Le Mali doit enclencher un processus de développement, être capable d’assurer sa propre sécurité et de lutter contre la pauvreté afin de (re)créer une cohésion politique et sociale. Lors de sa réunion du 18 mars 2013, le Conseil européen a nommé un Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel (l’ambassadeur français Michel Reveyrand de Menthon), chargé de veiller à une action coordonnée des Vingt-Sept. Mais cela suffira-t-il à créer une réelle dynamique européenne, alors que la conférence internationale pour le soutien et le développement du Mali (nommée Ensemble pour le renouveau du Mali) qui doit se tenir à Bruxelles le 15 mai prochain est co-présidée par la France et l’Union européenne. Qui entraîne l’autre ?

Bref, l’Union européenne mise avant tout sur le processus politico-économico-social qu’elle finance largement, et ne semble guère croire que la guerre actuellement en cours au Nord Mali soit la continuation de sa politique avec d’autres moyens. Encore un symptôme de cette Europe-marché qui ne se mue pas en Europe-puissance.

Patrice Gourdin, professeur de Géopolitique à l’Ecole de l’Air et enseignant à Sciences Po Aix

FRANCE-MALI : CHECK LIST POUR UNE INTERVENTION

15 Jan

Le Président de la République, chef des armées au titre de l’article 15 de notre Constitution, a ordonné le déclenchement d’une intervention militaire (sans déclaration de guerre) au Mali dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en 2008 (ci-après appelé Le Livre blanc), recensait sept principes directeurs pour tout engagement des forces armées françaises à l’étranger (dans le chapitre 3 : « La stratégie de sécurité nationale », p. 76). Leur mise en œuvre peut être vérifiée au fur et à mesure de la guerre qui vient de commencer.

 

1 – Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationales.

- Al Qaida au Maghreb islamique-AQMI menace explicitement la France depuis de nombreuses années et a mené des actions contre ses ressortissants (enlèvements) et ses intérêts (attentats). La menace contre la sécurité nationale est donc avérée : « Quand on se réfère à la doctrine de ces groupes intégristes et singulièrement d’AQMI, la France est en ligne de mire » (Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, 24 septembre 2012).

- AQMI ne fait mystère ni de sa volonté de renverser par les armes les régimes en place au Maghreb et au Sahel pour instaurer un califat salafiste, ni de sa participation - notamment par des actions terroristes - au djihad mondial. Les organisations alliées d’AQMI                       - Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Ansar Eddine, Boko Haram et Ansaru - partagent pour tout ou partie les mêmes objectifs.

- L’ONU estime que la situation « menace la paix, la sécurité et la stabilité des États de la région » (Conseil de sécurité, Résolution 2056 du 5 juillet 2012), « constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales » (Conseil de sécurité, Résolution 2071 du 12 octobre 2012),  » [fait] peser une grave menace, pour laquelle le temps presse, sur la population du Mali tout entier et la stabilité du Sahel, de l’Afrique en général et de la communauté internationale dans son ensemble » (Conseil de sécurité, Résolution 2085 du 20 octobre 2012).

- Par conséquent, la résolution 2056 prévoit des sanctions contre les groupes terroristes occupant le nord du Mali et la résolution 2085 demande à la communauté internationale d’ « aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de [leur] territoire ». Réunis en urgence le 10 janvier 2013, lors du déclenchement de l’offensive djihadiste vers Mopti, « les membres du Conseil demand[èr]ent à nouveau aux États Membres d’accompagner le règlement de la crise au Mali et, en particulier, de fournir une assistance aux Forces de défense et de sécurité maliennes afin d’atténuer la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés ».

 

2 – Examen, préalable à l’usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l’urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.

Depuis le début des affrontements au Mali, en janvier 2012, la France défend une approche multilatérale respectant strictement le droit international. Elle encouragea les négociations, démarche qu’elle préférait aux coûts humain et financier d’une intervention militaire par surcroît lourde de multiples aléas.  Mais, semble-t-il, sans s’illusionner.

Aussi, lorsque M. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies proposa, le 10 octobre 2012 une négociation préalable à une intervention militaire, M. Hollande se montra circonspect. D’une part, il jugeait cela inapproprié vis-à-vis d’AQMI : « Discuter avec qui ? Avec AQMI ? Qui peut imaginer qu’il puisse y avoir là des conversations qui puissent être utiles ? » D’autre part, il estimait possible un dialogue avec des forces politiques maliennes « laïques qui [voulaient] prendre part à la réconciliation nationale », ce qui désignait implicitement le Mouvement national de libération de l’Azawad-MNLA, qui faisait des ouvertures en ce sens. L’acceptation de la faction touarègue - dont l’action militaire déclenchée le 17 janvier 2012, a provoqué le chaos actuel et qui fut boutée hors de l’Azawad par les djihadistes au printemps 2012 - tend à démontrer que Paris tenait à un règlement négocié, pour autant qu’il n’incluait pas les terroristes islamistes. 

Le 10 janvier 2013, les autorités françaises semblent avoir partagé l’analyse stratégique du gouvernement provisoire malien. Les djihadistes paraissaient avoir l’intention de prendre Mopti, puis de pousser l’avantage jusqu’à Segou, dernier verrou avant Bamako. Cette perception s’appuyait en particulier sur le fait que des groupes attaquaient la bourgade de Konna tandis que d’autres tentaient, dans le même temps, de franchir le fleuve Niger pour prendre les éléments de l’armée malienne en tenaille. Il y avait donc urgence, alors que les dirigeants maliens se trouvaient en situation de légitime défense. Celle-ci est reconnue comme un droit par l’article 51 de la Charte des Nations Unies et peut s’exercer individuellement ou collectivement, donc avec l’aide de pays tiers comme la France.

Notons que l’offensive lancée par les djihadistes ne témoigne pas d’une volonté de négocier, pas même de la part d’Ansar Eddine, qui bénéficie, pourtant, de l’attitude pour le moins ambigüe de l’Algérie et du Burkina Faso.

 

3 – Respect de la légalité internationale.

- la résolution 2085, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 20 décembre 2012, « Demande instamment aux États Membres et aux organisations régionales et internationales de fournir un appui coordonné à la [Mission internationale de soutien au Mali-]MISMA, en étroite coordination avec celle-ci et avec les autorités maliennes, notamment sous la forme de formations militaires, de fourniture de matériel, de renseignement, d’appui logistique et de tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par des organisations terroristes ». La formule « tout type d’aide » offre implicitement la possibilité d’une intervention militaire directe.

- le 10 janvier 2013, le président par intérim malien, Dioncounda Traoré, demande officiellement « l’aide militaire » de la France. Ceci entre dans le cadre des relations bilatérales d’État à État en général, entre la France et le Mali, en particulier.

- La France peut également se targuer des demandes explicites de soutien militaire formulées par les États voisins. Réunis à Abuja (Nigeria), le 11 novembre 2012, les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO, rejoints par les pays voisins et concernés (Mauritanie, Tchad, Algérie) ont adopté un plan de reconquête du Nord-Mali. Il s’agit d’une opération militaire africaine, mais avec soutien occidental. Cette intervention est autorisée - à l’unanimité - par la résolution 2085 du 20 décembre 2012.

- L’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, peu suspecte de francophilie (elle avait publiquement qualifiée le plan français d’intervention militaire de « crap » le 11 décembre 2012) a déclaré que, lors de la réunion en urgence du Conseil de sécurité le 10 janvier, il y a eu un « consensus clair sur la gravité de la situation et le droit des autorités maliennes de rechercher toute l’assistance possible ». Cela revenait à autoriser, à l’unanimité, l’action militaire française.

 

4 – Appréciation souveraine de l’autorité politique française, liberté d’action, et capacité d’évaluer la situation en permanence.

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région pour la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, nombre d’observateurs ont signalé que la France renforçait sa présence militaire et intensifiait considérablement la collecte ainsi que le traitement de renseignements. Paris défendait d’ailleurs, à l’époque, le lancement le plus rapide possible d’une action armée.

- L’intervention déclenchée le 10 janvier 2013 se déroule sous le contrôle exclusif des autorités françaises. La décision politique est du seul ressort du Président de la République et la chaîne de commandement militaire est strictement nationale.

- Toutefois, les Nations Unies surveillent le déroulement des opérations (rapports du Secrétaire général au Conseil de Sécurité). La CÉDÉAO et l’Union africaine demeurent les organisations dirigeantes des opérations tout comme du processus de paix (résolution 2085 autorisant la « Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine »). Ajoutons que l’aide apportée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Danemark et, progressivement par d’autres États européens, supposent une coordination, une concertation et donc une forme de contrôle sur l’action de la France.

 

5 – Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.

- Le Président de la République a prononcé une brève allocution le 11 janvier 2013 dans l’après-midi pour officialiser et expliquer l’intervention qu’il avait ordonnée. L’exposé des objectifs est clair :  » Le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord, dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. Il en va donc, aujourd’hui, de l’existence même de cet État ami, le Mali, de la sécurité de sa population, et celle également de nos ressortissants. »

- Le Président de la République a précisé, dans la même intervention :  » J’informerai régulièrement les Français sur son déroulement. Les ministres concernés, celui des affaires étrangères en liaison avec les Nations Unies, car nous intervenons dans le cadre de la légalité internationale, comme le ministre de la Défense donneront également toutes les informations utiles à la population. »

- Et il a annoncé : « Enfin, le Parlement sera saisi dès lundi » [14 janvier]. Ce qui est conforme à l’article 35 de la Constitution (version consolidée après la révision du 23 juillet 2008) :  » Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. » Lors de sa conférence de presse le 11 janvier, le ministre des Affaires étrangères a précisé que le Premier ministre recevrait lundi 14 janvier, avec le ministre de la Défense et lui-même, l’ensemble des responsables politiques qui doivent être consultés. Il ajouta : « Le Parlement bien sûr pourra comme il l’entend, nous entendre. La présidente de la Commission des affaires étrangères a pensé que mercredi [16 janvier] peut-être, ou à une autre date qui sera à la discrétion du Parlement, nous pourrions avoir toutes les consultations nécessaires. »

- Rappelons que le rôle du Parlement est strictement consultatif pour le moment. En effet, l’article 35 prévoit que ce n’est que  » Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois,  [que] le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. » Les précédents (Afghanistan, 22 septembre 2008 ; Tchad, République centrafricaine, Côte-d’Ivoire, Liban, Kosovo, 28 janvier 2009) montrent que jamais un gouvernement n’a été mis en difficulté au sujet d’une intervention extérieure depuis l’entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle.

- La question de l’autorisation préalable au déclenchement des opérations n’a pas de fondement juridique. En effet cela n’est nécessaire, aux termes de la Constitution (article 35, 1er alinéa) qu’en cas de guerre :  » La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. » Or, il ne saurait y avoir, au sens juridique, de déclaration de guerre aux djihadistes, qui sont des acteurs non-étatiques illégaux.

 

6 – Capacité d’engagement français d’un niveau suffisant, maîtrise nationale de l’emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.

- Ancienne puissance coloniale, la France dispose de nombreux alliés dans la région, ce qui lui permet, même si le format en a été considérablement réduit ces dernières années, d’assurer une présence militaire substantielle (au Tchad, notamment).

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région à la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, la France a modifié et renforcé dans la région son dispositif militaire en général et aérien en particulier. En outre, elle a intensifié la présence de ses forces spéciales ainsi que la collecte et le traitement de renseignements.

- Alliée du Mali et étroitement associée à son évolution depuis son indépendance, en 1960, la France connaît bien la situation intérieure de ce pays. Cela l’a amenée à préconiser (parfois à accompagner), depuis plusieurs années, une solution politique aux problèmes du nord.

- La France a largement contribué à l’élaboration puis à la mise en œuvre de la « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel » adoptée par l’Union européenne le 29 septembre 2011. Elle lie la sécurité et le développement, préconisant une coopération régionale doublée d’une aide internationale, sur fond d’amélioration de la gouvernance des pays de la région. Si le chaos malien ne milite guère en faveur de l’efficacité du programme, l’outil existe. Une réelle volonté politique - que la catastrophe actuelle devrait susciter -, tant des États membres de l’Union européenne, que des pays du Sahel, pourrait déboucher sur des améliorations notables et durables du sort des populations sahéliennes. Seule une transformation en profondeur de la gouvernance des pays du Sahel permettrait de progresser dans ce domaine et de réduire le mécontentement qui contribue à grossir les rangs des extrémistes de tout poil.

 

7 – Définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.

Cela reste le critère le plus difficile à remplir. Pour le moment les déclarations demeurent vagues.

- Le périmètre géographique officiel est le territoire du Mali, sans plus de précision. La lutte entamée le 11 janvier 2013 contre les djihadistes a nécessité d’agir au centre du pays (libération de Konna), au nord du pays (bombardement de positions djihadistes) et au sud (déploiement de forces à Bamako pour protéger les ressortissants français). Il n’est pas certain que d’autres actions ne devront pas avoir lieu dans les pays voisins eux-mêmes infectés par les djihadistes (Niger et Burkina Faso, en particulier)

- Le Président de la République a déclaré le 11 janvier 2013 : « Cette opération durera le temps nécessaire. » Cette imprécision est inhérente à toute guerre, à plus forte raison dans un conflit asymétrique. Le spectre de l’enlisement plane et il serait fort imprudent de fixer un terme.

- Aucune « évaluation précise du coût » n’a été produite officiellement. Cela serait d’ailleurs fort hasardeux dans la mesure où l’on ne connaît encore ni la durée, ni l’ampleur de l’intervention. En outre, les éventuels pays contributeurs financiers n’ont encore rien fait savoir de leurs intentions.

 

Patrice Gourdin

Études Géostratégiques

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