L’État d’Érythrée est un pays de la Corne de l’Afrique, situé entre la République du Soudan à l’Ouest, la République fédérale d’Éthiopie au Sud et la République de Djibouti au Sud-Est. Ce pays de 121 321 km², essentiellement constitué de montagnes et de hauts plateaux, possède 1200 km de côte sur la mer Rouge. Sa capitale Asmara, regroupe quelques 500 000 habitants et est établie à 2500 mètres d’altitude. L’Érythrée rassemble environ 5 millions d’habitants, répartis en 9 ethnies. La population du pays est pour moitié chrétienne orthodoxe, l’autre moitié étant adepte de l’Islam sunnite. Les Tigrinyas, chrétiens orthodoxes, contrôlent le pouvoir de manière pluriséculaire. L’Érythrée dans son histoire a longtemps été rattachée à l’Éthiopie, jusqu’à la colonisation italienne, et partage encore langues, culture et religion commune avec sa voisine.
Colonie italienne entre 1889 et 1941, L’Érythrée reste encore aujourd’hui profondément marquée par l’ancienne métropole surtout d’un point de vue culturel, architectural et infra structurel. En effet Asmara, ville absolument unique en Afrique, a été façonnée selon les canons esthétiques italiens des années 30 ; en témoignent la cathédrale Santa Maria, les zones résidentielles du sud de la ville et la quasi omniprésence du marbre comme matériel de construction. Les noms de quartiers, de restaurants, boutiques, et cinémas (Impero , Roma et Odéon), sont des vestiges qui forment le visage et l’identité d’une ville donnant l’impression d’être restée figée dans son passé colonial. De plus, la plupart des infrastructures du pays datent de cette époque. Les routes ont été élaborées par le colonisateur tout comme les systèmes d’égouts de la capitale ou les systèmes de citernes sur la route menant à Massawa. Les ponts que l’on trouve partout dans le pays, tranchent avec le dénuement alarmant provoqué par l’absence d’entretien des infrastructures. Tous les flux sont paralysés. Ainsi, la seule voie ferrée du pays entre Asamara et Massawa n’est plus praticable que sur une moitié seulement du parcours.
Après une période d’administration britannique (1941-1952) et une période de fédération à l’Éthiopie (1952-1962), l’Érythrée est annexée par cette dernière. Cet acte déclenche une résistance armée, larvée mais tenace, de la part des Érythréens, menée par l’Eritrean Liberation Front et le Eritrean People Liberation Front dirigé par Issayas Afeworki. L’indépendance est finalement acquise aux dépens de l’Éthiopie en 1993, ce qui prive cette dernière de l’intégralité de sa façade maritime. L’EPLF, désormais rebaptisé People Front for Democracy and Justice, après avoir évincé l’ELF durant la guerre, se retrouve seul au pouvoir avec Issayas Afeworki comme dirigeant.
L’Érythrée sur le plan politique :
Issayas Afeworki a instauré après l’indépendance de son pays un régime politique qui repose sur un parti unique : le PFDJ, successeur de l’EPLF. Le Président a peu à peu resserré son emprise sur le pays, réduisant les libertés publiques, aboutissant à une gestion très rigide, autoritaire et fermée au monde. En 1997, une Constitution provisoire prévoyant des libertés civiles et une marche vers un État de droit et la démocratie est rédigée, mais non ratifiée. En septembre 2001, le régime d’Issayas Afeworki prend un tournant radical. Il profite en effet, de la focalisation des médias sur les attentas aux USA, pour faire emprisonner des dizaines de journalistes et représentants réclamant l’application de la Constitution. A cette occasion, tous les journaux et sites d’informations indépendants sont suspendus. Cette situation n’a depuis lors, cessé de se dégrader et l’on compte aujourd’hui, selon Amnesty International, environ 10 000 prisonniers politiques sans jugement, détenus dans de très dures conditions. En 2013 Reporters sans frontières a placé l’Érythrée en dernière position derrière la Corée du nord, dans son classement mondial pour la liberté de la presse.
Aujourd’hui, le contexte des révoltes dans le monde arabe met le régime d’Asmara dans une position inconfortable. Malgré les évènements du 14 janvier 2013 marqués par l’échec d’un mouvement armé ayant réclamé l’application de la Constitution, le contrôle d’internet et la peur de la dureté de la répression ne sont pas favorables à la création d’un mouvement de révolte analogue au monde arabe.
La société érythréenne :
Établir des statistiques précises de populations en Érythrée est une affaire quasi-impossible, tant le phénomène d’émigration est important. Cet exode massif vers n’importe quelle destination, est directement provoqué par les énormes contraintes exercées par le pouvoir sur sa population. Un service militaire d’une durée d’un an est exigé de tous les jeunes dans un camp, aux conditions de vies les plus dures, surtout pour les jeunes femmes. Ajoutons à cela que la seule université du pays a été démantelée, et l’enseignement supérieur ne délivre pas de formations supérieures à la licence.
D’autre part, toute la population âgée de 18 à 65 ans demeure soumise au service national. Les civils se voient mobilisés plusieurs fois par mois, afin d’aller construire des ouvrages défensifs au fin fond du désert, ramasser des pierres, patrouiller en armes la nuit dans les rues des villes ou planter des arbres. Par ce système, le pouvoir s’assure de garder le contrôle sur sa population. Mais la conséquence directe de cette politique est la fuite massive d’une jeunesse sans espoir d’études ni d’avenir, en direction du Soudan et de l’Éthiopie comme première étape. Cette véritable saignée vide littéralement le pays de sa force vive et de son avenir. Ce phénomène de grande ampleur est, de plus, exploité à grande échelle par des organisations criminelle soudanaises et égyptiennes afin d’alimenter le trafic d’êtres humains (racket, chantage aux familles, prostitution, trafic d’organes, esclavage …) dans le désert du Sinaï, sur la côte libyenne ou dans les déserts d’Afrique du Nord.
L’Érythrée sur le plan économique :
Depuis son indépendance, le développement de l’Érythrée peut être analysé sous deux phases successives :
La première, de 1993 à 1998 a permis au pays de connaître un relatif développement économique grâce au commerce. L’Érythrée se rêve dans un premier temps comme le débouché industrialisé et développé de l’immense et archaïque Éthiopie. Les ports d’Assab et Massawa connaissent d’ailleurs une éphémère activité durant la période 1993-1997. Ce commerce a reposé sur de bonnes relations avec le voisin éthiopien, dont le Tigray People Liberation Front est au pouvoir depuis 1991 ; il est réputé proche d’Issayas Afeworki et de son mouvement. Le premier coup dur porté à l’économie érythréenne est l’instauration en 1997 du Nakfa, par le régime d’Asmara, en remplacement du Birr, la monnaie éthiopienne. Le Nakfa, non convertible sur les marchés internationaux, coupe l’Érythrée de l’économie mondiale et provoque, avec le voisin éthiopien, de très fortes tensions qui arrivent à leur paroxysme avec le déclenchement d’une guerre territoriale entre les deux pays (1998-2000).
La seconde phase de développement intervient à la fin de la guerre, au début des années 2000 et se résume à la maxime Shield of Resilience and Nobility of Work, le pouvoir conçoit le développement par l’autarcie et développe un discours virulent vis-à-vis d’une prétendu acharement international à son égard. Ainsi, le secteur privé est quasi inexistant, mis à part quelques compagnies pétrolières (Total, Tamoil), quelques compagnies aériennes (Egyptair, Lufthansa, prochainement Turkish Airlines) et quelques compagnies minières. Ces entreprises, conciliantes avec le pouvoir, bénéficient d’arrangements notamment en matière de change. L’économie de ce pays, essentiellement rural, repose sur l’agriculture à près de 50 % et dépend donc des précipitations des mois de juin, juillet et août. En effet, l’État élabore des stratégies de développement locales comme des cultures pilotes ou des aménagements d’irrigation qu’il vante à grand coup de propagande.
Le secteur tertiaire représente près d’un tiers de l’activité du pays, malgré des pénuries constantes de produits de consommation d’eau courante et d’électricité, les petits restaurants, les cafés, les tailleurs et les coiffeurs sont légions.
Cependant, le secteur secondaire est quant à lui à l’agonie. L’usine de raffinement d’Assab, construite par les Russes est à l’abandon depuis 1997, faute de maintenance et de main d’oeuvre qualifiée. Tous les produits pétroliers sont importés : ils fournissent en outre l’unique usine de production électrique du pays qui, vieillissante, n’assure que de façon épisodique l’alimentation énergétique pour le pays. Seul le secteur minier, ouvert aux investisseurs étrangers, apporte quelques recettes au pouvoir d’Asmara. Depuis le début des années 2010, bien que morose, le secteur minier permet, quasiment à lui tout seul, au pouvoir de se maintenir et de se financer. En outre, le travail du fer à blanc reste une activité importante mais plus artisanale qu’industrielle au sein du pays.
L’Érythrée sur le plan géopolitique :
Dans la région, l’Érythrée entretient des relations très tendues avec la quasi totalité de ses voisins. La chute du régime de Kadhafi l’a sans doute privé de son meilleur allié. Avec l’Éthiopie, une situation de « ni guerre ni paix » perdure depuis la fin de la guerre 1998-2000 : toute relation diplomatique ou commerciale reste coupée, dans un climat des plus délétères entre les deux « frères ennemis ». Les relations avec Djibouti et le Yémen ne sont guère meilleures, du fait d’anciens conflits frontaliers (contentieux près du détroit de Bab el Mandeb sur les îles Hanish par exemple avec le Yémen). Seul le Soudan demeure un allié de premier plan pour Issayas Afeworki depuis 2006 et la normalisation des relations entre les deux voisins ; le « marché noir » entre les deux pays permet d’ailleurs aux Érythréens de trouver quelques biens de consommation sur les étalages.
De surcroît, le pays reste soumis à un régime de sanctions votées en 2009 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour son soutien aux islamistes somaliens et durcies en 2011. Ces mesures ont encore affaibli le pays, mais ne semblent pas infléchir le régime d’Asmara, qui persiste à déstabiliser la région et notamment l’Ethiopie et la Somalie en soutenant des mouvements armés en tout genre.
Les perspectives de l’Érythrée :
Malgré de réelles potentialités de développement, notamment par le tourisme en mer Rouge, mais aussi à une interface maritime de premier plan, le dictateur semble ne pas prêt à envisager de changements notables dans sa politique. Le cercle vicieux « victimaire-paranoïaque » dans lequel s’est enfermé le régime, condamnant les Etats-Unis et ses soit-disant gendarmes que sont l’ONU, l’Ethiopie et l’Occident de manière générale, ne laisse aucun espoir d’ouverture à moyen terme. Cet état de fait condamne l’Érythrée à une lente asphyxie.
Seule la disparition du dictateur pourrait amorcer un changement. Mais là encore, l’acharnement du régime à écarter toute personnalité politique et toute possibilité de transition (y compris dynastique d’ailleurs), laisserait le pays sans aucune préparation politique. Des tensions entre communautés religieuses pourraient apparaître et faire exploser le pays, déstabilisant la Corne de l’Afrique de manière profonde. Le rôle de l’Ethiopie dans la région serait une fois encore prépondérant pour ne pas voir apparaître un nouvel État failli menaçant la région et la mer Rouge.
Alexis Nshimiyimana, diplômé du Master II en 2013.
Merci de cette analyse intéressante.
Je crois me souvenir que l’ONU a mis en place une force de caques bleus après le conflit Erythro-Ethiopien de 1998-2000, force au sein de laquelle la France a participé avec un contingent de légionnaires relevant de la 13ème DBLE alors en place à Djibouti et appartenant aux FFDJ.