Archive | novembre, 2013

Milindex : une base de données de plus de 80 000 références

24 Nov

Etudes géostrategiques tient à saluer le lancement de la base de données Milindex grâce au travail de fourmis dirigé par Rémy Porte et Julie d’Andurain au CDEF. Nous reprenons ici les informations données par le premier sur http://guerres-et-conflits.over-blog.com/ :

Lancé il y a pratiquement trois ans, le projet Milindex peut désormais être mis à la disposition des étudiants, des chercheurs, des amateurs, du grand public. A titre d’exemple; interroger la base de données avec le mot-clef « Afghanistan » permet de trouver plus de 180 références qui permettent de faire le point sur le situation militaire dans ce pays entre 1878 et 2011 ! Une véritable mine de références qui va continuer à vivre, à évoluer, à être toujours plus performante. Laissons Julie d’Andurain vous la présenter : 

Une collaboration CDEF, CDEM, Université

Fruit d’une collaboration de trois années entre le bureau Recherche du Centre de Doctrine d’Emploi des Forces (CDEF), le Centre de Documentation de l’Ecole militaire (CDEM) et l’Université, la base de données MILINDEX permet d’accéder aux sommaires de périodiques militaires des IIIe, IVe et Ve Républiques ainsi que certains périodiques en langue anglaise.

MILINDEX a été constitué au sein du bureau Recherche du CDEF dans le but initial d’accompagner les étudiants du Bureau dans leur découverte du fait militaire. Il s’agissait de les familiariser avec la littérature des périodiques, d’accès plus facile et plus rapide que celui des ouvrages. Au fur et à mesure de la construction de l’outil bibliographique, celui-ci est apparu comme un instrument de recherche en soi, susceptible de générer de nouvelles problématiques et par-delà de nouvelles recherches.

La base de donnée MILINDEX

MILINDEX ne donne pas accès au document lui-même. Il donne simplement la référence d’un article c’est-à-dire le nom de son auteur, le titre exact de l’article et l’ensemble des éléments scientifiques (date, tomaison, pages) qui permettent de le repérer correctement en bibliothèque. L’outil regroupe à ce jour plus de 80 000 références scientifiques d’articles peu connus et dont beaucoup sont de grande qualité. Il est ainsi possible d’établir une solide bibliographie scientifique avant d’aller consulter les documents en bibliothèque : le Centre de Documentation de l’École militaire particulièrement, mais aussi à la bibliothèque du SHD (Service Historique de la Défense à Vincennes) et à la Bnf, certaines revues étant par ailleurs numérisées sur Gallica.

Les périodiques référencés

À ce jour, près de trente revues ont été référencées, d’autres suivront. Parmi les plus importantes, vous trouverez les grandes revues d’arme de la IIIe République : la Revue d’artillerie (1872-1939), la Revue de cavalerie, la Revue d’infanterie (1887-1939), la Revue du service de l’Intendance militaire (1888-1959), la Revue militaire du génie (1887-1959) ; la Revue militaire générale (1907-1973) ; le Journal des Sciences militaires (1825-1914) ; la Revue militaire de l’étranger (1872-1899) et sa suite la Revue militaire des armées étrangères (1899-1914) ; le Spectateur militaire (1826-1914) ; la Revue des Troupes coloniales (1902-1939).

Des périodiques plus proprement historiques tels que la Revue historique des armées, la fameuse RHA, figurent également sur ce site ainsi que la Revue d’histoire de la Guerre mondiale (1923-1939), les Cahiers du Centre d’Études d’Histoire de la Défense (1996-2008), 14-18, le magazine de la Grande Guerre (2011-2012), de même quelques grandes revues intellectuelles de la IIIe République, intégralement dépouillées : Revue des Sciences Politiques (1911-1936), La Revue Politique et Parlementaire (1894-1971).

Enfin, sur des questions plus contemporaines, des périodiques en langue anglaise, plus récents ont également été référencés : Comparative Strategy, European Security ; An International Journal ; Comtemporary Security Police ; Conflict, Security & Development ; International Security ; Mediterranean Quarterly, A Journal of Global Issues ; Strategic Studies, Quarterly Journal of the Institute of Strategic Studies Islamabad, etc.

L’intérêt pour l’historien ou le chercheur en sciences humaines ?

Ces revues abordent de près ou de loin le fait militaire que ce soit par des aspects stratégiques, opératifs ou tactiques ou par l’histoire militaire proprement dite, française ou étrangère. Le mode d’accès à la base de données (par titre, par périodique, par auteur ou par année) permet d’envisager des thématiques très variées touchant aux armées comme le commandement, le recrutement, l’étude des armées étrangères (avec une recherche par pays), les questions de contre-insurrection, le mercenariat, la santé aux armées (hygiène, maladie, prophylaxie, etc), le renseignement, etc., la liste n’étant bien évidemment pas exhaustive.

Grâce à cet outil, il est également possible d’envisager une réflexion élargie sur la pensée militaire française, de rechercher éventuellement les éléments constitutifs d’une anthologie, mais de pratiquer également des analyses prosopographiques à partir d’un recueil important de données.

Pour les lecteurs du blog du lieutenant-colonel Porte, j’ajoute que cet outil a été mis en place durant ces trois dernières années sous sa direction et avec l’aide précieuse, et au combien efficace, de Mlle Bénédicte Bretonnière.  Je remercie également tous les étudiants qui ont participé activement à ce projet et qui ont appris, ainsi, à construire et utiliser une base de données.

Vous trouverez MILINDEX sur le site du CDEF :  www.cdef.terre.defense.gouv.fr. dans la partie droite de la page d’accueil. Pour accéder au contenu du site, retenir les mots de passe :

User name

=                                                    milindex

password

=                                                recherche

Une fois que vous vous trouverez sur la page de recherche, cliquez par exemple sur Milindex-titre et entrez un mot clé (guerre, armée, blessé, troupe, etc) puis cliquez sur login (ne pas utiliser la touche « Entrée » du clavier). 

Bonne navigation !

                        Julie d’Andurain

                        Responsable du projet MILINDEX au bureau Recherche du CDEF/DREX

 

Ajoutons simplement deux recommandations particulières pour les amateurs encore peu habitués aux bases de données : ne pas hésiter à multiplier les requêtes en changeant de mots-clefs (artillerie, canons, bombardement, etc.) et penser (puisqu’une partie des titres est en langue anglaise) à effectuer selon les sujets la recherche en deux langues (par exemple Liban, Lebanon, ou Chypre, Cyprus). 

A relayer au maximum !

Nous invitions également à aller lire les nombreuses critiques des derniers livres d’histoire militaires sur http://www.guerres-et-conflits.over-blog.com/

Parmi les dernières recensions mises en ligne, le professeur Jean-Charles Jauffret livre ses commentaires sur l’ouvrage dirigé par André-Paul Comor, Légion étrangère : histoire et dictionnaire, Paris, Robert Laffont collection « Bouquins », 2013, 1 140 p  dont nous avions salué la publication :

« Premier dictionnaire historique et critique consacré à la Légion étrangère, cette œuvre monumentale doit tout à la persévérance d’André-Paul Comor. Maître de conférences honoraire à Sciences Po Aix, auteur, entre autres, de La Légion étrangère (PUF, coll. « Que Sais-Je ? », 1992), et d’un retentissant Camerone (Tallandier 212) qui renouvelle, en histoire militaire comparée, le récit de ce combat fondateur du mythe légionnaire, il a su s’entourer d’une équipe de 59 spécialistes, y compris étrangers (dont l’historien américain Douglas Porch qui publia chez Fayard, en 1994, une somme, La Légion étrangère,1831-1962).

A corps d’élite, ouvrage d’exception ! Mieux que tous les autres dictionnaires de la collection Bouquins, celui-ci est à la fois un instrument de travail et une synthèse. Ce qui est d’autant plus difficile à réussir qu’il s’agit d’une étude d’un corps vivant et dynamique. En effet, après la préface lumineuse d’Etienne de Montety qui souligne en quoi la Légion est bien « la promesse de l’extraordinaire », s’ensuivent une présentation de l’antériorité des étrangers au service de la France depuis les Ecossais chers à Charles VII et, in fine, une anthologie de la littérature légionnaire (poèmes, anecdotes, extraits de mémoires…). Une chronologie comparée, des cartes, quelques illustrations étayent la présentation alphabétique des entrées. Un dernier regroupement est offert au lecteur par l’intelligence de la présentation de la bibliographie sélective, par pays, d’ouvrages non cités dans les notices. Elle est exhaustive pour le relevé des ouvrages et témoignages publiés relatifs à la Légion. Même rigueur scientifique pour la présentation de l’abondante (et insoupçonnée) filmographie (films de fiction et documentaires) démontrant que la Légion, d’Under Two Flags (Etats-Unis, 1912, de Lloyd Lonergan) à Français par le sang versé (France, 2011, de Marcela Feraru), est autre chose que l’inévitable et populaire Beau Geste (1939, avec Gary Cooper, et « remake » de 1966). Ce dictionnaire recèle des trésors, telle cette précieuse discographie depuis les premiers 78 tours aux supports contemporains. Et ce, en  montrant comment, une des toutes dernières musiques principales de l’Armée de terre peut, en 2012, offrir aussi la fantaisie d’aubades et chants du monde entier où elle se produit d’ailleurs, de Santiago du Chili aux capitales européennes.  En ce sens, par leur prestige, ces légionnaires musiciens sont à l’Armée de terre ce que la Patrouille de France est à l’Armée de l’air.

Loin des clichés habituels, c’est de l’étude d’un bien de l’humanité, profondément ancré dans la tradition militaire française, dont il s’agit. On s’attend, tout d’abord, à trouver les monographies de chaque régiment, d’unités particulières (compagnies d’infanterie montées, escadrons dotés de « crabes » en Indochine…), mais loin de l’hagiographie type Livre d’or. En effet, rien n’est laissé dans l’ombre : mutineries de 1840, 1915, 1916 et 1940, drames de conscience en juin 1940 et du Levant en 1941, choix d’avril 1961 lors du putsch des généraux (où le colonel Brothier, chef de corps du Premier étranger, sut préserver l’unité de la Légion malgré critiques internes et sécessions)… Des entrées concernent également  la légende noire de la Légion, les questions de l’alcoolisme et des bordels (Sidi-Bel-Abbès, les BMC…), sans oublier les désertions et les suicides, formes ultimes du « cafard ». Sont aussi évoqués des personnages qui font aussi partie de l’histoire de la Légion avant de choisir l’activisme terroriste de l’OAS, tel le lieutenant Roger Degueldre. En revanche, parmi les grandes figures, comme l’emblématique « père de la Légion », le général Rollet ou les « maréchaux de la Légion », c’est-à-dire ses célèbres sous-officiers, véritable ossature de ce corps d’exception, apparaissent les nobles destins de femmes, telle la marraine du 1er REC (régiment étranger de cavalerie), la comtesse Leila du Luart (1888-1985) ou Edmonde Charles-Roux. On croise également l’inattendu, d’Isabelle Eberhardt à la tempête de neige et de sable de Forthassa sur les confins algéro-marocains, en février 1908, qui vit la mort par le froid de 34 légionnaires épuisés après une marche forcée dans la montagne. Sans doute une des approches les plus nouvelles concerne les relations entre les politiques et la Légion (Adolphe Thiers, Louis de Montfort, Pierre Messmer, ancien de Bir Hakeim…). A noter comment le Parti communiste s’est associé aux campagnes de presse dénonçant les exactions de la Légion, avant d’en réclamer la suppression par une proposition de loi de 1980. Tout comme les troupes de marine, dont on peut un jour espérer qu’elles auront un dictionnaire de cette qualité, les unités de légionnaires ont aussi été engagées dans des opérations de maintien de la paix, sous l’égide de l’ONU ou de l’OTAN, de 1992 à nos jours. Les aspects internationaux ne sont donc pas négligés, y compris le droit pour l’extradition de criminels notoires. Les amateurs d’exotisme ne seront, eux aussi, pas déçus, entrées : « chapeau chinois », « Boudin, le », « Fêtes »… Ce qui relève souvent de l’image et de l’imaginaire liés à la Légion dont un long article offre une synthèse.

Ce dictionnaire est avant tout consacré à la foule anonyme Des hommes sans nom. Leur « code de l’honneur » si particulier remonte, pour la version écrite, à mars 1937. Cet ouvrage offre un baromètre des recrutements, depuis 1831, lié aux crises politiques et économiques en Europe et à présent dans le monde. Ce peuple bariolé sous l’uniforme, aux antipodes d’un racisme à présent récurrent dans une France décadente, est évoqué de main de maître dans les multiples aspects de la vie quotidienne, mais aussi des rudes entraînements et de l’esprit de corps. Un des aspects les plus novateurs de cette œuvre magistrale, prouvant qu’un corps d’élite sort grandi de l’analyse scientifique, concerne la culture légionnaire (chants, traditions…) et la définition de ce qui conduit, un jour, des étrangers sous un drapeau français d’accepter l’ultime sacrifice pour remplir la mission. En ce sens « faire Camerone » les distinguent des mercenaires, fléau du monde militaire contemporain qui sacrifie l’armée à des sociétés d’Affreux, précurseurs d’une nouvelle forme de féodalité dans le délitement des devoirs régaliens des Etats. De plus « On n’est pas à la Légion pour la gamelle » : le légionnaire gagne une misère à l’engagement. A travers l’étude des primes et soldes, c’est aussi  s’intéresser aux motivations, hors des stéréotypes habituels, qui poussent un homme à choisir de servir avec honneur et fidélité sous le képi blanc. Evidemment, toutes les campagnes où fut engagée la Légion sont magistralement décrites, y compris les avatars tel le « jaunissement » à la fin de la guerre d’Indochine. Sont également analysées, ce qui confirme l’aspect d’histoire totale de ce dictionnaire propre de l’histoire militaire contemporaine, les croyances religieuses (articles « Eglise catholique », « Pasteurs », « Juifs dans la Légion » (et question de l’antisémitisme en 1915 et 1940 surtout)

Enfin, ce dictionnaire ouvre également sur les représentations de la Légion à travers la presse, la littérature, tout en séparant ce qui relève du mythe et ce qui correspond au vécu du combattant. De sorte que l’objectif est atteint : permettre au grand public de découvrir une société jugée imperméable, comprendre pourquoi à chaque 14 juillet, sur les Champs-Elysées, la Légion précédée de sa musique principale et de son corps de sapeurs portant barbe, tablier et hache, suscite un tel enthousiasme. Il reste à souhaiter qu’à l’heure de la réduction des forces armées françaises à un format de poche, ce travail aide à réfléchir les politiques timorés et les petits boutiquiers de Bercy issus de l’énarchie : un corps d’élite ne s’improvise pas, il est le fruit d’expériences et d’une longue tradition. De sorte que rayer d’un trait de plume un régiment au savoir-faire inégalable et irremplaçable dans une opération extérieure, ou muter un autre régiment de tradition liée au substrat de la Légion romaine à Orange pour le cul-de-basse-fosse du camp de Carpiagne, outre le mépris du contribuable pour la dépense inutile, relève de l’inconscience ».

Compte rendu de la visite de lʼarsenal de Toulon le 4 novembre 2013

19 Nov

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Le lundi 4 novembre 2013, les étudiants du master 2 d’histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité, dirigé par monsieur le professeur Jauffret et grâce à l’entremise du capitaine de frégate Pierre Barthélémy, directeur de recherche au CNRS et enseignant dans ce master, se sont rendus à l’arsenal de Toulon afin de découvrir les capacités maritimes militaires françaises.

Toulon, haut lieu de l’histoire de la Marine française, de la construction de l’arsenal du Mourillon au début du XVIIIème siècle au sabordage de la flotte en novembre 1942, constitue aujourd’hui la principale base navale française, plus de 60% du tonnage de la Marine nationale étant à quai dans la rade toulonnaise. La majeure partie de la force d’action navale (FAN) est positionnée dans la rade de Toulon, comprenant notamment le porte-avions Charles-de-Gaulle, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) Tonnerre et Dixmude, ainsi que les six sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Rubis. La découverte du patrimoine et de l’histoire de la Marine nationale le matin par la visite du Conservatoire des tenues a permis aux étudiants de saisir les traditions qui ont encore cours aujourd’hui, tandis que la visite du porte-avions nucléaire (PAN) Charles-de-Gaulle et de la frégate de défense aérienne (FDA) Forbin l’après-midi a sensibilisé les élèves, plus qu’aux enjeux maritimes actuels, à l’importance que revêt la capacité navale dans la politique étrangère et la souveraineté de la France.

Fleuron de la Marine nationale et symbole tant de la puissance de la France que de ses capacités de défense, le PAN Charles-de-Gaulle constitue un élément majeur de la FAN. Bâtiment de combat de surface à propulsion nucléaire, il est le seul bâtiment de cette catégorie n’ayant pas été construit par les Etats-Unis. Commandé en 1986 afin de succéder au Clemenceau, le Charles-de-Gaulle est entré en service le 18 mai 2001 pour une espérance de vie opérationnelle de 40 ans et constitue le pivot du groupe aéronaval (GAN ou Task Force 473). Acteur principal de projection de puissance, le GAN comprend, autour du Charles-de-Gaulle, une frégate antiaérienne (soit type Cassard, soit furtive type Horizon), ainsi qu’un pétrolier-ravitailleur. A ce dispositif traditionnel peuvent s’ajouter, selon les déploiements opérationnels et les menaces potentielles, des bâtiments de lutte anti sous-marine ainsi que des sous-marins nucléaires d’attaque.

En termes de caractéristiques techniques, le PAN Charles-de-Gaulle est un navire de 260 mètres de long pour 64 mètres de large. Il pèse 42 500 tonnes à pleine charge, se déplace à une vitesse de 27 noeuds (50 km/h) et est propulsé par deux réacteurs nucléaires. Ce sont près de 2000 personnes qui composent l’équipage du porte-avions, dont une centaine pour l’état-major embarqué et près de 700 affectées au groupe aérien. Le Charles-de-Gaulle peut embarquer jusqu’à 40 aéronefs selon les missions, généralement divisés en une trentaine d’avions (12 Rafales Marine F3, 16 Super-Etendards modernisés, 2 EC-C Hawkeye) et six hélicoptères (1 AS532 Cougar RESCO, 2 EC725 Caracal, 2 AS365F Dauphin Pedro et 1 Alouette III SAR). Ses capacités d’emport en vivres (120 tonnes) ainsi qu’en carburant (3 400 tonnes) lui confèrent 45 jours d’autonomie totale en opération. Quant au groupe aérien, avec une capacité de 100 vols par jour pendant 7 jours, celui-ci peut mener près de 700 missions en totale autonomie. Au niveau des systèmes de défense propres du vaisseau, on compte 4 mitrailleuses de 12.7 mm, 2 systèmes surface-air antimissile SAAM (missiles Aster 15), 2 systèmes d’autodéfense rapprochée antiaérienne léger SADRAL (missile Mistral) et 4 lanceleurres SAGAIE et SLAT (antitorpilles). Si, à côté des capacités aéronavales américaines (11 porte-avions de la classe Nimitz, actuellement 7 de ces « capital ship » sont en service effectif), qui présente des capacités d’emports supérieurs, le Charles-de-Gaulle possède des capacités plus limitées, il n’en constitue pas moins un outil majeur de puissance pour la France. Ainsi, lors de l’opération Harmattan menée en 2011 au large des côtes libyennes, la Marine nationale, à travers le déploiement du GAN, a rempli entre 30 et 50% des sorties aériennes françaises alors que l’aéronavale ne possède que 15% des capacités aériennes de l’armée française. Dès lors, la nécessité de posséder un porte-avions n’est plus à démontrer.

La FDA Forbin est une frégate furtive de défense aérienne de la classe Horizon, entrée en service en 2010, elle reprend avant tout un nom prestigieux dans la Marine : celui d’une part de Claude de Forbin, chef d’escadre de la marine royale du Grand Siècle et par ailleurs Provençal, né à Gardanne, seul chef d’escadre a avoir eu le titre de grand amiral de la flotte siamoise et celui d’officier général français dans la flotte de Louis XIV à la fin de la guerre de Succession d’Espagne ; celui d’autre part de la classe de croiseur Forbin qui représente la première classe de croiseurs protégés construite par la Marine française dans la seconde moitié du XIXème siècle.

En termes de caractéristiques techniques, le Forbin. Il compte à son bord près de 200 marins. Ce bâtiment de guerre est long de 153 mètres et large de 20 mètres, pèse 7 050 tonnes à pleine charge et se déplace à une vitesse de 30 noeuds (55 km/h). Il compte à son bords près de 200 marins. Le navire est équipé de 2 tubes lance-torpilles de 324 mm, de 2 tourelles de 76 mm (portée 17 kilomètres), 2 canons de 20 mm et 2 mitrailleuses de 12.7 mm. Pour assurer sa mission première, la défense aérienne, il est également équipé de 8 missiles antinavire EXOCET, 32 missiles Aster 30 et 16 missiles Aster 15 (les missiles Aster ont pour fonction d’intercepter les aéronefs ennemis). La particularité du navire tient dans sa coque : pour réduire sa signature thermique, le navire utilise en effet au maximum des matériaux absorbants et il n’y a aucun hublot personnel à l’exception de celui présent dans la chambre du commandant du navire. Une véritable sensation de confinement et d’imperméabilité saisit le visiteur quand il pénètre à l’intérieur du navire. De plus, le bâtiment est pressurisé pour éviter toute contamination extérieure type NRBC (il possède d’ailleurs à ce titre une chambre de décontamination). Les frégates Horizon constituant les plus puissants bâtiments de surface que la France ait construit après le Charles-de-Gaulle, ses missions principales demeurent l’escorte et la protection d’un groupe aéronaval ou d’un groupe amphibie, c’est-à-dire organisé autour d’un BPC, ces bâtiments demeurant relativement peu armés. Au-delà de ces missions, la spécialité de la classe Horizon demeure le contrôle de la circulation aérienne en zone de guerre mais le Forbin peut également intervenir dans un contexte de crise (intervention de commandos, évacuation de ressortissants et renseignements).

Ainsi s’est conclue la visite de la base navale de Toulon, visite unique qui a révélé l’extrême technicité de la Marine nationale et du degré élevé de compétences indispensables. Rappelons également que la France, avec ses 7 000 kilomètres de littoral, possède la seconde zone économique exclusive (ZEE) mondiale et est riveraine de tous les océans du monde. Alors que la Marine est la seule arme à être constamment déployée, même en temps de paix, elle a aussi comme devoir de contrôler cet espace océanique hautement stratégique. Pour les étudiants, visiter le premier port militaire français a été une occasion unique de mesurer l’importance de cet outil devenu indispensable à l’expression de la diplomatie et de la puissance française. A tous points de vue, cette visite, attendue de longue date par les étudiants de la promotion du commandant Damien Boiteux, constitua un moment fort dans la vie du Master autant qu’une opportunité unique dans le cadre du cursus.

La promotion du commandant Damien Boiteux

Marie-Pierre Cunill, élève moniteur du master 2

LE SOLDAT A-T-IL UN SEXE ?

18 Nov

La conception du genre adoptée par les armées peut se résumer par la formule du Général de Lattre de Tassigny lorsqu’il affirme : « Je ne veux pas savoir s’il y a des femmes dans la division, pour moi, il n’y a que des soldats ». Cette affirmation implique que le combat efface les différences. En devenant soldat, le genre des individus s’inscrit en second plan. Les armées institutionnalisent ainsi la neutralité des sexes, faisant prévaloir le métier et la compétence. Cependant, la majorité des effectifs dans les armées reste masculin, 75% des militaires sont de sexe masculin contre 15% de sexe féminin[1]. Dans ces conditions, l’effort d’adaptation semblerait essentiellement se porter sur les nouvelles arrivantes. Or, plus on s’élève dans la hiérarchie, plus la présence de femmes se raréfie : les officiers féminins représentent 12% des effectifs[2] (toutes armées confondues). Face à leur statut de minorité, les femmes en situation de commandement doivent-elles se masculiniser pour assurer leur métier d’officier?

Nous verrons que l’intégration différenciée des femmes officiers les amènent à adopter diverses stratégies, jugées par leurs collègues.

I. L’intégration différenciée des femmes officiers

A. Les femmes officiers rencontrent des difficultés spécifiques selon leur corps d’armée

L’intégration des personnels féminins dans les grades élevés se différencie de celle de leurs homologues masculins. Une officier affirme : « au même titre qu’une infirmière sait qu’un jour elle sera confrontée à la vue du sang, nous savons qu’en tant que femme militaire (en prime officier) nous nous exposons à la misogynie ». Tandis que l’armée de l’Air bénéficie d’une excellente réputation et que la Marine et la Gendarmerie s’adaptent progressivement à l’arrivée des femmes, l’armée de Terre, reste la plus réfractaire à la féminisation. Certes, un machisme courant persiste dans toutes les armées mais le principal foyer de résistance réside à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr-Coëtquidan, selon les différents témoignages recueillis. Face à « la misogynie bien ancrée » à Saint-Cyr, une officier interrogée décide d’écrire un rapport sur les faits qu’elle juge inadmissibles auquel aucune suite n’est donnée, les cadres qualifiant ces propos d’« esprit potache », avouant ainsi être démunis sur la manière d’endiguer le problème. Alors qu’elle intègre la gendarmerie, ce témoin s’estime « reconnue dans sa condition de femme officier » : « Même si Saint Cyr reste pour l’instant la plus formidable expérience de ma vie, […] elle reste néanmoins un souvenir douloureux par rapport au comportement de groupe […]. [Aujourd’hui] je suis tout à fait reconnue, et encouragée, dans ma condition de femme officier de gendarmerie. » Cet avis semble partagé par la majorité des femmes ayant fréquenté cet établissement : un autre témoin juge la féminisation acceptée dans son unité, cependant, elle témoigne d’une « mentalité globalement hostile à la présence féminine » en classes préparatoires et à Saint-Cyr.

Cette résistance peut aller jusqu’à influer sur le choix de l’arme des personnels féminins : selon un témoin, certaines règles officieuses au sein de l’ESM Saint-Cyr-Coëtquidan restreignent l’accès des femmes à certaines spécialités, celles-ci subissant des pressions lorsqu’elles choisissent un domaine considéré comme un bastion masculin. Par conséquent, le choix d’une arme technique semble faciliter l’insertion professionnelle : la compétence garantissant alors la légitimité.

Face aux commentaires désobligeants dont les femmes peuvent être victimes au cours de leur carrière, le ministère de la Défense décide de mettre en place une formation pour les personnels féminins afin de leur apprendre à les gérer. Cependant, aucune mesure parallèle n’a été annoncée pour s’assurer de la disparition des comportements visant à ostraciser les femmes. Cette mesure semble accréditer l’idée que les femmes doivent s’adapter à l’univers masculin qu’elles ont choisi alors que les hommes ne subissent aucun changement.

B. « Le militaire n’a pas de sexe »

La neutralité des sexes défendue par l’armée évite d’affronter la différence entre hommes et femmes et de bouleverser les règles de ce microcosme social.  Néanmoins, les armées ont été créées à l’origine pour accueillir exclusivement des soldats masculins. Or, en intégrant les femmes, l’institution militaire ne prévoyait pas la remise en cause de leur mode de fonctionnement. Ainsi, l’armée propose un processus de désociabilisation dont l’objectif est de former des soldats sans distinction. Afin d’atteindre cette homogénéité entre les personnels, la formation initiale dispense des enseignements sur les modes de comportement et les valeurs à acquérir pour devenir un soldat. L’objectif principal est d’oublier les réflexes civils pour intégrer ceux du monde militaire. Les armées imposent alors aux femmes une adaptation aux normes établies avant leur arrivée en prônant l’égalité de traitement hommes-femmes. L’institution militaire ne reconnaît aucune différenciation entre les êtres, il s’agit d’un principe fondamental  indispensable à la réalisation de la mission essentielle : la préparation au combat. Les femmes doivent finalement adopter les normes établies par les hommes et pour les hommes. Cette acquisition requiert des personnels féminins un dédoublement identitaire visant à adopter les règles de cet univers masculin tout en s’imposant comme minorité de sexe différent. Le risque pour les femmes est de renoncer à leur féminité, dans leur tentative d’être considérée non plus comme une proie sexuelle mais comme un membre à part entière du groupe, un «pote». Par conséquent, les femmes pour s’intégrer devraient oublier leur genre, le militaire suggérant d’adopter certaines formes de masculinité. Dans ces conditions, l’armée ne reconnaît pas des êtres asexués mais des « êtres homosexuels »[3], appartenant tous au même sexe. Les femmes tentent de s’adapter à ce milieu où seul domine le genre masculin qu’elles doivent s’approprier pour intégrer les armées. Ainsi, les femmes s’adonnent à un « bricolage identitaire » afin de s’inscrire dans ce milieu d’hommes, bousculant les sociabilités masculines pour faire cohabiter les genres.

Face à ce constat, les femmes s’adaptent en choisissant des modes de comportement visant à affirmer leur statut de minorité ou au contraire à tenter de le faire oublier.

II.         Les femmes adoptent des stratégies spécifiques afin d’associer leur statut de femme à leur statut militaire.

Les personnels féminins semblent porter individuellement le poids de la légitimité des femmes dans les armées. Ainsi, l’assimilation entre un membre d’une minorité comme représentant une catégorie entière oblige à une certaine réserve dans les comportements adoptés. Lorsque dans une unité, une seule femme est présente, elle personnalise la féminisation des effectifs. Son comportement a des conséquences au-delà de son individualité, elle risque de marquer la réputation des femmes dans l’armée. Certes, aujourd’hui la présence des femmes s’est banalisée, cependant, cette impression d’être jugée en tant que femme avant d’être jugée en tant que militaire persiste chez plusieurs officiers.

A. La neutralité des sexes ne peut pas se réaliser concrètement

La neutralité des sexes est une illusion dans la mesure où tous les hommes ne sont pas convaincus de l’égalité entre homme et femme et restent méfiants à leur égard en raison notamment de leur prétendu pouvoir de séduction. Or, les femmes officiers n’ont aucun intérêt sur le long-terme à user de cette facilité, risquant de perdre le respect de leurs collègues masculins comme féminins. Leur attitude tend alors à éviter toute ambiguïté dans leurs comportements. Souvent considérées comme instigatrices, elles sont parfois accusées de bénéficier de privilèges ou d’avoir obtenu une meilleure notation grâce à leurs atouts féminins. Ce fantasme du pouvoir de séduction que la femme détient sur l’homme reste fonder sur le stéréotype de la femme aguichante, dont le charme est irrésistible face à un homme, guidé par ses pulsions sexuelles. Or, dans le contexte militaire où la maîtrise de soi et de son corps prévaut, ces préjugés semblent inopérants. Face à cette réalité, les femmes se défendent en adoptant un comportement distant avec les hommes, pour s’assurer de ne rien avoir à se reprocher. Elles réagissent avec dureté voire froideur aux réflexions des personnels masculins afin de se protéger des quolibets et des rumeurs. Cette tension disparaît avec la maternité, la femme perdant son statut de proie sexuelle.

 Pour les hommes, l’apprentissage des valeurs militaires passe parfois par des brimades consistant à donner des surnoms référents au féminin. La perception du genre au sein des armées introduit une ambiguïté importante. En effet, traiter les hommes de « femmelettes » ou de « gonzesses » revient à assimiler la féminité à la faiblesse. Dans ces expressions, la féminité est considérée comme un élément péjoratif signifiant qu’il est embarrassant, pour un homme, d’être considérée comme une femme. Cet usage particulier des termes féminins renvoie à la conception patriarcale de la société dont l’armée est issue, c’est-à-dire à une vision de la femme comme un être fragile, une propriété de l’homme qu’il doit protéger et dont le rôle premier voire unique reste la procréation. L’association entre « femme » et « compétence » n’est a priori pas acquise, les personnels féminins doivent la conquérir. Ainsi, une témoin déclare : « Une femme officier doit sans cesse prouver sa compétence et montrer qu’elle a sa place. Pour un début d’affectation c’est compréhensible mais dans l’armée de terre c’est permanent. » Elle exprime ici le lien qui est fait par certains hommes entre le féminin et la faiblesse voire l’incompétence. L’arrivée des personnels féminins remettant en cause ces préjugés, les femmes s’adaptent pour surmonter ces obstacles par des stratégies particulières liant leur féminité et leur statut militaire.

B. La prise de conscience de l’appartenance à une catégorie de sexe définie 

A leur entrée dans l’armée, certaines femmes prennent conscience de leur appartenance à une catégorie sexuée ce qui les conduit à affirmer leur spécificité. Les personnels féminins s’engagent alors dans un jeu d’apparence notamment en revendiquant le port de la jupe, de bijoux et du maquillage comme autant d’attributs référents à leur féminité. Jouant des faibles marges de manœuvre permises par les règles militaires, elles peuvent choisir de mettre à profit cette liberté qui leur ait laissée ou au contraire tenter de se fondre dans la masse pour éviter de se faire remarquer.  Le langage adopté dans les conversations, révélateur de logique sociale, est particulièrement représentatif dans les spécialités à forte domination masculine où les femmes s’approprient le langage des militaires, réputé cru et vulgaire, phénomène inconnu dans les états-majors où se concentrent l’essentiel des effectifs féminins.

La division temporelle entre temps civil et temps militaire permet aussi aux femmes de ne pas réaliser de choix entre leurs deux identités en particulier pour les femmes marins lors de l’embarquement. Elles effacent leur féminité sur le navire, respectant l’organisation bureaucratique et impersonnelle du bâtiment et renouent avec leur féminité lors des permissions.

III.   L’entourage immédiat définit l’intégration.

Dans l’échantillon observé, la majorité des femmes travaille quotidiennement avec moins de cinq femmes. Or, avoir un modèle féminin de réussite de carrière et de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale incite les jeunes femmes aspirant à devenir officiers à se projeter dans leur mission. En outre, face aux critiques des élèves masculins, l’officier féminin représente un rempart de défense, connaissant ces désagréments pour les avoir déjà vécus. La présence d’une femme soit au cours de la formation soit lors d’une première affectation rassure les personnels féminins pour deux raisons essentielles : les personnels masculins ont déjà travaillé avec une femme et la personne est susceptible de la comprendre et de la conseiller. Ainsi, l’une des témoins déclare : « Pendant un an le commandant de compagnie adjoint était un capitaine féminin avec lequel je me suis bien entendue. Il est vrai que ça m’a permis de prendre mes marques dans ce milieu d’homme ».

A. Le jugement des subordonnés envers les supérieurs féminins

Les liens associant subordonnés et supérieurs représentent le fondement des armées. Or, l’une des spécificités du métier d’officier réside dans le respect à inspirer aux subordonnés liée à leur autorité, aspects essentiels soulignés par plusieurs témoins.  Ainsi, les qualités de chefs renforcent la cohésion entre les membres d’une même unité, l’officier incarnant « l’esprit de corps ». Parmi les femmes interrogées, l’une affirme que les officiers doivent donner l’exemple aux subordonnées, notamment dans le choix du moment pour avoir des enfants considéré comme une responsabilité à assumer. Un capitaine atteste de son sentiment d’être respectée, essentiel pour un officier, alors qu’il doit montrer l’exemple au quotidien tant dans le travail et le comportement que dans le sport sans oublier de conseiller les subordonnés. Selon une officier, afin d’établir de bonnes relations avec les subordonnés, les décisions prises doivent être justes et expliquées. Une proximité se crée alors de fait, soit lors des événements opérationnels, soit au quotidien. Le rôle de l’officier consiste non seulement à mettre en œuvre les ordres des supérieurs mais aussi à défendre les demandes des subordonnés.

Les subordonnées reconnaissent aux officiers féminins leurs compétences, leur professionnalisme garantissant leur crédibilité, néanmoins la gestion des personnels et l’autorité ne font pas l’unanimité. Ainsi, la remise en cause des capacités des femmes officiers peut être portée par d’autres personnels féminins malgré les difficultés communes de leur carrière. Un même témoin affirme ainsi : « Dès mon entrée dans l’armée, une première femme m’a marquée, elle était […] un exemple formidable de réussite féminine dans l’armée ; droite, forte et stricte tout en restant à l’écoute, bienveillante. Lors de ma première affectation, j’ai croisé une femme qui était loin des valeurs militaires que j’affectionne (rigueur, exemplarité, rigueur dans le commandement et respect). Elle m’a cependant permis de faire les bons choix en termes de comportement : ne pas reproduire ce que je n’ai pas aimé dans sa façon d’être. Cela m’a permis d’adopter un commandement plus diplomate tout en restant ferme, du moment où l’on montre l’exemple et explique le pourquoi de nos décisions. »

B. Les réactions des hommes

L’un des aspects majeurs de l’intégration des femmes dans les armées demeure leur acceptation par les hommes, formant la majorité des personnels de leur environnement. La reconnaissance de leurs pairs assurent leur crédibilité dans un environnement professionnel sain. Un officier met l’accent sur l’importance de la hiérarchie, aucune différence entre les sexes n’étant admises avec les supérieurs. Elle remarque cependant que la mixité force les hommes à repenser leur langage. L’attitude des personnels masculins envers leurs homologues féminins est rarement neutre se traduisant soit par le rejet soit par la protection. Aucune de ces options ne favorise réellement l’intégration : l’indifférence rend l’interaction difficile tandis que la protection tend à accroître le sentiment de faiblesse et l’impression de privilèges accordé aux femmes.

Face aux tensions liées à l’identité masculine, deux réactions surviennent de la part des femmes : soit elles recherchent l’uniformisation, par l’égalité de traitement systématique et l’oubli de leur féminité, soit elles maintiennent un équilibre entre masculin et féminin, répondant aux sarcasmes, sans toutefois aller jusqu’à faire perdre la face à l’homme. Cependant, une officier avoue qu’« il reste parfois difficile de travailler notamment dans un entourage fait uniquement d’officiers masculins, [avoir] parfois l’impression d’être mise à part, ignorée », ajoutant qu’il s’agit d’« un combat de tous les jours de se faire entendre correctement ». Même si la hiérarchie oblige les subordonnés à respecter l’officier quel que soit son sexe, les relations avec les homologues reste parfois difficile.

Conclusion : Être femme officier, c’est choisir une profession singulière marquée par une identité complexe liant la féminité au militaire. L’adaptation essentielle s’opère entre les femmes et l’institution, les hommes subissant des changements mineurs. Afin de s’adapter aux armées, créées par des hommes et pour des hommes, l’institution propose la désociabilisation orchestrée lors des formations en école, où il est indispensable d’affirmer sa personnalité et ses compétences afin d’associer son identité initiale avec celle du soldat. Malgré quelques réticences dans les derniers bastions masculins, les comportements visant à ostraciser les personnels féminins, adoptés lors de la formation en école ou en lycée militaire, persistent rarement en unités.

Soumises à la loi de la majorité, les femmes officiers s’accommodent de leur statut de minorité en s’appropriant à leur manière les règles imposées par l’institution afin d’être acceptées par leur entourage et reconnues dans leur légitimité en tant que militaire. Malgré une intégration différenciée du fait de leur sexe, les femmes en situation de commandement parviennent à concilier leur féminité et leur grade d’officier sans avoir à renier leur genre. Quelle que soit la stratégie adoptée, l’assurance dans le comportement choisi apporte une crédibilité supplémentaire à leur commandement, d’autant plus respecté.

Adelaïde Fouchard, étudiante en Master II Affaires et Relations internationales à Sciences Po Aix en 2013-2014

Auteure d’un mémoire intitulé « Être femme officier aujourd’hui », rédigé sous la direction du Professeur Jauffret


[1]             Rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, n°6, ministère de la Défense, juillet 2012, p. 139

[2]             Rapport du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, n°5, ministère de la Défense, mai 2011, p. 159

[3]             Katia Sorin, Femmes en armes, une place introuvable ? Le cas de la féminisation des armées françaises, p. 211

Gaston Besson: parcours d’un volontaire armé

9 Nov

 

Depuis la parution de « l’espoir » d’André Malraux en décembre 1937 la légende des volontaires étrangers n’a cessé de s’écrire de par le monde.

Les Français ont certainement contribué à écrire plusieurs chapitres de cette histoire. En ex-Yougoslavie (dans chaque camp), chez les Karens en Birmanie, avec les chrétiens au Liban…Les théâtres d’opérations n’ont pas manqué depuis la « fin de l’histoire » prévue par Francis Fukuyama.

Mais qu’est ce qu’un volontaire ? Où se situe la ligne de démarcation entre mercenaire et volontaire ? Elle est mince et parfois elle a été franchie comme l’avouent certains, Franck Hugo fut de ceux-là, tour à tour volontaire en Birmanie et en Croatie, mercenaire aux Comores avec Bob Denard puis contractor en Irak. Ce qui fait le volontaire, c’est avant tout l’attirance pour « une cause » où l’homme qui s’engage ne pourra bénéficier d’aucun avantage matériel significatif. D’une guerre à l’autre, certains s’engagent indifféremment comme volontaire, comme mercenaire ou comme contractor. Pour certains l’aventure en ex-Yougoslavie tenait lieu de motivation, pour d’autres ce fut la religion, la lutte contre le communisme partout dans le monde, sauver la « petite Croatie » contre la « grande » Serbie…Il y eut autant de causes que de volontaires.

Certains ont fait davantage parler d’eux, Gaston Besson est de ceux là. Il est l’image du volontaire à la recherche d’une cause. Il est né le 7 avril 1967 à Mexico  et très tôt il se met à chercher ce que pourrait être l’aventure de sa vie, l’aventure…Sa cause. Il tente d’abord sa chance comme chercheur d’or en Guyanne avant de s’engager à 17 ans dans un régiment de parachutiste de l’armée française (1er RPIMa) où il apprend son métier de soldat.

A ces premières expériences succèdent le temps des engagements volontaires : Birmanie, Surinam, Laos, Thaïlande, Cambodge et à l’automne 1991, à 24 ans, il arrive en Croatie, d’abord en tant que photographe puis au sortir d’une bataille de tranchée, il reprend les armes en tant que volontaire  au sein des forces croates de défense (HOS). Petit à petit, il rassemble un bataillon de volontaires étrangers qui va évoluer dans le cadre de la 108e brigade de défense croate (HVO).

Il combat pendant deux ans les imposantes forces de la JNA (armée yougoslave) et des milices serbes. S’il ne put participer au célèbre siège de Vukovar, il fut engagé dans d’autres combats médiatisés : Vinkovci, Mostar, Brcko… Il est ainsi un témoin privilégié de l’évolution de la dernière grande guerre européenne et ses horreurs. S’il garde de bons souvenirs de ses engagements en Asie qu’il qualifie d’ « aventure militaire exceptionnelle », il n’en est pas nécessairement de même concernant l’ex-Yougoslavie, un « enfer », gris, laid, froid. Ce théâtre est d’ailleurs celui de sa dernière guerre. Sa dernière aventure, il l’a vit « à deux heures d’avion de Paris ».

Blessé trois fois au combat, il faut un banal accident de la circulation lors d’une permission à Paris pour le contraindre à déposer les armes. Mais ses souvenirs de guerre, il ne les a pas perdus, d’autant qu’aujourd’hui il est président de l’association des volontaires étrangers de la guerre d’indépendance croate. Il a accepté de revenir sur certaines étapes de cette incroyable aventure.

 

Q : A 17 ans, vous abandonnez vos études pour partir en Colombie, pourquoi ?

R : Mon frère, J-F, était parti 2 mois dans le pays, il avait adoré l’expérience et à son retour il voulait m’embarquer avec lui. Finalement il est parti sans moi et c’est ma mère qui a payé le billet.

Officiellement je partais chercher de l’or mais en réalité je voulais une aventure, je voulais vivre, la Colombie c’est un pays en plein bordel : 2000 meurtres par jour, les enlèvements, les FARC, la drogue…

Finalement on n’a presque rien gagné et après l’accident de mon frère, un accident de voiture, on est rentré en France, pas vraiment satisfait…

Q : Ensuite c’est l’armée française, pourquoi y être entré, pourquoi l’avoir quitté ?

R : A mon retour je me sentais mal, je ne m’étais rien prouvé, la Colombie c’était magnifique mais je n’avais pas vécu « mon » aventure. Ma mère, elle a été très importante dans mes aventures, a voulu me remotiver et elle m’a poussé à faire mon service, en avance, pourquoi pas ? Mon frère avait été para, mon monde était composé de beaucoup d’anciens paras, alors logiquement je me suis engagé chez eux…

En lisant certains bouquins je m’étais fait une image…fausse de ce qu’était l’armée. Mais à tout prendre j’avais besoin d’une formation militaire, de me faire un CV et il fallait en passer par là.

J’en suis sorti pour les mêmes raisons que j’y suis entré : faire quelque chose, vivre l’aventure sans idéologie préfabriquée. On ne se met pas à l’épreuve dans l’armée française.

Q : Puis ça a été l’Asie du sud-est et d’abord la Birmanie, vous avez combattu pour les Karens…

R : Mon frère était un peu sur la paille alors il s’est cherché une cause : ça a été les Karens. A la fin de mon service je l’ai suivi.

Au début on était cantonné dans le nord, pour former des troupes, ce boulot ne me plaisait guère, je n’étais pas là pour ça. Finalement on a bien été affecté au sud, pour combattre mais je suis tombé malade, la malaria, mon frère est rentré en France afin de trouver de l’argent pour me soigner, quelques temps plus tard il m’a appelé et m’a demandé de rentrer au pays, il avait de nouveaux projets…J’ai hésité, longtemps, et j’ai pris la décision de rentrer, cette décision m’a pesé énormément d’autant qu’à l’aéroport de Paris mon frère m’attendait, il m’a simplement dit que si j’avais été un homme, je serais resté…

Q : Dans votre livre, vous parlez du Surinam comme d’un nouveau départ

R : Oui, j’y ai connu ma première guerre avec mon baptême du feu, mais relativement vite on a fatigué de l’anarchie ambiante alors on est reparti pour Paris, de là nous sommes repartis en Birmanie, on voulait se battre, pour de bon, mais les Karens nous ont envoyé un message clair : on s’est organisé donc on n’a plus besoin de vous. Ils n’avaient pas apprécié notre précédent départ, comment les en blâmer ?

Q : Ensuite c’est un nouveau départ dans votre vie, vous devenez reporter de guerre ?

R : Une idée de J-F ! Moi je n’étais pas contre, on connaissait bien la guerre et l’idée d’y participer sous une autre forme, sans arme mais avec une caméra, me plaisait assez. C’était une autre manière de vivre le combat. Et j’avais besoin de revoir l’Asie, en particulier les Karens, un peuple que j’admirais.

Parfois j’avais bien l’impression d’être un spectateur, ça m’ennuyait d’autant que je savais bien que je repartirai un jour.

On a finalement réussi à revendre nos images à la Cinq mais la plupart des producteurs, des rédacteurs, n’avaient pas le sens des réalités de la guerre…

Q : Puis c’est le Laos, où vous allez chercher des images d’un maquis laotien, dont les autorités françaises se posaient des questions sur son existence réelle, au profit d’un ancien colonel de la DGSE, une expérience unique avant de partir pour la première fois en Yougoslavie, l’aventure à deux heures d’avion de Paris, d’abord comme reporter de guerre…puis en tant que combattant, pourquoi ce passage de l’un à l’autre ?

R : J’y étais allé pour faire des photos, vraiment, mais une nuit il y a eu une bataille rangée, rude, les photos c’étaient plus le moment, j’ai pris une arme et je me suis battu…Après ça comment se contenter de photos ? J’ai eu envie de participer.

Une guerre à un contre dix ça ne se refuse pas…

Q : On a fait de vous un officier et vous vous êtes battus dans un bataillon du HOS (troupes croates), il y avait pas mal d’étrangers dans cette brigade ?

R : Plusieurs centaines, environ 40% de la brigade, le reste c’était des Croates, on avait de tout : des Français, des Anglais, des Allemands…De tous les profils…Jeunes surtout, des pros et des amateurs, au début c’était quand même un beau bordel.

Q : Vous vous battiez toujours pour les mêmes raisons ?

R : Je l’ai dit : un combat à un contre dix avec un matériel ridicule en comparaison de ceux d’en face. Ca devait me rappeler les Karens et la Birmanie…Mais l’Asie c’était le paradis, le rêve indochinois, la Croatie c’était l’enfer sur terre, les paysages, la vie, la mort…

Q : A notre époque, caractérisée par les SMP et leurs contractors, existe-t-il encore une place pour les volontaires ?

R : Il y aura toujours des peuples sans argent mais qui auront besoin de se défendre…

Le volontariat a été partie prenante de la vie de Gaston Besson. En Asie, en Amérique ou en Europe, il a connu les combats acharnés qui n’ont pas pris fin avec la chute de l’URSS…Et pourtant, dans son esprit, il n’a pas soutenu par une cause particulière mais par le dénominateur commun à tous les volontaires à travers l’espace et le temps : le désir de vivre une expérience unique, celle de la guerre, moins peut être pour ce qu’elle implique de blessures et de souffrances que pour ce qu’elle révèle de l’âme humaine.

                « J’ai conscience de ma différence, de mon inappétence à vivre comme tout le monde. Je me ressens comme en dehors de la vie. La clef de Gaston Besson, c’est une sorte d’ennui mortel qui me pousse à sortir de moi-même pour me prouver que je peux, d’une manière ou d’une autre, m’intégrer à la communauté des hommes. Acteur, je me force à vivre l’extrême, la passion, le sentiment alors que je n’y crois pas du tout, avec l’espoir de découvrir ma vérité à travers celle d’autres hommes. Mais ce n’est pas vers la vie que j’ai été, c’est vers la mort. » (G.Besson, extrait « une vie en ligne de mire »).

Nous remercions M. Besson pour son aide et le temps qu’il a bien voulu nous apporter.

 

Pascal Madonna, diplômé du Master II en 2012.

Quelle pertinence pour la notion de la guerre juste ?

2 Nov

 

« Sans doute, l’égalité des biens est juste ; mais ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien ».  Pascal, Pensées

 

Tenter de différencier une guerre d’une guerre juste est un exercice auquel plus d’un millénaire de pensées n’aboutirent qu’à un constat : le caractère de ce qui est juste est une vue d’esprit éminemment subjective, et par conséquent, un accord unanime quant à une définition précise de la guerre juste, ou tout au moins la détermination de quelle guerre peut être qualifiée de juste, est improbable. L’enjeu, pourtant, est conséquent car il ne s’agit pas moins que de faire gagner à la guerre ses lettres de noblesse en inféodant cette pratique sanguinaire à des principes, des valeurs, voire peut être même à la morale, ce qui relèguerait alors au passé les plus belles fresques de l’art militaire, tel ce matin brumeux du 2 décembre 1805, pour ne consacrer à leur place que les victoires de la justice et du bien.

Pour autant, cette perspective manichéenne qui semble inhérente à la guerre juste est elle encore centrale ?

Historiquement, la notion de guerre juste peut être perçue comme une tradition de pensée ayant pour objet de s’interroger sur les relations entre la guerre et l’éthique. Les plus anciennes traces connues à ce jour remontent à la Chine antique du VIème siècle av. JC et mettent en évidence le rôle des valeurs et conceptions propres à chaque culture. Il ressort de cette période que la morale, lorsqu’elle est alliée à la loi, est appelée à prendre une place significative, c’est à dire qu’elle permet à la fois de faire ce qui est interdit tout en donnant un fort capital de légitimité. Tuer des hommes devient acceptable si c’est un moyen d’en sauver davantage, de même que faire la guerre pour arrêter la guerre ou enfin attaquer un Etat dirigé par un tyran, si c’est l’unique moyen de sauver sa population.

C’est toutefois en Occident que la guerre juste connaît ses plus grands développements. La Grèce antique utilise ce concept, mais sa théorisation et son essor sont surtout l’œuvre de Rome et de la pensée chrétienne. Dans la pensée romaine, une approche duale semble privilégiée. La guerre juste est d’une part perçue comme un outil adéquat pour appuyer le politique[1]. Les écrits de Cicéron, basés sur le collège des prêtres chargé des relations internationales, mettent ici en avant la justesse des guerres défensives (repousser une attaque), voire préventives, et des guerres de représailles (se venger). D’autre part, il réapparaît sous la plume de Sénèque une justification des interventions militaires humanitaires. Renverser un tyran opprimant son peuple est permis dans la mesure où, persécutant sa population et atteignant des degrés tels de dépravation morale, « il ôte à toute entreprise contre lui son caractère sacrilège ».

La pensée chrétienne va quant à elle fournir un effort continu de réflexion s’étalant de l’Antiquité tardive à la période moderne. La religion opère ici une limitation forte du recours à la guerre que Saint Augustin explicite dans La cité de dieu : la paix est un acte de vertu et la guerre est contraire à la paix, donc à la vertu, par conséquent la guerre est forcément un péché. Il faut attendre au XIIIe siècle la Somme théologique de Saint Thomas d’Aquin pour voir ce carcan se relâcher, circonscrire par principe les guerres à la légitime défense, et accepter par exception des guerres offensives pour la réparation d’un préjudice ou la cessation d’une injustice dont souffre un Etat ou une population. Au XVIe siècle, Francisco de Vitoria prolonge cette pensée en donnant au prince le droit naturel de défendre l’univers contre l’injustice et lui permettant donc d’intervenir s’il est avéré que des sujets souffrent des injustices de leur roi. 

Au tournant du XVIIème siècle, l’idée de guerre juste se sécularise. Dans les Provinces-Unies, le juriste et diplomate Grotius opère une synthèse novatrice entre la doctrine de la souveraineté des Etats (issue notamment de Jean Bodin, les six livres de la république) et les sources antiques et chrétiennes de la théorie de la guerre juste. Il en ressort que les Etats sont dans leurs relations soumis au droit naturel, mais à coté, il naît de leur consentement et de leur volonté un « droit des gens positifs », encadré par les principes du droit naturel duquel découle le « droit de la guerre et de la paix ». Selon lui, la guerre est ainsi placée dans une relation hiérarchique où elle se voit doublement subordonnée aux préceptes de la foi puis aux lois des hommes.

Le second auteur explicitant la guerre juste est Elmer de Vattel au travers de son ouvrage majeur Le Droit des gens, Principes de la loi naturelle appliquée à la conduite et aux affaires des nations et des souverains. Son apport est fondamental car il aborde une voie nouvelle ; depuis les traités de Westphalie, les relations internationales se conçoivent entre entités souveraines, traitant d’égales à égales du fait de leur statut d’Etat. L’égalité entre les belligérants sonne le glas de l’ancienne perception où la guerre restait emprunte de justice (punir un ennemi injuste). Le formalisme tend alors à prendre le pas sur le manichéisme et à faire apparaître un nouveau paradigme, celui de la guerre régulière, dans les formes.

Cette étape marque donc la fin de la période du justum bellum[2], où la guerre juste ne peut avoir d’autres objectifs que la paix et la justice, et le début de celle du liberium jus ad bellum, où les Etats, puissances souveraines, mènent indépendamment leur politique, tant intérieure qu’extérieure. Le pouvoir discrétionnaire de recourir à la guerre s’impose dans la mesure où c’est l’Etat, juge et parti, qui détermine seul « la justesse et la justice de la cause qu’il a de faire la guerre ». L’évolution de la guerre juste à la guerre justifiée a toutefois produit un accroissement des causes légitimes faisant perdre à ces dernières toute valeur limitative. Il faut ainsi attendre la réglementation conventionnelle de la guerre par les conventions de Genève et de La Haye et surtout la Première Guerre Mondiale pour que le recours à la force armée soit restreint. Commence alors le début d’une troisième période, celle du jus ad bellum, marquée de la volonté de refouler la guerre en encadrant le recours à la force au moyen de normes et d’institutions. Il est désormais fait interdiction aux Etats de recourir à la force armée et il est instauré un mécanisme de sécurité collective (la Société Des Nations). Le système évolue de sorte à se figer vers celui de la Charte des Nations Unies avec pour objectif premier le maintien de la paix, ce qui opère à nouveau une forte limitation normative du recours à la guerre[3] ; soit en cas de légitime défense, soit sous l’égide de l’ONU pour prévenir ou circonscrire une menace contre la paix.

En sciences politiques, la guerre juste peut être appréhendée plus schématiquement comme une doctrine d’action, limitant la mise en œuvre et le déroulement des guerres au nom de certains principes. Brian Orend la décrit comme formant « un ensemble d’idées et de valeurs relatives à la justification morale d’une guerre. Elle propose une série de règles morales que les sociétés doivent appliquer au début, au cours et à la fin d’une guerre »[4]. Dans cette optique théorique, est considérée comme guerre juste toute guerre répondant aux conditions du jus ad bellum (droit avant la guerre), du jus in bello (droit pendant la guerre) et enfin du jus post bellum (droit après la guerre).

Le jus ad bellum comprend la juste cause[5], l’intention droite, la déclaration publique par une autorité légitime, le dernier recours, les chances de succès et la proportionnalité[6].

Le jus in bello impose le respect des conventions internationales sur les armes prohibées, la discrimination combattant – non combattant, la proportionnalité[7], le respect des prisonniers de guerre, le refus des moyens mala in se (perfifie, traitrise…) et l’absence de représailles.

Le jus post bellum prévoit la proportionnalité[8], la publicité des événements, la discrimination[9], des peines justes et licites, la compensation et la réhabilitation.

Cette énumération met en perspective la dichotomie qui existe entre les théoriciens pouvant être qualifiés de « moralistes » et les « réalistes ». L’étude historique de la guerre juste a montré la césure qui s’est faite au tournant du XVIIIème siècle entre la guerre juste et la guerre justifiée, puis, l’ascendant qu’a pris la seconde sur la première. La guerre est de nos jours pensée comme un attribut du politique, indépendant de la morale, de même que la guerre juste n’est plus appréhendée comme un dogme regroupant certains types de guerre et les élevant à un rang sacré.  L’archétype de la guerre juste serait, dans son principe, une guerre licite, c’est à dire conforme au droit international, comme le prévoit le système onusien. Faute d’être licite, et donc prétendant à être juste « par exception », la guerre devrait alors respecter le jus ad bellum, le jus in bello et le jus post bellum[10].

L’intérêt que la science politique porte à la guerre juste s’explique par le fait que cette dernière, loin d’être une argutie développée par quelques penseurs s’opposant sur ce qui est juste et moral, est une nécessité. En effet, la violence a été, est et sera un fait de société, qui, au niveau infra-étatique est régulée par le contrôle de l’Etat, mais qui, au niveau interétatique est laissée au bon vouloir des différents acteurs dans une communauté internationale anarchique. Or, la guerre, en tant que « différend entre des Estats ou des Princes souverains qui ne se peut terminer par la justice et qu’on ne vuide que par la force »[11], appelle à un encadrement car, si elle a « pour finalité la victoire, le meurtre n’en demeure pas moins sa conséquence, sinon sa condition ». La guerre, si elle constitue jusqu’au XIXème siècle un procédé courant des relations entre Etats, reste un phénomène dont la « dernière caractéristique est d’être sanglante, car lorsqu’elle ne comporte pas de destructions de vies humaines, elle n’est qu’un conflit ou qu’un échange de menaces »[12].

La définition de Furetière permet de mettre en avant le fait que la guerre commence là où la justice s’arrête, et souligne par conséquent le besoin d’encadrement de cette pratique immorale selon certains, amorale pour d’autres. Au delà de sa capacité à réguler les conflits, la théorie de la guerre juste se présente également comme un formidable outil de mobilisation. Elle permet de faire jouer les mécanismes de légitimation et par répercussion d’avoir un impact psychologique non négligeable sur la population. 

Le premier effet majeur de cette théorie s’exerce à l’encontre des buts fixés chez chacun des belligérants. En ce sens elle est le pendant de la propagande car elle contribue à rassembler la nation (l’arrière) en vue des buts que l’Etat s’est fixé puis elle décrédibilise également les objectifs de l’adversaire. Ce discours de justification et de légitimation de la cause défendue est produit chez les deux Etats s’affrontant. Or, la principale conséquence de cette sublimation des buts et des valeurs est de créer un discours hautement dogmatique, sacralisant les intérêts de son pays et criminalisant ceux de l’adversaire. Dans l’absolu, cette pratique présente l’avantage majeur de rassembler la nation entière derrière un seul et même but. Néanmoins, elle colporte également le risque d’un appel à punir au nom de principes moraux, vestige de la tradition manichéenne, voyant dans celui qui s’oppose à ces buts et valeurs un ennemi, et in fine voyant dans l’ennemi un criminel.

Carl Schmitt fut un des premiers à dénoncer cette logique pernicieuse qui reste néanmoins mise en œuvre par tous les Etats pour justifier la guerre en fonction de leurs intérêts. Son apophtegme « qui dit humanité veut tromper » montre clairement l’instrumentalisation que font les Etats des causes à haute valeur symbolique. Le danger final est alors double ; d’une part, les Etats vont tendre à ne voir les choses que de leur unique position, c’est à dire que la nation est unie pour défendre sa cause, qui est et ne peut qu’être la bonne (cas des innombrables différents frontaliers où guerres et minorités forment un mélange détonnant) d’autre part, l’ennemi, en tant qu’entité anormale et hostile qui prône un discours dangereux car concurrent, doit être neutralisé dans ses buts. Là encore la guerre juste reproduit la dichotomie classique bien/mal, gentil/méchant qui participe activement à structurer les esprits de sorte que les limites des guerres classiques tendent à disparaître, peu à peu effacées dans un affrontement où le fanatisme est le nouveau maître mot (le cas des guerres aux soldats politisés, comme les SS, ou bien celui des fanatiques religieux dans les guerres saintes est à cet égard édifiant).

La légitimation de l’emploi de toute forme de puissance ainsi que la guerre totale entre les deux entités sont alors les risques principaux.

Le second effet majeur concerne plus spécifiquement l’arrière, il s’agit du façonnement des opinions. L’impact psychologique de la guerre juste est un atout considérable car en donnant à la nation une cause à défendre et en auréolant cette dernière d’une valeur quasi hiératique, l’Etat est assuré de posséder un soutien puissant et inébranlable (tout au moins dans les premiers temps de la guerre). Ce mécanisme peut très bien être perçu au travers de la problématique des interventions militaires humanitaires. Aller secourir une population sous le joug d’un tyran sanguinaire représente l’archétype d’une juste cause d’intervenir. Toutefois, une analyse plus fine de ces différentes interventions tend à révéler une certaine instrumentalisation de ces événements. Les Etats sont conscients de la puissance du discours humanitaire, construit à la manière d’une tragédie[13], peu souhaitable voire inacceptable, laquelle est élevée au rang d’image  qui « maniée avec art, (…) possède vraiment la puissance mystérieuse que leur attribuaient jadis les adeptes de la magie. Elles provoquent dans l’âme des multitudes les plus formidables tempêtes, et savent aussi les clamer »[14]. Gustave Le Bon estime ainsi que les mots doivent leur puissance aux images qu’ils évoquent, et ce indépendamment de leur signification réelle. Or, une fois que ces images ont imprégnées les « idées des peuples », la légitimité de la cause portée à la connaissance de la population est assurée.

La guerre juste se présente ainsi comme un instrument indispensable du politique. De par les conséquences que cette théorie est en mesure de produire, elle demeure le principal facteur de mobilisation d’une population. Depuis la seconde guerre mondiale et le développement sans précédent des moyens de télécommunication et d’information, les Etats ont pris la mesure de ce formidable potentiel et savent ainsi habilement manier tous les événements catalysant les sentiments des peuples. Le phénomène de l’« humanité imaginaire », décrit par Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, traduisant une solidarité des peuples non plus nationale mais globale, c’est à dire recevant dans la majorité des cas le discours humanitaire de façon favorable, en est une parfaite illustration.

 

 Simon Baumert, étudiant de Master II en 2013-2014.

Ouvrages de référence :

Monique Canto-Sperber, L’idée de guerre juste, PUF, 2010, 128p

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La guerre au nom de l’humanité, tuer ou laisser mourir, Paris, PUF, 2012, 624p

Christian Nadeau et Julie Saada, Guerre juste, guerre injuste. Histoire, théories et critiques , Paris, PUF, 2009, 153p

Michael Walzer, Guerres justes et injustes, Belin, 1999, 496p


[1] Castignani Hugo, « L’impérialisme défensif existe-t-il ? Sur la théorie romaine de la guerre juste et sa postérité », Raisons politiques, n°45 février 2012, p 35-58.

[2] Geslin Albane, « Du justum bellum au jus ad bellum : glissements conceptuels ou simples variations sémantiques ? », Revue de métaphysique et de morale, 2009, n° 64, p 459-468.

[3] Même si ces guerres ne sont que très rarement reconnues, l’ONU, du fait du droit des peuples à disposer d’eux même, a reconnu le droit à la lutte armée pour la libération nationale.

[4]Brian Orend, The morality of war, Peterborough, Broadview Press, 2006, p.4.

[5]Depuis les années 1990, les violations graves et massives des droits et libertés fondamentales de l’Homme sont devenues centrales.

[6] La réponse de l’Etat doit être adéquate, la guerre constitue alors, dans une logique graduelle, le dernier palier.

[7] Ne pas causer de maux superflus, les actions menées sont strictement nécessaires.

[8] Dans les compensations exigées, la ligne directrice doit être celle du compromis, de la situation acceptable par toutes les parties, et corrélativement le refus d’une situation hégémonique pour le vainqueur.

[9] Responsables politiques – exécutants – population civile.

[10] Les deux hypothèses, si elles se distinguent au point de vue de leur licéité (accord ou refus de la part du conseil de sécurité des Nations Unies) n’en sont pas pour autant exclusives ; une guerre licite est tenue de respecter les critères de la guerre juste.

[11] Selon la définition d’Antoine Furetière dans son « Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts » de 1690.

[12]Bouthoul Gaston, La guerre, Que Sais-je, 1969, p 34.

[13]Le Petit Robert 2011, tragique ; 2/. « inspirant une émotion intense par son caractère effrayant ou funeste »

[14] Le Bon Gustave, Psychologie des foules, 1895, p 114.

 

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