Archive | janvier, 2014

CENTRAFRIQUE : LA FABRICATION D’UN “CHOC DES CIVILISATIONS“ ?

26 Jan

Lorsque, menacé par un soulèvement armé, François Bozizé tenta, en décembre 2012, de sauver son siège de président de la République centrafricaine-RCA, il intégra dans son argumentaire une représentation géopolitique inusitée jusqu’alors dans son pays : la nature supposée confessionnelle du conflit. Les communautés chrétiennes auraient été menacées par les musulmans. Les spécialistes de la région rejetèrent cet “argument“ comme inepte, l’appartenance religieuse des composantes de la population n’ayant pas, jusqu’alors[1], provoqué d’affrontements notables. Les Centrafricains n’étaient par conséquent pas censés se mobiliser et se battre sur des critères religieux.

Un an plus tard, le pays se trouve pourtant en proie à de sanglants affrontements intercommunautaires à tonalité religieuse. Comment expliquer une telle évolution, dans un laps de temps si bref ? Nous observons ici en temps réel la mise en mouvement d’un mécanisme d’instrumentalisation des différences confessionnelles. Alors que chrétiens et musulmans coexistaient pacifiquement en dépit de certaines difficultés, la crise entretenue par la politique de François Bozizé et la rébellion armée qui en résulta, firent plonger, en 2012, le pays dans la guerre civile. L’absence de solution rapide et globale aux maux dont souffre depuis longtemps la RCA avait provoqué la montée des tensions puis des haines intercommunautaires. Elles atteignirent un paroxysme le 5 décembre 2013 et désormais la communauté internationale s’émeut devant l’éventualité d’un “génocide“. 

 

I - POURQUOI IL N’Y A PAS (ENCORE ?) DE NATION CENTRAFRICAINE.

La population centrafricaine se répartit entre plusieurs dizaines d’ethnies aux effectifs très variables : les Gbaya dépassent le million alors que les Pygmées Aka et Babinga ne sont plus que quelques milliers. Même si l’histoire des relations entre ces groupes comporte des épisodes conflictuels, ceux qui connaissaient la région n’avaient pas mentionné de tensions profondes, encore moins de haines interethniques. Après l’indépendance, ce type de clivage fut suscité et instrumentalisé une seule fois, à l’initiative du président Ange-Félix Patassé (1993-2003). Entamé avec les mutineries de 1996-1997, il connut son paroxysme en 2001 avec le massacre des Yakoma, consécutif à la tentative de coup d’État imputée à l’un des leurs, le général Kolingba. Dans la mesure où les raisons profondes étaient politiques, le clivage ethnique semble s’être ensuite résorbé.

Les Centrafricains parlent une soixantaine de langues différentes. L’État a choisi le bilinguisme officiel : français et sango. Perçu comme le langage du pouvoir et de l’autorité, l’idiome de l’ancien colonisateur est réputé n’être maîtrisé que pas une minorité d’habitants. Le sango, quant à lui, est d’usage quotidien et général. L’arabe, en revanche, demeure marginal. Il sert de repoussoir dans la crise actuelle et ses locuteurs sont stigmatisés par une partie de la population. 

Celle-ci affiche des croyances diverses au sujet desquelles les estimations varient. Les chiffres officiels font état d’environ 10% d’animistes, 10% de musulmans et 80% de chrétiens (autour de 51% de protestants et de 29% de catholiques). L’ONU estime qu’il y aurait en fait 35% d’animistes, 25% de catholiques, 25% de protestants et 15% de musulmans. Une boutade a cours à Bangui : «En Centrafrique, il y a 70% de chrétiens, 30% de musulmans et 100% d’animistes[2]». Dans un pays où, jusqu’en 2012, les populations ont vécu mélangées dans les mêmes quartiers et les mêmes villages, le marqueur religieux semble flou : «  les religions “importées“ jouent avant tout un rôle de vernis social. D’ailleurs, les mariages entre chrétiens et musulmans sont fréquents, les chrétiens n’ont pas peur de s’afficher polygames, ni les musulmans de boire de l’alcool en public[3]. » Ce tableau n’incite pas à envisager des affrontements interconfessionnels. Mais n’avait-on pas tendance à idéaliser la situation ? « En réalité, derrière l’harmonie apparente entre les religions, il y a depuis longtemps un vrai mépris et une marginalisation à l’égard des musulmans qui ne pouvaient jamais accéder à la haute fonction publique, ni même à certains diplômes ». Notons que celui qui dénonçait cette situation était un proche du gouvernement Djotodia, lui-même musulman[4]. Difficile de faire la part entre la vérité et l’assertion visant à dédouaner la Séléka. Peut-être un mélange des deux, à écouter Nicolas Guerekoyame-Gbangou, chef de l’Église protestante centrafricaine. Il explique : « Ces musulmans ont pris le pays et le pouvoir dans un esprit de vengeance, car le Nord-Est a toujours été oublié. On leur refusait même des cartes d’identité au motif qu’ils étaient “étrangers”. Mais on leur dit aussi, au Soudan et au Tchad, qu’ils sont “étrangers”. Ils avaient raison de réclamer leurs droits[5].» En somme, les racines du mal sont de nature sociale, économique, politique, mais pas religieuse.

Comme dans nombre de pays non-industrialisés, les habitants tentent de tirer au mieux parti des ressources disponibles et de pallier les manques. Il en résulte divers modes de vie : agriculteurs ou commerçants sédentaires, pasteurs ou marchands nomades, notamment. La plupart des communautés sont plus ou moins spécialisées dans certaines activités.  Donc, telle ethnie et/ou telle confession est/sont associée(s) à telle ou telle activité. Cela s’accompagne de conditions économiques, de niveaux d’éducation et des degrés d’intégration politique variables. Ces facteurs génèrent autant de complémentarités suscitant des rapprochements, que de tensions susceptibles de dégénérer en affrontements. Là encore, l’appartenance religieuse ne semble ni prégnante ni déterminante.

 

Durant des siècles, le nord et l’est furent soumis à la traite esclavagiste arabe. Les populations subirent en outre les guerres incessantes que se livraient les petites entités politiques fondées par des trafiquants, issus de clans locaux et convertis à l’islam. L’intégration de la région à la traite européenne, ainsi que les captures pour les “besoins“ locaux (ceux des éleveurs musulmans Peuls, notamment), firent que la majeure partie des populations non-musulmanes de l’actuelle Centrafrique eurent à souffrir de l’esclavage. Cette douleur demeure présente dans la mémoire de chaque groupe et, de ce fait, les “nordistes“ musulmans ne sont guère appréciés. La géographie humaine du pays reste marquée par cette histoire : l’est et le nord-est (40% du territoire) sont pratiquement vides alors que 90% des habitants occupent le centre et l’ouest du pays, refuge relatif jusqu’au xviiie siècle.

À compter de cette époque, l’intégration à la traite esclavagiste atlantique fit que plus aucune région n’offrait de sécurité. Des piroguiers Bobangui du Mbomou (affluent de l’Oubangui) servaient d’intermédiaires. Certains préjugés négatifs envers les populations résidant dans la région du fleuve remontent à cette pratique. Mais la différenciation entre “peuples de la savane“ et “gens du fleuve“, tient à d’autres éléments. Les premiers, Gbaya, Banda, Mandja (respectivement 29%, 23% et 20% de la population), auxquels il faut notamment ajouter les Sara et les Mboum, affichent fièrement leurs traditions paysannes, ainsi que guerrières, dans le cas des Gbaya, Banda et Sara. Quant à eux, les “gens du fleuve“, principalement Banziri, Mbaka, Zandé, Sango, Yakoma (5% de la population), tiennent ceux de l’intérieur pour des rustres et sont réputés mieux éduqués. Parmi eux, outre des paysans, se trouvent des commerçants et des pêcheurs, ainsi que des cadres civils et militaires. Les Yakoma étaient des combattants appréciés. Les interrelations mêlèrent rivalités pour le contrôle des ressources, en particulier les axes commerciaux fluviaux, et entente fondées sur des complémentarités économiques.

    La colonisation, par le biais du travail forcé et des cultures imposées perturba les productions traditionnelles, dans une proportion variable selon les époques et les zones. L’impact différa donc selon les populations concernées. Les administrateurs français tendirent à favoriser les groupes se livrant au commerce (comme les Haoussa) et à l’élevage (comme les Peuls Mbororo). Ceux-ci avaient mauvaise réputation parce qu’ils faisaient le jeu de la puissance coloniale. Aucune haine interethnique ou interreligieuse ne fut alors signalée, exception faite de celle opposant Mbororo et Gbaya. Les premiers furent installés dans les pâturages de l’ouest (savanes de Bouar) par les Français après la révolte de 1928-1931, afin que la population dispose de meilleures ressources alimentaires. Mais les seconds les accusèrent de spolier leurs terres avec la complicité de la France. Il ne ressort aujourd’hui aucun contentieux apparent relatif à l’attitude des tenants de telle ou telle confession vis-à-vis colonisateur. Et si ressentiment il y avait, ce serait alors à la suite de différends de nature économique à l’origine.

Intégré par la France à la colonie d’Oubangui-Chari, l’angle nord-est du pays (préfecture de la Vakaga - 50 000 km2, capitale : Birao) subit des conditions naturelles difficiles. Situé en zone pré-sahélienne, dans une savane aride, cette région est isolée du reste du pays. D’une part car les pluies la coupent de Bangui sept mois par an, d’autre part parce qu’elle s’inscrit depuis toujours dans l’orbite d’Abéché (au Tchad actuel) et/ou de Nyala (dans le sud du Darfour). Marge géographique, la région est également une marge culturelle,  du fait de l’appartenance de ses habitants à l’islam et du passé esclavagiste de ceux-ci. En conséquence (et comme c’était déjà le cas durant la période coloniale), depuis l’indépendance, elle se trouve tenue à l’écart par l’autorité centrale qui ne consent pour elle pratiquement aucun effort en matière d’administration et d’infrastructures. Bokassa en fit même une zone d’exil intérieur en y déportant ses opposants dans un camp de travail forcé situé vers Birao. Même si ce sous-équipement n’a rien d’exceptionnel, puisqu’il affecte l’ensemble du pays, le phénomène s’avère plus marqué au nord-est que dans n’importe quelle autre région de la RCA. Cela pérennise le ressentiment contre les “sudistes“, les particularismes “nordistes“ et le tropisme sahélien des populations Youlou, Goula, Rounga et Kara. Ceci contribue à en faire une “zone grise“, parcourue par des groupes armés qui entretiennent une insécurité permanente et accroissent l’hostilité des “sudistes“, nourrie par la mémoire des razzias esclavagistes. Ainsi se perpétuent la marginalisation de la région et la frustration de ses habitants.

 

La RCA est l’un des pays les plus pauvres du monde (PIB  2012 : 2 170 000 000 $, soit 446 $ par habitant et par an) : son indice de développement humain-IDH est de 0,352, ce qui la classe au 180e rang sur 187 pays évalués, 82% de la population dispose de moins de 2 $ par jour. La RCA est l’un des rares pays où la population rurale (68%) demeure largement supérieure à la population urbaine (38%, principalement concentrés à Bangui, la capitale, qui dépasse le million d’habitants). Le montant dérisoire des dépenses estimées de santé (4,3% du PIB) et d’éducation (1,2% du PIB) contribue à expliquer la détresse dans laquelle est maintenu ce peuple. La majeure partie de la population demeure, en 2014, dans une situation peu enviable. 40% des habitants ont moins de 15 ans, la RCA affiche l’un des taux mortalité infantile les plus élevés au monde (101‰) et une espérance de vie limitée à 46 ans pour les hommes et 49 ans pour les femmes. Les récents troubles ont aggravé l’insécurité : plus d’un million de  personnes ont été contraintes de se déplacer, plusieurs dizaines de milliers ont fui dans les pays limitrophes, la pénurie alimentaire menace ou sévit déjà, selon les endroits.

Le délabrement des services publics, la corruption, l’instabilité politique et les soulèvements armés pérennisent le sous-investissement. Ni les dirigeants autoritaires, ni les présidents “élus“ n’ont voulu, su et/ou pu remédier à cet état de choses. Des coteries se succèdent au pouvoir et, négligeant l’amélioration du sort de la population, se livrent à une prédation d’autant plus massive qu’elle est à durée limitée. Toutes les composantes de la population en furent et/ou en sont affectées. Par conséquent, l’appartenance religieuse ne joue pas de rôle notable dans la répartition de la misère.

 

D’emblée livrée aux mains de dirigeants pudiquement qualifiés d’“autoritaires“, la RCA ne connut pas la démocratie. Lorsqu’elle adopta le multipartisme, en 1991, ce fut sous la pression de la France, dans le cadre de la “Paristroïka“ impulsée par Mitterrand, officiellement pour dissiper les miasmes de la Françafrique. Faute de culture démocratique la greffe ne prit pas : prolifération des partis, organisations fondées sur une base ethnique, fraude électorale, persistance de la malgouvernance, autant de déviances qui convainquirent rapidement une partie de la population que les élections ne changeraient rien. Les uns se réfugièrent dans l’abstention, les autres ne se résignèrent pas. Aussi, depuis 1996, une partie des Centrafricains voient-ils dans le recours à la violence armée le seul moyen d’améliorer leur sort. De dictature en pseudo-démocratie, le pays vit une instabilité politique chronique[6] (9 dirigeants, 5 prises de pouvoir par la force depuis 1960) pimentée de corruption et à plusieurs reprises endeuillée par des affrontements sanglants.

Porté au pouvoir par le Tchad en 2003, avec la bénédiction de la France, le président Bozizé ne résolut pas les problèmes du pays. Il se révéla indigne de sa charge et la majeure partie de son peuple continua à souffrir d’une misère largement provoquée par la malgouvernance chronique du pays. Affichant la volonté de forger enfin l’unité nationale, François Bozizé, à l’issue du coup d’État de 2003, avait promis une représentation équitable de toutes les composantes de la population. Il s’était également engagé à développer le nord du pays pour mettre fin à sa marginalisation, notamment en y créant des services sociaux et en y instaurant une réelle sécurité. Il n’en fit rien. Il agit en despote népotique, en prévaricateur et en maquignon. Par voie de conséquence, soulèvements et accords de sortie de crise se succédèrent durant ses dix ans de règne. Ces troubles récurrents illustrent l’inapplication des engagements. Le 23 janvier 2011 à l’issue de scrutins contestables, François Bozizé fut réélu président tandis que son parti conservait la prépondérance à l’Assemblée nationale. L’opposition légaliste s’estima flouée, mais le président la divisa en constituant un prétendu gouvernement d’union nationale le 22 avril 2011.

Ce fut initialement pour obtenir l’application des accords de pacification de 2007 et 2008, en particulier des clauses de réinsertion prévues en faveur des anciens miliciens, que les troubles reprirent. En août 2012, plusieurs groupesse fédérèrent au sein de la Séléka (“Union“, en sango). Ils déclenchèrent les hostilités le 10 décembre 2012 (occupation de la ville de Ndélé) et opérèrent une progression fulgurante face à l’insignifiante armée régulière (Forces armées centrafricaines-FACA). Ils prirent en gage plusieurs centres producteurs de matières premières rémunératrices (Ndassima, ville aurifère ; Bria, ville diamantifère, par exemple) et menacèrent Bangui.

Sous l’impulsion des États voisins, inquiets des risques de contagion régionale, un énième accord de sortie de crise fut signé le 11 janvier 2013, à Libreville. Il déboucha sur la formation, le 17 janvier 2013, d’un gouvernement dirigé par l’un des principaux chefs de l’opposition légaliste, Nicolas Tiangaye. Mais le président, surnommé par ses adversaires “le magicien Boz“, essaya de réarmer son camp et tenta de conserver la main en manipulant les hommes et en contournant ou ignorant l’accord de Libreville. Cette nouvelle séquence d’intrigues politiciennes s’acheva sur un échec. Une partie de la Séléka reprit les armes pour le chasser du pouvoir. La manœuvre fut d’autant plus aisée que certains politiciens centrafricains se rallièrent aux insurgés : Nicolas Tiangaye, chef du gouvernement, avocat, ancien militant des droits de l’Homme, Martin Ziguélé, ancien Premier ministre (2001-2003) de Patassé, et Alexandre Nguendet, ancien proche du général Kolingba[7].

Après plusieurs mois de guerre civile, l’un des chefs rebelles, Michel Djotodia s’autoproclama président le 24 mars 2013. Il s’octroya le ministère de la Défense et entendait gouverner par ordonnances jusqu’en 2016. La continuité dans les errements semblait garantie. La communauté internationale s’en émut et, pour sauver les apparences, le 13 avril 2013, Michel Djotodia, unique candidat, fut “élu“ par acclamation (donc sans vote !) président de la République lors de la première session du Conseil national de transition, formé par toutes les composantes politiques du pays : Séléka, opposition légale au président déchu, partisans de l’ancien régime, anciens rebelles et personnalités de la société civile. La césure confessionnelle ne transparaissait pas explicitement dans ce kaléidoscope.

 

Fin 2012, le régime avait perdu la popularité indiscutable qui avait été la sienne durant les premières années. Mais les Centrafricains en général et les Banguissois en particulier, conservaient un très mauvais souvenir des exactions commises par les soldats tchadiens (et musulmans) qui avaient appuyé la marche triomphale de François Bozizé vers la capitale en 2003. Aussi, la majorité des combattants de la Séléka étant des musulmans et une partie d’entre eux étant tchadiens, le président en difficulté tenta-t-il de jouer sur la peur de ses concitoyens. Après la chute de Bambari, le 23 décembre 2012, il appela les jeunes désœuvrés des quartiers périphériques de Bangui à former des milices d’autodéfense pour empêcher l’infiltration des rebelles dans la ville. Un habitant témoignait alors : les groupes d’autodéfense « ne font pas la différence entre les rebelles musulmans et les musulmans tout court[8]. » Ces derniers étaient pris à partie : « On nous traite de Tchadiens, ils nous disent qu’ils nous couperont la tête si les rebelles approchent de Bangui[9]. » Cela était sans précédent : « Jamais nous n’avons rien entendu de tel jusqu’à présent[10]. » Des vols et des exactions commencèrent à se produire, même si ce qui restait d’autorités prétendaient le contraire. Le principal opposant,  Martin Ziguelé, dénonça ces pratiques comme destinées à masquer les fautes du régime et à désigner des boucs émissaires.

À Bangui vit, la plupart du temps depuis plusieurs générations, une forte minorité musulmane. Certains de ses membres viennent du Sénégal ou de Mauritanie ; beaucoup sont originaires du Tchad mais intégrés. Toutefois, le président Bozizé affirmait à ses partisans que tous ces musulmans étaient potentiellement des complices des insurgés. Oumar Kobine, le chef de la communauté musulmane de Centrafrique reconnaissait : « Ici, nous avons toujours eu des problèmes », mais il notait une tonalité inédite  dans les propos officiels : « le pouvoir donne à cette crise une coloration de guerre de religion[11]. » Chef de la Coalition citoyenne d’opposition aux rébellions armées, Lévi Yakété, un proche du président Bozizé, affirmait : « La rébellion est pleine d’étrangers du Soudan ou du Tchad, c’est l’islamisme qui est derrière tout ça[12]. » Accusations que reprenait le ministre de l’Administration du territoire, le pasteur Josué Binoua : « Les rebelles sont équipés par les wahhabites[13]. » Aucune preuve ne venait étayer ces assertions. De plus, il semble que le pouvoir usait d’éléments de langage à destination externe : en évoquant le terrorisme d’essence wahhabite, il espérait provoquer l’intervention occidentale jusqu’alors sollicitée en vain. Cette théorie du complot islamiste contre la RCA était défendue par le président lui-même : «  des étrangers terroristes agressent le pouvoir centrafricain. […] Il y a des djandjawids [milice sanguinaire qui sévit au Darfour], des gens qui ne parlent ni sango ni français parmi eux. Des gens qui viendraient même au-delà des frontières des pays limitrophes[14]. » En parfait pompier pyromane, il feignait la consternation et la prudence : « Je ne voudrais pas avancer des choses à la légère mais il y a un risque de querelles religieuses dans ce qui se dessine derrière la Séléka[15].» Alors même qu’il allait perdre le pouvoir du fait de son impéritie, il stigmatisait encore ses adversaires, leur imputant la responsabilité d’un éventuel affrontement religieux : « Ce risque existe, je ne le nie pas. Mais c’est la Séléka qui a créé ce problème en pillant les lieux de culte[16]. »

 

Le facteur religieux ne s’avéra alors guère clivant. L’ex-président Bozizé avait échoué, fin 2012-début 2013, à mobiliser une part de la population derrière lui en invoquant la foi musulmane de la majeure partie des rebelles qui l’affrontaient. Mais, à la lumière des événements qui suivirent, il pourrait bien s’être agi seulement d’une apparence.

 

II - LE TOURNANT DE 2013

Aux yeux de beaucoup de Centrafricains, la Séléka, composée de minorités ethniques et religieuses ainsi que d’étrangers, n’était en aucun cas une armée de libération. Le comportement de ses combattants les conforta dans cette opinion. Dès le 23 avril 2013, les trois évêques du diocèse de Bangui demandaient au président Djotodia[17] de condamner les méfaits de la Séléka et de rétablir l’État de droit. La lettre, intitulée « Plus jamais ça… Non à l’impunité »! », rompait le silence sur le fait que les soldats de la Séléka s’en prenaient systématiquement et uniquement aux populations chrétiennes. Et de mentionner : le vol systématique des véhicules, la profanation des édifices et des objets religieux, le saccage des radios catholiques à Bambari et à Bossangoa, la perturbation des célébrations liturgiques, l’agression physique de prêtres, religieux et religieuses (y compris l’évêque de Bambari). Les évêques terminaient en exigeant du président « réparation pour tous les biens de l’Église volés, pillés, saccagés ou vandalisés ».

 

L’accession au pouvoir de membres de la communauté musulmane, ainsi que les liens établis par la Séléka avec des pays musulmans (Soudan, Maroc ou Qatar, notamment) suscitèrent des interrogations et fournirent des arguments à ceux qui tentaient d’entretenir les tensions internes, comme à ceux qui s’en effrayaient. Des États voisins chrétiens, comme le Sud Soudan, l’Ouganda et le Congo Brazzaville s’inquiétèrent du risque d’une montée des fondamentalismes dans la région. L’influent président tchadien, Idriss Déby, insista, publiquement dès le 14 mai 2013, auprès de son “protégé “, Michel Djotodia, sur « la nécessité de préserver le caractère laïc de l’État centrafricain et la coexistence pacifique entre les communautés[18] ». Or, cela dépendait au moins en partie de la capacité des nouveaux dirigeants de restaurer la loi et l’ordre face aux miliciens se réclamant de la Séléka et qui affirmaient n’avoir pas perçu leur solde. À Bangui et dans le reste du pays, les violences et les pillages (qui semblent avoir le plus souvent épargné la communauté musulmane) développèrent un sentiment de rejet et de haine à l’encontre de ceux qui étaient perçus comme des “combattants musulmans“.  

Or, tel un docteur Frankenstein des tropiques, le président Djotodia ne parvenait plus à contrôler le conglomérat de bandes armées (plusieurs milliers d’hommes) qui l’avaient mené jusqu’à Bangui et faisaient régner la terreur dans le pays au nom de la Séléka[19]. Ces forces étaient hétéroclites : outre les factions de Michel Djotodia et de ses alliés, on trouvait des bandits de grand chemin, des voyous de Bangui ainsi que des seigneurs de guerre centrafricains, tchadiens et soudanais. Le cantonnement des premières, sous contrôle international, fut tenté à partir de mai 2013, sans grand succès ; quant aux autres, ils n’avaient nul intérêt à mettre fin au chaos dont ils profitaient. Les provinces se trouvèrent livrées à leur merci, car, comme le démontrent les appels (16 avril et 8 mai 2013, notamment) sans effet de Nicolas Tiangaye à «  l’appui de […] la Fomac et la France, en tant que forces impartiales, pour la conduite des opérations de sécurisation de la ville de Bangui et toutes les régions de notre pays[20] », l’État était absent et la communauté internationale peu désireuse d’intervenir. Fin août 2013, l’archevêque de Bangui dénonçait la persistance de l’insécurité, dans la capitale comme en province[21]. Dans le même temps, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les droits de l’Homme, Ivan Simonovic, déclarait : « La sécurité est pratiquement inexistante, il n’y a pas de police, pas de système judiciaire ni de services sociaux[22] ».

     Selon les termes de l’accord signé à N’Djaména en avril 2013, le pouvoir « de fait » de Michel Djotodia ne devait pas excéder dix-huit mois, laps de temps imparti à une transition démocratique. La Séléka accapara le gouvernement dit d’“union nationale“, formé le 13 juin 2013 par Nicolas Tiangaye. Elle détenait les ministères des Mines, des Eaux et Forêts, de la Sécurité, et le président Djotodia s’était attribué le ministère de la Défense. Les rebelles contrôlaient ainsi les organes sécuritaires et les ressources du pays. Scénario idéal pour une prédation générale… qui ne manqua pas de se produire.

Cet état de choses suscita une réaction violente, attisée par les partisans de l’ex-président Bozizé. Un mouvement anti-Séléka apparut à partir de l’été 2013 : des groupes d’autodéfense chrétiens, les “anti-balaka“ (“anti-machette“, en sango). Ces groupes avaient déjà été formés ponctuellement par François Bozizé, notamment pour lutter contre les “coupeurs de route “, puis pour tenter d’enrayer l’offensive de la Séléka fin 2012. Ils reçurent le renfort de déserteurs de l’armée restés fidèles à l’ancien président, ainsi que de délinquants, Le pays s’enfonça dans le cycle infernal des exactions, des résistances armées et des représailles. À Bangui comme dans le reste du pays, les violences prirent alors une tournure confessionnelle. Les rebelles pro-Bozizé s’attaquèrent aux musulmans et aux mosquées. Les expéditions “punitives“ menées par les hommes se réclamant de la Séléka épargnaient les musulmans, considérés à tort ou à raison par les deux camps comme des fidèles du régime Djotodia. Un missionnaire italien s’inquiétait déjà de « l’écart qui s’[était] développé entre la communauté musulmane et les autres. » D’après lui, «  il faudra[it] beaucoup de temps pour reconstruire [le pays], mais beaucoup plus de temps pour créer une coexistence pacifique…[23]» Le président de la République française commença à sonner le tocsin, sans grand écho, même après son intervention à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, le 24 septembre : « Je veux lancer maintenant un cri d’alerte […] L’alerte concerne la Centrafrique, petit pays ravagé depuis trop d’années par des coups d’États et des conflits. Aujourd’hui, c’est le chaos qui s’est installé. Les populations civiles une fois encore en sont les victimes. Nous devons mettre un terme à ces exactions qui prennent d’ailleurs aussi une forme confessionnelle.»

Les affrontements s’étaient multipliés au cours de ce mois de septembre 2013 - notamment à Bossangoa et alentour le 10 et les jours suivants - et suscitèrent un début d’émotion internationale. Un journaliste tchadien dénonça l’instrumentalisation en cours : «  Depuis le départ forcé du dictateur centrafricain François Bozizé, une classe politique en mal de légitimité s’est trouvé un terreau fertile : l’exacerbation des sentiments xénophobes à l’égard des Tchadiens, des Soudanais ou de toute personne de confession musulmane. Cette montée de l’hostilité à l’égard des étrangers et des Centrafricains musulmans est essentiellement motivée par une volonté macabre de rallier l’autre partie des Centrafricains à sa cause. Ces accusations sur les nationalités, la culture, la religion et les idéologies comportent tous les risques de reproduire la crise ivoirienne, avec son [concept d’] “ivoirité” [définition de l’identité ivoirienne qui a conduit à une décennie de violence]. Pour ce cas d’espèce, la “centrafricanité”[24].» Kristalina Georgieva, commissaire européenne chargée de la coopération internationale, de l’aide humanitaire et de la réaction aux crises, abondait dans le même sens : «  Les évènements observés ces dernières semaines dans le nord-ouest, en particulier à Bossangoa, sont particulièrement inquiétants : des violences à connotations religieuses y ont eu lieu, entre chrétiens et musulmans. C’est une première dans ce pays et c’est extrêmement dangereux car une fois enclenchée, une telle spirale peut se poursuivre sur des générations. Nous devons stopper cela maintenant[25]. »

Sous la pression internationale, le président Djotodia annonça, le 13 septembre 2013, la dissolution de la Séléka, mais les combattants poursuivirent impunément leurs méfaits. Pouvait-il en être autrement alors que la responsabilité de la sécurité incombait à Josué Binoua et au “général “ Moussa Asimeh. Le premier, nouvellement nommé ministre de la Sécurité n’était autre que ce pasteur qui occupait les mêmes fonctions à la fin de l’ère Bozizé et attisait alors la haine contre… les musulmans. Quant au second, il s’agirait d’un chef de guerre djandjawid, présenté comme l’ordonnateur en chef à Bangui d’exactions dont il semble s’être précédemment rendu coupable au Darfour. Quant au “général“ Noureddine Adam, qui dirigeait le Comité extraordinaire de défense des acquis démocratiques (Cedad), la police politique du nouveau régime, il était sorti de l’anonymat du fait de ses activités de tortionnaire et de l’autorité qu’on lui prêtait sur l’ensemble des milices ex-Séléka sévissant à Bangui[26]. Quant au président Djotodia, qui se prétendait impuissant face au « siphonage » de tous les “biens“ matériels de la RCA vers ses voisins du nord (Soudan, Tchad), face à ce « pillage d’anthologie » pour reprendre l’excellente formule du journaliste François Soudan, comment pouvait-il expliquer que sa ville natale, une « petite localité de la Vakaga, non loin de la frontière tchadienne, Boromata, où l’on circulait hier à dos d’âne, [fût] ainsi devenue une bourgade prospère où 4×4, motos, Thuraya, matériel hi-fi et groupes électrogènes, tout droit issus du grand déménagement de Bangui, s’ach[etai]ent et se vend[ai]ent au marché central[27] » ? « Le président, qui a[vait] confié à son neveu le ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, port[ait] également une attention toute particulière au gisement pétrolier du lac Mamoun, à quelques encablures de son village natal de Boromata [28]

 

Déçue par les pratiques de son ex-favori, la France, puissance tutélaire de la RCA depuis l’indépendance, ne nourrissait plus de sympathie pour le président Bozizé. Par surcroît, elle était engagée, depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy (2007-2012), dans une révision de sa politique africaine. Ainsi, les relations avec Bangui sont-elles régies depuis avril 2010 par un “accord de partenariat de défense“[29], qui ne prévoit plus la possibilité pour l’armée française d’intervenir en cas de conflit intérieur. Aussi l’appel au secours du président contesté, en décembre 2012, s’était-il heurté à un refus catégorique. Paris s’était limité à déployer quelques centaines d’hommes dans l’éventualité d’une évacuation des ressortissants français : «  Si nous sommes présents, ce n’est pas pour protéger un régime, c’est pour protéger nos [1 200] ressortissants et nos intérêts et en aucune façon pour intervenir dans les affaires intérieures d’un pays (…). Ce temps-là est terminé[30] », déclarait alors François Hollande. Aussi la Séléka avait-elle pu prendre le contrôle du pays sans se heurter aux forces françaises. Outre le désir de ne plus soutenir inconditionnellement des dictateurs rejetés par une partie de leur peuple, cette abstention résultait de la conviction que, en l’absence de clivages profonds au sein de la population, le processus se déroulerait sans bain de sang généralisé. La nécessité de donner satisfaction au Tchad, alors engagé aux côtés des soldats français combattant au nord du Mali, semble également avoir influencé l’attitude de la France.

Pourtant, au fil des mois, il fallut se rendre à l’évidence : la RCA basculait dans le chaos. Le président de la République française, François Hollande, tira la sonnette d’alarme dès la fin du mois d’août 2013, en prélude à la réunion annuelle ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies. Le 10 octobre, le Conseil de sécurité adopta la résolution n° 2121, qui chargeait le Secrétaire général de l’ONU de faire des propositions d’action en vue d’une aide adaptée à la situation[31]. Inquiète de la présence de mouvements islamistes, la France envoya son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, à Bangui le 13 octobre. Un diplomate confiait alors : «  On trouve les Arabes islamistes du Darfour, les djandjawid, des djihadistes qui ont fui le Mali, des combattants de Boko Haram… Beaucoup d’éléments de la Séléka ne parlent qu’arabe. Il y a déjà des régions dans lesquelles la consommation d’alcool et de porc est interdite. On constate que de très nombreuses églises chrétiennes ont été ciblées par les rebelles[32]. » Le voyage ne servit à rien et le 22 novembre, Laurent Fabius s’inquiétait : «La Centrafrique est au bord du génocide». Dans le même temps, des responsables américains évoquaient une situation « prégénocidaire ». Les organisations humanitaires faisaient alors état d’environ 500 000 déplacés, soit plus de 10% de la population du pays, mais estimaient exagéré l’emploi du terme “génocide“, ne décelant pas sur le terrain les signes d’une extermination planifiée.

Devant la gravité de la situation, la France dut se résoudre à intervenir, mais elle n’entendait pas le faire seule et sans mandat. La résolution n° 2127, adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, le 5 décembre 2013, autorisa le déploiement d’une force interafricaine, la Mission internationale de soutien à la Centrafrique-MISCA avec l’appui des forces françaises. Aussitôt, Paris déclencha l’opération Sangaris, préparée depuis plusieurs semaines. Le Président de la République expliqua : « En Centrafrique, il y avait urgence. Plus de 600 personnes avaient été tuées en deux jours. Les affrontements confessionnels risquaient de dégénérer en un immense bain de sang et des dizaines de milliers de déplacés erraient et errent encore à travers le pays, privés d’eau et de vivres. C’était donc une tragique crise humanitaire qui s’annonçait avec des femmes et des enfants à l’abandon, victimes de pillages et de violences de toutes sortes. Alors, en tant que chef des armées, j’ai pris la décision d’engager nos soldats en Centrafrique, aux côtés des forces africaines et dans le cadre d’un mandat fixé par le Conseil de sécurité des Nations Unies. La mission que je leur ai confiée est de protéger les populations, de rétablir la paix et de garantir l’accès de l’aide humanitaire[33]

Il s’agit d’une mission de 1 600 hommes pour aider la MISCA (6 000 hommes prévus, mais “à terme“) à sécuriser le pays, désarmer les parties et soutenir un processus de transition politique. Mais le plan initial fut contrarié dès le début par les massacres du 5 décembre 2013. Redoutée par les miliciens ex-Séléka, qui commencèrent alors à refluer vers le nord du pays, l’intervention des forces françaises, conçue et mise en œuvre en fonction du mandat défini par l’ONU, nourrit le ressentiment d’une partie des chrétiens qui la jugèrent trop retenue. « Après un an de tueries, de pillages, nous avons vu venir “Sangaris” comme une armée de libération, raconte R., un Banguissois attablé devant une bière, et dont le discours illustre ce que l’on entend dans la capitale ces dernières semaines. Nous étions prêts à sortir dans les rues fêter le fait que la France venait à notre secours. Le problème est que la Séléka est toujours là, et que certains au sein de la population se joignent aux mouvements armés des deux camps pour tuer et piller. Donc nous, les Banguissois ordinaires prêts à vivre ensemble et en paix, ne sommes pas encore libérés. Nous sommes déçus. Nous souffrons et nous attendons…[34]» Bref, les soldats français gênaient et/ou frustraient l’ensemble des protagonistes, situation qui rappelle les débuts (2002-2005) de l’opération Licorne en Côte-d’Ivoire.

La nécessité de sécuriser en priorité Bangui en s’interposant autant que faire se pouvait entre les communautés, empêcha le déploiement en province, où les exactions, par conséquent, se poursuivirent et s’amplifièrent. « La tournure confessionnelle du conflit a surpris, dans un pays dont Paris pensait connaître les fièvres après plus de trente ans d’interventions françaises. “Nous avons sous-estimé le travail des islamistes dans le pays depuis quelques années“, admettait il y a peu un officiel à Paris[35]. » Sangaris demeurant bloquée dans la capitale, les ex-Séléka gardaient la main sur le pays. Les miliciens contrôlaient toutes les ressources : les péages routiers en provenance des pays voisins, le pétrole au nord, les diamants au centre. Sachant leur temps compté, ils redoublaient de prédation et de représailles contre les populations chrétiennes. Les officiers français présents sur le terrain avaient parfaitement conscience que seule une solution politique pourrait mettre fin à la situation. Le Président de la République française ne disait d’ailleurs pas autre chose : «  ce qu’il y a de plus difficile à réaliser, ce n’est pas de faire cesser un conflit, ni même d’abattre une dictature. Ce qu’il y a de plus difficile à faire, c’est de réconcilier un peuple qui s’est déchiré. C’est la mission qui est la vôtre. Nous devons réussir cette mission. » Or, rien n’est moins sûr et c’est ce que redoute l’ambassadeur français à l’ONU, Gérard Araud : «En Centrafrique, je pense que nous avons peut-être sous-estimé la haine et le ressentiment entre communautés. Il s’agit d’une situation presque impossible pour les soldats africains et français. Nous devons réfléchir dans des termes très pratiques à la façon d’être efficaces pour empêcher les gens de s’entretuer quand ils veulent désespérément le faire[36]

Le 10 janvier 2014, sous la pression internationale, Michel Djotodia et Nicolas Tiangaye, après avoir amplement démontré leur incapacité à redresser et pacifier le pays, démissionnaient. La RCA entrait dans une nouvelle phase politique : le 20 janvier, le Conseil national de transition, élisait comme présidente intérimaire Madame Catherine Samba-Panza, maire de Bangui depuis quelques mois. Quelle gouvernance augurer, alors qu’elle appartient (ainsi que son mari) au sérail politique centrafricain et que les intrigues microcosmiques de ce dernier se poursuivent alors que le pays descend aux enfers[37] ? Et surtout, au moment où l’exode des musulmans est émaillé d’attaques contre leurs convois sur la longue route qui mène au Tchad, réalisera-t-elle l’indispensable réconciliation, préalable à la reconstruction de la RCA ?

 

Les massacres de décembre 2013 semblent en effet avoir profondément changé la donne. Depuis les exactions commises par les miliciens se réclamant de la Séléka au cours de l’été 2013, les populations chrétiennes promettaient un « match retour ». Les modérés, notamment la majorité des responsables religieux, tentaient de les en dissuader. Rien n’y fit et, le 5 décembre 2013, jour du vote de la résolution de l’ONU autorisant le déploiement des forces françaises, les anti-balaka lancèrent une attaque contre Bangui. Or, ce fut un échec et la répression des ex-Séléka fut terrible (au moins un millier de morts). Jamais le pays n’avait été si proche d’enclencher le cycle de la guerre confessionnelle. Les autorités religieuses chrétiennes et musulmane voulaient l’empêcher et, le jour de Noël, publièrent un appel affirmant : «  ce conflit n’est pas en soi un conflit entre musulmans et chrétiens, c’est une crise humanitaire grave provoquée par une instabilité politique et militaire chronique. Mais, si rien n’est fait, la crise pourrait enclencher sa propre dynamique irrépressible et dangereuse[38]. » Les dignitaires religieux appelaient de leurs vœux une intervention de l’ONU, estimant que « seule une force onusienne de maintien de la paix disposera[it] des ressources nécessaires pour protéger nos civils de manière satisfaisante. » Ils insistaient : « Grâce à l’aide des casques bleus de l’ONU pour sécuriser nos routes et nos habitations, l’acheminement d’une aide et de vaccins éliminerait le sentiment de peur en le remplaçant par un espoir, et s’avérerait un véritable dividende de la paix propre à unir notre peuple. Un engagement de l’ONU à l’égard de notre pays permettra de nous concentrer sur le rétablissement d’une coexistence entre nos communautés. La réconciliation et la paix sont possibles. Nous sommes tous les deux nés dans un climat de tolérance. Nous avons toujours eu pour habitude de célébrer et de respecter les différentes religions. Noël et le ramadan sont des jours fériés. Il nous faut reconstruire aussi bien notre pays que notre tissu social, et nous comptons sur l’ONU pour nous en donner la possibilité. La paix n’a pas de prix. Nous espérons que la communauté internationale nous aidera à l’obtenir[39]. » Initiative immédiatement torpillée par le Tchad qui estimait suffisante la MISCA ! Pourtant, le cantonnement relatif des ex-Séléka livra la communauté musulmane - particulièrement les dizaines de milliers de ressortissants tchadiens ou leurs descendants - aux vengeances. Et N’Djaména doit les évacuer sous haute protection. L’une d’entre eux, Hadja Saboura témoignait : « Je suis née ici en 1963. Ma mère est née ici en 1943. C’est mon pays, mais les Centrafricains sont devenus comme des bêtes sauvages. Je ne peux pas vous mentir, si je trouve un autre pays, je ne vais jamais revenir[40]

 

Le “choc des civilisations“ est une construction idéologique

« Je lance un appel vibrant à mes enfants anti-balaka qui m’écoutent. Manifestez votre adhésion à ma nomination en donnant un signal fort de dépôt des armes ; à mes enfants ex-Séléka qui m’écoutent aussi, déposez vos armes. À compter de ce jour, je suis la présidente de tous les Centrafricains sans exclusive.» Ces paroles de la nouvelle présidente de transition seront-elles entendues par l’ensemble des Centrafricains et suivies d’effet ? Rien n’est moins sûr ! L’envoyé spécial du Monde, témoigne : « Croisé en ville sur sa moto, Verckys Ngbanamikien, le président de la jeunesse de Boali, assure avoir demandé aux anti-Balaka de ne pas agresser les musulmans, oubliant au passage qu’il venait quelques secondes auparavant de lâcher à son passager sa solution pour la Centrafrique : “Si on ne les tue pas, ça ne va jamais finir“[41].» Les tueries se poursuivent et sous couvert de religion, des gens de sac et de corde profitent de la confusion et du délitement des forces de sécurité. En conséquence, Walidou Modibo, l’imam adjoint de la grande mosquée du quartier PK5, à Bangui, déclarait vendredi 24 janvier 2014, à l’issue de la grande prière, que les imams renonçaient à lancer des appels au calme en direction des jeunes musulmans et les autorisaient à se défendre[42].

Le processus de transition et la recherche d’une solution politique aux difficultés provoquées par la malgouvernance de la RCA ont été relancés avec le départ forcé de Michel Djotodia. Le peuple centrafricain se trouve à la croisée des chemins. Précisément à l’intersection d’où partent et la voie de la réconciliation et la route de la fracture. La nouvelle présidente, Madame Samba Panza, chrétienne, juge (ou feint de juger) la question religieuse secondaire pour composer son gouvernement : « Je n’ai aucune animosité, je cherche des compétences, je veux un gouvernement de technocrates, avec une forte probité morale. Si j’ai un Premier ministre qui répond à ces critères et qui a une religion musulmane, je ne vois pas pourquoi je ne le nommerais pas[43] ». Si, grâce à une politique efficace et impartiale, les Centrafricaines et les Centrafricains deviennent des citoyennes et des citoyens libres et égaux en droits comme en devoirs, les épreuves auront contribué à forger une nation transcendant les différences entre ses composantes. Si cela échoue une nouvelle fois, le risque est grand de voir la population clivée durablement par une ligne de fracture entre chrétiens et musulmans, ce qui pourrait mener à la partition du pays, une hypothèse vraisemblable à la lumière du précédent soudanais. Dans cette éventualité, la différence de civilisation n’aurait joué aucun rôle. Les événements montrent que ce sont les problèmes politiques, économiques et sociaux qui ont mené à l’instrumentalisation de caractéristiques religieuses qui n’avaient jamais suscité d’affrontement majeur auparavant. Bref, ce qui relève en fait d’un combat entre pauvres risque fort d’être présenté par certains comme un “choc“ entre civilisation chrétienne et civilisation musulmane. Or, il aurait été fabriqué par des fauteurs de haine, des chefs de bande ou de guerre uniquement préoccupés de prédation et des politiciens sans… foi ni loi prêts à tout pour s’emparer du pouvoir.

 

Patrice Gourdin, professeur de géopolitique à l’École de l’Air,

auteur de : « République centrafricaine : géopolitique d’un pays oublié », Diploweb,

1er octobre 2013 (URL : http://www.diploweb.com/Republique-centrafricaine.html)

 

 


[1]. L’étude de référence demeure : Kalck Pierre, Histoire centrafricaine. Des origines à 1966, Paris, 1992, L’Harmattan, 353 p.

[2]. « La Centrafrique, du chaos politique à l’embrasement confessionnel », Maria Malagardis, Libération, 22 novembre 2013.

[3]. Ibidem.

[4]. « Centrafrique : le réveil des vieux démons», Maria Malagardis, Libération, 4 décembre 2013.

[5]. « Centrafrique : Les trois saints de Bangui », Rémy Ourdan, Le Monde, 27 décembre 2013.

[6]. Au moment de l’accession à l’indépendance, Abel Goumba, fut écarté presque immédiatement par les intrigues de David Dacko, qui céda la place, en 1966, à Jean Bedel Bokassa à l’issue d’un putsch. En 1979, une intervention militaire française (opération Barracuda) mit fin au règne de Bokassa Ier et David Dacko reprit du service. Le général Kolingba le chassa du pouvoir en 1981. En 1993, Ange-Félix Patassé, remporta les premières élections pluralistes. Le général François Bozizé profita d’une sanglante guerre civile (en 2002-2003) pour s’emparer du pouvoir, par un putsch, le 15 mars 2003. Il se fit élire en 2005, puis réélire en 2011. La rébellion de la Séléka bénéficia à Michel Djotodia, autoproclamé président le 25 mars 2013, contraint à la démission le 9 janvier 2014.

[7]. « Centrafrique : Séléka, dégage ! », François Soudan, Jeune Afrique, 2 décembre 2013.

[8]. « Centrafrique : Bangui a peur, surtout la nuit », AFP, Jeune Afrique, 30 décembre 2012.

[9]. « À Bangui, les pro-Bozizé accusent les « Tchadiens » », Christophe Châtelot,  Le Monde, 7 janvier 2013.

[10]. Ibidem.

[11]. Ib.

[12]. Ib.

[13]. Ib.

[14]. « Bozizé dénonce l’agression d’“étrangers terroristes“ », Tanguy Berthemet,  Le Figaro, 8 janvier 2013.

[15]. Ibidem.

[16]. « La dernière interview [13 mars 2013] de François Bozizé avant sa chute », François Soudan, Jeune Afrique, 27 mars 2013.

[17]. « Les évêques de Centrafrique demandent “réparation“ au président », La Croix, 5 mai 2013.

[18]. « Centrafrique : les enjeux de la tournée régionale de Michel Djotodia », Vincent Duhem, Jeune Afrique, 15 mai 2013.

[19]. L’impossibilité de se rendre sur place fait que l’ampleur des exactions ne commença à être documentée qu’à l’automne 2013 :

* « Je peux encore sentir l’odeur des morts » Human Rights Watch, 18 septembre 2013

http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/car0913fr_ForUpload.pdf

* « Un pays aux mains des criminels de la Séléka », Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, 24 septembre 2013

http://www.fidh.org/IMG/pdf/rapport_d_enque_te_rca_ld.pdf

[20]. « Le nouveau pouvoir centrafricain demande l’aide de la France », Le Monde.fr, 17 avril 2013 ; « La Centrafrique a demandé à la France de l’aider à sécuriser Bangui », Le Monde.fr, 8 mai 2013.

[21]. « L’archevêque de Bangui s’inquiète d’un pays qui “vit dans la terreur“ », La Croix, 26 août 2013.

[22].  Ibidem. Voir également « Chaos au cœur de l’Afrique », tribune d’Ivan Simonovic (Secrétaire général adjoint des Nations unies aux droits de l’homme),  Libération, 22 août 2013.

[23]. « Rébellions et exactions déchirent la Centrafrique », Olivier Tallès, La Croix, 10 septembre 2013.

[24]. « Chasse aux sorcières », Addas Kayangar, Alwihda, 11 septembre 2013 [quotidien tchadien cité dans Courrier international, 19 septembre 2013].

[25]. « Centrafrique : « La connotation religieuse de certaines violences récentes est très inquiétante » », propos recueillis par Charlotte Bozonnet, Le Monde.fr,  24 septembre 2013.

[26]. C’est un membre de l’ethnie Rounga, natif de Ndélé, formé au Soudan, en Égypte, en Israël, qui servit pendant cinq ans au sein de la garde rapprochée de Cheikh Zayed, à Abou Dhabi. Numéro deux de la Séléka il occupa la fonction de ministre de la Sécurité après la chute de Bangui. « Centrafrique : Séléka, dégage ! », op. cit.

[27]. « Chaos en Centrafrique - à qui la faute ?, François Soudan, Jeune Afrique, 7 octobre 2013.

[28]. « Centrafrique : Séléka, dégage ! », op. cit.

[30]. « La France refuse d’intervenir en Centrafrique », Christophe Châtelot, Le Monde, 29 décembre 2012.

[31]. Depuis la fin des années 1990, l’ONU participe aux tentatives de stabilisation de la RCA. En mars 1998, une Mission des Nations-Unies en RCA (MINURCA), fut envoyée superviser les élections (législatives en novembre-décembre 1998 ; présidentielles en septembre 1999). Les casques bleus furent retirés en février 2000, mais demeura un Bureau des Nations-Unies pour la consolidation de la paix en RCA (BONUCA), transformé en Bureau intégré des Nations-Unies pour la consolidation de la paix en RCA (BINUCA) au mois d’avril 2009.  

[32]. « Pour la France, la Centrafrique n’est pas le Mali », Laurent Larcher, La Croix, 13 octobre 2013.

[33]. François Hollande, discours prononcé lors de l’“Hommage national aux deux soldats morts à Bangui dans la nuit du 9 au 10 décembre 2013“, Paris, 17 décembre 2013.

[34]. « L’armée française dans la tourmente de Bangui  », Rémy Ourdan, M le magazine du Monde, 4 janvier 2014.

[35]. « Les violences à Bangui brident le déploiement de “Sangaris“ dans le pays », Nathalie Guibert, Le Monde, 3 janvier 2014.

[36]. «  Centrafrique : l’aveu de la France à l’ONU », Thierry Oberlé, Le Figaro, 16 janvier 2014.

[37]. « En Centrafrique, une présidente élue pour stopper l’agonie du pays », Cyril Bensimon, Le Monde, 21 janvier 2014.  

[38]. En Centrafrique, « le pire pourrait être encore à venir », par Mgr Nzapalainga et l’imam Kobine Layama, Le Monde, 27 décembre 2013.

Mgr Dieudonné Nzapalainga est l’archevêque de Bangui.

L’imam Omar Kobine Layama est le président de la communauté islamique de la République centrafricaine.

[39]. Ibidem.

[40]. « À Bangui, l’heure de l’exode pour les musulmans », Cyril Bensimon, Le Monde, 17 janvier 2014.

[41]. « À Bogoula, village centrafricain, la haine au quotidien », Cyril Bensimon, Le Monde, 20 janvier 2014.

[43]. « Centrafrique : Catherine Samba Panza nommera son Premier ministre “mercredi ou jeudi“ », Jeune Afrique, 21 janvier 2014.

Tibhirine, l’affaire enfin dévoilée

22 Jan

Grand spécialiste de l’Histoire de l’Algérie contemporaine, le Pr Jauffret nous livre ses commentaires sur un documentaire qui revient sur l’affaire des moines de Tibhirine :

Malika AÏT-AOUDIA et Séverine LABAT, texte dit par Philippe TORRETON, Martyre des sept moines de Tibhirine, film documentaire de 75 mm, 2012, DVD, http://www.editionsmontparnasse.fr, diffusé par France 3 en mai 2013 et mis en vente en octobre 2013.

            Fin du mystère. Archétype du journalisme d’investigation qui a demandé des années d’enquête, confrontant les principaux protagonistes d’un des drames qui a le plus heurté la conscience humaine, l’assassinat de sang froid de 7 Justes en Algérie, ce film apporte enfin une réponse, sans doute définitive, à l’énigme des commanditaires et des circonstances de leur mort. A noter le recoupement des témoignages d’officiers supérieurs et administrateurs algériens, de responsables du GIA (Groupe islamique armé), dont Omar Chikhi, un des membres fondateurs, et Hassan Hattab et Sid-Ali Benhadjar. Ce documentaire contient, entre autres, des images provenant de l’armée algérienne et des maquis islamistes. Dans son chef-d’œuvre,  Des hommes et des dieux, Xavier Beauvois (2010) ne donnait pas de réponse. Après Le Testament de Tibhirine (2010), Jean-Baptiste Rivoire (magazine Spécial Investigation de Canal +, septembre 2011) impliquait, pour sa part, les services secrets algériens qui auraient « manipulé » les ravisseurs afin de discréditer les islamistes radicaux en les incitant à assassiner les moines cisterciens, après leur enlèvement dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Outre des suppléments forts intéressants, dont l’un concerne justement le fonctionnement du GIA, le film de Malika Aït-Aoudia et Séverine Labat ne propose pas d’emblée une thèse, mais confronte les témoins essentiels du drame et ceux qui pensaient « tirer les ficelles » à distance. La vérité est plus prosaïque.

            En rappelant l’antériorité de la présence chrétienne en Algérie depuis le haut empire romain (IIe siècle) et en replaçant l’affaire de Tibhirine dans le climat de xénophobie et de haine religieuse propre à l’islamo-fascisme (meurtre de 19 prêtres et religieux catholiques entre 1994 et l’été 1996), les auteures évoquent l’étroite imbrication de la communauté cistercienne (fondée en 1938), proche de Médéa, avec de pauvres villageois avec lesquels était partagée une coopérative agricole. De façon très pédagogique, on suit pas à pas le basculement de l’Algérie dans l’horreur (plus de 150 000 morts ?), images d’époque à l’appui : vains espoirs d’octobre 1988 à décembre 1991 ou le Front islamique du salut (FIS), vainqueur du premier tour des législatives, entendait bien mettre un terme à la démocratie naissante en Algérie ; confiscation du processus électoral par les militaires ; constitution du GIA à compter d’octobre 1992… On comprend mieux aussi pour quelles raisons, derrière leur prestigieux prieur, Christian de Chergé, les moines décident de rester au cours de votes successifs et réguliers, après la mise en demeure des islamistes de quitter le pays pour tous les étrangers après le 1er décembre 1993 : ne pas abandonner les villageois à qui frère Luc apporte des soins médicaux et dont la salle d’attente sert de mosquée, se donner « à Dieu et au pays » afin de témoigner du « vivre ensemble »… L’épisode du 24 décembre 1993 où le prieur et ses compagnons résistent à l’immixtion du chef local du GIA est aussi un des moments forts du film. La volonté de rester s’explique aussi par le contexte de l’époque : c’est bien en octobre 1994 que la société civile algérienne commence à se révolter contre l’ordre noir des barbus les plus radicaux qui avaient menacé de mort tout élève, tout enseignant, tout parent d’élève se rendant à l’école. Les élections présidentielles de décembre 1995 (75% de votants) montrent l’échec du GIA qui détruit tout ce qui représente l’Etat : mairies, dispensaires, écoles… C’est bien cette folie meurtrière, pillage et massacre de villages entiers et d’enfants égorgés, qui est à l’origine de l’enlèvement des moines de Tibhirine afin de créer un événement médiatique.

            Intervient ici le principal responsable du drame, le 4e émir national du GIA, Djamel Zitouni. Issu du groupe de Blida (un des plus extrémistes), personnage sanguinaire et inculte, il incarne une sorte de Carrier (Nantes et Vendée, 1793) algérien qui ne voyait de salut que dans l’élimination de la population. Ses excès finissent par être rejetés, dénoncés, par d’autres membres de la mouvance islamiste, notamment les chefs emprisonnés ou libérés du FIS qui jouent la carte de l’unité nationale et du dialogue en vue de la paix civile. La « Phalange verte » de l’émir fait régner la terreur dans l’Atlas blidéen. Zitouni ne reconnaît pas le « gentleman agreement » du 24 décembre 1993 où, comme tribut, les moines s’engageaient à soigner les blessés et malades du GIA. C’est parce qu’il est de plus en plus contesté au sein même des plus radicaux que Zitouni ordonne l’enlèvement des moines. Les circonstances en sont relatées par le gardien du monastère, Mohammed Benali, frère Amédée et l’un des 15 religieux alors invités et heureusement non trouvés par les ravisseurs. Dans cette fuite en avant pour prouver qu’il existe encore, le chef du GIA veut à tout prix provoquer une négociation pour échanger les moines contre des prisonniers détenus à Alger. Entre en scène un intermédiaire qui tente de convaincre les autorités algériennes, le préfet du Var, Jean-Charles Marchiani, intime de Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur agissant avec l’aval du Président Jacques Chirac qui n’informe pas son Premier ministre, Alain Juppé. Est soulignée la rivalité des services secrets, DGSE et DST, et comment une maladresse d’un émissaire de Zitouni, qui se rend directement au Consulat général de France à Alger, implique aussi le quai d’Orsay et le ministre Hervé de Charette. L’affaire devient publique par fuite dans la presse le 9 mai. Auparavant, Mgr Teissier, archevêque d’Alger, a reconnu les voix des captifs sur une cassette apportée par cet émissaire le 20 avril 1996.

            Dès lors, Alger refusant toute négociation et Paris ne pouvant intervenir sur le terrain, le sort des otages est scellé. Le grand mérite de ce film est de montrer l’importance de la « trahison » du garde du corps de l’émir, le 7 mai. Ce qui déclenche peu après une opération de grande envergure de l’armée algérienne. Mal nourris, grelottant de froid, mais parvenant à émouvoir leurs geôliers, les sept moines sont déplacés plusieurs fois dans le maquis avant d’être conduits à la cache dite de la Maison rouge. Alors que certains de ses proches lui conseille la clémence, Djamel Zitouni, le 15 mai, menacé d’encerclement par les forces de l’ordre, donne l’ordre d’égorger les captifs. L’un des égorgeurs, Abou Imen, témoigne de la façon dont cinq d’entre eux périssent, ce que confirme un autre geôlier, Abou Mohammed. L’émir s’enfuit avec deux derniers moines bientôt à leurs tours sacrifiés.

            Le 21 mai, pour ralentir la progression des militaires algériens, Zitouni ordonne que l’on balance les corps sur une route, corps exhumés et décapités pour être moins lourds à transporter (têtes déposées à l’entrée de Médéa le 30 mai 1996). Ce dernier geste odieux achève de convaincre ses lieutenants de la folie sanguinaire de l’émir. Moment presque incroyable de ce film : la mort, filmée en direct, par embuscade sur une route, le 16 juillet 1996, de Djamel Zitouni, par ses anciens compagnons.

            Et de conclure par ces citations de Christian de Chergé : « L’amour résiste à la haine » et « L’Algérie et l’islam, c’est autre chose, c’est un corps et une âme ».

                                                     Jean-Charles Jauffret

           

Singapour dans son environnement régional : hegemon ou modèle ?

19 Jan

Etudes géostratégiques rend ici compte d’une conférence  offerte par Jean-Louis Margolin à Sciences Po le 18 janvier 2013. Maître de conférence à l’AMU et directeur de l’IrAsia, Jean-Louis Margolin est connu pour ses travaux sur la violence de masse en Asie. L’armée de l’Empereur : violences et crimes du Japon en guerre 1937-1945 a notamment été couronnée du prix Augustin Thierry lors des derniers RDV de l’Histoire. Jean-Louis Margolin est également un spécialiste de Singapour.

Cité-Etat de 5 millions d’habitants située à l’extrême sud de la péninsule malaise, Singapour est aujourd’hui une grande puissance économique et dispose du commerce extérieur le plus important de toute l’Asie du sud-est. Son PIB par habitant la place au même rang que les pays développés. Pourtant, à son indépendance en 1965, Singapour souffre de sous-développement économique et de menaces tant internes qu’externes sur sa viabilité comme Etat.

La menace interne repose principalement sur l’hétérogénéité de sa population : 75 des habitants sont d’origine chinoise, 15 % d’origine malaise et 10 % en provenance du sous-continent indien, notamment des Tamouls. Depuis son indépendance, Singapour est dans un rapport de force (démographique et territorial) avec ses voisins. La Malaisie et l’Indonésie jouent sur les potentielles tensions interethniques qui ont mené à deux reprises à des violences en 1964 et 1969. Au contraire, le pouvoir singapourien mène une politique depuis l’indépendance pour tâcher d’étouffer ces tensions internes. Des ministres d’origine malaise sont systématiquement désignés par exemple. L’accession du général Soeharto au pouvoir en 1967 en Indonésie rapproche cependant les deux Etats au nom de l’anticommunisme.

En effet, sur le plan géopolitique, les années 1960 se caractérisent par les fortes tensions de guerre froide (guerre du Vietnam) qui structurent les rapports dans la région. Singapour se place donc dans une perspective très hostile au communisme, pourchasse les militants du parti qui est interdit sur son territoire. Cette politique est cependant rendue compliquée par l’origine chinoise d’une grande partie de la population qui peut entretenir des liens avec la Chine populaire.

Depuis 1959, Singapour est marquée par une remarquable stabilité politique. Les Britanniques dotent alors Singapour d’une Constitution et Lee Kuan Yew est élu Premier ministre. Son parti, le People’s Action Party, a occupé le pouvoir sans discontinuer depuis lors. Actuel troisième Premier ministre seulement de l’histoire de Singapour, le fils de Lee Kuan Yew, Lee Hsien Loong, incarne  cet autoritarisme singapourien, reconduit régulièrement depuis 2004 par la population lors d’élections. Le People’s Action Party souffre d’un léger effritement de son pouvoir avec environ 61 % des voix lors des dernières élections législatives. Ce pouvoir est largement assis sur la réussite économique du pays mais aussi sur le contrôle total des médias (hors réseaux sociaux).

 

De 1965 à la fin des années 1980, la « lutte pour la survie » de la cité-Etat :

 

Au moment de la décolonisation britannique, Lee Kuan Yew propose le rattachement à la Malaisie qu’il obtient en 1963. En 1965, Singapour est obligée de quitter la fédération malaise. L’une des originalités réside donc dans cette indépendance non désirée, indépendance par expulsion de la Malaisie.

Sans armée, Singapour doit très rapidement construire un outil de défense dans ce contexte local et régional difficile. Cette urgence de la situation explique le recours à des conseillers militaires privés israéliens. Depuis, les relations dans l’industrie de l’armement, le secteur de la Défense, mais plus largement les secteurs technologiques, sont importantes entre l’Etat hébreu et Singapour. Les conseillers militaires quittent cependant progressivement Singapour à partir du milieu des années 1970.

La cité-Etat doit mener une diplomatie de la faiblesse, afficher une grande prudence face à ses mastodontes de voisins, beaucoup mieux armés qu’elle. Quand les conseillers militaires israéliens achèvent leur mission, le rapport de force militaire s’est globalement inversé. Plus exactement, Singapour a développé la stratégie de la « crevette empoisonnée ». La Malaisie et l’Indonésie pourraient envahir, « croquer » Singapour mais y laisseraient des forces suffisamment importantes, seraient suffisamment intoxiquées pour que cela les en dissuade. Particularité dans la région (avec le nord Vietnam), Singapour adopte un service militaire de longue durée sur le modèle israélien. Singapour recherche également des protecteurs : membre du Commonwealth depuis 1965, la cité-Etat est également à l’origine des accords de défense des Cinq Puissances avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Malaisie et le Royaume-Uni. Dans le cadre de la guerre froide et du lien noué avec l’Australie (ANZUS), les Etats-Unis sont également présents. Le choix pro-américain est clairement affiché à partir de 1967 par Singapour tout en s’efforçant de maintenir des liens (notamment économiques) avec le nord Vietnam ou avec la Chine (succursale de la Bank of China à Singapour). En fait, Singapour recherche le meilleur équilibre possible entre les puissances, s’inscrivant ainsi l’héritage culturel des Britanniques

La « lutte pour la survie » de Singapour signifie l’acceptation par ses voisins. C’est pourquoi Singapour qui construit dès l’origine son développement sur une économie extravertie, très ouverte aux capitaux étrangers, souhaite développer des relations économiques avec ses voisins. Ceux-ci doivent être un outil de pacification. Fondée sur un anticommunisme commun en 1967 avec l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines et la Thaïlande, l’ASEAN est au service du développement économique de ses membres mais en fonction de leurs intérêts nationaux et non avec un idéal supranational.

Le dernier élément de la construction du modèle singapourien dans cette période est la recherche de la prospérité. L’ouverture aux investissements étrangers et à l’installation de multinationales passe donc par une lutte très ferme contre le danger communiste interne (emprisonnement administratif pour des périodes indéterminées sans pratique de la torture physique et sans exécution capitale) et une implication très forte de l’Etat dans ce développement capitaliste. En réalité, l’économie est mixte avec des sociétés sous contrôle de l’Etat et/ou en partenariat avec des grands groupes étrangers.

 

Des années 1990 à nos jours : de la décennie prodigieuse au bon élève de la classe en Asie

 

Dans le contexte euphorique de la victoire sur le communisme et de la « fin de l’histoire », la diplomatie singapourienne devient moins défensive. Elle est au cœur des dynamiques régionales, avec un rôle dans la normalisation de la situation au Cambodge en 1991. La cité-Etat plaide ensuite pour l’entrée du Vietnam (1995) et du  Laos (1997) dans l’ASEAN. Singapour se présente alors comme un modèle pour les autres Etats de la région. Ce modèle repose notamment sur le concept de « défense totale » alliant un régime autoritariste avec des institutions de type démocratique et un haut degré de développement économique. Celui-ci s’accélère avec une économie de service (portuaire et aéroportuaire notamment) offrant toujours le modèle d’une économie mixte.

Singapour se présente même comme un contre-modèle face au développement de la démocratie occidentale assise sur les valeurs des droits humains. Cette période est sans doute celle où les relations avec les Etats-Unis sont les moins chaleureuses de son histoire (présidence Clinton notamment). La cité-Etat défend l’idée qu’il y aurait un modèle asiatique spécifique.

La diplomatie de Singapour agit dans toutes les directions. En 1989, elle est active dans la création du « Davos asiatique », la Coopération économique Asie-Pacifique avec l’Amérique du Nord, le Japon et la Nouvelle-Zélande. Le secrétariat de l’association est d’ailleurs installé à Singapour. En 1992, elle approuve la transformation de l’ASEAN en zone de libre-échange et propose en 1995 la mise en place de l’ASEAN+3, c’est-à-dire de l’ouverture de discussions économiques avec le Japon, la Chine et la Corée du sud. Lors du sommet de Singapour en 1997, le groupe propose un forum d’échanges avec l’UE, la Réunion Asie-Europe. Enfin, en 1996, la cité-Etat organise les premières rencontres interministérielles sur la mise en place de l’OMC.

A travers l’économie, Singapour réorganise en réalité ses rapports avec les voisins asiatiques dans la nouvelle configuration mondiale de l’après-guerre froide. En 1993, Singapour accueille ainsi les premières négociations directes entre Taïwan et la Chine.

 

            Dans les années 2000, la configuration régionale connaît de nouveaux bouleversements avec l’émergence très rapide des ambitions mondiales de la Chine et avec la montée de la problématique d terrorisme. Sur ce second point, les liens avec les Etats-Unis se renforcent. Seule Washington est considérée comme crédible pour équilibrer le rapport de force avec Pékin en Asie du sud-est. Singapour offre donc de nouvelles installations aux porte-avions américains. 200 militaires américains sont d’ailleurs en stationnement permanent sur cette base navale. Menacée par le terrorisme (plusieurs tentatives sont déjouées de justesse), Singapour renforce les coopérations policières et militaires avec l’Indonésie et la Malaisie. La piraterie connaît également un pic au début des années 2000 dans le détroit de Malacca avec un degré de complicité plus ou moins affirmé des garde-côtes indonésiens. C’est pourquoi Singapour investit dans des vedettes rapides et s’active pour une coopération resserrée mais sans mise en place d’une force multinationale.

            Singapour s’est donc imposé comme un modèle de référence en Asie du sud-est par sa stabilité politique, le succès de sa politique économique et une politique étrangère d’équilibre des puissances. Quelques interrogations peuvent cependant être signalées, comme les premières difficultés liées à l’immigration. Celle-ci est très strictement encadrée pour la main d’œuvre (carte de séjour de 3 ans, pas d’ouverture de droits sociaux et pas de possibilité de mariage avec un citoyen singapourien). Ce traitement en contraste avec le statut très protecteur des nationaux singapouriens est à l’origine des premières émeutes en décembre 2013.

Thibaut de La Tocnaye : un volontaire armé chrétien

4 Jan

Depuis les combats acharnés de la guerre du Liban au sein des phalanges chrétiennes, dans une impressionnante fresque historique, la vie de Thibaut de La Tocnaye épouse étroitement les cahots de la seconde partie du XXe siècle.

Tour à tour officier volontaire, pourvoyeur de jeunes soldats français avides de gloire, témoin privilégié des combats, dirigeant d’association et grand ami de figures historiques des rébellions du XXe siècle, il a côtoyé ces hommes dont les victoires et les défaites ont redessiné la carte du monde : le général Ante Roso, ancien de la légion étrangère devenu général en chef des forces croates dans la Krajina, Béchir Gemayel, commandant en chef des forces libanaises puis président de la République libanaise, Alfredo Cristiani et Roberto d’Aubuisson, les vainqueurs de la guerre civile salvadorienne…

Son attachement aux résistants se lit dès les premières lignes de son ouvrage Les peuples rebelles ; il le dédicace : « A mes compagnons des résistances du monde entier, tombés pour la défense de leur terre et de la liberté ».

Le fils d’Alain de La Tocnaye, membre de l’OAS et responsable de l’attentat du Petit-Clamart dans lequel Charles de Gaulle aurait dû trouver la mort, a bien voulu répondre à nos questions et détailler ce que furent ses engagements.

Q : Vous avez eu un itinéraire à part dans le monde du volontariat et du soutien aux résistances. Avez-vous été inspiré par le parcours de votre père ?

R : Forcément, quand on est le fils d’Alain de la Tocnaye, l’homme qui a essayé de tuer un président de la République, on se forge une personnalité à part, on acquiert certaines libertés. Mais au-delà de mon père, chaque décision que j’ai prise dans ma vie a été influencée par mon éducation et cette éducation, je la tiens autant de mon père que de ma mère. J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui pouvait admettre qu’un fils de 22 ans parte à l’autre bout du monde risquer sa vie pour une cause et par goût de l’aventure. L’ambiance familiale m’a donné la liberté d’aller jusqu’au bout de mon engagement.

Q : Dans votre livre, vous expliquez votre engagement par des valeurs chrétiennes et anti-communistes. Vous étiez un jeune homme lorsque vous êtes parti vous engager dans les milices chrétiennes du Liban. L’idéal d’aventure faisait-il partie de vos motivations ?

R : Oui évidemment, c’était même la principale raison de mon départ pour le Liban. Vous savez, ma mère avait organisé l’évasion de mon père de la prison de la santé en 1962 et quand elle me le racontait, elle ajoutait toujours : « on s’est quand même bien amusé ! ». Cela prouve que dans ma famille, la recherche de l’aventure a toujours été un leitmotiv important. Si j’étais né 30 ans en arrière, j’aurais été un soldat vivant l’aventure dans les colonies. Mais à mon époque comme encore aujourd’hui par ailleurs, l’entrée dans l’armée ne signifie plus grand-chose. La guerre est devenue politique. Or l’armée française refuse la mutation du simple soldat en être politiquement conscient. Dès lors, la défaite à long terme est la seule issue.

Q : Le Liban constitue donc votre premier engagement militaire volontaire ; vous entrez dans les milices chrétiennes unifiées. Via quel réseau êtes-vous entré en contact avec les forces libanaises ?

R : Je suis entré au Liban dans le but de faire mon service national dans le cadre de la coopération. Je n’y suis pas allé spécialement pour me battre, mais une fois là-bas, alors que j’étais professeur au lycée de Beyrouth, j’ai rencontré un de mes collègues alors professeur de gym. Il était libanais et immédiatement, je l’ai apostrophé en lui disant qu’il avait une tête de combattant des forces libanaises, et en effet, il l’était ! A la suite de ça, il m’a fait rencontrer son chef de caserne, et 3 ou 4 mois après mon arrivée au Liban, je m’engageais militairement ; mon emploi du temps de professeur me le permettait. Au début, les Libanais souhaitaient m’utiliser dans leur service de renseignement afin d’espionner des personnalités françaises, mais ce travail me dégoutait ; je n’étais pas là pour ce genre de choses. Finalement, je suis devenu officier d’artillerie  pendant 10 mois, puis j’ai rejoint les commandos de l’artillerie libanaise durant 9 mois, avant de repartir pour la France.

Q : A combien de mouvements de résistance avez-vous militairement participé ?

R : J’ai eu deux engagements militaires dans ma vie : le Liban et quelques opérations au Nicaragua. Dans les autres cas (Croatie, Salvador, Birmanie…), je me suis contenté d’actions de soutien aux populations et aux combattants.

Q : Qu’appelez-vous « soutien aux combattants » ?

R : J’ai envoyé pas mal de volontaires en Croatie (10-12 personnes) et au Liban (5-6 personnes) pour combattre. Seulement, il s’agissait d’un réseau personnel, rien de structuré. A côté du convoyage de volontaires, j’ai aussi participé à l’acheminement de matériels militaires. Au Nicaragua par exemple, Chrétienté-Solidarité a payé de l’équipement militaire de base comme des bérets et des gourdes. En Croatie, nous avons pris en charge des blessés.

Q : Vous avez choisi vos luttes généralement parmi les peuples abandonnés de tous. Avez-vous remarqué des liens, des réseaux de volontaires entre ces peuples ?

R : J’ai essayé avec quelques autres d’organiser un congrès international des résistances. J’ai même voulu demander à Reagan de se joindre à nous ; c’est le seul président des Etats-Unis à avoir soutenu les résistances anti-communistes. J’aurais aimé créer des liens entre les résistances d’Asie, d’Amérique du Sud, du Moyen-Orient et d’Europe. Mais il semble que le danger ne constitue pas une motivation suffisante pour lier des guerriers aussi différents.

Q : Dans votre livre, vous citez de nombreuses fois l’action de l’Eglise catholique dans le combat des rebelles. Avez-vous rencontré un réseau de volontaires organisé par l’Eglise catholique ?

R : Malheureusement non ! L’Eglise catholique romaine n’a jamais voulu participer, même de loin, à l’organisation de réseaux de volontaires. De temps en temps, un ou deux évêques ont pu nous apporter leur soutien moral voire un peu plus… Les Eglises maronite et orthodoxe ont été plus actives, en particulier au Liban. J’aurais bien sûr apprécié d’y intervenir, en accord avec Rome.

Q : Existe-t-il encore des mouvements de résistance dont vous vous sentez proche ?

R : Oui bien sûr, mais je suis trop vieux pour participer à de nouvelles batailles. Encore aujourd’hui , il reste 5 pays communistes en Asie qui ne sont pas vraiment libres et le reste du monde est plein de mouvements de résistance contre des régimes anti-démocratiques qui laissent rêveur…

Q : Toute votre vie, vous avez combattu le communisme. L’islamisme intégriste est-il le remplaçant idéologique contre qui  devront lutter les nouvelles générations de volontaires résistants ?

R : Evidemment, il y a des similitudes. Le XXe siècle a été celui de la lutte contre le communisme. J’ai peur que le XXIe siècle soit celui de la lutte contre l’Islam conquérant. De nombreux conflits locaux et régionaux opposent des forces islamiques à des peuples qui ne les acceptent pas. On en a un très bon exemple au Mali. Je n’ai pas envie d’abandonner ces peuples.

Q : Vous êtes un membre important du Front National, parti français d’extrême droite. Celui-ci a-t-il soutenu activement votre action guerrière ou simplement votre action de soutien ?

R : Je n’admets pas ce qualificatif « d’extrême droite » ; il n’évoque rien pour moi. Au-delà de cette remarque, je ne peux répondre de manière précise. Des membres du FN m’ont soutenu, mais jamais l’appareil du parti lui-même. C’est parfois à l’intérieur du parti que j’ai trouvé des gens prêts à me suivre au Liban ou en Croatie. C’est avec Alain Sanders que j’ai créé les comités Chrétienté-Solidarité ; il n’était pas membre du FN, mais sympathisant.

Depuis quelques années, Thibaut de La Tocnaye s’est progressivement retiré du monde des volontaires et des acteurs de la résistance. Il se consacre désormais intégralement à la vie politique française. Membre du Front National, conseiller régional PACA et candidat dans la ville de Cavaillon aux prochaines élections municipales, il n’a aucun regret et il admet, non sans tristesse, que les temps qui s’ouvrent ne sont peut-être plus ceux des volontaires.

Tandis que se clôt le cycle des bouleversements du siècle passé, l’heure est venue pour Thibaut de La Tocnaye, de tracer son dernier sillon loin des champs de bataille.

Dans la conclusion de son livre, il rappelle une vérité éternelle qui touche le cercle très fermé des combattants : « C’est là que l’on croise les meilleurs car c’est dans les situations extrêmes que se révèlent souvent les âmes d’élite ».

Nous remercions M. de La Tocnaye pour le temps qu’il a bien voulu nous accorder.

Pascal Madonna, diplômé du Master II en 2012.

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