Archive | avril, 2014

CRISE ETHIQUE DANS LES ARMEES AFRICAINES : UNE REALITE TETUE

22 Apr

L’armée, en tant qu’institution émanant du pouvoir régalien, dotée d’une puissance de destruction et de mort, obéit à des normes éthiques bien déterminées. Ce qui renvoie à une éthique militaire fondée sur la maîtrise de la force, la disponibilité, l’obéissance, la discipline et le respect des règlements propres au statut militaire, au code pénal et au droit international.
Compte tenu des contraintes liées à la culture démocratique et aux opérations militaires actuelles, l’éthique fournit des repères essentiels à l’exercice du commandement. Aux antipodes de cette conception moderne, l’Etat peut être perverti comme l’armée sensée le servir, ou alors l’armée peut pervertir l’Etat. C’est paradoxalement la triste réalité dans bon nombre de pays africains, où l’institution militaire apparaît, du fait des agissements de certains de ses membres, comme l’un des ferments du dérèglement social.
En effet, le déficit de leadership, civil et militaire, est la principale cause de ces dérives éthiques multiformes, collectives ou individuelles, que la culture démocratique et la formation des cadres permettraient de juguler.
Déficit de leadership civil et militaire
Le leadership, selon le général Jacques DEXTRAZE, « c’est l’art d’influencer les autres à faire volontairement ce qu’il y a à faire pour parvenir au but ou accomplir une mission »(1) . Qu’il soit civil ou militaire, le leadership se fonde sur certaines qualités essentielles telles que l’éthique, le professionnalisme, l’honneur, la loyauté, le respect des normes et l’équité.
Le déficit de leadership signifie l’absence ou l’atteinte à ces valeurs. A l’observation, l’on constate que la gestion des Etats africains souffre de la prévarication des dirigeants civils, d’une part, et d’un délitement des armées, d’autre part.
Le dictionnaire Flammarion définit la prévarication comme le fait de « trahir, par cupidité ou mauvaise foi, les devoirs à sa charge ». C’est aussi le manquement d’un responsable aux devoirs induits par sa fonction (Dictionnaire de la langue française). La prévarication des dirigeants civils a conduit à une criminalisation préoccupante de l’Etat, qui se caractérise par des fraudes et des trafics à vaste échelle, l’exploitation sauvage des ressources, la privatisation des institutions et la multiplication des milices armées. A cela, s’ajoutent des pratiques sectaires, la gestion clanique et partisane du pouvoir au détriment de la majorité du peuple, et surtout l’impunité discriminatoire.
Le délitement, pour sa part, se manifeste par des divisions internes et la crise morale. Ces divisions sont symptomatiques de l’absence d’esprit de corps, mais plutôt l’esprit de clan ou de caste. L’on note des cas où une partie de l’armée s’enrichit en servant le pouvoir en place tandis qu’une autre partie est marginalisée.
La crise morale est liée à une carence ou à une insuffisance de formation au civisme et à la citoyenneté. De ce fait, certains observateurs pensent que les armées africaines sont des structures immobiles et anachroniques qui ne s’adaptent pas à l’évolution du temps, notamment l’appropriation des valeurs démocratiques. Cet immobilisme a pour corollaires l’oisiveté et la divagation.
Un chroniqueur africain écrivait à ce titre : « Exception faite des pays secoués par des crises internes ou en conflit avec d’autres Etats, dans les pays relativement paisibles, l’homme en treillis est un chômeur de luxe, une personne payée à rien faire pratiquement »(2).
En somme, le déficit de leadership, à la fois civil et militaire, entraîne de nombreuses dérives éthiques, individuelles ou collectives, au sein de l’institution militaire.
Des dérives éthiques multiformes
En Afrique, l’impunité totale dont jouissent certains militaires choque autant que les actes répréhensibles dont ils sont auteurs ou complices. Les victimes et les observateurs sont ainsi enclins à déduire que l’armée et ceux qui la composent, à savoir les soldats, sont au-dessus de la loi. Les cas sont légions où des officiers se sont rendus coupables de déni d’humanité, de prévarication et d’atteinte aux bonnes mœurs sans encourir la moindre sanction.
Les atteintes à la dignité sont dirigées aussi bien contre les populations civiles que les autres militaires généralement subalternes. Il en est ainsi des violences verbales : menaces, injures et diffamation. Dans certains pays africains, le militaire a la réputation d’être un personnage grossier n’ayant d’égard pour personne. Dans son unité, et en position de supérieur, il s’adresse violemment aux subordonnés, les humilie et les diffame âprement. Plus encore, il demande des faveurs en procédant de l’intimidation et de l’insulte. Cette situation est davantage observée dans les écoles de formation et les centres d’instruction où l’on a tendance à les mettre dans le registre de la « formation psychologique » encore appelée « bizutage ». C’est à tort, car aucun texte ne prescrit formellement de telles atteintes à la dignité aux fins d’instruction.
La violence verbale devenue « normale » en milieu militaire se ramifie dans les relations avec les civils. Tel ce sous-officier de gendarmerie qui, dans un poste de contrôle, interpelle un automobiliste et se met à l’abreuver d’injures sans cause apparente. De tels cas sont légion alors même ces agissements sont réprimés par le règlement militaire et le code pénal. La violence verbale s’accompagne le plus souvent de la violence physique. Dans les casernes, et au motif de la « formation psychologique », certains supérieurs se rendent coupables de coups et blessures sur leurs subordonnés ou des recrues. Ces violences sont parfois mortelles.
Le manquement au devoir est également symptomatique de certaines armées, et renvoie à la réalité des armées détournées de leurs missions traditionnelles, soit du fait de dirigeants civils, soit de leur propre initiative. Il s’agit également du fait, pour elles, de ne pas accomplir leurs missions avec professionnalisme, conformément aux lois et règlements en vigueur. Les manquements au devoir englobent la rébellion, le clientélisme et la violation des règlements.
Entrent dans le registre de la rébellion : la pétition, la mutinerie et le putsch. La pétition consiste à adresser des réclamations à l’autorité supérieure. Dans la plupart des cas, ces réclamations portent sur l’amélioration des conditions de travail et de vie dans les casernes, ainsi que le relèvement de la solde et ses accessoires, la transparence dans les avancements et l’admission aux stages.
La mutinerie constitue, en général, la manifestation violente des pétitions non réglées par la hiérarchie. Contrairement aux fonctionnaires civils, les militaires n’ont pas le droit de grève. C’est la raison pour laquelle la mutinerie ébranle les autorités, l’Etat et même la société. Il n’est pas rare qu’une mutinerie aboutisse en affrontement sanglant entre les « marginalisés » et les « privilégiés » du régime (notamment la garde prétorienne).
Le coup d’état ou putsch, pour sa part, est la dérive la plus pernicieuse dans la mesure où elle remet en question l’existence même de l’Etat. Le coup d’Etat peut être défini comme « une pratique volontaire et consciente de l’armée ou d’une partie de celle-ci pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir »(3). Il est omniprésent dans l’histoire de l’Afrique, y compris pendant la période post-monolithique. En effet, de 1994 à 2014, et en dépit du processus démocratique, une vingtaine de coups d’Etat militaires réussis ont été enregistrés sur le continent et impliquant les pays suivants : Gambie (02), Sao Tome et Principe (03), Union des Comores (02), Sierra Leone (02), Niger (02), Guinée-Conakry, Guinée-Bissau (02), Mali, République Démocratique du Congo, Burundi, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, République Centrafricaine (02), Mauritanie(4). A cette longue liste, l’on pourrait ajouter les tentatives de coups d’Etat et les conspirations qui sont presque innombrables et endémiques. Ce qui démontre que le processus de démocratisation du continent n’a pas suffi à résoudre la question du leadership militaire.
L’autre catégorie de manquement au devoir a trait au clientélisme, c’est à dire la confiscation des prérogatives de l’Etat au profit d’un groupe, la conservation du pouvoir au profit des puissances étrangères, des multinationales ou des groupes mafieux ou de leurs suppôts locaux, des clans ethnicisés(5).
L’enrôlement des enfants-soldats, en général, et des filles, en particulier, constitue une violation flagrante des règlements et des normes internationales relatifs au recrutement dans les forces armées. L’organisation canadienne de défense des droits de l’homme et de la démocratie indique qu’au sein de l’armée du Congo Démocratique, « les filles-soldats ne se chargent pas que des tâches traditionnelles. Elles sont combattantes, pilleuses, porteuses et espionnes, mais aussi informatrices ou messagères, quand elles ne sont pas esclaves sexuelles ou épouses forcées des chefs de guerre. Enceintes, elles doivent quand même prendre part aux combats »(6).
Le registre des comportements immoraux englobe la corruption et les trafics illicites d’armements et de drogues. Il en est ainsi des allégations d’abus de ressources comme il se dégage dans la rénovation des résidences officielles, les activités de réception et de divertissement, l’utilisation des moyens roulants (voitures, camions), la gestion des carburants, des aéronefs, les remboursements des frais de déplacement et l’obtention d’indemnités de service.
L’on ne saurait omettre les détournements de fonds publics. Les budgets alloués au fonctionnement des unités ou des services sont détournés par certains chefs militaires qui les utilisent à des fins privées, au détriment de la troupe. Sans oublier l’affairisme et les pots-de-vin qui sont quasi systématiques à l’occasion de la passation la livraison des marchés par des prestataires nationaux ou étrangers. Les pots-de-vin sont aussi observés dans les avancements de grades et d’échelons, l’admission en stage, les affectations, les permissions ou les missions à l’étranger. Dans ces cas précis, certains subordonnés sont sommés d’offrir un cadeau en espèces ou en nature au supérieur hiérarchique pour obtenir des faveurs.
Citons, enfin, dans le registre des atteintes aux bonnes mœurs le harcèlement sexuel dont la plupart des militaires féminins sont victimes. Au mépris de leur statut marital, ces femmes doivent céder aux avances des chefs, au risque de se voir refuser l’avancement au grade supérieur, le diplôme de fin de stage ou tout autre avantage auquel elles ont normalement droit. Une fois devenue la maîtresse du chef, elle bénéficie désormais d’un traitement complaisant, à même de révolter ses camarades masculins.
En somme, les forces armées africaines traînent un long passif de trahison et d’atteintes aux valeurs morales et sociales, au point que certains observateurs pensent que « les Etats africains sont victimes de leurs armées et les armées victimes de leurs Etats »(7). Ainsi, un questionnement s’impose : comment faire pour arrimer ces armées aux exigences de la démocratie et de l’éthique professionnelle ? Comment procéder à leur mutation afin qu’elles deviennent de véritables institutions républicaines ? Comment procéder pour que les militaires sortent du jeu politique et se tournent résolument vers la défense de l’Etat de droit et des droits de l’homme?
Nécessité d’une cure structurelle et morale profonde
Le respect des normes éthiques au sein des forces armées africaines est lié à trois déterminants majeurs que sont le contrôle politique strict de l’institution militaire, l’éducation civique et patriotique dans les casernes et la réforme du secteur de la sécurité.
Le contrôle consiste en l’approbation par le parlement de certaines dépenses des forces armées, la conduite des missions d’enquête par la commission de défense du parlement à l’effet de vérifier le fonctionnement de l’armée, l’institution des commissions parlementaires dédiées aux forces armées pour protéger les droits fondamentaux des soldats, et le droit d’examen préalable des décisions relatives aux interventions de l’appareil militaire.
L’éducation civique et patriotique dans les casernes visera surtout l’initiation du militaire aux réalités institutionnelles et administratives de son pays, à ses devoirs, à ses droits, aux comportements convenables qu’il doit avoir au sein de la société. D’où le devoir de dignité, de neutralité et de loyalisme qui interdit la manipulation, la collaboration avec une force politique, d’un groupe de pression régionaliste ou ethnocentrique.
Les dérives éthiques relevées dans certaines armées africaines exigent également que ces dernières soient soumises à une cure structurelle et morale profonde. Le nouveau paradigme développé par la communauté internationale et intitulé « réforme du secteur de la sécurité » peut constituer une voie à explorer. Il est certain que les Etats africains doivent établir un ordre de priorité des menaces et leur allouer des fonds en conséquence, tout en restant fidèles à leurs normes démocratiques et à leur désir de protéger les citoyens.
Dans ce cadre, certaines missions spécifiques pourraient être assignées à l’institution militaire professionnelle. La première mission concerne la défense de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale. Ce qui induirait le respect de la hiérarchie, d’une discipline sans faille, ainsi qu’une utilisation concertée et adaptée de la force.
La deuxième a trait au maintien de l’ordre républicain et la protection des citoyens. Ce qui permettrait d’inculquer aux militaires et aux citoyens, un esprit de nation et de patrie. L’instruction civique et citoyenne pourrait, dans ce cas, être assurée par l’armée aux différentes classes d’âges, à l’effet de les sensibiliser au respect de la personne humaine et des biens publics et privés tout en évitant l’ethnicisme ou le régionalisme.
La troisième mission est relative à la participation aux missions humanitaires et aux missions de maintien de la paix et d’interposition sous mandat de l’Organisation des Nations Unies, de l’Union Africaine ou d’une organisation sous-régionale.
La quatrième, enfin, porte sur le soutien aux activités socio-sanitaires en complémentarité des autres services de l’Etat, en vue d’assurer des campagnes d’éradication de certaines épidémies, et la participation au développement socio-économique par la réalisation et l’entretien d’infrastructures.

La carence du leadership, à la fois civil et militaire a favorisé le développement de comportements déviants au sein de certaines armées africaines. Rendues coupables d’atteintes à la dignité humaine, de manquements graves aux devoirs et de dérives morales, ces armées traînent en effet une triste réputation « d’entrepreneurs de l’insécurité »(8).
La démocratie et la mondialisation exigent une réforme profonde de l’institution militaire pour une meilleure efficacité, une appropriation des normes éthiques et l’amélioration des relations avec les civils. Bref l’avènement d’un leadership réel incarné par des officiers professionnels, apolitiques et dévoués à la cause nationale. C’est un défi majeur qui devrait mobiliser toutes les forces vives du continent. Aussi, doit-on espérer que s’opèrent de profonds changements, au niveau politique, ainsi qu’une véritable révolution des mentalités. Il est urgent que le métier militaire, en Afrique, soit davantage orienté vers l’éthique de responsabilité ou de conviction (9) essentielle à la marche de l’Histoire.

 

 

Lieutenant-colonel Hubert Onana Mfege (Cameroun), diplômé du Master II

 

(1) Général Jacques A. DEXTRAZE, « L’Art du commandement », Bulletin du personnel des Forces armées canadiennes, juin 1973, p.33.

(2) Site internet : http://www.agoravox.com (consulté le 12 avril 2014).

(3) Jean-Pierre PABANEL, Les Coups d’Etat militaires en Afrique noire, Paris, 1984, L’Harmattan, p.5.

(4) « Les Coups d’Etat en Afrique depuis quinze ans », Nouvel Obs.com, du 30 décembre 2008.

(5) Pierre Franklin TAVARES, « Pourquoi tous ces coups d’Etat en Afrique ? », Le Monde Diplomatique, janvier 2004, p.16.

(6) Citée par Le Devoir, du 03 mars 2008.

(7) Anatole AYISSI, « Ordre militaire et désordre politique en Afrique », Le Monde Diplomatique, janvier 2003, p.14.

(8) S. PERROT, « Entrepreneurs de l’insécurité : la face cachée de l’armée ougandaise », http://www.africatime.com (consulté le 12 avril 2014).

(9) Max WEBER, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme. Suivi d’un essai, Paris, Plon, 1964.

 

LA POLITIQUE MISE EN OEUVRE PAR L’ONU FACE A LA CRISE EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

16 Apr

 

Depuis la fin des années 1990, l’ONU est associée aux tentatives de stabilisation de la République centrafricaine-RCA. En mars 1998, une Mission des Nations-Unies en RCA (MINURCA), fut envoyée superviser les élections (législatives en novembre-décembre 1998 ; présidentielles en septembre 1999). Les Casques bleus furent retirés en février 2000, mais demeura à Bangui un Bureau des Nations-Unies pour la consolidation de la paix en RCA (BONUCA), transformé en Bureau intégré des Nations-Unies pour la consolidation de la paix en RCA (BINUCA) au mois d’avril 2009. Jusqu’à la crise actuelle, de par le manque d’empressement des principaux États, les résultats ne furent guère probants. La ténacité de la France et du Secrétaire général de l’ONU ont peut-être permis une percée décisive : le 10 avril 2014, « constatant que la situation en République centrafricaine appelle une approche unifiée et intégrée, notamment par le déploiement d’une opération de maintien de la paix multidimensionnelle des Nations Unies » le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution n° 2149[1], créant la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en RCA (MINUSCA), qui mobilisera un effectif de 12.000 personnes.

 

Cette décision sanctionne l’échec des initiatives africaines. La Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale-CÉMAC mit sur pied la Force multinationale en RCA-FOMUC, déployée en décembre 2002 pour remplacer les soldats libyens envoyés à la rescousse du président Patassé en mai 2001, après la tentative de putsch du général Kolingba. La Communauté économique des États d’Afrique centrale-CÉÉAC, grâce à sa Force multinationale des États d’Afrique centrale-FOMAC, participe à l’Architecture africaine de paix et de sécurité mise en place par l’Union africaine-UA en 2003. Elle tenta de régler par la médiation les troubles récurrents de la RCA. Elle relaya la FOMUC, en juin 2008, pour une mission de maintien de la paix, baptisée pour la circonstance Mission de consolidation de la paix en RCA-MICOPAX. Au mois de mars 2013, le président Djotodia réclama une augmentation des effectifs de la MICOPAX pour assurer la sécurité des populations contre les bandes armées qu’il ne contrôlait plus, ou feignait de ne plus contrôler. La CÉÉAC promit une hausse de 700 à 2 000 hommes, qui tarda à se concrétiser, en dépit de la décision prise en juillet par l’UA de remplacer la MICOPAX par la Mission internationale de soutien à la Centrafrique-MISCA. Cette force d’interposition devait compter à terme 2 475 militaires (dont ceux de la MICOPAX), 1 025 policiers et 152 civils. La MISCA reçut pour mission de contribuer à la protection des civils et à la restauration de la sécurité et de l’ordre public ; à la stabilisation du pays et la restauration de l’autorité de l’État ; à la réforme et la restructuration du secteur de la défense et de la sécurité ; et à la création de conditions propices à la fourniture d’une assistance humanitaire aux populations dans le besoin. Mais les moyens faisant cruellement défaut, les États africains concernés se tournèrent vers l’ONU.

 

Conformément aux directives de la résolution 2088 du 24 janvier 2013[2], le Secrétaire général des Nations unies remit au Conseil de sécurité un rapport en date du 5 août 2013. Cela s’inscrivait dans le cadre institutionnel régulier de la Charte de San Francisco : le Secrétaire général, qui « est le plus haut fonctionnaire de l’Organisation[3] », « agit en cette qualité à toutes les réunions de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité, du Conseil économique et social et du Conseil de tutelle. Il remplit toutes autres fonctions dont il est chargé par ces organes[4]. » Le rapport constatait la « faillite totale de l’ordre public[5] » en RCA et jugeait        « indispensable de mettre un terme aux souffrances de la population[6] », ce qui ouvrait la possibilité d’invoquer la “responsabilité de protéger la population“, conformément au texte adopté en 2005 par l’Assemblée générale des Nations unies[7] : « c’est à chaque État qu’il incombe de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Ce devoir comporte la prévention de ces crimes, y compris l’incitation à les commettre, par les moyens nécessaires et appropriés. Nous acceptons cette responsabilité et agirons de manière à nous y conformer. La communauté internationale devrait, si nécessaire, encourager et aider les États à s’acquitter de cette responsabilité et aider l’Organisation des Nations Unies à mettre en place un dispositif d’alerte rapide. Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies, de mettre en œuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VIII de la Charte des Nations Unies, afin d’aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité. Dans ce contexte, nous sommes prêts à mener en temps voulu une action collective résolue, par l’entremise du Conseil de sécurité, conformément à la Charte, notamment son Chapitre VII, au cas par cas et en coopération, le cas échéant, avec les organisations régionales compétentes, lorsque ces moyens pacifiques se révèlent inadéquats et que les autorités nationales n’assurent manifestement pas la protection de leurs populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité. Nous soulignons que l’Assemblée générale doit poursuivre l’examen du devoir de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et des conséquences qu’il implique, en ayant à l’esprit les principes de la Charte des Nations Unies et du droit international. Nous entendons aussi nous engager, selon qu’il conviendra, à aider les États à se doter des moyens de protéger leurs populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l’humanité et à apporter une assistance aux pays dans lesquels existent des tensions avant qu’une crise ou qu’un conflit n’éclate. » Engagement solennel consacré par la résolution n° 1674 du 28 avril 2006, dans laquelle le Conseil de sécurité « réaffirm[ait] les dispositions des paragraphes 138 et 139 du ”Document final du Sommet mondial de 2005” relatives à la responsabilité de protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, de la purification ethnique et des crimes contre l’humanité[8]. » Cela révolutionne le droit international : conçu pour tenter de répondre aux conflits inter-étatiques, il s’avérait inopérant en cas de guerres civiles. Confronté à ces dernières, il se heurtait au mur du principe de non ingérence dans les affaires intérieures d’un État souverain. La première invocation de ce nouveau devoir se fit en faveur des populations du Darfour. Néanmoins, il ne fut pas mis en œuvre, puisque la résolution n° 1706 du 31 août 2006[9] ne fut pas exécutée. Il réapparut au printemps 2011 et connut alors sa première application, au profit des populations civiles de Libye. Le 26 février 2011, le Conseil de sécurité se déclarait « gravement préoccupé par la situation en Jamahiriya arabe libyenne et condamn[ait] la violence et l’usage de la force contre des civils[10]. » À cette occasion, il rappelait que « les autorités libyennes [avaient] la responsabilité de protéger le peuple libyen[11] », formule réitérée dans la résolution n° 1973 du 17 mars[12]. La reprise des troubles en Côte-d’Ivoire déboucha sur l’adoption de la résolution n° 1975 du 30 mars 2011, dans laquelle le Conseil de sécurité réaffirma « la responsabilité qui incombe au premier chef à chaque État de protéger les civils[13]. » La proclamation de la République du Sud Soudan, le 9 juillet 2011, fut l’occasion pour le Conseil de sécurité de demander aux États membres des Nations unies d’« aider le Gouvernement à s’acquitter de ses missions de prévention, d’atténuation et de règlement des conflits et de protection des civils[14]. » La dégradation de la situation intérieure au Yémen amena, le 21 octobre 2011, les Quinze à rappeler qu’il incombait « au premier chef au Gouvernement yéménite de protéger sa population[15]. »

 

Préoccupé par la détérioration de la situation centrafricaine, le Secrétaire général soutenait la décision de l’Union africaine de déployer la MISCA, une nouvelle opération de soutien à la paix appuyée sur des contingents africains. Il proposait au Conseil de sécurité d’offrir l’“assistance technique“ de l’ONU. La plus haute instance internationale se voyait conseiller la mise en œuvre du concept de “consolidation de la paix“ élaboré dans la seconde moitié des années 1990. L’ONU le définit comme suit : « La consolidation de la paix comprend un éventail de mesures visant à réduire le risque de retomber dans un conflit, par le renforcement à tous les niveaux des capacités nationales de gestion de crise, et à établir les fondations d’une paix et d’un développement durables. Les stratégies de consolidation de la paix doivent être cohérentes et adaptées aux besoins spécifiques des pays concernés, fondées sur le principe de l’appropriation du processus par le pays en question, et doivent inclure une série d’actions visant à atteindre ces objectifs, qui tiennent soigneusement compte des priorités, qui s’enchaînent logiquement et qui soient étroitement ciblées[16]. » Le processus prend appui sur la coercition autorisée par le Chapitre VII de la Charte. La coercition peut être, selon l’article 41, de nature non militaire : « Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l’interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales, télégraphiques, radio-électriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques. » En cas de nécessité, l’article 42 permet une coercition militaire : « si le Conseil de sécurité estime que les mesures prévues à l’article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles, il peut entreprendre, au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres, toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales. Cette action peut comprendre des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de Membres des Nations Unies ». La coercition ne peut résulter que d’une résolution du Conseil de sécurité, car « afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de Sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales[17]. » Par conséquent, c’est lui seul qui « décide quelles mesures seront prises pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationales[18]. »

  Déléguée, en vertu de l’article 53 de la Charte de San Francisco, aux organisations régionales (comme l’UA) et/ou sous-régionales[19] (comme la CÉÉAC), cette possibilité de recourir à la coercition vise à mettre en place les conditions de sécurité indispensables à la reconstruction et à l’instauration d’une paix durable. Pour ce faire, l’ONU use des clauses relatives à la coopération entre États contenues dans les Chapitres IX (“Coopération économique et sociale internationale“) et X (“Conseil économique et social“) de la Charte. Elle tente de donner corps à l’article 55 : «  En vue de créer les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer des relations pacifiques les Nations Unies favorisent : a) le relèvement des niveaux de vie, le plein emploi et des conditions de progrès et de développement ; b) la solution des problèmes dans les domaines économique, social, de la santé publique et la coopération dans les domaines de la culture intellectuelle et de l’éducation ; c) le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. » Bref, il s’agit de dépasser le cadre strictement militaire d’une intervention afin de créer, au-delà de la dimension sécuritaire, l’ensemble des conditions requises pour qu’une population vive en paix de façon durable. La force armée n’est qu’un outil, au service d’une solution politique, lorsqu’il est impossible de mettre en œuvre celle-ci en suivant une procédure pacifique.

 

Le Secrétaire général fut suivi, mais partiellement, par le Conseil de sécurité des Nations unies qui adopta la résolution 2121 le 10 octobre 2013[20]. Celle-ci préconisait un règlement pacifique de la crise (transition politique démocratique), conformément au Chapitre VI, article 33, de la Charte de San Francisco : «  les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par la négociation. » La résolution insistait sur la nécessité de mettre en application le processus de désarmement-démobilisation-réintégration /DDR de tous les combattants prévu par les accords[21] négociés sous l’égide des organisations régionales et sous-régionales. Le Conseil de sécurité approuvait le principe de la MISCA et mettait à l’étude l’appui concret qu’il importerait de lui apporter. Il chargeait le Secrétaire général de l’ONU de faire des propositions d’action en vue d’une aide adaptée à la situation. Il soulignait, enfin « qu’il incombe au premier chef aux autorités centrafricaines de protéger la population. » Cela confirme l’enracinement de la “responsabilité de protéger la population“ dans les principes de base de l’ONU. Une forme de jurisprudence internationale semble née : la souveraineté et la non-ingérence ne garantissent plus automatiquement l’impunité en cas d’exactions commises contre une population. Toutefois, son application demeure subordonnée au bon vouloir de cinq États, les membres permanents du Conseil de sécurité[22], parmi lesquels deux ne brillent pas au firmament du respect des droits de l’Homme : la Chine et la Russie. Or, « les décisions du Conseil de sécurité […] sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses Membres dans lequel sont comprises les voix de tous les Membres permanents[23]. »

 

Alors que la situation s’était gravement détériorée et que la crise risquait de déstabiliser la région, le Secrétaire général des Nations unies rendit un nouveau rapport le 15 novembre 2013. Conformément à l’article 39 de la Charte, le Conseil de sécurité était, une fois encore, appelé à constater « l’existence d’une menace contre la paix ». Il devait « décider quelles mesures ser[aie]nt prises […] pour maintenir et rétablir la paix et la sécurité internationales. » Il en résulta l’adoption de la résolution n° 2127, le 5 décembre 2013. Le texte préconisait toujours une solution politique, ce qu’impose le Chapitre VI (“Règlement pacifique des différends“) : « Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer la paix et la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation, d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix. Le Conseil de sécurité, s’il le juge nécessaire, invite les parties à régler leur différend par de tels moyens[24]. » Mais, compte tenu de l’extrême violence qui prévalait sur le terrain, la résolution était d’emblée placée sous Chapitre VII (celui qui autorise la coercition, rappelons-le) et autorisait l’appui de la France au déploiement de la MISCA. Celle-ci devait prendre le relais de la MICOPAX le 19 décembre 2013. L’opération Sangaris put donc commencer en attendant la montée en puissance des forces africaines et l’aide de l’Union européenne.

 

La dégradation de la situation sécuritaire et humanitaire se poursuivit car, contrairement aux prévisions, les forces françaises furent immobilisées à Bangui par les massacres intercommunautaires, alors que des exactions avaient lieu dans l’ensemble du pays. Pour adapter son action à cette situation inattendue, le Conseil de sécurité adopta la résolution n° 2134[25], le 28 janvier 2014. Suite à la démission forcée du président intérimaire Djotodia le 10 janvier et à son remplacement par Catherine Samba-Panza dix jours plus tard, le texte prenait acte du changement à la tête des autorités de transition. Il insistait pour que le processus électoral ait bien lieu dans le délai initialement fixé (avant le mois de mars 2015). La résolution soutenait la création d’une commission d’enquête internationale sur les atteintes aux droits de l’Homme en RCA. La communauté internationale autorisait l’Union européenne à déployer des forces sur le terrain (EUFOR-RCA[26]). Mais toutes les parties étrangères engagées légalement en RCA réclamaient une intervention plus ambitieuse et plus substantielle, une opération de maintien de la paix-OMP. « Une opération de maintien de la paix se compose de personnel militaire, de policiers et de civils. Ils travaillent à renforcer la sécurité et à appuyer les processus politiques devant mener à la consolidation de la paix[27]. » Le 10 avril 2014, l’OMP en RCA fut décidée par le Conseil de sécurité des Nations Unies avec l’adoption de la résolution n° 2149, créant la MINUSCA. « Le mandat de la MINUSCA sera axé initialement sur les tâches prioritaires ci-après : a) Protection des civils ; b) Appui à la mise en œuvre de la transition, y compris les efforts en faveur de l’extension de l’autorité de l’État et du maintien de l’intégrité territoriale ; c) Faciliter l’acheminement immédiat, complet, en toute sécurité et sans entrave, de toute l’aide humanitaire ; d) Protection du personnel et des biens des Nations Unies ; e) Promotion et protection des droits de l’homme ; f) Action en faveur de la justice nationale et internationale et de l’état de droit ; g) Désarmement, démobilisation, réintégration et rapatriement. » L’efficacité découlant de la cohérence, la MINUSCA absorbe le BINUCA et la MISMA.

 

Désormais, en RCA se combinent l’ensemble des outils onusiens du processus de “consolidation de la paix“, mis en œuvre, avec des fortunes diverses, depuis la fin des années 1990 : réussite au Kosovo ou au Timor Leste, échec en Afghanistan, par exemple. Puisse le peuple centrafricain s’inscrire parmi les bénéficiaires et non les perdants.

 

Patrice Gourdin, Professeur de géopolitique à l’Ecole de l’Air, enseignant à Sciences Po Aix

 

[1]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2149(2014)

[2]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2088(2013)

[3]. Charte des Nations unies, Chapitre XV, article 97.

[4]. Ibidem, article 98 .

[5]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/2013/470

[6]. Ibidem.

[7]. Assemblée générale des Nations Unies, Document final du Sommet mondial de 2005, 20 septembre 2005, paragraphes 138 et 139, p. 33 : « Devoir de protéger des populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité.»

URL : http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/N05/511/31/PDF/N0551131.pdf?OpenElement

[8]. « Protection des civils dans les conflits armés. »

URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1674%20(2006)

[9]. Mention dans le deuxième paragraphe :

URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1706%20(2006)

[10]. Résolution n° 1970 du 26 février 2011

URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1970(2011)

[11]. Ibidem.

[12]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1973(2011)

[13]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1975(2011)

[14]. Résolution n° 1996, 8 juillet 2011

URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1996(2011)

[15]. Résolution n° 2014

URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2014(2011)

[16]. « La consolidation de la paix et l’ONU », ONU-Bureau d’appui à la consolidation de la paix,

http://www.un.org/fr/peacebuilding/pbso/pbun.shtml

[17]. Charte des Nations unies, Chapitre V, article 24, alinéa 1.

[18]. Ibidem, Chapitre VII, article 39.

[19] . Ce que permet le Chapitre VIII (« Accords régionaux ») de la Charte : « Le Conseil de sécurité utilise, s’il y a lieu, les accords ou organismes régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous son autorité. Toutefois, aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d’accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l’autorisation du Conseil de sécurité », ibidem, article 53, alinéa 1.

[20]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2121(2013)

[21]. L’Accord de Libreville du 11 janvier 2013, la Déclaration de N’Djamena du 18 avril 2013 et la Charte constitutionnelle de transition du 18 juillet 2013, pour ne citer que les plus récents.

[22]. « Le Conseil de sécurité se compose de quinze Membres de l’Organisation. La République de Chine, la France, l’Union des Républiques socialistes soviétiques, le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et les États-Unis d’Amérique sont Membres permanents du Conseil de sécurité. Dix autres Membres de l’Organisation sont élus, à titre de Membres non permanents du Conseil de sécurité, par l’Assemblée générale… » Charte des Nations unies, Article 23, alinéa 1.

[23]. Ibidem, Article 27, alinéa 3.

[24]. Ibidem, Article 33.

[25]. URL : http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2134(2014)

[26]. Cf. Patrice Gourdin, « La politique de l’Union européenne face à la crise en République centrafricaine », Études géostratégiques, 4 avril 2014, URL : http://etudesgeostrategiques.com/2014/04/04/la-politique-de-lunion-europeenne-face-a-la-crise-en-republique-centrafricaine-2/

[27]. Définition donnée sur la page d’accueil du site internet officiel des Nations unies.

 

BOOK REVIEW - INTERNATIONAL RELATIONS AND HUMANITARIAN CRISIS de Fabienne Le Houérou

9 Apr

L’ouvrage que vient de publier, en anglais, le Dr Le Houérou est d’une extrême densité. Il revêt un intérêt évident en ce qu’il synthétise et met en perspective les années de recherche et les diverses crises que l’auteure a étudiées en profondeur.

 

Issu de l’enseignement qu’elle délivre à Sciences Po Aix, ce livre est pour Fabienne Le Houérou l’occasion de condenser et de rendre accessible à tous les réflexions que lui inspire sa connaissance transversale des grandes crises humanitaires. C’est donc un travail de maturité qui est livré ici, le résultat d’une réflexion fine et d’un regard affûté qui permettent de saisir en à peine plus de 230 pages les lignes de partage et les logiques à l’œuvre dans une vie internationale d’une incroyable complexité.
La méthode employée est édifiante. Les sources classiques (ouvrages de référence, revues académiques, rapports d’organisations internationales et d’ONG, médias, etc.) sont ici convoquées et minutieusement exploitées, mais elles sont également mises en perspective avec des instruments plus originaux, comme des supports photographiques ou des enregistrements audio et vidéos réalisés par l’auteure au cours de ses nombreux terrains de recherche. La méthode historique et des outils plus novateurs sont donc ici combinés pour saisir la complexité des situations évoquées.
La question que l’auteure pose est à la fois simple et infiniment complexe : qu’est-ce qui sous-tend les interventions « humanitaires » au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire militaires et se revendiquant de la sécurité collective? Qu’y a-t-il d’humain dans l’humanitaire?
Pour répondre à ce questionnement, le Dr Le Houérou a choisi d’étudier huit des grandes crises de la deuxième moitié du XXe siècle, et la réaction de la communauté internationale dans chacun de ces cas. Cela permet de saisir le caractère résolument construit, et politiquement motivé, du concept d’humanitaire, mais aussi de comprendre les soubassements du rapprochement opéré entre l’humanitaire civil et le militaire depuis la fin de la guerre froide. Le concept même d’humanitaire est ainsi défini et critiqué pour son caractère à ce point polyvalent qu’il en oublie d’être signifiant.

L’ouvrage est donc divisé en dix chapitres dont chacun, hormis le premier et le dernier qui s’attachent à dresser un arrière-plan historique et théorique, traite d’une crise humanitaire majeure. Ces exemples, traités individuellement mais dans une logique d’ensemble, permettent de saisir les caractéristiques communes entre les grandes crises humanitaires qui ont agité la vie internationale pendant la période de guerre froide et après celle-ci. Chaque cas permet en effet de saisir les grandes évolutions du principe humanitaire.
Le premier chapitre étudie les fondements de la réponse humanitaire, et notamment la notion de « charité » dans toutes ses dimensions. Ce concept, hérité de la culture antique, est présent dans les grandes religions actuelles, sous des formes visant souvent, in fine, le clientélisme. Le cas de la charité en islam, ou sadaka, est particulièrement étudié ici, de même que celui de la charité dans le christianisme, le bouddhisme et l’hindouisme. L’action humanitaire serait donc un héritage sécularisé, passé par le prisme des Lumières et de la Révolution française, de cette notion de « charité » religieuse.
Le deuxième chapitre aborde la question de la crise tibétaine de 1959 et ses suites. Une histoire de la relation entre le Tibet et la Chine est rapidement dressée et les intérêts chinois au Tibet sont exposés. La question de la qualification du conflit, et notamment de la pertinence ou non du concept de génocide, est également posée. Dans ce cas précis, Fabienne Le Houérou préfère parler de « génocide culturel » ou encore d’ « ethnocide ».
Le troisième chapitre traite de la révolution en Ethiopie en 1985, préparée par des années de famine sous l’empereur Haile Selassie et par les agitations et privations des premières années de la dictature de Mengistu. Cela permet à l’auteure d’évoquer le rôle de l’économie dans la guerre, ainsi que les mutations dans la nature des crises et des réactions humanitaires opérées après ce qu’il s’est passé en Ethiopie.
Le quatrième chapitre ouvre la série des grandes crises de l’après-guerre froide, en abordant le fiasco somalien de la première moitié des années 1990. Après une description claire des lignes de fracture claniques et de l’émergence des seigneurs de la guerre, cette partie analyse les affrontements de l’immédiat après-guerre froide et les logiques géopolitiques à l’œuvre. Cela permet d’étudier la réaction internationale, notamment celle de l’ONU, et d’analyser les missions ONUSOM I et II et Restore Hope. La déroute de la diplomatie internationale est ainsi décrite et passée au crible, ce qui permet de comprendre les conditions de la descente aux enfers de la Somalie, devenue un failed state.
Le cinquième chapitre évoque la question des affrontements et des épurations ethniques en ex-Yougoslavie entre 1992 et 1995. La très grande complexité de cette région, et notamment les soubassements ethniques des conflits, est ici rendue sous une forme très claire. Les réactions internationales aux diverses crises (Croatie, Serbie puis Kosovo) sont présentées et examinées, ce qui permet de percevoir les enjeux liés à cette très célèbre « poudrière ».
Le sixième chapitre étudie avec minutie et acuité le génocide rwandais, et notamment le poids de l’héritage colonial allemand puis belge dans la possibilité de mise en place de cet évènement. Les éléments de planification du génocide sont évoqués (médias à propagande raciste, établissement de listes, formation de milices). De même, cette partie présente les éléments-clés de la crise rwandaise, notamment la confusion fatale à l’époque entre le génocide et la guerre civile, le rôle de l’Eglise, l’utilisation du viol comme arme du génocide, la question du rôle de la France et des Etats-Unis, ou encore la (maigre) tentative de réaction internationale et les difficultés qu’elle a rencontrées.
Le septième chapitre s’attache à l’étude des deux guerres du Congo, qui ont (chrono)logiquement suivi les flux massifs de réfugiés rwandais hutu en direction du Zaïre voisin en 1994. Le soutien du nouveau régime rwandais, pour des raisons liées à la poursuite des anciens génocidaires, à la rébellion qui prit le pouvoir au en RDC en 1997 est ainsi étudié. La seconde guerre du Congo, qui succéda immédiatement à la première, est analysée à l’aune des jeux d’alliance régionaux qu’elle a mis en œuvre. L’impuissance de la diplomatie et des interventions internationales est soulignée, ainsi que le rôle des ressources dans la persistance des conflits dans la région.
Le huitième chapitre analyse la crise du Darfour et les conditions historiques et économiques de sa préparation, de même que les soubresauts qui ont agité le Soudan et sa région depuis l’indépendance. L’addition de politiques de l’identité violemment instrumentalisées depuis les années 1980 et d’une série de sécheresses dramatiques ont ainsi conduit à l’explosion de violence de 2003. Le terme de « génocide » est évoqué dans ce contexte particulier, mais l’auteure en critique une utilisation opportuniste et avance une étude du Darfour au prisme de la catégorie d’analyse d’ « ethnocide », prenant davantage en compte les données socio-économiques et climatiques.
Le neuvième chapitre aborde les guerres en Afghanistan depuis 1979. La guerre contre les Soviétiques de 1979 à 1991 est ainsi étudiée, puis l’organisation de la société afghane et du régime taliban des années 1990 est présentée. C’est enfin la plus large intervention militaire de l’après-guerre froide, celle de la coalition occidentale qui dure depuis les attentats du 11 septembre 2001, qui est abordée. On comprend alors les dessous de ce que les commentateurs en sont venus à appeler le « bourbier afghan ».
Le dernier chapitre est l’occasion de mettre en lumière l’impact des crises sur les êtres humains qui les traversent, et pas seulement sur la géopolitique mondiale. La situation des personnes déplacées et réfugiées est ainsi évoquée, ainsi que celle des femmes victimes de violences sexuelles en temps de guerre.

Les influences d’une crise sur l’autre, les conséquences diplomatiques d’échec ou de succès dits humanitaires sont ainsi présentées et illustrées tout au long de l’ouvrage. La dimension politique de l’humanitaire est mise en exergue et les contradictions de la diplomatie occidentale sont soulignées. Mais c’est aussi le piège de l’incrimination de l’ONU qui est évité : les arcanes décisionnelles sont ici déconstruites, pas à pas, pour comprendre le (dys)fonctionnement du « machin ». Au fond, l’humanitaire n’a d’humaine que la racine latine de son étymologie. Il est bien davantage un instrument géopolitique entre les mains de realpoliticiens qu’un idéal porteur d’espoir et de progrès.
Le choix des crises traitées ici aurait pu être davantage justifié et expliqué, mais est d’une pertinence certaine dans l’approche holistique adoptée par l’auteure. En effet, le coeur de l’étude étant le rapport qu’entretiennent les relations internationales et l’humanitaire, les crises étudiées ont été choisies en fonction de leur pertinence dans l’histoire de l’élaboration ou du recul de la notion d’intervention humanitaire.
Le traitement qui est fait de la notion de « génocide », critiqué comme une catégorie qui revient à relativiser les autres types de crimes (ethnocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre, etc.) et qui à ce titre devrait être abandonnée, me semble un débat intéressant à ouvrir. L’auteure a raison de noter qu’il y a une inégalité de traitement dans les crimes, basée sur cette distinction conceptuelle, alors que les populations concernées souffrent tout autant quel que soit le crime commis contre elle, génocide ou non. Il ne s’agit donc pas de subordonner la possibilité d’une réaction internationale à la qualification ou non d’une crise par le mot de « génocide ». Cela conduirait aux dérives qui ont pu être observées dans le cas du Darfour et qui le sont, dans une moindre mesure, dans le cas de la Centrafrique, pour laquelle certains observateurs ont très rapidement parlé de « quasi-génocide » afin de mobiliser des réactions diplomatiques, alors que la situation ne correspondait pas aux critères d’un génocide selon la Convention internationale de 1948. Il ne faut pas rendre le génocide à tel point paradigmatique qu’il minimiserait les autres crimes tout en se vidant lui-même de son sens à force d’être convoqué et dévoyé pour décrire des situations qui n’en relèvent pas.
Néanmoins, le principe même du génocide est intrinsèquement différent de celui des autres crimes, et cela doit être dit. Il ne s’agit pas seulement de la destruction de tout ou partie d’une population, il s’agit d’une volonté concertée de la faire disparaître, c’est-à-dire une adhésion idéologique, philosophique, à l’anéantissement d’un groupe ethnique, racial ou religieux. Cela suppose des relais très solides, essentiellement ceux d’un Etat, à même de planifier et d’organiser les massacres. Contrairement aux autres crimes, le génocide ne laisse pas de place à l’espoir, pas de place à l’humanité. Le groupe ciblé par le génocide est déshumanisé (les Tutsi étaient des inyenzi, des cancrelats pour les Hutu), et c’est cette négation de l’humanité qui est caractéristique du génocide.

Loin de porter un regard angélique sur les questions liées à l’aide humanitaire et au travail des grandes ONG et organisations internationales, le Dr Le Houérou expose ici non seulement les vertus mais aussi les travers d’un système qui en vient, parfois, à entretenir les fléaux contre lesquels il entend lutter. Ce livre amène ainsi à saisir à et à penser les logiques qui conduisent la communauté internationale à préférer guérir les conséquences plutôt que les causes des crises humanitaires.
Les grands enjeux de pouvoir et les manoeuvres diplomatiques sont ici dévoilés. L’auteure ne se soustraie à aucun des défis que lancent les théories des relations internationales actuelles, affrontant les concepts de neutralité, de souveraineté et d’ingérence, et abordant sans tabou les questions liées aux motivations d’intervention ou de non-intervention des grandes puissances du Conseil de sécurité. Elle brosse également en creux, au-travers des cas pratiques étudiés, le rôle des médias dans les grandes crises humanitaires et dans leur perception par l’opinion publique mondiale, ce que certain ont appelé le CNN effect.
Chercheuse rompue à l’exercice de la pluridisciplinarité réussie, c’est donc un ouvrage riche et complet que Fabienne Le Houérou livre ici. Il saura être utile non seulement aux étudiants en relations internationales, en leur permettant de mieux comprendre les enjeux liés aux crises humanitaires, mais aussi aux chercheurs travaillant sur l’une ou l’autre des grandes crises abordées, notamment du fait des perspectives qu’il ouvre sur les autres conflits, ou encore au grand public, qui y trouvera des clefs d’initiation précieuses et didactiques en matière de relations internationales.

 

Agathe Plauchut
Diplômée de Sciences Po Aix et du Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité.
Doctorante en histoire contemporaine (co-direction CHERPA-CNRS).

LA POLITIQUE DE L’UNION EUROPEENNE FACE A LA CRISE EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

4 Apr

L’Union européenne (UE) a annoncé mardi 1er avril 2014 le lancement officiel de son opération militaire en République centrafricaine (RCA) : EUFOR-RCA1. Celui-ci intervient après des mois de difficiles tractations, de demandes réitérées de la France et même, fait rarissime, d’un rappel à l’ordre du Secrétaire général de l’ONU. La procédure n’est pourtant pas complexe au point d’expliquer la lenteur de cette mise en œuvre. Toutefois, le mécanisme demeure méconnu et l’étude de la genèse de l’EUFOR-RCA offre l’occasion de l’expliquer.

Le préambule du traité sur l’Union européenne actuellement en vigueur, celui de Lisbonne, signé en 2007, affirme que les États membres de l’UE sont « résolus à mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune […] afin de promouvoir la paix, la sécurité et le progrès en Europe et dans le monde2.» L’UE dispose même d’une « politique de sécurité et de défense commune » (PSDC) qui « assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires3.» En dépit de ces dispositions institutionnelles dépourvues d’ambiguïté, les États membres de l’UE ne manifestent guère d’empressement à intervenir en RCA.
En réalité, l’UE fait montre d’une perception distancée des menaces sises en Afrique sub-saharienne. En atteste  le concept stratégique adopté le 12 décembre 20034 (et reconduit en 20085) à Bruxelles par les États membres. La priorité y est donnée au voisinage immédiat :
« Même à l’ère de la mondialisation, la géographie garde toute son importance. Il est dans l’intérêt de l’Europe que les pays situés à ses frontières soient bien gouvernés. Les voisins engagés dans des conflits violents, les États faibles où la criminalité organisée se répand, les sociétés défaillantes ou une croissance démographique explosive aux frontières de l’Europe constituent pour elle autant de problèmes. Si elle accroît notre sécurité, l’intégration des États adhérents aura également pour effet de rapprocher l’Union européenne des zones de troubles. Notre tâche doit être de promouvoir, à l’Est de l’Union européenne et aux frontières du bassin méditerranéen, un ensemble de pays bien gouvernés avec lesquels nous pourrons avoir des relations étroites, fondées sur la coopération6.»

L’Afrique centrale ne semble donc pas faire partie du périmètre prioritaire de la PESC. Toutefois le document précité recense, parmi les principales menaces planant sur l’UE  et contre lesquelles elle lutte : la déliquescence des États et les conflits régionaux, ainsi que le terrorisme et le crime organisé. Tous ces risques se retrouvent bien dans la crise centrafricaine. Et, comme l’explique toujours le même document,
« notre concept traditionnel d’autodéfense (jusqu’à la guerre froide et pendant toute sa durée) reposait sur la menace d’une invasion. Face aux nouvelles menaces, c’est à l’étranger que se situera souvent la première ligne de défense. Les nouvelles menaces sont dynamiques. Les risques de prolifération augmentent avec le temps ; si rien n’est entrepris contre eux, les réseaux terroristes deviendront encore plus dangereux. La faillite des États et la criminalité organisée se répandent si on néglige d’y remédier, ainsi que nous l’avons constaté en Afrique de l’Ouest. Cela signifie que nous devons être prêts à agir avant qu’une crise se produise. Il n’est jamais trop tôt pour prévenir des conflits et des menaces. »
À ces propos d’une lucidité et d’une fermeté admirables, il convient d’ajouter le volontarisme du premier paragraphe de l’article 21 du traité de Lisbonne :
« l’action de l’Union sur la scène internationale repose sur les principes qui ont présidé à sa création, à son développement et à son élargissement et qu’elle vise à promouvoir dans le reste du monde : la démocratie, l’État de droit, l’universalité et l’indivisibilité des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect de la dignité humaine, les principes d’égalité et de solidarité et le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international. »

A priori donc, nombre de facteurs devraient amener l’UE à s’engager dans la résolution de la crise en RCA. Les menaces recensées et les principes bafoués dans ce pays font partie de ceux identifiés comme appelant une intervention : la RCA est un État failli, en proie à de graves atteintes aux droits de l’Homme et où les populations ont besoin d’être protégées. Or, comme au Mali au début de l’année 20137, l’UE se montre très réticente vis-à-vis d’une intervention militaire. En vertu de l’analyse selon laquelle développement, paix et sécurité sont interdépendants, l’UE ne croit qu’en une politique intégrée8 combinant une aide matérielle substantielle (de l’ordre de 200 millions d’euros dans le cas de la RCA9) et une participation (beaucoup plus mesurée) à la sécurité. Ce qu’elle vient de rappeler à l’occasion du 4e Sommet UE-Afrique réuni à Bruxelles les 2 et 3 avril 2014 sur le thème : Investir dans les personnes, pour la prospérité et pour la paix :
« Sans la paix et la sécurité, il ne saurait y avoir de développement ni de prospérité. En Afrique et en Europe, les conflits et l’instabilité peuvent ruiner tous les efforts que nous faisons pour réduire la pauvreté et accélérer la croissance10.»

Des mois durant, Paris tenta de mobiliser la communauté internationale en faveur de la population centrafricaine. Le Conseil de sécurité de l’ONU finit par opter pour une action significative le 5 décembre 2013 (résolution n° 2127) et la France déclencha l’opération militaire Sangaris. Les autorités françaises n’entendaient agir seules en soutien à la Mission internationale de soutien à la Centrafrique11 (MISCA) et poursuivirent leurs efforts pour impliquer les États de l’UE, faisant inlassablement valoir la conformité de la situation avec les principes et les objectifs de la PESC.
L’insistance de la France amena le Conseil européen12 à prendre - à l’unanimité, comme c’est, au terme de l’article 24 du traité de Lisbonne13, la règle sur ce type de sujets - une position claire dans le relevé de conclusions de ses travaux des 19 et 20 décembre 2013 : « Extrêmement préoccupé par la crise en République centrafricaine, qui ne cess[ait] d’empirer, et par les graves conséquences qu’elle entraîn[ait] sur le plan humanitaire et des droits de l’homme [il] se félicit[ait] de l’intervention militaire décisive de la France, fondée sur la résolution 2127 (2013) du Conseil de sécurité des Nations unies, qui vient en appui aux forces africaines afin de contribuer à rétablir la sécurité, ainsi que de la détermination sans faille de ses partenaires africains en faveur de la stabilisation de la situation.» Il affirmait « la disponibilité de l’UE à examiner l’utilisation des instruments pertinents pour contribuer aux efforts en cours visant à la stabilisation du pays, y compris dans le cadre de la PSDC, dans ses deux dimensions militaire et civile14.»
Le Conseil européen invitait «  la Haute Représentante à présenter une proposition à cet égard afin que le Conseil « Affaires étrangères » puisse prendre une décision en janvier 2014 ». Ceci, en vertu de l’article 27 du traité de Lisbonne :
« Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui préside le Conseil des affaires étrangères, contribue par ses propositions à l’élaboration de la politique étrangère et de sécurité commune et assure la mise en œuvre des décisions adoptées par le Conseil européen et le Conseil15.»

La procédure était enclenchée : l’Union avait défini une politique à suivre sur le dossier centrafricain. Et ceci, conformément à la démarche prévue par le traité de Lisbonne. Pour commencer, le Conseil européen, qui « conduit la politique étrangère et de sécurité commune a) en définissant les orientations générales16», « identifie les intérêts et objectifs stratégiques de l’Union17» et « définit les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune, y compris pour les questions ayant des implications en matière de défense18.» Le cas échéant, « il adopte les décisions nécessaires19.» À l’étape suivante, « les États membres se concertent au sein du Conseil européen et du Conseil20 sur toute question de politique étrangère et de sécurité présentant un intérêt général, en vue de définir une approche commune21.» Enfin, « lorsqu’une situation internationale exige une action opérationnelle de l’Union, le Conseil adopte les décisions nécessaires. Elles fixent leurs objectifs, leur portée, les moyens à mettre à la disposition de l’Union, les conditions relatives à leur mise en œuvre et, si nécessaire, leur durée22.»
En conséquence, furent adoptés, le 20 janvier 2014, une position commune et un concept de gestion de crise23. L’UE se disait à nouveau « vivement préoccupée par l’insécurité et l’instabilité extrême observées en République centrafricaine, tout particulièrement depuis les attaques du 5 décembre 2013 qui [avaient] causé de très nombreuses pertes civiles, des déplacements massifs de populations, de nombreuses violations graves de droits de l’Homme et une aggravation dramatique de la situation humanitaire24.» Elle exprimait « sa préoccupation face au risque de voir le conflit centrafricain affecter les pays voisins de la RCA25.» Elle saluait « l’action de l’Union africaine, à travers le déploiement rapide de la […] MISCA, et le soutien apporté à celle-ci par l’opération française Sangaris, conformément à la résolution 2127 (2013) du Conseil de sécurité des Nations unies26.» Elle constatait que « ces efforts conjugués [avaient] permis des progrès sécuritaires qu’il conv[enait] de consolider, condition indispensable au retour de la stabilité dans le pays27.» « Convaincu de l’importance de soutenir les efforts africains en RCA et d’y renforcer l’engagement européen dans le cadre de son approche globale28», le Conseil marquait « son accord politique sur la perspective d’une opération militaire PSDC et a[vait] approuvé le concept de gestion de crise à cette fin29.» L’opération décidée « contribuera[it] par un appui temporaire, pour une période pouvant aller jusqu’à 6 mois, à fournir un environnement sécurisé, dans la région de Bangui, en vue de passer le relais à l’UA30.»

Il s’agit d’une mission de protection des populations civiles et d’aide humanitaire ainsi que de soutien au processus politique et à la reconstruction économique du pays. Elle s’inscrit donc bien dans les objectifs de la PESC :
« L’Union définit et mène des politiques communes et des actions et œuvre pour assurer un haut degré de coopération dans tous les domaines des relations internationales afin :
a) de sauvegarder ses valeurs, ses intérêts fondamentaux, sa sécurité, son indépendance et son intégrité ;
b) de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international ;
c) de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale […]31» ;
tout comme elle correspond aux missions et aux moyens de la PSDC :
« La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. L’exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres32.»
« Les États membres mettent à la disposition de l’Union, pour la mise en œuvre de la politique de sécurité et de défense commune, des capacités civiles et militaires pour contribuer aux objectifs définis par le Conseil33.»
« Les missions […] dans lesquelles l’Union peut avoir recours à des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de conseil et d’assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire34.»

« L’action de l’Union sur la scène internationale repose sur […] le respect des principes de la charte des Nations unies et du droit international35» et l’UE « favorise des solutions multilatérales aux problèmes communs, en particulier dans le cadre des Nations unies36. » Aussi, pour répondre à l’obligation de conformité au droit international, EUFOR-RCA est régie par la résolution 2134 du Conseil de sécurité des Nations unies. Prise sous chapitre VII, elle fut adoptée, à la demande de l’UE, le 28 janvier 2014. EUFOR-RCA pouvait désormais voir juridiquement le jour, ce qui fut fait le 10 février 201437. Le commandement en fut confié au général français Pontiès. La planification stratégique doit en être assurée par l’état-major opérationnel européen de Larissa, en Grèce.

Fin janvier 2014 l’Union européenne avait mobilisé une aide financière totale de 200 millions d’euros au profit de la RCA (dont 25,9 millions d’euros pour la MISCA)38. Mais, comme les analystes et les parlementaires français l’ont plusieurs fois souligné depuis le 5 décembre 2013, la participation militaire des États membres demeure très limitée car il n’y a pas unanimité pour aider la France. Cela en dépit des demandes réitérées de Paris, notamment du rappel à l’ordre publié par le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense le 14 mars 2014 :
« L’Union européenne s’était engagée, le 10 février, à déployer une opération militaire en soutien aux efforts internationaux pour stabiliser la RCA. À ce jour, en dépit des contributions annoncées par quelques États européens, force est de constater que le compte n’y est pas. Si un effort supplémentaire n’est pas réalisé très rapidement, il ne sera pas possible de lancer, comme prévu, cette opération indispensable la semaine prochaine. L’Union européenne doit assumer ses responsabilités en matière de sécurité internationale. La France appelle vigoureusement ses partenaires à s’en donner les moyens39.»

Une semaine plus tard, le Secrétaire général de l’ONU se montrait tout aussi ferme à l’occasion de la réunion du Groupe de contact international pour la RCA, à Brazzaville, le 21 mars 2014 :
« L’Union européenne n’a toujours pas déployé les 1 000 effectifs promis (EUFOR RCA). J’invite instamment les États membres de l’Union européenne à fournir le reste des troupes et des moyens logistiques nécessaires au déploiement de la force40.»

L’UE lança officiellement l’EUFOR-RCA le 1er avril 201441. Le compte-rendu publié par le quotidien Le Monde est édifiant. Ce fut « un véritable chemin de croix », selon l’expression d’un diplomate à Paris, et les mécanismes institutionnels n’y sont pour rien. Cela résulte avant tout d’une absence de volonté politique partagée. Rappelons qu’il s’agit de déployer « quelque 650 hommes sur le terrain dont 120 gendarmes, 850 en tout – la différence étant versée dans les états-majors42. » Or, « la mission n’a été bouclée qu’avec l’aide de la Géorgie, non membre de l’UE, qui envoie 150 soldats, le plus gros contingent. Personne ne voulait les transporter. Ce sont finalement les Britanniques, soucieux d’adresser un signal à Vladimir Poutine dans la crise ukrainienne, qui le feront. Les grands pays européens se sont joints tardivement aux Estoniens et aux Lettons, volontaires de la première heure. Le nouveau premier ministre italien, Matteo Renzi, a fait un geste en acceptant de financer les travaux d’installation à Bangui. Réticente, l’Allemagne, sous l’impulsion de sa nouvelle ministre de la Défense, Ursula von der Leyen, mettra finalement deux avions de transport. La Suède va convoyer les soldats estoniens. La Pologne envoie des gendarmes43.» Moyennant quoi, EUFOR-RCA « se déploiera à partir de la fin avril au mieux. Elle pourra soulager la force Sangaris sur l’aéroport de Bangui. Si les effectifs sont complétés, deux quartiers de la capitale centrafricaine pourraient aussi être sécurisés comme prévu au départ44.» Il semble donc difficile de suivre la représentante de la diplomatie de l’UE, Catherine Ashton, lorsqu’elle déclare : « le lancement de cette opération démontre la volonté de l’UE de participer pleinement aux efforts internationaux pour rétablir la stabilité et la sécurité à Bangui et dans l’ensemble de la République centrafricaine45.» On n’ose imaginer ce qu’il en serait si l’UE n’avait pas la volonté de “participer pleinement“ !
Paris et Berlin semblent en avoir conscience, du moins à lire la tribune commune publiée dans Le Monde et la Frankfurter Allgemeine Zeitung, le 2 avril 2014, par les ministres de la Défense allemande, Ursula von der Leyen, et français, Jean-Yves Le Drian. Le couple franco-allemand, moteur de la construction européenne, paraît décidé à provoquer un sursaut lorsqu’ils écrivent : « en situation de crise, l’engagement de moyens militaires ne remplace certainement pas les solutions politiques, mais il contribue à stabiliser des États fragiles, à protéger les populations, et, au final, à créer ainsi les conditions essentielles pour reconstruire et démocratiser un pays46.»

Pendant que ces atermoiements perdurent, la violence et l’instabilité persistent en RCA…

 

Patrice Gourdin, professeur de géopolitique à l’Ecole de l’Air et enseignant à Sciences Po Aix
1. EUFOR est la contraction anglaise pour European Union Force (“Force de l’Union européenne“, en français). Elle sert de nom générique pour désigner certaines opérations militaires menées par des troupes de l’Union européenne mandatées par l’ONU.
2. Le paragraphe 5 de l’article 3 stipule : «  Dans ses relations avec le reste du monde, l’Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l’élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l’homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies. »
3. Traité de Lisbonne, Article 42, paragraphe 1.
4. Une Europe sûre dans un monde meilleur. Stratégie européenne de sécurité, Bruxelles, 12 décembre 2003.
URL : http://consilium.europa.eu/uedocs/cmsUpload/031208ESSIIFR.pdf
5. Rapport sur la mise en œuvre de la stratégie européenne de sécurité. Assurer la sécurité dans un monde en mutation, Bruxelles, 11 décembre 2008,
URL : http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressdata/FR/reports/104632.pdf
6. Une Europe sûre…, op. cit. Souligné par nous.
7. Cf. Patrice Gourdin, « L’Union européenne et le conflit malien », Études Géostratégiques, 30 avril 2013.
URL : http://etudesgeostrategiques.com/2013/04/30/lunion-europeenne-et-le-conflit-malien/
8. Dans le prolongement du premier sommet Afrique-Union européenne qui s’était tenu au Caire en 2000, l’Union européenne conclut en décembre 2007 un « Partenariat stratégique » avec le continent, représenté par l’Union africaine.
« Les quatre principaux objectifs du présent partenariat stratégique à long terme sont les suivants :
i) Renforcer le partenariat politique Afrique-UE […]
ii) Renforcer et promouvoir la paix, la sécurité, la gouvernance démocratique et les droits de l’homme, les libertés fondamentales, l’égalité entre les femmes et les hommes, un développement économique durable, y compris l’industrialisation, ainsi que l’intégration régionale et continentale en Afrique[…]
iii) Coopérer pour promouvoir et soutenir un système de multilatéralisme efficace […]
iv) […] habiliter les acteurs non étatiques à jouer un rôle actif dans les processus de développement, de consolidation de la démocratie, de prévention des conflits et de reconstruction après un conflit […] »
URL : http://www.africa-eu-partnership.org/sites/default/files/documents/02-eas2007_joint_strategy_fr.pdf
L’UE a décidé en 2004 de créer la “facilité de soutien à la paix pour l’Afrique“ (APF : African Peace Facility), devenue l’instrument principal de mise en œuvre du partenariat Afrique-UE pour la paix et la sécurité. L’APF associe le financement à court terme de mesures de résolution de crise à un soutien à plus long terme du renforcement des capacités africaines en matière de paix et de sécurité. L’APF soutient l’Union africaine et les organisations régionales africaines qui ont un mandat dans les domaines de la paix et de la sécurité. Ses activités se divisent entre trois catégories : le soutien financier des opérations de soutien à la paix menées sous commandement africain ; la mise en œuvre de l’“architecture africaine de paix et de sécurité“ voulue par l’Union africaine ; et le renforcement du dialogue politique sur les défis à relever en matière de paix et de sécurité.
9. Fiche d’information la Commission européenne, 25 mars 2014.
URL : http://ec.europa.eu/echo/files/aid/countries/factsheets/car_fr.pdf
10. Communiqué final, 3 avril 2014
URL : http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/142101.pdf
11. Le Conseil de sécurité de l’ONU, par la résolution 2121 du 10 octobre 2013, approuva sur le principe la décision prise par l’Union africaine de déployer en RCA une nouvelle opération de soutien à la paix appuyée sur des contingents africains (3 600 hommes de la Communauté économique des États d’Afrique centrale-CÉÉAC) : la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA). Alors que la situation s’était gravement détériorée et que la crise risquait de déstabiliser la région, le Conseil de sécurité de l’ONU adopta la résolution 2127, le 5 décembre 2013. Placé sous Chapitre VII (celui qui autorise le recours à la coercition), le texte préconise une solution politique, mais autorise l’appui de la France au déploiement de la MISCA, qui prit le relais de la Mission de consolidation de la paix en République Centrafricaine (MICOPAX), le 19 décembre 2013.
12. « Le Conseil européen est composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, ainsi que de son président et du président de la Commission. Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité participe à ses travaux. » Traité de Lisbonne, Article 15, paragraphe 2.
13. « […] La politique étrangère et de sécurité commune est soumise à des règles et procédures spécifiques.
Elle est définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil, qui statuent à l’unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement […] » Ibidem, Article 24, paragraphe 1.
14. http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/140267.pdf
15. Traité de Lisbonne, Article 27, paragraphe 1.
16. Ibidem, Article 25.
17. Ibidem, Article 22.
18. Ibidem, Article 26.
19. Ibidem.
20. « Le Conseil est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente et à exercer le droit de vote.» Ibidem. Article 15, paragraphe 2.
21. Ibidem, Article 32.
22. Ibidem, Article 28.
23. http://www.eu-un.europa.eu/articles/fr/article_14486_fr.htm
24. Ibidem.
25. Ibidem.
26. Ibidem.
27. Ibidem.
28. Ibidem.
29. Ibidem.
30. Ibidem.
31. Traité de Lisbonne, Article 21.
32. Traité de Lisbonne, Article 42, Paragraphe 1.
33. Ibidem, Paragraphe 3.
34. Ibidem, Article 43, Paragraphe 1.
35. Ibidem, Article 21.
36. Ibidem.
37. Décision 2014/73/PESC du Conseil du 10 février 2014 relative à opération militaire de l’Union européenne en République centrafricaine (EUFOR RCA)
URL : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2014:040:0059:0062:FR:PDF
38. http://eeas.europa.eu/statements/docs/2014/140117_03_en.pdf
39. http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=bafr2014-03-14.html#Chapitre1
40. http://www.un.org/News/fr-press/docs/2014/SGSM15724.doc.htm
41. http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/142050.pdf
42. Nathalie GUIBERT, « La Géorgie, plus gros contingent des forces européennes en RCA », Le Monde, 2 avril 2014.
43. Ibidem. Souligné par nous.
44. Ibidem.
45. http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/142050.pdf
46. « Il est de notre intérêt que l’Afrique se développe pacifiquement », Le Monde, 2 avril 2014.

 

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