Dans un café près de la gare Saint-Charles à Marseille, trois vieillards parlent des guerres d’Indochine et d’Algérie en les comparant. Ils ont fait l’Indochine dans les rangs de l’armée française et l’Algérie dans ceux du FLN. C’est ici qu’Omar Djellil a souhaité nous accorder un entretien sur son passé militaire dans l’armée bosniaque. Le jeune quarantaine, issu d’une famille dont des membres ont servi la France, a acquis ces dernières années une certaine reconnaissance politique au niveau local. Il a notamment participé à la médiatisation de l’affaire de la BAC Nord à Marseille.
Autant l’écrire tout de suite, l’homme est un vrai personnage et peut être joue-t-il de l’image qu’il a créée pour charmer ceux à qui il s’adresse. Gilles Kepel dans son ouvrage : « Passion française » lui a consacré un chapitre entier.
Le parcours de ce Rémois est atypique : né dans une cité difficile, rejoignant un gang à l’adolescence, participant à plusieurs actes de petite et moyenne délinquance, il participe au début des années 90 aux affrontements entre skinheads et gangs des cités dans le centre-ville de Reims. Ces premières expériences sont importantes pour comprendre par la suite l’engagement volontaire d’Omar Djellil. En 1989 la mort d’un jeune français d’origine maghrébine, Ali Rafa, tué par une boulangère à qui il avait volé des croissants constitua le traumatisme initial. Il se souvient encore du climat de « guerre civile » qui règne dans la cité champenoise. Les affrontements sont quotidiens avec les skinheads et Omar Djellil organise les « commandos » de jeunes des cités pour reprendre le centre-ville des mains de groupes de jeunes identitaires. Les affrontements se poursuivent durant des mois : « c’était de la guerre urbaine » se souvient il. Par deux fois, il frôle la mort et décide de prendre du recul sur cette situation. Le service militaire constitue une rupture dans son parcours. Après ses classes, il entre au sein de la Xe DB puis quitte l’armée fin 1992 après deux refus d’engagement volontaire au sein des forces régulières.
C’est également l’époque des premiers raisonnement politiques et religieux : il rejoint l’association « Boulevard des potes » (proche du PS) et rencontre des militants du secours islamique près de la mosquée al-huda (à Bordeaux) en train de distribuer des rations alimentaires aux plus démunis. Dans ce groupe, un homme attire son attention, un certain Daoud, en fait il se nomme David, c’est un néo-converti, seulement 3 ans plus tard il sera impliqué dans les attentats islamiques de 1995. Après quelques échanges amicaux, les deux jeunes hommes se rendent compte qu’ils ont la même envie : partir en Bosnie pour se battre au sein de la toute jeune armée nationale bosniaque. Seulement aucun d’eux ne sait comment y parvenir, ils prendront quelques semaines plus tard deux chemins différents.
A cette époque Omar ne se considère pas du tout comme une personne religieuse. Il ne va pas à la mosquée, ne prie pas et ne participe pas aux fêtes religieuses. Néanmoins le conflit en Bosnie le touche, comme beaucoup de Français et d’Européens de cette époque. Il n’y voit pas un moyen de lutter contre le communisme, il veut juste « faire quelque chose » et « apporter un soutien humain » à ceux qui se battent en Bosnie ; il est certain qu’un esprit un peu aventurier n’est pas étranger à ces décisions. En 1992, un ami d’extrême gauche le présente à son père, un habitué des filières de volontaires dans différents conflits. Cette rencontre est le sésame qui permet enfin à Omar Djellil de partir pour la Bosnie. Pour quelques centaines de francs, on lui donne de faux papiers, ceux d’un certain « Franck X », il a rendez vous quelques jours plus tard à Split en Croatie dans un vieil hôtel du centre-ville. Omar ne considère pas du tout qu’il s’agisse d’un véritable « réseau » d’acheminement, il y voit davantage la réunion d’« amateurs s’entraidant pour y parvenir ».
A ce rendez-vous il rencontre quatre autres personnes, elles aussi sont désireuses de rejoindre l’armée bosniaque, deux sont de nationalité française sans origine arabo-musulmane. Le passeur les emmène rejoindre un autre groupe avec encore quelques Français à l’intérieur. Ils sont une quinzaine à passer la frontière en car. Dans la nuit qui suit le passage de la frontière le groupe arrive près de Mostar, ils sont pris en charge par un officier bosniaque parlant français, anglais et serbo-croate, celui-ci leur donne différentes affectations. Sans aucune connaissance du terrain, Omar est emmené avec un groupe de 4 nouveaux arrivants vers un groupe d’appui qui est en train de se former. Ce groupe sera une force de réserve et de soutien dans lequel les troupes fraiches prendront le temps de se former. La très grande majorité des volontaires ont une expérience militaire significative. Au bout d’environ un mois, un vieux général bosniaque les passe en revue. A l’issue, les nouvelles recrues sont envoyées en première ligne.
Il intègre très vite la 108e BIVB (Brigade Internationale de Volontaires Etrangers) constituée sur le modèle des Brigades internationales de la guerre d’Espagne; elle est composée quasiment intégralement de volontaires étrangers. On lui fournit l’équipement standard, un AK-47 avec 4 chargeurs et on le place directement sous les ordres d’un Français : « Gaston », ancien légionnaire, et il va au combat aux cotéx de deux autres volontaires français, Nicolas et François, au sein de son unité. Il fait également la rencontre d’un Jamaïcain, de plusieurs Britanniques et d’un Allemand. Pendant les quelques mois qu’il passe sur le terrain, il se bat presque exclusivement aux alentours de Mostar.
De 1992 à 1995, Mostar est le théâtre d’un affrontement à trois parties. Dès 1992, la ville est prise par l’armée populaire yougoslave (JNA) et les milices serbes de Bosnie. La ville est en partie reprise par les troupes du conseil de défense croate (HVO) et des forces armées croates (HOS) en juin 1992. Un modus vivendi semble s’installer entre les troupes croates et serbes, cette situation engendre diverses suppositions sur un accord secret de partage de la Bosnie entre la Croatie et la Serbie, ce qui amplifie encore le caractère de « ville martyre » de Mostar. En 1993 les nouvelles troupes de l’armée de la république de Bosnie et d’Herzégovine prennent le contrôle de la partie orientale de la ville. C’est à peu près à cette période-là qu’Omar Djellil arrive sur place.
Omar découvre l’extrême précarité dans laquelle se trouvent les troupes bosniaques : peu d’artillerie, aucun soutien aérien et un armement sommaire. Tous les jours les forces croates balaient la ligne de front d’une longue préparation d’artillerie avant de se lancer à l’assaut des positions avancées bosniaques. Omar se rappelle son casernement : un trou dans le sol assez grand pour contenir 4 ou 5 personnes avec une bache militaire pour éviter au vent de s’engouffrer dans le modeste abri : « La stratégie ? C’était simple : encaisser les coups, plier mais ne pas rompre, on n’avait pas les moyens d’en faire plus ».
Omar se souvient de la séparation de la ville par une ligne de front appelée « bulevar ». « Dans l’esprit on est proche des tranchées de la première guerre mondiale » se rappelle-t-il. Il participe à l’opération Neretva 93 en septembre 1993 du nom de cette rivière « couleur émeraude » qui l’a tant marqué. A l’issue de cette opération, les voies de communication autour de Mostar sont libérées. En mars et mai 1994 un accord est signé entre les Croates de Bosnie et le gouvernement de Bosnie-Herzégovine mettant fin aux affrontements dans la ville.
A peu près au même moment, plus de six mois après son arrivée, Omar Djellil ressent une certaine lassitude, la haine et la colère ont été ses moteurs pendant tout ce temps et il désire rentrer en France. Il passe à nouveau la frontière avec l’accord de ses supérieurs, pour arriver à Split ; de là il prend à nouveau un bateau jusqu’en Italie et rejoint la France en train.
Il admet qu’il lui a fallu plus d’un an pour se remettre de cette guerre. Il n’en a parlé à pratiquement personne durant 9 ans, il se sentait déphasé. Les semaines, les mois et les années s’écoulent et l’on oublie facilement cette guerre lointaine à la périphérie de l’Europe et pourtant dans le Nord le gang de Roubaix s’est constitué sur la base du retour de volontaires français en Bosnie. Dans le sud son ami David/Daoud s’est retrouvé impliqué dans les réseaux terroristes qui frappent la France dans les années 90.
Avec le recul Omar Djellil ne regrette rien, il n’a pas participé aux dérives de la brigade El Mudjahid et voit toujours ce conflit comme « une bonne guerre, on ne partait pas dans des délires d’égorgement ou pour poser des bombes en rentrant. Pas comme en Irak ou en Syrie où ils sont juste là pour faire les beaux et actualiser leurs statuts facebook ! ». Aujourd’hui Omar est devenu un personnage important dans sa communauté religieuse. Il prône un retour à la spiritualité, tout en se revendiquant nationaliste français. Un temps proche du Front national, il est aujourd’hui membre de l’UMP.
La France, comme les autres Etats européens, a cru pendant de longues années que les prémices du volontariat international musulman, constatés en Bosnie, n’étaient qu’un conglomérat d’actes individuels sans référence sociétale. Aujourd’hui encore devant la situation en Irak et en Syrie, avec plus d’un millier de ressortissants français engagés volontairement dans ces conflits, les pouvoirs publics refusent d’y voir un mouvement de fond. Pourtant les réseaux d’aujourd’hui sont héritiers de ceux de Bosnie et mieux les comprendre serait un bon point de départ pour envisager le problème actuel dans son ensemble.
Pascal Madonna, diplômé du Master II Histoire militaire et doctorant en Histoire au CHERPA
Très bon article ! Néanmoins, Omar Djellil n’ayant lui-même pas admis l’existence de réseaux d’acheminement de volontaires en Bosnie, comment pouvez-vous sous-tendre à la fin de votre article que les engagements que l’on constate aujourd’hui en Syrie et ailleurs ne soient pas que des « actes individuels sans référence sociétale » ?
Merci pour cet article très intéressant, l’auteur semble se spécialiser sur les volontaires. Peut on entrer en contact avec lui?
Beau travail d’analyse, mais vous brossez un portrait sympathique d’un individu qui se présente quand même comme un djihadiste… C’est tout de même pas un héros.
La vérité c k’il a rien fait du tout! Aujourd’hui il treine avec le fn.. Tou ca c des facistes
Il est pas avec le FN. Il a même jamais été je crois… Non mais il a osé y aller, il s’est battu courageusement alors critiquer juste parce qu’il était du coté des bosniaques et qu’ils étaient musulmans… Par contre je comprends pas pourquoi ce serait une leçon pour aujourd’hui à moins que ca veuille dire qu’Omar est un terroriste pour vous?
Non, il s’agit évidemment pas de qualifier Omar Djellil de terroriste mais, au contraire de comprendre que des parcours de volontaires peuvent correspondre à des logiques, à des motivations très diverses et que la question du terrorisme réduit le discours médiatique à cette seule dimension trop simpliste, y compris pour des départs en Syrie aujourd’hui.
Walter Bruyère-Ostells
Bonjour ! Cela fait plusieurs fois que je lis vos articles avec intérêt. Votre style, très journalistique selon moi, serait très apprécié au sein de la presse spécialisée telle que « Guerres et histoire ». Avez-vous déjà songé à vous faire publier dans de telles revues ?
Merci pour ce commentaire qui prouve la capacité de nos étudiants et jeunes chercheurs à se hisser au niveau d’une revue de grande qualité et rédigée par des spécialistes tout en conservant un ton pour tous les publics.
Walter Bruyère-Ostells
MCF
Merci pour tous vos commentaires, je remarque de nombreuses coquilles dans mon texte et j’en suis désolé 5 fautes dans la premier paragraphe! La joie des claviers d’ordinateur.
Pour le reste je ne considère absolument pas Omar Djellil comme un terroriste, une telle simplification est digne des journalistes LCI ou Itv, il s’est battu courageusement, j’en ai la preuve, et aujourd’hui encore il se donne du mal pour rende la ville de Marseille plus respectable.
Pour le reste le rapport entre la situation de Yougoslavie et notre situation présente est le départ massif de volontaires pour des conflits étrangers. C’est un phénomène de société : presque 500 Français en Yougoslavie dans les différents camps, plus de mille aujourd’hui en Irak ou en Syrie : est ce un hasard? Les débuts du volontariat musulman datent, pour l’époque moderne, de la Yougoslavie. Aussi si on avait fait un peu plus attention à ce précédent on n’aurait peut être pas été surpris par l’attirance de certains pour le combat dans des pays musulmans.
Une dernière précision : on peut aller se battre en Syrie ou en Irak sans être un terroriste, du moins selon moi. Il faut bien différencier les deux notions. Après tout les volontaires chrétiens au Liban n’étaient pas des terroristes.
Très bon article sur un sujet vaste et intéressant . le site étant sérieux je me permets de signaler l’erreur récurrente qui revient systématiquement sur Gaston Besson. Il était appelé de 85 à 86 au 1 er RPIMa et pris la quille.voilà ce qu’on appel une » solide expérience militaire » dans le millieu volontaire…l’objectif n’est pas de mettre en doute les qualités combattantes de chacun mais plutôt de confirmer que ce type d’unité à toujours commencée avec les moyens du bord.
Bonjour,
Je n’étais pas au courant de cet élément. Néanmoins on peut considérer, il me semble, qu’il y a une expérience militaire intéressante (pour remplacer « solide) dans un régiment de para, qui sont quand même des unités particulièrement entraînées.
Vous semblez connaître quelques éléments sur cette histoire, si vous avez des informations je suis toujours preneur, je vous laisse mon adresse e-mail [email protected]