Recension d’ouvrage
La première partie du livre retrace l’enfance de l’auteur et les difficultés de ses parents, considérés comme de « mauvais éléments » au sein de la société chinoise de Mao au temps de la révolution culturelle, leur interdisant de fait l’accession à la fonction publique et les enfermant dans un statut de paria social. Le récit des retrouvailles entre Xu Bo et ses amis d’enfance quelques quarante ans après lui permet de comparer son statut et sa place dans la société d’alors avec sa situation actuelle, se décrivant comme un « intellectuel chinois, francophone et vivant à Paris depuis huit ans (…), ancien diplomate chinois (…) commissaire de l’Expo 2010 à Shanghai et haut fonctionnaire de l’UNESCO. » Il présente, avec admiration, l’ouverture de la Chine et les réformes portées par Deng Xiaoping comme le point de départ salvateur de la nouvelle Chine, cette Chine qui par sa croissance extraordinaire et sa force démographique entend laver les affronts du passé et faire se relever sa civilisation millénaire.
Tout au long du livre, Xu BO compare la situation chinoise à la France, ce qui lui permet de mettre en avant la supériorité de son pays sur une grande majorité de domaine ; cela n’empêche pour autant pas de rapprocher les pays sur d’autres plans (coopération économique et stratégique par exemple). Malgré un éloge sans pareil de la Chine, l’auteur reste conscient des limites de la puissance chinoise et des répercussions sociales de l’extraordinaire développement économique qu’elle connaît (pollution, surpopulation, prix de l’immobilier exorbitants, inégalités croissantes …).
Supériorité chinoise et atouts du pays. Selon l’auteur, une véritable prise de conscience s’est opérée dans les hautes sphères politiques et économiques quant à la nécessité d’une « révolution verte » chinoise, dont les effets sont déjà visibles dans les grandes villes du pays (réduction de la pollution etc…). A travers son ouvrage, Xu BO insiste à de nombreuses reprises sur la « revanche » chinoise sur le monde - particulièrement occidental -, ainsi que sur l’inexorabilité de cette prédominance. L’auteur résume cette réussite chinoise par trois éléments clés : 1. « une nation qui a soif d’entreprendre ou une tolérance aux déséquilibres de revenus ; 2. Une politique pro entrepreneuriat du gouvernement ou la capacité d’innovation institutionnelle ; 3. Un terreau fécond pour l’entrepreneuriat ou la culture de tolérance à l’échec. » « L’esprit chinois » jouerait aussi un rôle de première importance dans la réussite du pays, les Chinois étant très optimiste au sujet de la mondialisation, accentuant leur investissement dans ce processus planétaire, et de fait leur réussite. Cet entrepreneuriat s’illustre particulièrement dans le génie civil et les nouvelles technologies, et entre dans une phase de production de biens à haute valeur ajoutée.[1] Xu Bo souligne aussi l’importance fondamentale de l’application WeChat -équivalent chinois de Facebook - à propos de laquelle il parle de « révolution silencieuse » : avec ses 900 millions d’utilisateurs quotidiens, elle constitue selon lui une extraordinaire plateforme de partage, d’expression, mais aussi de contestation et de participation au débat public, allant jusqu’à peser - dans certains cas - sur la décision publique. Néanmoins, seul un pouvoir fort et centralisé est en mesure d’assurer la « renaissance chinoise », la démocratie occidentale s’accompagnant d’un nombre trop important de lenteurs et d’engourdissements, portant aux pouvoirs des hommes et femmes politiciens plus que politiques.
Retards et limites du pays. Avant tout, la corruption est présentée comme un véritable fléau, touchant toutes les strates de l’administration et de la société, constituant presque un « mode de vie ». La lutte contre celle-ci est ainsi devenue une priorité du gouvernement, et des centaines de fonctionnaire sont aujourd’hui en prison. Par ailleurs, le prix de l’immobilier dans les principales villes du pays (Beijing, Shenzen …) et sa place dans l’économie nationale est fortement décriée, faisant peser une instabilité du fait de son caractère nocif et prédateur quant à l’économie réelle (45% du PIB chinois) ; participant en outre à la désagrégation des liens familiaux traditionnels du fait de l’impossibilité de trouver un logement pouvant accueillir des familles entières. Xu BO apporte aussi une nuance à la réussite entrepreneuriale en Chine : 1. Le coût de production ; 2. La marginalisation de l’industrie ; 3. La compétition dans une économie de marché plus ou moins régulée ; 4. Une relation délicate avec le gouvernement. Il critique par ailleurs les dangers d’un « capitalisme de connivence« , qu’il rapproche du problème de la corruption. Au niveau sociétal, le « vieillissement de la population et la chute libre des valeurs » concernent beaucoup l’auteur qui semble exprimer une crainte largement partagée.
Politique étrangère chinoise. Le rappel du décès du diplomate Wu Jianmin[2] est l’occasion de revenir sur les fractures au sein de la société chinoise quant aux attitudes à adopter face au monde extérieur. Xu BO oppose les « Colombes » en faveur de relations pacifiées avec le reste du monde, aux « Faucons« , belliqueux et revanchards. Par ailleurs, il parle du « piège de Thucydide« , selon lequel un affrontement serait inéluctable entre un hégémon en place (USA) et un hégémon montant (Chine), ce que le pouvoir chinois veut éviter, tout en sachant que les deux pays ne sauraient être alliés tant leurs intérêts sont contradictoires, bien que convergents, intégrés et inséparables : c’est toute la complexité de leurs relations. La Chine veut dès lors créer « une communauté d’intérêts et de destins » (cf. le projet OBOR) pour associer le plus grand nombre à sa renaissance.
Limites de l’exercice du livre. Le ton de Xu Bo, très personnel (doublé de photos personnelles reproduites en couleurs au centre du livre), fait l’effet d’une confidence au lecteur, ou du moins d’une conversation familière alors que transparaît, en réalité, une subtile entreprise de « propagande » chinoise vantant les mérites du pays et passant sous silence de nombreux travers du gouvernement et de la société. Ainsi le sort des Ouïghours musulmans, dont des centaines de milliers sont internés dans des camps de « redressement », et plus généralement des minorités ethniques, linguistiques et religieuses ; l’idéologie de la réussite avant tout ; la désagrégation de la société traditionnelle ; la surveillance policière totale et quasi-permanente de la société (reconnaissance faciale sur les caméras de surveillance) ; un contrat social violent, autoritaire, etc… L’auteur ne regarde que le bon côté de la médaille, feignant d’ignorer sa face plus obscure. Néanmoins, Xu BO témoigne d’une très bonne connaissance de la France et de l’esprit français, ce qui lui permet de charmer le lecteur à travers les termes et les formules choisies. En somme, il a compris les codes et s’en sert, mais reste parfois maladroit.
Etienne de Gail, Étudiant en Master II, promotion 2018-2019
[1] La Chine possèderait 30% des sociétés innovantes du monde et l’économie numérique représentera 35% du PIB chinois en 2020 selon McKinsey
[2] Wu Jianmin pensait en outre que le développement de la Chine ne pouvait que se faire de façon concomitante avec celui du monde, enjoignant ses étudiants à « Aimer la patrie, aimer l’humanité ».