Martin Motte, Georges-Henri Soutou, Jérôme de Lespinois, Olivier Zajec, La mesure de la force, Traité de stratégie de l’Ecole de guerre Paris, Tallandier, 2018, 415 p.
L’ouvrage, comme le sous-titre le suggère – vient compléter et enrichir le monumental traité de stratégie du regretté Hervé Coutau-Bégarie (1956-2012) qui a participé au renouvellement de la pensée stratégique française depuis un quart de siècle. Les auteurs livrent au lecteur averti comme au grand public un manuel appelé à devenir un classique. En effet l’approche pluridisciplinaire tient compte tout à la fois de l’évolution de la conflictualité depuis les années 2000 et des débats autour du recours exclusif à la technologie, pour les uns et de l’attrait, voire de la fascination, pour les « sciences sociales » (de la sociologie à …l’ethnologie), pour les autres.
L’équipe éditoriale a réussi le tour de force de présenter en 14 chapitres équilibrés et synthétiques tous les domaines de la stratégie en s’inspirant de la méthodologie adoptée par Hervé Coutau–Bégarie dans son enseignement magistral à l’Ecole de guerre. Dans un effort remarquable de pédagogie, très bien écrit et renseigné aux meilleures sources françaises et étrangères (nous renvoyons à la riche sélection bibliographique), les quatre auteurs- historiens de la stratégie et des relations internationales- s’appuient sur les principes stratégiques « de toujours » pour décrypter et analyser les conflits contemporains. Partant des éléments fondamentaux de la réflexion (stratégique) et d’un rappel opportun des principes de la guerre, les « leçons » couvrent la totalité du spectre de la stratégie comme science, méthode et art. C’est pourquoi la (re)lecture de l’Introduction à la stratégie du général André Beaufre (parue en 1963 !) est recommandée aux candidats au concours de l’Ecole de guerre -bien nommée après la parenthèse du CID-.
Ce livre important ne peut ici être résumé ; aussi faut-il se résoudre à relever quelques-unes des contributions qui abordent des sujets neufs. Deux des mises au point de Jérôme de Lespinois, complétant les exposés désormais classiques des stratégies nucléaire, aérienne et navale, retiennent plus particulièrement l’attention en raison de l’occurrence des nouvelles menaces. En effet la stratégie spatiale et la cyberstratégie, longtemps négligées par les responsables politiques, ont désormais droit de cité dans l’approche des guerres du XXIe siècle. De même, on doit à Olivier Zajec, diplômé de l’ESM et maître de conférences à l’université de Lyon 3, une contribution inédite sur l’évolution de la stratégie classique et les stratégies alternatives qui, depuis l’Afghanistan et le déclenchement de l’opération Serval, conduisent les états-majors à réviser la stratégie opérationnelle. On peut seulement regretter qu’il ne soit pas fait mention dans la présentation du djihadisme contemporain de la grande étude de Jean-Paul Charnay sur L’islam et la guerre. De la guerre juste à la révolution sainte dans la collection « Géopolitiques et stratégie ».paru en avril 1986 (annus horribilis des attentats terroristes en France !) et ignoré à l’époque par les nombreux observateurs et spécialistes du monde arabe et musulman.
En conclusion, nous ne pouvons que recommander la lecture ce manuel de référence qui devrait rapidement être mis entre les mains tant des officiers que des élites (et responsables) politiques et des décideurs économiques du pays, sans oublier le public étudiant. .Avec une pleine connaissance des enjeux-, il s’agit rien de moins – dans l’urgence-que de relever les défis « sécuritaires » du XXIe siècle et de répondre aux nouvelles menaces dans un monde multipolaire.
André-Paul Comor