Le 12 juin 2003, l’Union européenne lance une opération en Ituri, région au nord-est de la République Démocratique du Congo sous le nom « Artémis ». Répondant à un appel des Nations Unies afin de prévenir tout désastre humanitaire ou nouveau génocide dans la région des Grands Lacs, l’Union européenne saisit l’opportunité d’apparaître comme un acteur légitime du maintien de la paix en Afrique. Cette opération constitue une première étape de l’autonomisation des opérations militaires de l’EU. Deuxième mission militaire lancée dans le cadre de la PESC, Artémis va profondément structurer les modalités d’intervention européennes. Alors que l’EUFOR Concordia déployée en Macédoine à partir de mars 2003 s’inscrivait dans un partenariat UE-OTAN, Artémis renouvelle les dynamiques européennes en matière de sécurité internationale. Première mission militaire de l’UE en dehors de l’Alliance atlantique, première mission de réaction rapide, première mission militaire hors d’Europe, premier exemple d’un positionnement européen comme relais de l’action stabilisatrice des Nations Unies. Ces innovations politiques et stratégiques doivent pourtant être restituées dans le contexte dans lequel cette opération a émergé. En se fondant sur les conflictualités de la région des Grands Lacs et une distorsion des rapports de forces traditionnelles dans les relations internationales, l’UE a pu expérimenter la conduite d’opération autonome qui structurent profondément les cadres européens d’interventions militaires qui lui succèdent.
I/ Une opportunité d’action européenne
A/ Les prémisses de l’intervention européenne : la déstabilisation de la R.D.C.
Depuis le coup d’État de 1965, le Zaïre est dirigé d’une main de fer par Mobutu. Les bouleversements géopolitiques des années 90 mettent au défi la stabilité du régime. Sa légitimité nationale et internationale s’érode avec l’éloignement de la menace communiste et la vague de démocratisation en Afrique remet en question la pérennité de son pouvoir autoritaire.
La déstabilisation de la région des Grands Lacs avec la guerre civile rwandaise va considérablement accélérer la chute du régime. Le gouvernement de Mobutu noue des liens étroits avec le Hutu Power rwandais renforçant l’hostilité des groupes Tutsis zaïrois et de l’Ouganda soutenant le Front Patriotique Rwandais. La guerre et le génocide aboutissent à un afflux massif de réfugiés dans un premier temps Tutsis, puis Hutus dans les régions du Nord et Sud Kivu. Ce chaos aux frontières et les rivalités d’influence dans la région des Grands Lacs vont alors structurer une lutte entre mouvements « pro-francophones » et « pro-anglophones » dans le nord-est du Zaïre[1]. Ces bouleversements vont alors modifier les équilibres démographiques traditionnels et renforcer les antagonismes interethniques. Ces conflits larvés vont dégénérer en guerre civile lorsqu’en novembre 1996, l’administration régionale du Sud-Kivu décide de bannir les Banyamulenge[2], ethnie zaïroise apparentée aux Tutsis. Ces derniers se rebellent et renforcent la lutte anti-régime de l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila. Cette insurrection obtient rapidement le soutien du Rwanda et de l’Ouganda et parvient à faire tomber Mobutu en mai 1997, plaçant le leader de l’AFDL à la tête de la nouvellement nommée République Démocratique du Congo.
La situation n’est pourtant pas stabilisée et une nouvelle guerre éclate en 1998 lorsque L.D. Kabila décide de rompre son alliance avec le Rwanda et l’Ouganda, puissances régionales l’ayant soutenu dans son accession au pouvoir. Ces deux pays vont alors financer des groupes rebelles du nord-est de la R.D.C. afin de déstabiliser le régime et prendre le contrôle des ressources naturelles du pays. Ces rivalités géopolitiques vont s’ancrer localement sur les antagonismes interethniques. Une nouvelle guerre civile éclate alors en août 1992 et ce contexte, l’armée ougandaise occupe l’Ituri. Face à l’internationalisation du conflit et l’enjeu qu’il représente pour la stabilité de la région, les Nations Unies mettent en place une mission de maintien de la paix en R.D.C. (MONUC). Une résolution du conflit semble apparaître en septembre 2002 avec les accords de Luanda. L’armée ougandaise s’engage à quitter le territoire congolais, mais elle continue à soutenir secrètement les groupes rebelles favorables à ses intérêts dans la région.
Lorsque le retrait de ces forces devient effectif en 2003, le vide laissé par l’Ouganda aboutit au renforcement des antagonismes interethniques, et l’éclatement du conflit larvé entre Hemas et Landas, les deux principales communautés d’Ituri[3]. Les nombreuses exactions contre les populations non combattantes, la crainte de voir un nouveau génocide et le constat de l’impuissance de la MONUC poussent Kofi Anna, secrétaire de Nations Unies, à lancer un appel à la communauté internationale en mai 2003[4]. C’est donc en réponse à l’appel onusien que l’Union européenne lance l’opération Artémis le 12 juin 2003. Elle a alors pour objectif d’assurer la sécurité de la région de Bunia[5] dans l’attente d’un renforcement du mandat et des forces de la MONUC.
B/ De la défense des intérêts français à l’européanisation
La mise en place d’une opération européenne en R.D.C. ne peut s’appréhender sans tenir compte des intérêts européens dans la région et plus particulièrement ceux de la nation ayant eu un rôle moteur dans l’établissement d’Artémis, la France.
Durant de longues années, le Zaïre, bien que suscitant la convoitise pour ses richesses, fut marginalisé à cause des dérives de son leader. L’éclatement de la guerre civile au Rwanda a réactivé les liens franco-zaïrois. A partir d’octobre 1990, le mouvement Tutsi du FPR soutenu et organisé depuis l’Ouganda lance une rébellion contre le régime Hutu de Kigali. La France ne souhaitant pas voir son influence décliner au Rwanda et les antagonismes zaïro-ougandais vont aboutir à une convergence d’intérêt entre Paris et le régime de Kinshasa, rétablissant des liens forts entre les deux pays. Un axe Paris-Kinshasa-Kigali va alors se former, s’appuyant sur les Hutus et favorisant notamment l’émergence du Hutu Power[6]. Les atrocités commises par ces derniers d’avril à juillet 1994 vont conduire au discrédit total des alliés de la France dans la région des Grands Lacs et à la prise du pouvoir du FPR à Kigali, avec le soutien américain et ougandais. Ce revirement géopolitique est alors perçu comme un danger pour Mobutu et la France. Le premier, voit la consécration de son rival à ses frontières-est et Paris voit son influence considérablement démunie dans la région. Les velléités contradictoires pour conserver une influence et un accès privilégier aux ressources naturelles du Nord-Est zaïrois, cette région se retrouve cœur d’une lutte entre un axe-francophone (France-Zaïre) et un axe anglophone (Ouganda-Etats-Unis-Rwanda [FPR]).
La prise du pouvoir par Kabila en 1997, avec les soutiens ougandais et rwandais, apparaît comme un véritable triomphe des intérêts anglophones sur la R.D.C.. Ce positionnement congolais sera pourtant de courte de durée, Kabila renverse ses alliances et la France retrouve rapidement son influence sur Kinshasa. L’exacerbation de ces rivalités se déclenche alors une nouvelle guerre civile au Nord-Est de la R.D.C.. Les violences en Ituri (à la frontière ougandaise), bien que structurées sur des bases ethniques, s’inscrivent plus largement dans cet affrontement entre anglophones et francophones. La dégradation des conditions de vie de la population civile et l’appel de Kofi Annan en mai 2003 sont alors une opportunité pour la France de consolider définitivement son influence dans le pays et plus particulièrement dans une région riche en ressources et sur laquelle Kinshasa a peine à asseoir son autorité.
La France a alors un véritable intérêt stratégique à intervenir en Ituri, et c’est sur sa capacité à mobiliser les États de l’UE que l’Opération Artémis va se mettre en place. Paris cherche à retrouver une légitimité dans la région des Grands Lacs après le désastre rwandais et ne peut pas intervenir seul. Le « label onusien » lui permet de se reconstruire une position acceptable en Afrique et l’Union européenne, qui en quête d’extension et de volontarisme politique, apparaît alors comme un cadre d’intervention original et pertinent dans des missions de maintien de la paix.
II/ La construction d’une opération novatrice
A/ La mise en place d’un politique autonome
L’opération Artémis se construit alors comme une véritable opération européenne. Son originalité tient principalement du fait qu’elle s’éloigne du cadre Berlin-Plus de 1999 mettant les moyens de l’OTAN à la disposition de la PSDC. Cette distanciation de l’alliance atlantique s’explique en grande partie par la résistance traditionnelle des États-Unis à intervenir sur le continent africain, mais également par les divergences d’intérêts français et américains sur les dossiers des Grands Lacs. C’est donc en partie le contexte politique de l’intervention, plus qu’un volontarisme européen, qui fonde la principale originalité de l’opération.
L’Union européenne témoigne également de sa faculté à mobiliser ses institutions et les Etats-Membres pour pallier une situation humanitaire critique. Dans cette perspective, la prouesse de l’opération Artémis tient dans la rapidité du processus de décision et de déploiement des forces en Ituri. C’est moins d’un mois après l’appel de Kofi Annan à une intervention pour pallier aux défaillances de la MONUC à Bunia que l’opération est lancée. Au-delà de la légitimité de son action par son mandat onusien, l’UE va également renforcer sa position de médiateur par le mutisme des États-Unis sur cette question et sa volonté manifeste de ne pas intervenir en Afrique[7]. Cette position motivée par la frilosité traditionnelle du pays à intervenir sur ce continent, le traumatisme du Faucon Noir en 1993 à Mogadiscio et le bourbier irakien, permet à l’Union européenne de trouver une place et une résonnance accrue auprès de la communauté internationale.
La décision de l’Union européenne d’intervenir militairement en R.D.C. est également permise par la souplesse du cadre juridique et institutionnel dans lequel elle s’inscrit. Le volontarisme politique de l’UE favorise la signature d’un accord européen « a minima ». L’impulsion politico-militaire est bien juridiquement issue des institutions européennes, mais la cadre de l’opération laisse une grande liberté aux États en basant le soutien et l’effort militaire sur le volontariat. La mission est largement dominée par la France, suivie du Royaume-Uni et se déroule sans la participation de nombreux pays de l’Union comme le Danemark[8], qui a posé son veto sur la décision d’action commune 2003/423/PESC. Le triptyque action commune — volontés gouvernementales — leadership de la « nation-cadre » permet à l’UE d’avoir une structure assez souple et une liberté d’action des différents États favorisant la mise en place d’une intervention commune.
B/ Le test de la chaîne de décision et de commandement européen
L’opération Artémis apparaît comme un véritable test de la capacité d’intervention et de réaction rapide de l’Union européenne. L’UE a trouvé une solution relativement rapide pour combler provisoirement les défaillances de la MONUC entre l’appel de Kofi Annan pour une intervention en Ituri à la mi-mai 2003, la résolution 1484 du Conseil de Sécurité autorisant le déploiement d’une force international pour rétablir la sécurité à Bunia le 30 mai, la décision du Conseil de l’UE d’intervenir le 5 juin et enfin le début effectif de l’opération le 12 juin. En moins d’un mois, l’Union européenne et les États membres ont su trouver un accord pour pallier une crise humanitaire à plus de 6000 kilomètres de Bruxelles et à endosser la posture d’acteur crédible pour assurer le maintien de paix sur le continent africain.
Au-delà de la chaîne politique de décision, Artémis fut également le laboratoire d’une conduite opérationnelle à l’échelle européenne. L’opération se structure dans une logique relativement asymétrique. Les États ne disposent alors pas des mêmes pouvoirs dans le déroulement de la mission. La France, « nation-cadre », dispose de prérogatives spéciales dans la conduite des opérations et le commandement intégré de l’Union européenne. Ce rôle particulier est lié à l’impulsion originelle de la France dans le déroulement de l’opération et est motivé par un souci d’efficacité lié aux intérêts profonds de la nation-cadre sur le théâtre du conflit[9]. Ainsi au niveau politico-militaire, c’est le Comité Politique de Sécurité (CoPS), structure intégrée, qui exerce le contrôle politique, définit les orientations stratégiques de l’opération, agit et rend compte au Conseil. Le comité militaire de l’UE est chargé de l’exécution de l’opération. Le niveau stratégique est quant à lui davantage centré autour de la nation-cadre. Le quartier général de l’opération (QGO) est à Paris avec le général Neveux à sa tête et la France à elle seule représente 60 % de ses effectifs[10].
En ne mobilisant pas les moyens de l’OTAN, l’Union européenne a également mis à l’épreuve la capacité des différents États à mobiliser leurs ressources militaires et à coopérer. Sur le plan opérationnel, Artémis apparaît comme une réussite. Les difficultés logistiques ont pu être surmontées avec un relatif succès malgré les contraintes liées à la distance entre les centres de décision et les zones de déploiement et un déficit de matériel logistique. La rapidité du déploiement et la réactivité de l’UE sont largement dues à la possibilité de déployer les troupes sur le sol tchadien et ougandais. Ces accords pour le stationnement d’unités intereuropéennes sont des extensions d’accords bilatéraux préexistants signés entre la France et ces deux pays. Malgré ces efforts, la coopération européenne a également affiché certaines limites notamment en matière de partage de renseignement par la persistance de cultures militaires différentes ou le manque de standardisation des modes de communication[11].
III/ Quelle postérité dans la politique européenne de défense ?
A/ Les limites de l’autonomie
La qualification de cette opération peut prêter à certains questionnements. Si juridiquement, Artémis s’inscrit dans le cadre européen au titre de la PESC, son déroulement et la conduite de la mission pourraient laisser penser qu’il s’agirait d’une forme d’opération française « européanisée ». Par ses intérêts en R.D.C. et sa capacité à mobiliser les pays européens autour de la question de l’Ituri, la France a eu un rôle considérable autant dans la préparation que la conduite de l’opération Artémis. En amont de la décision finale du Conseil européen sur l’intervention, la France à mis en place partir du 20 mai 2003 une mission de reconnaissance en R.D.C. afin d’obtenir du renseignement pour mener à bien la future opération européenne. Cette mission, nommée « Mamba Noir », menée par douze hommes de la marine française, donne une première légitimité politique et militaire à la France dans l’opération Artémis[12]. Le statut de Nation-Cadre donne un pouvoir considérable à la France par rapport aux autres nations et institutions européennes. Si, comme vu précédemment, on remarque une distinction entre la direction européenne de l’échelle politico-militaire, et une domination française de l’échelon stratégique, sur le terrain, les niveaux opératif et tactique sont également largement contrôlés par la France. 85 % des militaires déployés sont français[13] et le quartier Général de la force basée à Entebbé, tout comme la base de N’Djamena où sont positionnés des soldats d’Artémis, sont des extensions d’accords de coopération militaire bilatéraux français.
Le caractère européen pourrait également être nuancé au regard de l’investissement des pays de l’UE dans cette mission. La France fournit la grande majorité du personnel et des moyens techniques, avec un soutien significatif du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la Suède[14]. Mais fondée sur le volontarisme des États, on constate une très forte disparité des moyens alloués dans cette opération. Dès lors, si l’impulsion institutionnelle vient bien des structures étatiques, la conduite de l’opération est surtout le fait des principales puissances militaires de la région et ne renouvelle donc pas profondément la nature des dynamiques européennes en matière de défense. Le véto danois constitue l’exemple le plus probant de l’extrême souplesse avec laquelle les structures supranationales de l’UE se sont accommodées d’intérêts nationaux parfois opposés.
B/ Artémis : un modèle européen d’intervention militaire ?
L’année 2003 apparaît comme le véritable point de départ de la mise en place d’opérations militaires par l’Union européenne, avec une stabilisation des cadres juridiques et des modalités d’intervention, par l’EUFOR Concordia et l’Opération Artémis. Ces deux opérations apparaissent alors comme des plans directeurs pour les missions suivantes et vont profondément modeler la vision stratégique de l’Union européenne.
La première interrogation sur les opérations militaires européennes porte sur leur cadre d’intervention et surtout « avec qui ? ». Si Concordia se structurait dans une démarche otanienne avec les accords « Berlin-Plus », les logiques opérationnelles européennes se sont progressivement distanciées de l’influence américaine. L’EUFOR Althea en Bosnie-Herzégovine lancée en 2004 est la seconde et dernière mission militaire de la PESC s’inscrivant dans ces accords. À l’instar d’Artémis, les opérations qui l’ont succédée ont largement conservé la légitimité onusienne pour faire de l’UE une force de médiation internationale. Ainsi de nombreuses opérations européennes se sont fondées sur une assistance aux forces de maintien de la paix déjà mandatées par l’ONU. Dès 2006, une nouvelle opération européenne est lancée en R.D.C.. L’EUFOR Congo est alors à nouveau une force provisoire en vue d’un nouvel élargissement du mandat de la MONUC. L’EUFOR Tchad/RCA s’inscrit également dans cette logique de coopération avec la MINURCAT.
L’opération Artémis a également permis l’extension géographique du domaine d’intervention de l’UE. Elle rompt avec les logiques précédentes qui faisaient de l’UE un acteur continental pour lui conférer un caractère global. Cette extension du périmètre d’action européen est pourtant liée à la proximité des enjeux et des intérêts stratégiques liant le continent aux zones de déploiement. L’UE n’est donc pas un nécessairement un acteur voué à intervenir dans le monde entier. Avec Artémis elle a su s’insérer dans une fenêtre d’opportunité pour apparaître comme un nouvel acteur légitime en Afrique par la réticence des États-Unis ou d’autres puissances militaires, comme la France, à intervenir seule sur ces théâtres.Cette opération a alors préfiguré une forme de spécialisation européenne sur le continent africain. Depuis la fin d’Artémis, onze des douze opérations militaires établies dans la cadre de la PESC se sont déroulées sur le continent africain, l’exception étant l’EUFOR Althea.
La logique militaire européenne actuelle reste encore largement dominée par les orientations établies depuis 2003 avec l’Opération Artémis. L’UE peut choisir d’engager des forces armées sur un terrain selon une logique de coopération ou de sécurisation en appuis à des politiques de stabilisation préexistantes. L’UE n’a pas encore dépassé cette logique pour mettre en place de véritables partenariats et développer des intérêts stratégiques qui lui sont propres. La logique d’intervention européenne reste comprimée entre les visions nationales et le cadre onusien.
Conclusion
La mise en place de l’Opération Artémis découle d’une combinaison des facteurs structurels et conjoncturels. C’est d’une part le renouvellement du contexte géopolitique avec une hausse des contestations contre la puissance et l’interventionnisme américain que l’Union européenne trouve sa place comme acteur de maintien de la paix et se distancie des accords « Berlin Plus ». Cet enjeu global est également associé à la situation régionale de l’Afrique des Grands Lacs et locale, autour de Bunia. C’est à ces deux échelles que le jeu des différents acteurs européens (institutions intégrées et États) apparaît. L’européanisation de la mission peut alors apparaître davantage comme un succès français à faire valoir sa position et à mobiliser ses alliés continentaux qu’une réelle évolution de la doctrine européenne de défense.
L’UE intervient en Ituri, à la suite d’un appel des Nations Unies, avec un mandat onusien bien défini. Les forces d’Artémis conduisent une opération de maintien de la paix en relais de la MONUC et dans l’attente de la révision du mandat de cette dernière.
La mission s’est donc fondée sur des cadres juridiques européens, mais ces derniers ont fait preuve d’une grande souplesse afin de ne pas entraver une dynamique volontariste et laisser la situation humanitaire se dégrader. Cette logique a permis une meilleure efficacité sur le terrain, mais également de concilier des intérêts parfois contradictoires entre les différents pays européens sur les dossiers d’Afrique Australe. L’adhésion, la participation et le degré d’investissement des États restent à leur discrétion.
L’opération Artémis est une forme de laboratoire de la chaîne de commandement, de la capacité de réaction politique et opérationnelle de l’UE. En étant la première véritable opération autonome européenne, son organisation et ses modalités modèlent profondément les interventions qui lui succèdent. L’UE apparaît comme un nouvel acteur récurant et un relais des Nations Unies, de stabilisation de situations conflictuelles et de maintien de la paix sur les continents européen et africain.
[1] Istvan Türke, Andras. « L’opération Artémis en République Démocratique du Congo – La gestion de crise de l’Union européenne et de l’ONU en Ituri, dans le contexte des conflits de la région des Grands Lacs en 2003 », CERPESC Analyses, 21 janvier 2008 – version améliorée en 2014. P.11
[2] Istvan Türke, Andras, Op. cit. p. 13
[3] Gegout, Catherine. ‘Causes and Consequences of the EU’s Military Intervention in the Democratic Republic of Congo: A realist Explanation,’ European Foreign Affairs Review 10: 2005, p.436
[4] Loisel, Sébastien. « Les leçons d’Artémis : vers une approche européenne de la gestion militaire des crises ? », Les Champs de Mars, vol. 16, no. 2, 2004, p102
[5] Capitale de l’Ituri
[6] Istvan Türke, Andras, Op. cit. p. 7
[7] Loisel, Sébastien. Op. Cit. p110
[8] Istvan Türke, Andras, Op. cit. p. 29
[9] Vahlas, Alexis, Op. Cit. p.268
[10] Istvan Türke, Andras, Op. cit. p.27 – 28
[11] Ibid. p.39
[12] Ibid. P21
[13] Alexis Vahlas, P.268
[14] Gegout, Catherine. Op. Cit. p.438