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Nous avons gagné une bataille, pas la guerre

22 mai
Vous pouvez retrouver mon dernier billet sur le Huffington Post sur la situation de la menace djihadiste dans l’ensemble Maghreb-Sahel en cliquant ici  http://www.huffingtonpost.fr/../../walter bruyeres ostells/islamisme-en-tunisie_b_3313060.html 

Al-QAÏDA ETAT DES LIEUX (3) : Al-Qaïda et les Printemps arabes

7 fév

Troisième et dernière partie de cet état des lieux dressé par Romains Sens, diplômé du Master II en 2012 :

Avec le suicide de Mohamed Bouazizi, en Tunisie, le 17 décembre 2010, s’est déclenché un vaste mouvement de révolte dans de nombreux pays du monde arabe auquel on a donné le nom de Printemps arabes. La principale conséquence de ces révolutions a été le départ de quatre dictateurs arabes avec la fuite de Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie, l’abandon du pouvoir par Ali Abdallah Saleh au Yémen, l’arrestation de Hosni Moubarak en Egypte et la mort de Mouammar Kadhafi en Libye. En parallèle, a éclatée une guerre civile en Syrie au sein de laquelle les opposants majoritairement sunnites cherchent à renverser le pouvoir du régime alaouite de Bachar Al-Assad. La Tunisie et l’Egypte ont connu pour leur part des révolutions populaires rapides rassemblant la très grande majorité de la population contre le régime en place. Emblématiques des Printemps arabes, elles ont laissé place à des élections réellement démocratiques (au sens ou une majorité des citoyens a pu choisir librement ses dirigeants lors d’un scrutin au suffrage universel) dont le principal enseignement a été la prise de pouvoir de façon incontestable et légale des islamistes issus de la mouvance des Frères Musulmans. Ennahda en Tunisie et le parti Droit et Justice en Egypte sont en effet directement issus de la confrérie religieuse et respectent  la doctrine édictée par Sayyid Qotb. Contrairement aux salafistes djihadistes, ces « islamistes modérés » choisissent la voie de la démocratie, de la séduction populaire par un activisme social à caractère religieux et in fine de la mise en place progressive des préceptes de la Charia de façon constitutionnelle. Cette manière « douce » de prise du pouvoir islamiste est actuellement en train de se réaliser dans ces pays et les Frères Musulmans s’engouffrent avec succès dans les brèches démocratiques ouvertes dans les régimes autoritaires encore en place comme au Maroc.

La stratégie d’Al-Qaïda, son discours radical et sa méthode violente de prise du pouvoir par la seule voie des armes et l’application de la Charia non pas du fait d’une consultation populaire mais de la seule volonté de Dieu, est antagoniste de celle des Frères musulmans. Les succès de ces derniers ont conduit  beaucoup d’observateurs à estimer qu’Al-Qaïda allait perdre beaucoup d’influence sur la jeunesse pauvre des pays arabes : à ce jour, rien ne permet de conforter cette hypothèse. Même sans être forcément lié à Al-Qaïda, l’islamisme radical principalement salafiste reste en plein essor dans nombre de ces pays. Et la bannière d’Al-Qaïda (le drapeau noir frappé de la Chahâda) est toujours brandie dans la plupart des pays qui ont connu ces révolutions.

 

Yémen, Tunisie, Egypte

Au Yémen, AQPA était déjà présente avant la révolution qui a mis fin au pouvoir d’Ali Abdallah Saleh. Cependant, elle réussit à exploiter militairement l’instabilité causée par les manifestations qui paralysent Sanaa et le pouvoir central. Sur la défensive actuellement elle persiste à mener une campagne d’attentats terroristes visant les forces de sécurité comme les infrastructures pétrolières du pays.

En Tunisie, pays dans lequel l’islamisme radical et le djihadisme étaient inexistants sous le régime de Ben Ali (hormis lors de l’attentat contre la synagogue de Djerba en 2002), l’arrivée au pouvoir d’Ennahda a permis de changer la donne. Le salafisme violent a subitement émergé s’en prenant aux institutions, aux forces de sécurité et plus globalement à tous ceux accusés de ne pas respecter les préceptes du Coran. Cette opposition violente au régime « islamiste modéré » a connu son acmé lors de l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis le 14 septembre 2012 par des membres du groupe salafiste Ansar ach’ Charia (dont le leader est actuellement en fuite). Plus récemment, des signes d’une infiltration de combattants djihadistes venus de Libye pour déstabiliser une Tunisie déjà très éruptive sont apparus. A plusieurs reprises des combats survenus entre forces de sécurité et groupes djihadistes arrêtés avec d’importants stocks d’armes et de munitions dans le sud du pays ont montré que la Tunisie restait une cible pour le djihad. Cependant le nouveau régime arrive pour le moment à maintenir un ordre relatif sur son territoire.

En Egypte, berceau des Frères Musulmans et pays de Sayyid Qutb (mais aussi du chef d’Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri), la confrérie islamiste a conquis le pouvoir démocratiquement lors des dernières consultations populaires même si son pouvoir reste très contesté par les opposants libéraux qui avaient largement contribué à la chute de Moubarak. Comme en Tunisie, les « islamistes modérés » au pouvoir sont concurrencés dans les urnes et dans la rue par la mouvance salafiste. Les excès de celle-ci permettent aux Frères Musulmans de renforcer l’islamisation de la société sans susciter l’opprobre et leur assure un statut de garant de la stabilité face au « chaos salafiste ».

Si Al-Qaïda n’a jamais été présent en force sur le sol égyptien du temps de l’ancien régime malgré plusieurs attentats visant les touristes occidentaux, des groupes djihadistes affiliés à la nébuleuse terroriste tentent de s’infiltrer parmi les tribus de bédouins du Sinaï pour s’en prendre directement à Israël. Déjà en août 2011 des djihadistes venus du Sinaï avaient pénétré en Israël et tendu une embuscade tuant 8 israéliens dont un soldat et un policier. Un an plus tard en août 2012, un groupe similaire s’empare du poste frontière égyptien de Rafah tuant 16 policiers égyptiens, puis prend possession de deux véhicules blindés et attaque la frontière israélienne. Israël décime la totalité du groupe par un bombardement aérien. Israël entreprend la construction d’une nouvelle clôture de sécurité à sa frontière avec le Sinaï et demande à l’Etat égyptien de prendre des mesures. Celui-ci envoie alors de nombreuses forces militaires équipées de chars lourds et d’hélicoptères de combat affronter les djihadistes dans le Sinaï, notamment dans la ville d’El Arich.  Les djihadistes sont actuellement en fuite dans la région.

 

L’utilisation des djihadistes en Libye.

En Libye, la guerre civile de 2011 qui prit fin avec la mort du colonel Kadhafi a vu de nombreux groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda revenir sur le devant de la scène libyenne de laquelle ils avaient disparu  sous l’ancien régime. Le plus frappant est que nombre d’entre eux ont été directement soutenus par les Etats-Unis pour contribuer à la chute de Kadhafi. L’exemple le plus emblématique est le cas d’Abdelhakim Belhadj. Ce djihadiste libyen, vétéran de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan a ensuite combattu directement les forces américaines dans les rangs d’Al-Qaïda aux côtés d’Abou Moussab Al-Zarkaoui en Irak. Arrêté ensuite par la CIA en Malaisie, il est livré aux renseignements libyens qui le relâchent en 2009 lors d’une amnistie générale. Dès le début de l’insurrection contre Kadhafi, il rejoint le Qatar où il sera appelé  à prendre le commandement de la « brigade du 17 février » sur le front libyen.  Cette brigade, armée et formée par la France et les Emirats Arabes Unis, devient l’une des plus performantes au combat contre l’armée libyenne. Du 20 au 28 août 2011, elle s’empare des principaux lieux de pouvoir à Tripoli et met en fuite le dictateur. Son efficacité militaire au combat lui donne une place de choix sur la scène politico-militaire post-régime. Abelhakim Belhadj, authentique djihadiste et vétéran d’Al-Qaïda, devient alors gouverneur militaire de Tripoli.

Outre le fait que l’islamisme politique n’a pas connu la même victoire dans les urnes qu’en Tunisie ou en Egypte et que les arsenaux de Kadhafi ont été pillés par de multiples bandes armées qui essaiment notamment dans la région du Sahel, la Libye peut inquiéter à plus d’un titre. Si Al-Qaïda en tant que telle n’est pour le moment pas présente en Libye, plusieurs groupes armés se revendiquant du djihad mondial montent en puissance, profitant de l’instabilité chronique que connaît le pays. La ville de Benghazi notamment, cité qui a été sauvée in extremis par les bombardiers français d’un massacre annoncé par Kadhafi, est en train de devenir un lieu de regroupement de tous les djihadistes de la région. Déjà l’assaut mené par des terroristes islamistes sur le consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012 (mort de l’ambassadeur américain et de trois de ses gardes du corps ainsi que l’incendie du bâtiment) était révélateur de l’importance que le djihadisme anti-américain d’Al-Qaïda prenait dans la région. Mais la situation n’a cessé de se dégrader depuis et les bâtiments officiels comme les policiers ou militaires libyens sont constamment attaqués lors d’embuscades par ces mêmes groupes djihadistes. Le danger est devenu tel que Londres et Paris (pourtant les principaux « sauveurs » de la ville) demandent à leurs ressortissants d’éviter la ville. Il apparaît donc de plus en plus que la Libye et Benghazi sont en voie de « sanctuarisation » pour la nébuleuse djihadiste (Ansar el-Charia par exemple).

 

La montée en puissance du Jahbat Al-Nusra dans la guerre civile syrienne

Dernière en date des Printemps arabes, la révolution en Syrie s’est transformée en une sanglante guerre civile dont l’ONU estime qu’elle a pu faire au minimum 60 000 morts. D’un mouvement de protestation pacifique et populaire en mars 2011 elle est devenue une guerre civile et une guérilla sur l’ensemble du territoire syrien. Le régime est opposé à une contestation des sunnites qui constituent le groupe majoritaire en Syrie. Il  bénéficie du soutien des minorités alaouites, chrétiennes, druzes et sur une neutralité des Kurdes auxquels il a abandonné le Kurdistan syrien (toutefois certains membres des minorités sont hostiles au régime tandis que certains sunnites, notamment issus de la bourgeoisie, souhaitent le maintien du régime par souci de stabilité).

Lorsque la contestation est devenue rébellion et s’est militarisée, la plupart des rebelles étaient des déserteurs ou des civils qui rejoignaient l’Armée Syrienne Libre, dirigée par Rifaat Al-Assad. Elle bénéficie du soutien du Conseil National Syrien. Cette instance représentative de l’opposition au sein de laquelle les Frères Musulmans syriens sont majoritaires est reconnue par nombre de puissances étrangères (notamment la France) comme seul gouvernement légitime de Syrie. Au long de près de deux années de combats, l’ASL a semblé très peu centralisée et divisée, n’assurant pas ou peu de coordination entre ses différentes brigades et surtout laissant ses membres s’adonner au pillage chez des civils déjà appauvris par la guerre. De plus, nombre des brigades autonomes de l’ASL se sont révélées être guidées par un islamisme radical, proche du salafisme, comme les combattants de la meilleure brigade de l’ASL, la brigade Al Tawhid qui combat dans la région d’Alep. En fait, l’ASL ne dispose pas d’armements performants, ses combattants sont indisciplinés et peu aguerris. La ville de Homs, dont l’ASL avait fait la « capitale de la révolution », a été presque totalement reprise par le régime et l’ASL ne détient plus que quelques quartiers.

Les faiblesses de l’ASL contribuent à expliquer l’émergence d’une nouvelle force militaire, alimentée depuis l’étrangers par l’afflux de djihadistes. Ironie de l’histoire, alors que Bachar Al-Assad avait ouvert ses frontières aux djihadistes d’Al-Qaïda pour aller combattre les troupes américaines en Irak, c’est désormais d’Irak que sont venus de nombreux combattants de l’Etat Islamique d’Irak en franchissant la frontière syrienne dans le sens inverse. Ces vétérans du djihad, possédant une expérience d’une décennie de combats contre la plus puissante armée du monde, ont vu dans le chaos syrien une opportunité de remporter enfin des victoires militaires tactiques sur une armée syrienne affaiblie. Recrutant les nombreux « mercenaires du djihad » venus faire le coup de feu en Syrie et qui s’entraînaient au combat en 2011, ils ont formé à la fin de l’année 2011, un groupe militaire combattant sur le front tout en pratiquant le terrorisme et dont les objectifs sont purement religieux.

Ils officialisent ce groupe sur internet début janvier 2012 en lui donnant le nom de Jabhat Al-Nusra (Front de la Victoire). Leur chef est un syrien dont le nom de guerre est Abou Mohammad Al-Jolani. Son véritable nom serait en fait Souleyman Khaled Derwich. Il serait né dans une famille de la banlieue sud de Damas, originaire du plateau du Golan, aurait 36 ans et aurait reçu sa formation de combattant en 1999 en Afghanistan où il aurait rencontré Abou Moussab Al-Zarkaoui. Aux côtés de ce dernier il aurait combattu en Irak tout au long de l’occupation américaine pour ensuite prendre la tête du djihad en Syrie.

Le Jabhat Al-Nusra a connu une spectaculaire montée en puissance tout au long de l’année 2012. Il revendique aujourd’hui 20 000 combattants. Beaucoup sont Syriens mais de nombreux membres proviennent du monde entier, d’Irak, de Turquie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh, de Tchétchénie, d’Algérie, de Tunisie, de Libye, mais aussi du Canada, de Belgique et probablement d’autres pays d’Europe. Son financement proviendrait, au moins en partie, du Golfe Persique et notamment du Qatar qui n’hésite pas à subventionner les groupes combattants qui se montrent efficaces au combat.  Si ses membres avaient déjà commis des attentats-suicides et des attentats à la voiture piégée en 2011 ils ont renforcé ce mode opératoire en 2012 recréant ainsi les mêmes schémas qu’en Irak. De plus, alors qu’ils ne prenaient pas part aux combats dans un premier temps, préférant s’entrainer et se renforcer, ils ont commencé dans le courant de l’année 2012 et notamment durant les grandes offensives rebelles de l’été sur Damas et Alep à monter en première ligne sur le front. Depuis, les membres du Jahbat Al-Nusra sont systématiquement impliqués dans les combats contre l’armée syrienne. Et leur efficacité au combat semble largement dépasser celles des brigades de l’armée syrienne libre. A tel point que les djihadistes d’Al-Nusra se permettent de lancer seuls ou aux côtés d’autres groupes djihadistes  des attaques majeures sur des sites sensibles et d’y remporter des victoires tactiques comme la prise de la base aérienne de Taftanaz le 11 janvier 2013. A Alep, l’un des fronts principaux des combats en Syrie, ils sont en passe de supplanter l’ASL dans les quartiers aux mains des rebelles. Leur discipline, leur bravoure au combat et leur comportement vis-à-vis des populations les distinguent des autres rebelles. Cet ensemble assure ainsi au Jabhat Al-Nusra une popularité certaine auprès des sunnites syriens.

Cependant, leur force militaire s’accompagne d’une grande violence voire d’une cruauté particulière qui rappelle les méthodes d’Al-Zarkaoui. Ainsi Al-Nusra a pour principe de ne jamais faire de prisonniers. Tous les soldats, policiers, chabihas, agents du régime qui tombent vivants entre leurs mains sont systématiquement exécutés. De nombreuses vidéos sont diffusées par leurs soins sur internet où il est possible de les voir procéder à de multiples exécutions et décapitations de prisonniers. Dans les provinces d’Alep et d’Idleb, ils ont décrété des émirats islamiques dans lesquels ils imposent la Charia à tous les habitants (et notamment pour les femmes).

Malgré leur efficacité militaire, il est possible que leur radicalité ostentatoire leur porte préjudice le moment venu. Ils ont tout d’abord commencé à s’en prendre aux Kurdes, accusés de « jouer le jeu de Bachar » en ne le combattant pas frontalement. Depuis plusieurs semaines de féroces combats font rage à la frontière que partage la Turquie avec le Kurdistan syrien. La ville frontière kurde de Ras Al-Aïn est l’enjeu d’une lutte entre le Jahbat Al-Nusra et les combattants kurdes du PYD qui la défendent âprement. Les djihadistes démontrent qu’ils sont désormais en possession d’armes lourdes, ce qui est pour eux inédit. Il reste qu’en ouvrant un nouveau front contre les Kurdes, ils divisent leurs forces et font le jeu du régime en place.

Le régime d’ailleurs se satisfait de cette montée en puissance d’Al-Nusra qui lui permet d’asseoir sa propagande selon laquelle il se bat depuis le début contre des bandes terroristes. Ainsi, le Jahbat Al-Nusra pourraient être contre toute attente les sauveurs du régime de Bachar Al-Assad. En effet, lorsque la coalition politique du CNS affirma vouloir un changement de régime au profit de l’instauration d’une démocratie en Syrie, le Jahbat Al-Nusra et ses alliés djihadistes ont totalement rejeté une telle éventualité affirmant qu’ils se battaient pour l’édification d’un « Etat Islamique juste » ou la Charia tiendrait lieu de constitution et ou les non-sunnites n’auraient pas leur place. Face à ces revendications et aux nombreux attentats commis par le groupe, les Etats-Unis ont décidé en décembre de placer le Jahbat Al-Nusra sur la liste des organisations terroristes, l’affiliant à Al-Qaïda. Dans l’éventualité d’une défaite du régime de Bachar Al-Assad face au Jahbat Al-Nosra, ce groupe en lien avec la nébuleuse Al-Qaïda se retrouverait alors à la frontière du Golan, lui permettant enfin d’attaquer frontalement Israël. Il est possible d’envisager que les Etats-Unis mise sur un pourrissement de la situation, laissant le meilleur allié de l’Iran aux prises avec une guerre civile qui lui interdit toute attaque contre Israël. Cette situation conduit également les djihadistes d’Al-Qaïda à mourir par milliers sous les bombes du régime.

Pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, la nébuleuse Al-Qaïda  se trouve en Syrie en position de se déployer et de donner libre cours à sa violence et son fanatisme sans être opposé aux Etats-Unis, ou à l’un de leurs alliés, mais au contraire dans l’optique de combattre un ennemi de l’Amérique. La conséquence immédiate est une montée en puissance d’Al-Qaïda, un afflux significatif de djihadistes depuis le front afghan contre les Soviétiques, des effectifs d’une ampleur jamais atteinte en dehors de celle de ses alliés talibans, un armement lourd qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de posséder auparavant et de réelles victoires tactiques au combat. Il est certain qu’elles seront mythifiées par une propagande djihadiste appelée à se développer. La nébuleuse djihadiste internationale se bat en Syrie pour un nouveau sanctuaire et rien ne permet d’écarter l’hypothèse qu’elle l’arrache.

 

Malgré la mort de son chef, la perte de son sanctuaire afghan et l’affaiblissement de sa direction centrale, Al-Qaïda a su s’adapter habilement à la « guerre totale contre le terrorisme » déclarée par les Etats-Unis le 11 septembre 2001. En se réfugiant dans les zones tribales pakistanaises, en développant un système de franchises régionales et tirant partie de la déstabilisation provoquée des révolutions arabes, la nébuleuse Al-Qaïda est parvenu à conserver son statut de principal moteur du djihad mondial et une capacité de nuisance toujours effective. Si elle s’est profondément transformée et si elle n’est plus capable d’effectuer des attentats majeurs comme la destruction du Word Trade Center, elle conserve une grande influence au sein du monde arabo-musulman. Loin d’être détruite, Al-Qaïda peut toujours se targuer de susciter une adhésion grandissante à son idéal djihadiste.

L’intervention militaire au Mali. Première étape d’une résolution de la crise à l’échelle régionale ?

13 jan

Les circulations de groupes combattants dans la région a permis de faire de l’Azawad un nouveau point de fixation pour les activistes d’AQMI. La branche qui se revendique d’Al-Qaeda peut compter sur ses alliés salafistes d’Ansar Dine, groupuscule armé créé en décembre 2011 et dirigé par Iyad ag-Ghali sur le Mujao. La conquête des villes du Nord (Tombouctou, Kidal et Gao notamment) a souvent été opérée par Ansar Dine. Ce groupe s’est rapidement imposé au groupe touareg indépendantiste mais laïcisant, le MNLA, comme le prouvent les destructions des mausolées de Tombouctou par ses combattants à l’été 2012. Le chef d’Ansar Dine est lui aussi touareg, proche de la chefferie des Ifoghas, tribu dont une partie des cadres du MNLA est issue mais dont le territoire constituerait le sanctuaire d’AQMI. La légitimité d’Iyad ag-Ghali parmi les Touaregs car Iyad ag-Ghali a mené la révolte touarègue de 1990. Il demeure un symbole de la lutte autonomiste (voire indépendantiste), même si le sentiment de la population est partagé à son égard depuis qu’il a adhéré au salafisme dans les années 1990.

 

Eléments de lecture géopolitique : un jeu d’acteurs étatiques

Le Mali est partie intégrante de la CEDEAO, association régionale de 15 membres. Elle devait fournir l’essentiel des 3 300 hommes d’une force d’intervention pour la reconquête du nord-Mali, même si celle-ci pourrait également intégrer des éléments tchadiens. En principe sous les ordres du général Lecointre, une mission européenne nommée EUTM Mali devait assurer la formation de ces troupes africaines déployées. Depuis le début de la crise malienne, les autres membres de la CEDEAO souhaitent s’impliquer dans sa résolution, conscients qu’elle comporte une indéniable dimension régionale et les concerne tous. La CEDEAO agit selon un double processus, diplomatique et militaire. Jusqu’à ces dernières heures, il était mis en avant par l’ONU et les puissances extra-africaines.

 CMJN de base

Pourtant, depuis plusieurs semaines, le doute s’exprimait chez de nombreux militaires français sur la capacité réelle de la force potentiellement déployée par la CEDEAO à opérer la reconquête face à des islamistes bien aguerris. Par ailleurs, l’association régionale ne saurait être l’acteur majeur d’une résolution durable du problème touareg. Elle semblait toutefois ces dernières semaines prendre parti en faveur de l’autonomie du Nord-Mali pour rallier le MNLA, voire Ansar Dine. Un sommet est prévu mercredi ; il devrait accélérer le déploiement des contingents ouest-africains avec l’appui logistique des Britanniques notamment (avions de transport C-17). A défaut de jouer le rôle de premier plan dans la reconquête du nord-Mali, la force d’intervention devrait pouvoir prendre le relais des Français pour aider les Maliens à tenir les premières villes reconquises, notamment Konna.

 

En réalité, l’acteur décisif est sans doute l’Algérie. L’Algérie partage une frontière de plus de 1 300 kms avec le Mali et est la principale puissance politique et militaire de cette partie du Sahel qu’elle considère comme relevant de sa sphère d’influence. Par ailleurs, les dynamiques des islamistes se font du nord vers le sud. Le refoulement vers le sud des djihadistes issus du GIA puis du GSPC a permis au régime de s’écarter des violences de la guerre civile et de former une sorte de glacis, au sud écartant toute prééminence sur une région riche en ressources. L’Algérie est officiellement partie prenante et même leader des partenariats militaires anti-terroristes : avec les Etats-Unis et l’OTAN, avec la France mais aussi avec les Etats voisins. En réalité, l’armée algérienne qui dispose (contrairement aux acteurs régionaux) d’une vraie capacité à agir n’a jamais vraiment eu l’intention d’éradiquer AQMI.

 

Par rapport à l‘émergence d’une autonomie ou d’une indépendance touarègue au nord du Mali, laquelle serait dépendante d’une protection française, l’Algérie préfère vraisemblablement l’instabilité actuelle. La déstabilisation du pouvoir malien est perçue à Alger comme une victoire sur un acteur régional proche du Maroc, confortant la place de l’Algérie comme la puissance régionale face à ses concurrents maghrébins.  De fait, l’enjeu caché de la crise malienne est le redécoupage des zones d’influence après les « printemps arabes », la chute de Kadhafi en Libye et un retour de l’ingérence française en Côte d’Ivoire, sans compter l’appétit de nouveaux acteurs (américains, chinois, canadiens, etc).

 

L’accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates…) est potentiellement au centre de la bataille géopolitique qui se déroule dans le désert. Dans cette bataille, tout l’intérêt de l’Algérie est que la crise dure. L’une de ses préoccupations est sans doute un retour d’une influence forte de la France, y compris via Total. Associer l’Algérie à la résolution de la crise malienne et à la stabilisation politique du nord-Mali est donc complexe mais déterminant. C’est Hillary Clinton qui avait négocié avec Alger à l’automne 2012. Alger aurait donné son accord tacite à l’opération à condition qu’elle ne comporte que des troupes africaines. Des militaires algériens auraient participé, les 3 et 4 novembre, à une réunion de planification avec leurs homologues ouest-africains, même si Alger excluait toute participation à l’opération[1]. Après l’intervention française de ce week-end, il va donc falloir reprendre le bâton de pèlerin et donner des assurances aux Algériens.

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            Enfin, la France joue principalement sa crédibilité. Comme l’indiquent les discussions autour du nouveau Livre Blanc de la Défense, Paris souhaite retrouver une influence importante et sécuriser ses apports énergétiques stratégiques en Afrique. Après l’implication dans la victoire militaire d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, dans la chute de Kadhafi en Libye et l’échec de l’intervention de ses forces spéciales dans la libération de deux jeunes Français (janvier 2011), ses marges de manœuvre au Sahel paraissaient limitées par la détention des otages français. Toutefois, Paris a entretenu depuis le début de la volonté sécessionniste de l’Azawad des liens avec le MNLA. C’est sans doute pour avoir un pion dans le nouvel échiquier qu’Alger maintient des canaux de communication avec Ansar Dine qu’elle considère comme un interlocuteur acceptable, davantage nationaliste qu’islamiste.

 

Des enjeux multiples à moyen terme

Que ce soit pour les questions des ressources naturelles ou de la lutte anti-terroriste (quelle implication américaine ?), les risques d’extension de la crise malienne vers les pays voisins, comme le Niger et la Mauritanie, ne sont pas négligeables. L’enracinement d’AQMI dans le Sahel semble désormais acquis. La déstabilisation humanitaire de la région est également prévisible. Déjà plus de 147.000 personnes se sont réfugiées au Niger, Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie au cours de l’année 2012[2]. La mobilisation humanitaire a, pour l’instant, permis de relever le défi de la disette mais le développement agricole et la capacité à surmonter les sécheresses sont un enjeu à moyen terme pour le Sahel. Face à une probable déstabilisation durable de la région, se pose la question aux puissances de l’ouverture d’un nouveau front durable de lutte contre le djihadisme à l’heure du retrait d’Afghanistan.

 

En tout cas, plusieurs leviers doivent être actionnés pour sortir de la crise malienne et ne pas voir apparaître un arc de crises africain de l’Afrique occidentale à la Somalie. La crise malienne est avant tout politique et militaire et ne doit pas déboucher sur une situation d’un Etat failli à la somalienne. Le second enjeu est celui des ressources, notamment les réserves  d’hydrocarbures estimées comme prometteuses dans les régions de Kidal, de Gao et de Taoudénit (région de Tombouctou). L’exploitation de ce pétrole « strait free » (sans détroit) aiguise les appétits. Les Etats-Unis développent un projet d’oléoduc d’Est en Ouest. L’uranium (Kidal), l’or, le manganèse et les phosphates seraient également présents en abondance. De façon cynique, l’enjeu des ressources peut sans doute mobiliser d’autres puissances autour de la France, pour l’instant seule en première ligne. Les Britanniques semblent prêts à nous suivre rapidement. Mais la crise malienne est surtout une conséquence des changements politiques depuis 2011. La disparition de l’arsenal de Kadhafi dispersé par les réseaux transsahariens de trafics illégaux fait de l’ensemble du Sahel de la Mauritanie au Niger une immense poudrière.

 

L’un des dangers principaux repose également dans l’extension de réseaux djihadistes réellement connectés à grande échelle. A ce titre, l’appellation commune revendiquée par différents groupuscules du Yémen, d’Egypte, de Libye (attentat contre l’ambassade américaine de Benghazi), de Tunisie et du Maroc est inquiétante. Or, les plus radicaux d’Ansar Dine semblent préférer se détacher d’Iyad ag-Ghali pour se regrouper sous cette appellation au nord-Mali.

 

L’échelle régionale comme cadre de résolution de la crise

En réalité, il faut mener une lutte antiterroriste globale dans la région. Il est à craindre que l’intervention actuellement en cours, même si elle constitue une réussite tactique, n’ait pas été suffisamment planifiée. Il faut maintenant agir au plus vite pour organiser un plan d’action sur les différents facteurs de prolifération du djihadisme. L’un des enjeux militaires est de cloisonner les espaces et d’empêcher AQMI, éventuellement vaincue ou chassée du nord-Mali d’installer de solides bases dans les autres régions fragiles. Ainsi, des liens avec les Sahraouis sont régulièrement évoqués. Chez les jeunes combattants du Front Polisario, la poussée salafiste se fait sentir. Ces Sahraouis ont déjà été à plusieurs reprises impliqués dans des actions d’AQMI et seraient, pour certains, déjà passés au nord Mali selon l’AFP (21 octobre 2012). Ils se réclament pour partie d’Ansar el-Charia. L’implication de l’Algérie paraît particulièrement nécessaire dans cette partie du Sahara.

 

La contamination peut également se faire vers le golfe de Guinée. En effet, cette région  méridionale connaît elle aussi l’expansion d’un Islam en mutation. Les conditions de l’accès au pouvoir du dioula Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire marquent un raidissement des tensions interethniques et interreligieuses. Une résolution durable de la crise saharo-sahélienne passe donc pas la stabilisation à moyen terme de la Côte d’Ivoire. Or, des contacts entre des partisans de Laurent Gbagbo et le capitaine Sanogo ont été signalés. Surtout, des enquêteurs de l’ONU ont rendu compte de rendez-vous entre des proches de Gbagbo et des représentants d’Ansar Dine à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal en août dernier[3]. Il faut également tâcher d’établir une cloison la plus étanche possible entre le Sahel et le Nigeria, afin d’empêcher le développement des liens tissés depuis 2011 entre AQMI et Boko Haram. Cette secte musulmane qui pratique le terrorisme au Nigéria semble se rapprocher dans ses méthodes et sa communication du modèle d’Al-Qaïda. La prolifération de l’islamisme radical a été illustrée par l’extension géographique des zones de prises d’otages et la multiplication des groupuscules acteurs de ces actes terroristes. Auteur de l’enlèvement d’un ingénieur français le 19 décembre dernier, le groupe dissident de Boko Haram, Ansaru, s’inscrit dans une dimension régionale. Il revendique la restauration du califat de Sokoto, ancien empire islamique peul créé au début du XIXe siècle qui s’étendait du Niger au Cameroun en passant par le nord du Nigeria.

 

L’un des enjeux est de limiter la prolifération de ces mouvements auprès des étudiants nigérians et de certains hommes politiques du nord du pays, écœurés par la corruption. Comme au Mali et dans d’autres Etats, la lutte antiterroriste à l’échelle régionale passe donc par un soutien à l’Etat nigérian et par un plan global. L’intervention française s’inscrit-elle dans la volonté de dépasser les réticences algériennes sur l’Azawad ? Est-ce une action dans l’urgence et non accompagnée d’une vision d’ensemble en concertation avec les autres nations occidentales (Grande-Bretagne et Etats-Unis) et avec la CEDEAO ? On peut le craindre mais il est sans doute encore temps de renforcer les coopérations. Les mois qui viennent nous apporteront des éclairages sur cette capacité française à incarner la lutte contre les djihadistes et pour la stabilisation régionale de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.

Walter Bruyère-Ostells


[1] Voir notamment Le Figaro du 28 octobre 2012.

[2] Chiffres fournis par USAID, « Mali : perspective sur la sécurité alimentaire », avril-septembre 2012.

[3] « Gbagbo à tout prix », Jeune Afrique, n° 2073, 28 octobre-10 novembre 2012.

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