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ETAT ISLAMIQUE : AUTOPSIE D’UNE PUISSANCE NOUVELLE

8 Déc

Etudes géostratégiques vous propose un compte-rendu à partir des notes de Claude-Henry Dinand, étudiant en Master 1 à l’IEP et membre de l’ANAJ, de la conférence donnée par le Pr PATRICE GOURDIN, professeur de géopolitique à l’Ecole de l’Air, membre de l’équipe pédagogique du Master II Histoire militaire et auteur de Géopolitiques : manuel pratique, ce samedi 5 décembre en partenariat avec l’IHEDN (association régionale Marseille-Provence), ainsi que le diaporama de la conférence.

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Introduction

            Par définition, la puissance  se caractérise comme la «  capacité de faire ou d’empêcher de faire » (Serge Sur). De la même façon, un État se définit sur la base du triptyque : « autorité politique, population, territoire ». Or, traditionnellement un État, au sens d’État nation, ne peut être reconnu comme tel au sens juridique sans reconnaissance de la communauté internationale. Par conséquent, l’État Islamique pourrait être considéré comme un État de fait et non de droit. Il convient de l’analyser selon trois critères : son assise territoriale, sa population et ses références idéologiques.

 

Son assise territoriale (Source : carte ISW : ISIS Sanctuary, 15/09/2015)

            Le territoire de Daech est à cheval sur l’Irak et la Syrie et se caractérise par des reliefs variés.  Il constitue un carrefour majeur sur un axe Europe – Asie en passant par le Croissant fertile. Il s’agit d’un point de passage entre Mer Méditerranée et Golfe Arabo-persique. La prise de contrôle des principaux axes de communication permet de couper l’« Artère vitale » de la Syrie de Bachar Al Assad. Ainsi Daech contrôle un certain nombre de ressources. Tout d’abord, la gestion de l’eau et des ressources agricoles permettent d’assurer l’approvisionnement et la viabilité économique de son territoire avec le contrôle d’une partie importante de la production des deux pays. Les ressources agricoles, notamment le coton utilisé par les industries textiles turques, permettent à Daech d’alimenter les populations et d’exporter. En septembre 2015, le ministre des Affaires étrangères irakien annonçait ainsi que 40% de la production agricole du pays était sous contrôle de Daech. En matière de ressources hydrocarbures, celles-ci représenteraient environ 50% des revenus de Daech (Source : Financial Times, World Energy Atlas et Thomas Van Linger) réparties entre exportations et utilisation pour l’armement mécanisé de Daech. Cette autosuffisance en matière pétrolière permet ainsi à Daech d’exister en tant qu’entité politique et militaire. Enfin, les richesses archéologiques avec 4 000 sites sous contrôle permettent d’entretenir un vaste réseau de contrebande. En conclusion, Daech dispose d’un capital inédit en matière de ressources matérielles estimé à environ 2 200 milliards d’euros. Selon l’un des responsable de l’Organisation État Islamique, Daech disposerait d’un budget annuel de 2,6 milliards d’euros par an ce qui témoigne de sa capacité à assurer les fonctions régaliennes d’un État classique en matière de gestion financière.

Sa population

            D’une manière générale, les populations ont accueilli Daech avec une certaine passivité car ces dernières étaient en général marginalisées par leur pouvoir central. Représentant entre 8 et 10 millions sur les deux pays, il s’agit essentiellement de populations jeunes (Source : Graphique Perspective Monde : U.S. Census Bureau International Data). Les zones contrôlées sont majoritairement de peuplement faible en raison d’un espace étendu en milieu aride et désertique. Ces populations sont en dessous du seuil de pauvreté (cf : PIB et IDH de l’ONU qui situent Irak et Syrie sous le seuil inférieur 2$/jour/habitant) et soumis au régime financier du Califat qui leur inflige impôts et amendes. Le noyau de cette population est arabe de confession sunnite et cohabite avec de nombreuses communautés ethniques et religieuses telles que les chiites et les Kurdes. On constate également une survivance de la logique tribale avec une allégeance traditionnelle des tribus irakiennes et syriennes à des systèmes de fonctionnement autonome en résistance à l’autorité politique centrale.

Ses références idéologiques.

La zone de jonction entre la Syrie et l’Irak constitue un carrefour privilégié au Proche Orient. Cet espace se distingue comme celui de l’Islam des origines et, réciproquement, comme celui du clivage originel de cette confession religieuse. Le projet de Daech, porté par son calife Abou Bakr al-Baghdadi, est de restaurer le régime califal, de procéder à un retour aux origines avant le massacre de 1258 par les Mongols. La restauration du califat abbasside salafiste, pris en 1258 par les Turcs permettrait d’envisager le retour à l’unité du Maghreb à la Transaxiane. En effet, suite aux Accords Sykes -Picot signés par les Français et les Anglais en 1916, l’imaginaire collectif des populations locales a majoritairement rejeté le tracé des frontières reconnues par la communauté internationale comme en témoigne le cas des communautés kurdes réparties sur plusieurs États. Ainsi les indépendances récentes de l’Irak (en 1932 ou 1958) et de la Syrie (en 1946 ou 1963) ont contribué à la tentative de formation d’une mémoire collective qui reste encore très jeune. Ayant construit des projets différents par leur approche, des mouvements ont effectué des tentatives politiques dans les années 1950 comme en témoigne le projet laïc et socialiste, faisant de l’islam une référence culturelle du Baas en 1947 ou encore celui de Nasser par sa nationalisation du canal de Suez en 1956. Ces voies ont fini dans l’impasse, renforçant l’idée d’une impossible modernisation du monde arabe. Ainsi, ces différentes tentatives ayant échoué, Daech tente, à son tour, de créer une perspective pour le monde arabe, celui d’un retour à la puissance califale. Rejetant le modèle de l’État Nation reconnu par l’ordre international, Daech tente dès lors d’imposer son propre modèle avant de conquérir en vue de l’affrontement final annoncé dans la prophétie initiale.

Des acteurs extérieurs inefficaces

            En termes de gestion de cette nouvelle crise, la Ligue Arabe apparaît, tout d’abord, comme impuissante et divisée avec l’absence d’une ligne politique claire et efficace. Dans un contexte de guerre froide régionale, Iran et Arabie Saoudite continuent de s’opposer comme en témoigne le cas de la relance du conflit yéménite et l’envoi de troupes de l’Arabie Saoudite craignant d’être pris en étau par l’Iran pour s’imposer comme puissance régionale en alimentant les tensions avec les communautés chiites locales ce qui favorise la consolidation de Daech. À cela s’ajoute, le « trouble jeu » turc qui semble « aussi fiable que le Pakistan dans la crise de l’Afghanistan ». En effet, la Turquie d’Erdogan entretient des sympathies avec les États Unis mais semble également avoir des affinités avec le régime de Daech. S’agit d’une entente idéologique ou d’un choix par défaut pour occulter le risque de la question kurde ? Le fait est qu’à l’heure actuelle les Kurdes proposent un projet territorial et géopolitique (avec autonomie en ressources, dont l’eau et le pétrole) tout à fait viable, projet qui inquiète le gouvernement turc. Enfin, la question du rôle d’Israël doit également être considérée dans la mesure où le plateau de Golan, zone de déploiement de l’actuelle Finul sous mandat onusien, reste une zone de jonction avec la Syrie. Dans ce contexte, Israël reste nerveux à l’idée d’un potentiel approvisionnement du Hezbollah dans le Sud Liban. Sur fond d’internationalisation du conflit (Sources : Carte dans le New York Times), l’ONU reste à l’heure actuelle paralysée. Les États Unis, quant à eux, restent dans le statu quo conforme aux promesses de campagne du programme électoral du président Obama en matière d’implication des forces armées au Moyen Orient après les échecs et enlisements de l’administration Bush en Afghanistan (2001) et Irak (2003). Enfin, en ce qui concerne la Russie, celle-ci ne semble pas considérer Daech comme sa priorité. Le premier objectif semble à l’heure actuelle de « sauver le soldat Assad » en protégeant l’un ses seuls alliés stables après la chute de l’URSS. En effet par la réinstallation de troupes sur le site du port de Lattaquié, la Russie se recentre sur la logique entretenue par l’URSS, qui possédait le port de Tartous comme base navale depuis 1971, de conservation d’une fenêtre littorale en Méditerranée, ce qui contribue à l’implantation de la Russie au Proche Orient et à la réaffirmation de sa puissance sur la scène internationale. Or, la Russie semble à l’heure actuelle plus soucieuse de préserver la « Syrie vitale » en bombardant sur la façade littorale que sur les zones occupées réellement par Daech. (Sources : cartes ISW : Russian Airstrikes).

 

Conclusion : une entreprise totalitaire

            En conclusion, Daech pourrait répondre à la définition d’État ou d’entreprise totalitaire. Tout d’abord, la première condition est celle du chef unique (Abou Bakr al-Baghdadi) et du parti unique. À ce critère s’ajoute une série de pratiques comme l’embrigadement, la propagande et les massacres de masse de minorités ethniques ou religieuses. Daech s’inscrit dans le déni et la destruction des cultures autres que celles du parti dominant. Le régime et ses partisans entretiennent le culte de la mort, du sacrifice et du martyr (Slogan : « Yodo. You only die once. Why not make it martyroom ») et du rejet de la démocratie (Slogan : « No to Democracy. No to nationalism. No to arabism, No to arabism. Yes to Khilafah islamiyah »). Ainsi, le véritable problème semble aujourd’hui l’absence de culture démocratique dans les anciennes ou actuelles dictatures de Saddam Hussein en Irak et de Bachar Al Assad en Syrie. (cf : Caricature en date du 2 octobre 2015 : « Nous organiserons des élections libres dès que nous aurons terminé d’éradiquer les opposants. »). Par conséquent, il n’existe pas à l’heure actuelle de solution « clé en main » pour permettre une résolution du conflit qui passe obligatoirement par un processus de longue durée qui implique de penser la Guerre mais surtout l’Après Guerre. En attendant, on pourrait voir dans le combat mené par la coalition autour des Eats-Unis comme une guerre d’attrition pour contenir l’Etat islamique.

 

 

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