LE GENIE EN AFGHANISTAN : L OUVRAGE DE REFERENCE

Lafaye, Christophe, L’armée française en Afghanistan. Le génie au combat 2001-2012, Paris, CNRS Éditions, 2016, 502 p, 27 euros

Rassemblant la substance d’une thèse soutenue en 2014, tout en restant accessible aux non-initiés (on pourrait parler de journalisme de très bon niveau), L’armée française en Afghanistan. Le génie au combat 2001-2012, s’ouvre sur une préface du général Georgelin, ancien CEMA, qui rappelle que les militaires ont le devoir de réinvestir le combat intellectuel sur les affaires de défense. Se distinguant par sa qualité technique, cet ouvrage s’inscrit exemplairement dans la série récemment revivifiée - notamment par les travaux du général (2s) Jacques Defretin et du commandant Ivan Cadeau - des études sur le génie. Il s’agit d’un livre dense mais relativement facile à lire, le label CNRS étant un gage de sérieux et non la promesse d’une prose indigeste, bien au contraire. Malgré son aspect évoquant un pavé, les notes constituent en fait un tiers du volume. Le texte lui-même est riche de graphiques, cartes, tableaux, donnant à voir par exemple l’articulation des unités militaires  ou explicitant le fonctionnement des organisations en jeu, dans un contexte à la fois interarme et interallié. L’engagement en Afghanistan implique pour l’armée française une expérience renouvelée des combats de haute intensité, dont la dernière occurrence remontait à la guerre d’Algérie. Tout un pan de l’histoire de l’armée française se déploie travers l’action du génie, arme parfois méconnue, sur le territoire d’un pays si particulier. Pour le génie, cette expérience marque le retour au premier plan de savoir-faire nécessaires aux opérations de contre-guérilla. Dès 2003, les talibans utilisent les engins explosifs improvisés, ces dispositifs de plus en plus ingénieux représentant une menace redoutable et imprévisible pour les troupes au sol. Réactif, le génie se dote d’une chaîne complète de moyens pour lutter contre ces bombes artisanales, responsables de plus de la moitié des pertes de la coalition occidentale. Les phases de l’engagement (2001-2007 De la stabilisation à l’imposition de la paix, 2008-2009 De l’imposition de la paix à la contre-insurrection, 2009-2012 De la contre-insurrection au retrait) et les sous-phases qui se dégagent sont traitées dans une perspective relativement interdisciplinaire. L’importance accordée à la parole d’autrui, praticiens, experts formés sur le terrain… donne à la démonstration un caractère animé, presque polyphonique.  Sans aucune volonté de reformulation, les larges citations de témoignages, pris comme sur le vif, émanant des acteurs,  confèrent au livre un caractère vivant aussi rocailleux que le réel. Le sens de l’adaptation, du renouvellement et de la pérennisation du savoir-faire du génie français est exposé sans que soient passées sous silence les difficultés, voire les impasses rencontrées. L’attention portée au concret n’entrave pas la réflexion, la nourrissant plutôt. Le livre contient une appréciable chronologie détaillée, un index facile d’utilisation et une traduction extensive (bilingue français/anglais) des sigles qui fourmillent inévitablement dans tout texte rendant compte d’opérations militaires. L’épais cahier central comporte des illustrations dans le ton grisâtre, sable et olivâtre du terrain, images d’une grande qualité présentant les hommes et leur matériel. Ce travail d’histoire immédiate, qui emprunte aux méthodes des sciences sociales tout en s’enracinant dans le modèle de rigueur propre au métier de l’historien, semble prouver que le souci d’objectivité n’est pas incompatible avec une certaine empathie. Globalement, l’expérience guerrière du génie dans une zone du monde très éloignée démontre les capacités d’adaptation en interne de l’armée française et sa faculté à travailler en coopération, avec des alliés qui ne sont pas des pairs, tels les Américains. Dans le sillage de Jean-Charles Jauffret, La Guerre inachevée. Afghanistan 2001-2013, cet ouvrage semble véritablement utile à qui souhaite aborder de manière sereine et réfléchie le sujet de l’armée française aujourd’hui.

                                                                                  Candice Menat, docteure en Histoire

 

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