LAGUERRE DE TREIZE ANS

Le Pr Jean-Charles Jauffret revient sur l’engagement français en Afghanistan dans cet entretien accordé à la Lettre imprévue.

Le 8 octobre 2001, le président de la République Jacques Chirac, annonçait l’engagement de la France auprès des États-Unis dans leurs opérations en Afghanistan, un mois après les attentats perpétrés par Al-Qaïda. « Les opérations militaires se feront sur une longue période », prévenait-il alors. Le 31 décembre 2014, après treize années de présence, le dernier contingent de l’armée française quittait le sol afghan. « Longue », l’intervention l’a été. Mais pour quels résultats ? Jean-Charles Jauffret, historien et auteur du livre « Afghanistan, 2001-2013 : la guerre inachevée », revient sur un conflit qui aura véritablement marqué l’armée française.

 

Qu’est-ce qui a poussé la France à s’engager en Afghanistan ?  

 

Par solidarité, nous avons pris rang auprès de nos alliés de l’Otan, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. L’objectif de l’intervention en Afghanistan était de combattre Al-Qaïda dans ses bases d’entraînement et, dans le même temps, les talibans ou tout du moins ceux qui supportaient les membres d’Al-Qaïda. Les troupes françaises devaient notamment participer à la sécurisation de la région et former les forces afghanes. Au total, entre 2001 et 2014, nous avons engagé un peu plus de 60 000 hommes. Pour une petite armée de métier comme la nôtre [environ 200 000 militaires au total en 2015, NDLR], c’est quasiment une génération du feu qui a vu le jour. 

Quelques arrières-pensées nous ont aussi précipités dans ce conflit. En tant que membre du Conseil [le Conseil de l’Atlantique Nord, autorité politique de l’Otan, NDLR] et grande puissance militaire européenne, nous nous devions de nous engager, pour des questions de prestige. La France espérait aussi pouvoir faire participer ses entreprises à la reconstruction du pays, parce que l’Afghanistan regorge de minéraux, de gaz, et que des projets de grande envergure auraient pu voir le jour.

 

Quinze ans plus tard, peut-on considérer cette intervention comme une réussite ?

 

Sur le plan financier d’abord, l’Afghanistan a été une affaire particulièrement délicate à gérer. Du fait de la distance, le coût des transports a été porté à des sommes astronomiques : pour vous donner une idée, un vol nous revenait à 40 000€ ! Pour les seules dépenses militaires, l’intervention en Afghanistan a coûté la bagatelle de 3,5 milliards d’euros entre 2001 et 2014. Il faut ajouter à cela les dépenses occasionnées par l’aide civile, car les Français ont été très actifs sur ce plan-là. Dons faits aux provinces, restaurations archéologiques, modernisation d’établissements scolaires, transformation de l’agriculture… Rien qu’en 2011, par exemple, 40 millions d’euros ont été dépensés dans des missions de ce type. 

 

Quant au bilan humain, nous avons perdu 89 soldats, essentiellement dans les troupes du génie, les plus exposées aux mines et aux IED [engins explosifs improvisés NDLR]. Et 1 000 ont été blessés. Si nous voulons comparer, ces 89 tués représentent seulement 22 minutes des combats de l’armée française en 14-18. Mais pour une petite armée de métier, ces pertes sont lourdes à supporter. Aujourd’hui,  chez les combattants engagés en Afghanistan, le ressenti qui subsiste, c’est : « On a fait tout ça pour rien ».
« Le résultat de cette intervention peut être considéré comme nul »

 

Dans la zone où nous opérions, les talibans ont repris le dessus dès que nous sommes partis. Le résultat de cette intervention peut donc être considéré comme nul. Surtout pour la population sur place. Ce conflit n’est plus suivi par les médias, mais il faut savoir qu’en 2015, plus de 11 000 Afghans ont été tués ou blessés. 

 

Avons-nous tiré des leçons de ce conflit ?

 

Je crois que si c’était à refaire, nous irions avec beaucoup plus de circonspection. À l’époque, l’ensemble de la coalition n’a pas réalisé la difficulté à transformer un pays aussi traditionnel que l’Afghanistan à la va-vite. Et puis on n’imaginait absolument pas se retrouver dans une situation où la population afghane se retournerait contre nous. Encore aujourd’hui, on [l’Otan, NDLR] ne sait pas comment sortir de cette situation afghane qui condamne des troupes à rester présentes. Si nous étions restés plus longtemps, les effets bénéfiques de notre présence auraient été beaucoup plus visibles. Il faut savoir que si les troupes françaises combattantes sont parties en décembre 2012, c’est simplement parce qu’il fallait aller intervenir au Mali et, numériquement, nous n’avions pas les moyens d’être sur les deux fronts en même temps. 

De cette intervention en Afghanistan restera quand même quelque chose de positif. L’armée est redevenue l’armée de la Nation. Les militaires ont obtenu une reconnaissance nationale qu’aucun des conflits qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale n’avait permis d’obtenir. Le soldat professionnel n’est plus un inconnu auquel on ne prête pas attention.

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