Archive | décembre, 2012

L’Union européenne s’entraîne à la gestion de crise MULTI LAYER 12

31 Dec

Du 01 au 26 octobre, l’Union européenne a conduit son septième exercice de gestion de crise: Multi Layer 12. Organisé par le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE), ML 12 a permis de tester les structures de gestion de crises qui participent à la Politique de Sécurité et de Défense Commune. L’objectif était d’évaluer le fonctionnement et l’interopérabilité de ces instances et des mécanismes de réponses aux crises. Les échelons de décision des niveaux politique, militaro-stratégique et opérationnel ont donc travaillé sur une planification commune. Le scénario prévoit la persistance d’une crise post-conflit entre deux Etats fictifs: Nusia et Recuria. Initialement, le processus décisionnel politico-militaire de prise en compte de la crise a eu lieu à Bruxelles. Il s’est traduit par l’élaboration successive d’un document cadre stratégique, d’un concept de gestion de crise, d’options militaires stratégiques et d’une directive initiale de planification. ML 12 fait ensuite intervenir un Operational Headquarter (OHQ) au niveau stratégique militaire, localisé à Potsdam (Allemagne) et armé par environ 200 militaires des Etats membres. Enfin la base de Brindisi (Italie) a accueilli un état-major opérationnel Force Headquarter (FHQ). Au bilan, ML12 aura concerné près de 500 personnes issues des structures du SEAE, de la Commission (DG Echo, ayant en charge les questions humanitaires et de protection civile), des délégations de l’UE, du Conseil, des Etats membres et même d’organisations internationales telles que l’ONU et le CICR. Le retour d’expérience de cet exercice est actuellement en cours d’élaboration et devrait aboutir au printemps 2013.

Entretien avec Jean-Alexis Tanchou, directeur de la société Opéra-Ergonomie, en charge de la division défense et sécurité.
Cette entreprise est spécialisée dans la spécification fonctionnelle de briques des systèmes C4ISR (Computerized Command, Control, Communications, Intelligence, Surveillance, Reconnaissance). Jean-Alexis Tanchou apporte son expertise sur la partie analyse de l’information et celle de la fusion de données. Membre du STANAG 4586 traitant de l’interopérabilité au sein de l’OTAN, il en organise la session française en janvier 2012. Dans le cadre de ses activités, il participe à différentes campagnes embarquées aux côtés des opérationnels (Bab-El-Mandeb, Golfe Persique, Mer d’Arabie, Ormuz) ce qui lui permet de renforcer son expertise dans le domaine de la menace asymétrique, de la sûreté et de la défense maritime. Jean-Alexis Tanchou est auditeur de la 187e session régionale de l’IHEDN suivie avec Walter Bruyère-Ostells.

Q : La gestion des crises actuelles repose sur l’acquisition, le partage et la diffusion de l’information et du renseignement. Ce processus est-il maîtrisé par les structures européennes de gestion de crise?

R : L’exercice de gestion de crise de l’Union européenne Multi Layer 2012 a eu comme objectif de permettre à ses acteurs de tester les nouvelles procédures de l’UE pour la gestion de crises, et notamment la capacité des structures civiles et militaires à articuler leur action pour mettre en œuvre l’approche globale. Cette capacité passe avant toutes choses par l’harmonisation de la connaissance des facteurs de crise et de leurs conséquences. En ce sens, tous les acteurs impliqués dans la résolution d’une crise doivent dès le départ être en mesure de l’appréhender avec les mêmes clés de lecture, avec la même fiabilité. Cependant, et parce que le concept de gestion de crise globale engage une collaboration entre deux univers, entre deux cultures qui sont intrinsèquement opposées, il est vraisemblable que la répartition de ces clés de lecture se fasse au détriment de la pérennité de la qualité de l’information. Comprenons bien: nous sommes face à un mariage de raison entre civils et militaires. L’exercice ML 12 vient de faire la démonstration qu’un dialogue entre ces deux mondes est possible. Certes, les échanges ne sont pas aisés, certes la démonstration de la fluidité des communications n’est pas, au lendemain de l’exercice, un modèle d’excellence opérationnelle. Mais pourquoi pourrions-nous le critiquer? Le retour d’expérience qui sera issu de ML 12 devra permettre d’identifier les points à partir desquels nous devrons travailler pour faire de l’absence culturelle de dialogue le point de départ d’une analyse structurelle sous forme d’évaluation collective, afin de fournir très précisément des leviers de compréhension inhérents à l’interaction entre les différents «gestionnaires» d’une crise…globale. Le renseignement demeurera le socle de l’engagement que cela soit au niveau politico-stratégique, au niveau militaro-stratégique et bien entendu au niveau opératif.

Nous le comprenons tous car avec les fonctions de connaissance et d’anticipation, il est avant toutes choses un «outil» de structuration et de consolidation de la souveraineté nationale de chacun des 27 Etats membres de l’Union. Néanmoins, ce qui est identifié comme un point de passage indispensable pour les états-majors militaires, demeure plus mesuré pour les structures civiles intra-institutionnelles. Nous disposons dans les pays où nous sommes impliqués d’un contact avec la réalité à très forte valeur ajoutée, notamment au travers des représentants de l’Union européenne qui sont engagés physiquement auprès des populations. Partager une lecture privilégiée de ces connaissances au travers d’une coordination qui interdirait la suggestion d’une ligne de conduite opérationnelle serait d’autant plus efficace que cette connaissance des enjeux humains allie dès à présent qualification et mobilité. C’est pour cela que l’expertise de l’Union européenne, impliquée dans le soutien des populations, est reconnue et soutenue. L’excellence opérationnelle de la DG ECHO est en ce sens un exemple à suivre au travers de sa fine connaissance des principes humanitaires. Le challenge, extraordinairement innovant, sera non seulement de réussir la coordination mais aussi de sensibiliser les acteurs sur le terrain à l’idée que le renseignement est un outil qui participe à la stabilisation de situations qui se retrouveraient fragilisées par l’évolution de tendances que nous n’aurions pas su anticiper faute d’être en mesure d’en comprendre les changements. Acquérir et organiser l’information utile, enrichir et raccourcir le cycle décisionnel permettent d’anticiper et d’accélérer le rythme de la manœuvre et donc d’apporter aux populations des leviers de sécurisation. Sans doute faudra-t-il accompagner ces acteurs, porteurs d’expertises d’autant plus importantes qu’elles sont hétéroclites, vers l’ouverture d’un dialogue, ciblé et privilégié, avec les autorités militaires et cela très en amont des crises. Intégrer ces acteurs comme des leviers de performance de la fonction connaissance et anticipation peut être une source d’optimisation de la connaissance partagée de la situation. Faisons une proposition: pourquoi ne pas imaginer rassembler deux mondes qui ne semblent pas faits pour dialoguer au travers d’un projet visant à proposer un apprentissage de la culture du renseignement ? L’exploitation des données issues du terrain participe à la compréhension de l’évolution des tendances sociales et culturelles, les évolutions économiques et politiques mais aussi sécuritaires des pays dans lesquels sont inscrites les missions humanitaires. Le retour, collectif, d’expérience de l’exercice ML12 devrait nous permettre de nous projeter sur la faisabilité d’une action de formation globale, civilo-militaire dans ce domaine.

De fait, et nous venons de le voir, le processus de partage de l’information au sens civilo-militaire pourrait devenir, demain, un outil de pacification au service des populations. C’est donc, selon moi, le bon moment pour que ces deux univers se structurent autour d’un projet dont l’unique objectif serait de fournir à tous les acteurs de la gestion de crise globale une langue commune. Par ailleurs, il faut aussi prendre en compte que les besoins sécuritaires sont de niveaux différents car le «besoin d’en connaître» n’est pas homogène. Ceci n’est pas de nature à décomplexer les échanges… De fait, les personnes que nous avons rencontrées reconnaissent unanimement la faiblesse du système actuel. Ceci trouve une explication dans un fonctionnement et un cloisonnement hérités d’avant le traité de Lisbonne. Il y a donc une superposition des systèmes, ce qui peut minimiser également le déploiement du retour d’expérience. La circulation physique des informations est elle-même alourdie par la dispersion de mêmes services au sein de différents bâtiments, l’institution ne proposant pas encore un système commun sécurisé de partage de l’information, on comprend mieux alors la complexité de l’exercice mais surtout, et c’est une réelle opportunité, le fabuleux challenge que représente notre capacité à réussir l’harmonisation du partage de l’information. L’objectif qui est devant nous, et qui est un objectif de rassemblement, nous permettra de tester notre volonté de communiquer au-delà de clivages partisans.

Q : TOPFAS (Tool for Operationnal Planning, Force Activation and Simulation) est un outil de planification de l’OTAN. Il suit un processus de planification et aide à la publication des documents de planification. TOPFAS a été utilisé au cours de l’exercice à l’Operational Headquarter (OHQ) de Potsdam. Ce logiciel a-t-il joué un rôle déterminant dans le cadre de cet exercice?

R : TOPFAS est un outil connu. L’Allemagne a fait le choix depuis l’OHQ de Potsdam de le tester dans un environnement européen. Les résultats heureux du test de TOPFAS à l’occasion de ML12 ont renforcé le constat que l’OHQ permanent de Potsdam est reconnu comme un instrument de performance dans le dispositif allemand. Mais ne nous trompons pas, nous sommes dans une phase de construction alors ne nous interdisons pas de considérer les outils à inventer, dès à présent, pour accompagner l’émergence d’une solution propriétaire qui sera européenne. Nous pourrions imaginer des évolutions et des adaptations spécifiques en utilisant TOPFAS mais dans ce cas nous demeurerons toujours inscrits dans une logique d’action globale et non pas dans la cohérence d’une approche globale. L’action globale est une vision tendant à développer une culture du «courttermisme» et qui ne saurait présager de résultats pérennes et adaptés à la recherche de solutions de qualité, qui elles, s’inscriraient dans le temps. Des solutions intrinsèquement liées à la culture collaborative des 27 Etats membres de l’Union Européenne. La recherche de la cohérence des buts nous oblige aujourd’hui même, à combiner les outils de dialogues. Comment pourrions-nous en ne nous inscrivant pas dans cette démarche éviter de nous enfermer dans une culture de l’acquis au risque de nous interdire d’explorer de nouvelles pistes? Analyser la performance des systèmes et analyser les effets participent à l’analyse des besoins. Hors aujourd’hui cette analyse est écartée car l’outil est déjà désigné. N’est-ce pas prématuré? Analyser et évaluer les critères de performances sont rarement des actions préjudiciables. En ce sens, nous n’avons pas le droit de considérer le logiciel TOPFAS comme le seul outil qui pourrait répondre à la recherche d’une solution globale, précisément parce que nous n’avons pas clôturé la phase exploratoire. Mais l’avons-nous commencée? Nous considérons aujourd’hui un outil qui nous a permis de dialoguer parce que nous nous sommes donné les moyens de son succès. Ce succès dirigé et accompagné nous permet-il de le faire rayonner au delà de l’exercice ML12? Nous isoler dans une lecture ramassée et figée de nos besoins est l’assurance d’augmenter et d’aggraver les facteurs de fragilité qui, irrémédiablement, impacteraient les outils de demain.

Il nous appartient donc au travers d’une démarche responsable de prouver que la performance recherchée passera par le développement d’un démonstrateur qui par ses résultats sera porteur d’une vraie valeur pour l’avenir. Ceci serait la garantie pour tous, de ne pas partir sur des socles existants et qui entrainent de mauvaises hypothèses. De quoi a-t-on besoin? Indéniablement il nous faut inventer un driver d’interopérabilité et de connexion. Réfléchissons à la construction d’un prototype qui permettrait de fournir la preuve du concept et qui se rapprocherait d’un outil de normalisation. Il nous appartient donc tout comme il appartient aux industriels Français de considérer ces opportunités et de guider la normalisation et la standardisation de demain sur l’ensemble des échanges.Customiser» TOPFAS serait au mieux de l’action globale et non de l’approche globale. Le processus que nous proposons ici n’est rien d’autre que l’acteur principal du mariage entre l’évaluation et l’amélioration de la cohérence des buts.

La gestion de crise globale et multidimensionnelle au sens de l’Union Européenne est très éloignée de la «coïncidence des objectifs» au sens de l’OTAN. Cette approche souligne le cheminement collectif vers un objectif partagé tout utilisant les outils des autres nations pour les piloter. La limite de l’exercice est plus rapidement identifiable que ne le sont les leviers de performance recherchés dans l’approche globale. Si l’on pense qu’il est nécessaire d’éviter la juxtaposition des systèmes, il nous faudra alors reconsidérer les principes de bases que sont notamment la formation, la dimension culturelle, la conduite et la planification des opérations complexes et enfin la logique de dimension fonctionnelle. Ne pas faire cela revient à fournir la garantie de l’émergence d’une erreur qui sera partagée. En effet, la recherche de solutions en ne considérant uniquement que l’ambition des systèmes ne pourra être que synonyme d’échec. Ne pas percevoir que l’évolution des tendances nous propose une formidable opportunité qui appellera dès demain le déploiement d’un standard, serait une erreur d’autant plus préjudiciable pour notre industrie de défense que les domaines concernés touchent autant à la fusion de données qu’à la sureté maritime.
Attention, changements profonds et durables devant nous…

Q : Pourriez-vous nous décrire votre perception générale des résultats de l’exercice ML12, en particulier dans les domaines de l’adaptation des procédés de gestion de l’information, des relations Bruxelles-OHQ-FHQ et des connaissances des procédures de gestion de crise par les acteurs de ML12?

R : L’exercice est contesté en interne car il est proposé dans un format inhabituel: durée jugée excessive, nombre d’acteurs jugé trop important. Cette contestation a des conséquences sur le niveau d’implication de chacune des structures intra-institutionnelles. La connaissance de la gestion de crise globale et du partage de l’information avec les délégations hors de l ‘ UE pourrait être améliorée. De plus, la différence de la surface financière des budgets civils et militaires freine le dynamisme de l’exercice. La résistance au changement et une différence de capacité d’engagement d’équivalent temps plein (personnel détaché en permanence sur l’exercice) semblent donc avoir été les deux freins, sources de défaillances, au démarrage de l’exercice. Le SEAE est une structure jeune et, dont la ressource humaine n’a pas encore totalement assimilé la culture « gestion de crise », ce qui peut expliquer le manque de connaissance des procédures. L’objectif principal de ML12 résidait dans l’opportunité de tester de nouvelles procédures pour la gestion de crises globales, il apparaît du fait du point évoqué ci-dessus que cet objectif était probablement trop ambitieux. Ceci permet de comprendre pourquoi les retours d’expériences issus des différents exercices ne sont pas mis en œuvre de façon collective mais de façon isolée. Soyons vigilants, nous sommes ici en présence d’un axe de réflexion qu’il nous faudra considérer avec soin si nous recherchons de la performance. N’ayons pas peur de poser une question qui apportera une réponse fédératrice. Dans cette affaire comme dans les précédentes, si le retour d’expérience n’est pas déployé et mesuré collectivement, quel est alors le sens des exercices collectifs?

Le principal problème est illustré par l’interaction entre la gestion de crise globale et la politique générale car c’est la fusion de ces deux volumes qui est source de dysfonctionnements. Ceci étant dit, il faut bien comprendre que l’intérêt des exercices est quand même assez souvent d’en mesurer les limites. Aussi, et nous le verrons dans les prochaines semaines, il est plutôt heureux que nous puissions identifier toutes ces pistes d’améliorations. Des pistes qui permettront demain à différents industriels de proposer des réponses technologiques adaptées à l’analyse intégrée. La critique est facile car
l’exercice est avant tout innovant. Mais c’est là son principal intérêt, il propose une lecture nouvelle de la résolution des crises en intégrant très profondément dans le dispositif des acteurs qui d’habitude ne se parlent pas. Si l’on entend que l’exercice a peut-être été trop ambitieux, on peut affirmer qu’il ne le fut pas assez à la lecture des nombreuses pistes qui se dégagent devant nous. Des pistes pour améliorer la collaboration entre civils et militaires à un moment où l’émergence de crises multidimensionnelles et l’expansion de conflits de type asymétrique, ne peuvent que nous inciter à montrer la plus grande vigilance quant à la réussite de l’association de toutes les compétences pour lutter durablement et efficacement contre ces menaces.

(D’après la lettre de la Lettre de la RMF UE-décembre 2012 LRMF 43 Décembre 2012 avec l’amicale autorisation de Jean-Alexis Tanchou)

Le Master II en visite à l’Ecole de l’Air

27 Dec

Effectuée courant novembre, la visite de l’Ecole de l’Air le a été entièrement organisée pour les étudiants par le capitaine Frédéric Lecoq ; qu’il en soit ici remercié, ainsi que tous les personnels de la base qui nous ont cordialement accueillis.

1e temps de découverte avec le BDE au centre de la base aérienne 701 pour un historique des lieux. Créée en 1935, soit deux ans après l’Armée de l’Air, l’Ecole de l’Air s’installe à Versailles avant d’être déplacé sur le site de Salon-de-Provence en 1937. Les mauvaises langues diront alors que le ministre de la Défense, Pierre Cot, a su valoriser ainsi à la vente des terres inhospitalières détenues par sa belle-famille. L’Ecole de l’Air connaît ensuite les vicissitudes de la seconde guerre mondiale avec l’occupation du site par les Allemands, tandis que son drapeau est caché dans le Massif central et que l’école renaît au Maroc.

IMG_0892 BDE

Vue du BDE

Aujourd’hui, la base 701 accueille l’Ecole de l’Air, l’Ecole militaire de l’Air, le Centre de recherche de l’armée de l’Air (CReA) et le Groupement des Ecoles d’administration de l’armée de l’Air (GEAAA), la Patrouille de France et l’équipe de voltige de l’armée de l’Air. Les différentes promotions sorties de ces institutions prestigieuses reçoivent le poignard, symbole de leur commandement dans la salle des colonnes. Ils choisissent leur parrain au cours d’une cérémonie au début de l’été marquée par la présence du ministre et le survol de la patrouille de France.

Après cette rapide présentation, les étudiants du Master II accèdent à la tour de contrôle de la base et à la station météorologique qui permet d’informer les pilotes sur les conditions de l’environnement proche et régional. Ils peuvent voir en vol la patrouille de France qui effectue une séance d’entraînement pour le programme des meetings 2013. N’hésitez pas à consulter leur site (http://www.patrouilledefrance.fr/). Considérée comme l’une des meilleures formations acrobatiques au monde avec les Red Arrows de la Royal Air Force ou les Blue Angels de l’aéronavale américaine, la Patrouille de France (sous une appellation différente) est présente sur le site de Salon-de-Provence depuis l’origine. Formée de 9 pilotes volant sur Alphajet (dont un remplaçant), elle intègre 3 nouveaux pilotes chaque année.

Troisième temps de la visite avec les hangars de l’équipe de voltige. La France ayant pour particularité de posséder une telle équipe, les pilotes peuvent participer aux compétitions internationales au sein de l’équipe de France. En 2009, elle classe ses pilotes au 1e, 3e et 5e rang des championnats du monde et l’équipe de France se classe également première par équipe. Après une démonstration en vol très spectaculaire, les étudiants peuvent approcher des Extras 330, outil de la voltige française. En réalité, toutes les équipes performantes volent sur des types d’avions extrêmement proches (ceux-ci sont allemands). Assez rustiques sur le plan mécanique pour un maximum de fiabilité en vol, les avions sont très légers. Pour plus d’information sur l’équipe de voltige, nous vous renvoyons à leur site (http://www.equipedevoltige.org/mainsite/).

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Après un déjeuner au mess, les étudiants du Master II se rendent au musée de l’Empéri à Salon pour admirer sa riche collection consacrée aux armées françaises de l’Ancien Régime à la Grande Guerre.

Recherche en sciences sociales en terrain militaire

27 Dec

En attendant l’année 2013, vous pouvez d’ores et déjà cocher sur votre agenda la date du jeudi 7 février. Une journée d’études est organisée à l’Ecole militaire à Paris ; elle sera consacrée à la réflexion sur la recherche universitaire en milieu militaire Affiche JE du 07022013. Dans le cadre de l’IRSEM, l’un des trois coorganisateurs est doctorant au CHERPA, Christophe Lafaye. Vous trouverez ci-joint le programme Programme Journée d’étude 7 février 2013. Nous souhaitons un plein succès à cette judicieuse initiative !

CAMPAGNE d’AFGHANISTAN : LE VOCABULAIRE DES SOLDATS FRANÇAIS TEMOIN D’UNE CULTURE DE GUERRE

21 Dec

L’Afghanistan est une terre de souffrances pour une fin aléatoire, mais aussi un banc d’essai pour de nouveaux matériels. Sur le plan humain, pour les unités engagées, la campagne d’Afghanistan constitue un formidable laboratoire où se forge la dernière génération du feu (très peu de troupes n’y ont pas été projetées). En effet, ces moments partagés ensemble dans un pays farouche soudent davantage la famille militaire ayant une culture de guerre spécifique. La guerre du Golfe en 1990-1991, les expériences exotiques ou dans les Balkans n’ont pu générer un tel phénomène qui n’a d’équivalent, toute proportion gardée en termes d’effectifs, que pour l’avant-dernière génération du feu, celle de la guerre d’Algérie.

C’est en interrogeant sans relâche des témoins de tous grades et de toutes armes des unités des armées de l’Air et de Terre, selon la même méthode que j’ai déjà employée pour le conflit algérien , que j’en suis arrivé à ce qui apparaîtra bientôt comme une évidence.

A l’inverse du système lénifiant des compagnies tournantes déployées par exemple en Côte d’Ivoire où les unités mobilisées se noyaient dans la soupe des traditions des troupes de marine, sans toutefois en comprendre tous les subtils ingrédients, l’Afghanistan c’est l’affirmation de l’esprit de corps qui, joint à la camaraderie, est le rempart le plus efficace contre l’adversité. Il permet de bien se préparer, se motiver afin d’être le plus efficace une fois déployé, ce qu’il faudrait apprendre aux énarques, inspecteurs des finances, qui n’ont de cesse de réduire l’armée française à une collection d’échantillons.

L’Afghanistan manifeste cette culture de guerre, signe de reconnaissance entre soldats et bientôt entre anciens de ce théâtre d’opérations extérieures, par une surabondance de sigles et abréviations et un certain nombre de mots et d’expressions. L’une d’elles résume cette force de la famille régimentaire : « On part tous ensemble, on revient tous ensemble ».
Cette formule prend un aspect bien particulier en Afghanistan où la menace est permanente. Il s’agit de faire comprendre, en maîtrisant la discipline de feu, que la force vient du groupe, que celui-ci ne laissera pas tomber au cœur de l’action un de ses membres et que chacun peut compter sur son binôme (comme dans les forces spéciales), à condition que celui-ci ne se comporte pas en « caporal stratégique » dont la bavure ou le comportement mettent en péril la cohésion de l’unité et portent atteinte à l’image même des forces armées jusqu’au plus haut niveau. Sur le terrain, outre l’héritage propre à une vieille nation militaire, est donc utilisé un vocabulaire spécifique mâtiné de termes empruntés aux Afghans, tout en tenant compte du sabir otanien.

L’héritage
Les escadrons et bataillons envoyés en Afghanistan sont les héritiers d’une longue tradition militaire qui forge les meilleures troupes. En dépit de l’éloignement et des spécificités de ce théâtre d’opérations, des expressions venues de campagnes antérieures sont conservées ou adaptées. Parmi celles-ci, les liens avec la guerre d’Algérie et les souvenirs d’Afrique sont illustrés par un certain nombre de termes qui font partie de la fibre militaire française.

Un premier point, très important pour les hommes qui exposent leur vie dans ce pays farouche : les euphémismes sont tombés graduellement, à l’inverse de la guerre d’Algérie non reconnue officiellement avant 1999. En ce sens, cette dernière génération du feu d’Afghanistan se rattache à celle des soldats d’Indochine ou celles des deux guerres mondiales. En effet, dès 2001, la « campagne » d’Afghanistan est reconnue et vaut le titre de double campagne pour les titulaires de la Valeur militaire (que d’aucuns voudraient enfin voir remplacer par son ancêtre, plus explicite, la Croix de guerre…). Cependant, bien après les Américains, il faut attendre 2010 pour que soient employés par le haut commandement, pour le contingent français engagé à Kaboul, le district de Surobi et la province de Kapisa, les termes « d’opérations de guerre » . Quant à la reconnaissance de l’état de belligérance, aucune guerre n’étant déclarée et aucun Etat ennemi formellement désigné, après une utilisation ministérielle de la langue de bois (« crise », « opérations de maintien de la paix »…), notamment lors de rares débats parlementaires consacrées à l’Afghanistan , il faut attendre le 11 juillet 2011, alors que sénateurs et députés débattent de la question libyenne, pour que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, avant de se rendre sur la base française de Tora, prononce le terme, lourd de sens, de « guerre » . Et ce, plus d’un an après la chancelière Angela Merkel et plus de deux ans après le Président Barak Obama .

Toutefois, le lien entre Afghanistan et Algérie reste assuré par la conservation d’un certain nombre de savoir-faire (recherche opérationnelle, nomadisme des commandos, « système D »…) et d’expressions propres à la culture militaire d’une vieille nation. Le mot « bled » est le propre des vieux régiments de la ci-devant Armée d’Afrique pour désigner les villages ou la campagne afghane. Les paras conservent « Droper le djebel », ce qui signifie être largué par hélico sur une zone de saut. Un terme issu de la terre algérienne fait florès : « choufer » ou observer. Avant toute opération, il faut prendre soin de repérer les « choufs » de l’ennemi ou observateurs potentiels (bergers, marchands ambulants…). Etre « bunkérisée » se dit d’une unité, qui se calfeutre dans sa base au confort moderne. Il s’agit de la version locale de ce qu’on appelait pendant la guerre d’Algérie la « politique du borjd » (fortin) à l’égard de troupes de secteur renonçant aux embuscades et à toute « pacification active ».

Un mot dont l’origine se perd, mais très en vogue en contre-guérilla depuis l’Indochine et l’Algérie, celui de « sonnettes », ou sentinelles postées à des points clefs. C’est un terme à double sens. Les taliban disposent de « sonnettes » en grand nombre autour des positions de la coalition. Ces guetteurs indiquent les mouvements de troupes et de véhicules. Ils sont installés autour des bases et postes avancés, mais aussi en dispositifs d’alerte à l’entrée de vallées ou de villages ou sur les crêtes avoisinantes. Côté français, certes les drones pourraient assurer une veille permanente, mais ils font du bruit et le climat afghan (poussière, froid intense ou chaleur à tuer des chiens) contrarie leur utilisation à 100%. Si bien que les hommes des commandos, non pas seulement ceux des forces spéciales, mais aussi ceux des troupes « combattantes », pour reprendre une expression chère à François Hollande, sont également des « sonnettes » qui, bien dissimulées, indiquent un tir de harcèlement à la roquette des taliban, renseignent, préparent et guident une opération du bataillon français…

Des multiples opérations de projection de puissance en Afrique, au Liban ou dans les Balkans, l’Afghanistan hérite d’expressions passées dans le langage commun. « Vol bleu », à destination immédiate de la métropole pour suites disciplinaires éventuelles, désigne le sort réservé à un militaire du rang ou à un cadre qui constitue, par exemple par abus de boisson dans une base où tout le monde est armé, une menace pour la sécurité de ses camarades. Il va s’en dire que tout militaire tenté par « l’herbe » que vend sur son étal un adolescent apparemment innocent, devant le camp de Warehouse, près de Kaboul, ou à proximité d’un poste avancé en Kapisa, connaît la sanction du « vol bleu ».
En effet, les ordres sont très stricts, il ne faut en aucun cas céder au « syndrome vietnamien », comme quelques Américains en Afghanistan, c’est-à-dire utiliser l’arme secrète des taliban : la drogue à très bon marché. Salles (ou tentes) aménagées de sports et l’utilisation d’Internet aident à évacuer le stress dans les bases au retour d’une opération. Ce qui permet aussi de combattre les « coups de cafard » par une liaison fréquente avec les familles grâce à la téléphonie. C’est le plaisir d’entendre une voix aimée, mais aussi le ressentiment plus profond de la séparation, de l’éloignement qui rend plus vulnérable. L’expression « vol blanc » désigne une évacuation sanitaire vers la métropole pour les blessés graves. A ne pas confondre avec « 9 line » : un message radio issu de l’anglais pour désigner une évacuation sanitaire urgente. Ce message est très précis car il contient en complément la description de l’état du blessé et s’il faut prévoir une évacuation immédiate vers l’hôpital militaire français de Kaboul.

Dès lors que des unités constituées sont projetées en Afghanistan, elles conservent leur vocabulaire. A titre d’exemples, à retenir l’expression que certains ministres ne sont pas prêts d’oublier lors de leur « tournée des popotes » : l’« arrivée grande pente ». Sur un avion de transport de l’armée de l’Air, il s’agit d’une arrivée sans palier sur une base aérienne type Kandahar : descente brutale pour éviter les tirs. Les Rambo des FS (forces spéciales) ont leur signe de reconnaissance par le pseudo adopté par chacun, mais aussi par un vocabulaire spécifique. Une formule résume le vécu de ces hommes, notamment à Spin Boldak jusqu’en 2006 inclus, toutes armées confondues : « se mettre en frigo ». Les membres des FS devant participer à une opération se mettent en « conclave », afin de se concentrer, se motiver et se mettre « dans l’ambiance » de la mission.

Un vocabulaire spécifique

Toutes les armes et spécialités développent en Afghanistan des signes distinctifs qui se retrouvent dans leur vocabulaire. Ainsi pour les commissaires des armées de Terre et de l’Air, une expression apparaît : « l’affaire est dans le trou du cul de l’âne » (variante « le dossier est dans le tuyau ») signifie que « l’affaire est lancée ». La particularité peut concerner également de petites unités, telles les compagnies, devenues des « coy » abréviation de « Company » telle la « coy Reco » (compagnie de reconnaissance). La « coy » désigne également une équipe OMLT (« Operational Mentoring and Liaison Team » ou équipe opérationnelle d’instruction et de liaison au bénéfice de l’entraînement de l’armée afghane. Cette « coy » particulière est forte de 6 ou 8 « pax » français. Cette abréviation initialement réservé à tout « personnel pour le maintien de la paix », finit par désigner tout personnel sous l’uniforme.

« Vert contre bleu » se dit d’une attaque d’un membre de l’ANA (vert) contre un membre de l’ISAF (bleu) en référence à la couleur des uniformes . Cette appellation fait référence aux attaques dont les Français, depuis la fin décembre 2011, sont les victimes (6 tués en décembre 2011 et janvier 2012), mais aussi les autres membres de la coalition (45 tués entre janvier et fin août 2012). Pareille mésaventure survient lorsque les « anges gardiens » (soldats chargés de protéger leurs camarades) ont été pris au dépourvu, ou quand des « gunners », nom donné aux personnes servant une arme collective ou bien se trouvant à l’arrière d’un VAB (véhicule de l’avant-blindé) pour assurer la sécurité du blindé, n’ont pas réagi suffisamment vite.

Banc d’essai de nouveaux matériels, la campagne Afghanistan est aussi riche en nouvelles appellations. Ainsi le « VAB Top » est la dernière version du VAB qui consiste en une tourelle téléopérée avec une mitrailleuse de calibre 12,7mm commandée par un joystick ? C’est la guerre du XXIe siècle à l’aide d’un dispositif qui évoque une console vidéo avec un écran jour et nuit, thermique et infrarouge. Cet engin comporte un télémètre désignant un objectif et en calcule immédiatement les données balistiques. Sa précision permet d’éviter les « dommages collatéraux » frappant les civils.

Des termes issus des langues locales sont également utilisés. Un mot apparaît parmi les premiers rencontrés pour signifier le caractère implacable de l’adversaire : « Bouzkachi ». Ce sport équestre violent, propre des populations de la steppe (Ouzbeks et Turkmènes surtout) du Nord de l’Afghanistan, consiste à s’emparer d’une dépouille de bouc sans tête qu’il faut déposer, après un parcours de longueur variable matérialisé par deux poteaux, dans un « cercle de justice », comme le décrit Joseph Kessel dans Les Cavaliers. « Tchai mekhorid » (« Je vous offre un thé »), est une phrase souvent entendue en Afghanistan. Elle résume le sens de l’hospitalité et accompagne les relations avec la population. Le terme de « Shoura » est employé pour une assemblée avec les « barbes blanches », chef et notables d’un village, lors d’une opération de contre-insurrection : on distribue de l’aide humanitaire, on répare les « karez » (canaux souterrains d’irrigation en Kapisa), tout en essayant de convaincre de cesser d’aider les taliban ou de subir leur présence. Enfin, « Inteqal » est un mot afghan signifiant « transition ». Dans les langues pashtoun et dari, c’est un euphémisme qui concerne le retrait des forces de la coalition.

Le sabir otanien

Nouveau témoin du recul du français, une langue locale otanienne, vrai « novlangue » selon 1984 de George Orwell. Toutefois, les Français ne sont pas englués dans les procédures très compliquées des « caveats ». D’où une certaine ironie concernant l’OTAN ou « NATO : No Action Talk Only » (« pas d’action, on se contente de parler seulement »). Un jeune officier parachutiste, qui veut garder l’anonymat, nous a avoué que, chargé de rédiger le JMO (journal des marches et opérations) de son unité, il plaint sincèrement les historiens qui y auront accès : le langage sera incompréhensible, outre la surabondance de sigles devenus intraduisibles, c’est une langue de mutant qui apparaîtra mêlant à un français résiduel des mots et expressions otaniens passés dans l’idiome commun des militaires.

Ainsi, on ne dit plus « mission de pacification » selon la tradition coloniale française, mais « cimic » ou, selon le sigle américain « CIMIC » (Civilian-Military Co-operation). De même, on ne dit plus « poste », selon un vocable évoquant les guerres d’Indochine et d’Algérie, mais « FOB » (« Forward Operational Base ») ou base, au confort rustique de matériels de campagne et souvent dépourvue de toilettes et de douches décentes avant la fin 2009. On réserve parfois les termes de « fire base » (« base de combat ») pour les éléments au contact de l’ennemi, telle Spin Boldak. Les postes avancés sont des COP (« Combat Out-Post »). Ces petits camps fortifiés abritent une centaine de personnes, dont les instructeurs français qui « mentorent » des soldats de l’ANA (Armée nationale afghane) au sein des « Omelettes », raccourci pour « OMLT ». Ceinturés comme les « FOB » de « bastions walls » (cubes de grillage remplis de pierres ou de terre), ils portent parfois des noms de soldats tombés au champ d’honneur, tel le « COP » Hutnik, en Kapisa qui évoque le sacrifice d’un légionnaire du 2e REP.

S’amorce également en Afghanistan une autre forme de culture issue du vocabulaire spécifique des armes. Facile à retenir, TIC (troop in contact) ou troupe au contact. L’expression désigne à la fois un accrochage et un appel pour un soutien d’artillerie ou un appui feu aérien. Tombée dans la vulgate, l’expression « Shot to kill » signifie tir à tuer, mais en fonction des « SOP » (« Standing Operation Procedure » ou procédure opérationnelle permanente), modèle standard de procédure d’opération type OTAN.

De l’aviation provient un grand nombre d’acronymes, tels JTAC (Joint Tactical Air Control) coordination des actions tactiques aériennes, indispensable pour une demande d’appui feu. Enfin, forgés en fonction des découpages administratifs mis en place par la coalition, apparaissent des sigles qui traduisent des réalités de terrain. On peut rappeler « PRT » (provincial reconstruction teams) ou équipes de reconstruction régionale et « RC » (Regional Command). « Tactical Air Control-Party » désigne une équipe de guidage aérien. Il s’agit d’une petite équipe de trois personnes avec un radio, un pilote et un « FAC » (« Forward Air Controler », contrôleur aérien avancé) qui est en charge du guidage des attaques d’avions et d’hélicoptères.

Cette nouvelle génération du feu se reconnaît également par un raccourci très en vogue, « Afgha », pour désigner ce pays. Autre particularité, les noms de lieux ne sont pas encore fixés, selon qu’on les prononce à l’anglaise ou à la française. Ainsi, l’Hözbin des géographes, devenu Huzbin, le 18 août 2008, demeure Uzbeen dans les médias anglo-américains. De même, la ville et le district de Saroubi, que le quai d’Orsay (division archives) préfère dénommer en 2004, Sarôbi, devient Surobi. Quant à la province de la Kapissa, son orthographe perd un « s » entre la période soviétique et les opérations actuelles en Afghanistan. Des appellations comme « Chicken Street », rue touristique de Kaboul, un peu le Cholon (Saigon) local, surgissent de façon épisodique parmi les témoins. De même le terme de « zone verte » a subi une évolution. Initialement, il était réservé au quartier des ambassades, des palais gouvernementaux et des villas sécurisées par les mercenaires de la capitale ou « Contractors » mot anglais pour mercenaire, qui a supplanté le terme d’ «Affreux ». Mais depuis 2008 et l’implantation en Kapisa, ces termes évoquent une vallée longue et étroite, propice aux embuscades en raison des vergers notamment, vrai « Nid de frelons ».

« Mine overness » (peur des mines), traduit la peur des engins improvisés ou « IED » (« improvised explosive device »), appellation que le commandement tente de remplacer , non sans mal, par « EEI » (engin explosif improvisé). Ces mines de toutes sortes sont responsables d’un nombre de plus en plus important des pertes, quoique les sapeurs, très exposés ((20% des 87 tués français), en désamorcent près de 70% dans les « hot spots » (points chauds). Ce qui donne, comme pour d’autres armes en Afghanistan, une prolifération de sigles tel « WIT » (« Weapons Intelligence Teams ») pour équipes de fouille opérationnelle du génie, avec les moyens de la police scientifique, dont la biométrie qui contribue à identifier les réseaux des poseurs de bombes .

Jean-Charles Jauffret, Professeur des universités et Directeur du Master II

Insurgé, rebelle ou cible ?

21 Dec

Dans ce conflit si particulier où il faut à la fois tendre la main aux populations, assurer sa propre sécurité et poursuivre ceux qui vous tirent dessus, un soldat occidental est souvent gêné quand on lui demande de définir l’ennemi. À l’inverse de la guerre d’Algérie, parmi les témoins français interrogés, aucune connotation raciste n’est perceptible, tout au plus fait-il preuve d’une propension à vouloir dénigrer l’adversaire, assimilé à un « bandit ». Certains se retranchent derrière un acronyme de l’OTAN, OMF (opposing military force), qui ne correspond que de loin à la réalité, tant les taliban sont tout sauf une force militaire classique. En découle le terme de « GAO » ou « groupe(s) armé(s) de l’opposition », qui traduit la complexité afghane où les fidélités sont à géométrie variable. Ainsi, le Tadjik Ghulam Yahya Akbari, ancien membre de l’Alliance du Nord qui a combattu les taliban, est, jusqu’en septembre 2008, ministre des Travaux publics dans le gouvernement avec lequel il ne s’entend pas. Contraint à démissionner, il prend alors le maquis et meurt dans un bombardement aérien dans la province d’Herat en avril 2009.
Perdure l’appellation « insurgent » (« insurgé », en abrégé « ins »), bien avant que la coalition ne désigne le théâtre d’opérations afghan comme zone insurrectionnelle en 2006. En raison de l’influence des jeux vidéo et de la nécessité de manier l’euphémisme lors des actions guerrières dans une société occidentale hypocrite qui rêve d’une guerre aseptisée, l’adversaire est aussi qualifié par un terme anglais issu du langage radio et aéronautique : « target » ou « cible ». Dans les témoignages apparaît également une désignation née de l’expérience américaine en Irak : « bad guy » (mauvais gars et encore plus mauvais quand il devient un « inside killer » (tueur de l’intérieur) quand, infiltré dans les rangs français il tue ses instructeurs, parfois en se transformant en « bouteille d’Orangina » (corps déformé à la taille par des explosifs), ou « suicide bomber », parce que le « screening » ou procédure d’admission des soldats afghans afin d’éviter les taliban infiltrés, n’a pas été mené à bien.
Un autre terme – presque dans nos fibres pour désigner l’ennemi non reconnu –, « rebelle », est employé aussi bien par les Français que par les autres coalisés et l’administration Karzaï. Dans l’histoire des guérillas, l’Afghanistan présente, beaucoup mieux que la Colombie, des guérilleros riches de l’argent de la drogue. Ils peuvent s’offrir les services momentanés d’informateurs, de poseurs de mines improvisées ou de lanceurs de roquettes artisanales contre une base de la coalition. Il devient ainsi difficile de distinguer les « rebelles », de ceux qui sont « récupérables » si on leur donne un emploi, des irrémédiables « bad guys », tout en essayant de convaincre les « modérés » de quitter la « rébellion ». On retrouve ici un peu la même problématique que lors du conflit algérien, encore que, dans ce cas, pour les contemporains vivant sur un territoire de souveraineté française, le terme de « rebelle » pouvait se concevoir – à condition de n’être pas soi-même un « rebelle ». Dans le cas afghan, c’est plus discutable. Si on se fait l’avocat du diable, les taliban n’ont jamais cessé le combat. De leur point de vue, leur pays, l’Émirat islamique d’Afghanistan, a été envahi et ils dénigrent toute légitimité au président Karzaï et à la FIAS.
Dans tous les cas de figure, plus on progresse dans la chronologie du conflit et plus l’« ADIR se durcit » (ADIR : adversaire irrégulier). Il est furtif, fanatique, endurant, imprévisible. Devenu « ennemi de l’intérieur » qui prend pour cible les instructeurs français, il instrumentalise la population, sait se servir du réseau terroriste. Pratiquant le harcèlement, il sait fort bien médiatiser ses actions.

Jean-Charles Jauffret, Professeur des universités et Directeur du Master II

La French Touch

21 Dec

 

Mot tombé un peu en désuétude depuis l’été 2011 où, sur ordre de l’Elysée après des pertes sévères (11 tués à l’été 2011), la « protection de la force » l’a finalement emporté sur les opérations de contre-insurrection en « bunkérisant » les dernières troupes actives, la « french touch » a caractérisé le comportement des soldats français en Afghanistan. Il s’agit de gestes fraternels envers les Afghans, d’un savoir-faire particulier venu de l’héritage colonial et des interventions en Afrique.Cette longue expérience outre-mer donne une faculté d’adaptation qui dénote par rapport à d’autres armées trop rigides dans leurs règlements datant de la Guerre froide. Cette plus grande présence sur le terrain est aussi partagée par l’autre ex-grande puissance coloniale, la Grande-Bretagne.

Spécificité française, les patrouilles ont lieu à pied après débarquement des VAB à proximité de l’objectif. Elles ne sont pas sans risques. Dans la plupart des cas rencontrés par les paras-colos par exemple, treize accrochages majeurs de juillet 2008 à décembre 2009 ont eu lieu à moins de 200 m[1]. A l’orée d’un village, lorsque la population vient à votre rencontre, le fait de ne pas sortir armé de pied en cap de son VAB, de ne pas pointer son arme sur le premier quidam rencontré, d’ôter son casque, est apprécié en terre d’islam où le courage et l’honneur peuvent servir de bouclier. En 2009, le général Marcel Druart, commandant la Task Force La Fayette, ordonne que les deux tireurs placés en sécurité à l’arrière des VAB cessent les « warning shots » (coups de semonce) pour tout véhicule s’approchant à moins de dix mètres, distance de sécurité indiquée par un pictogramme rouge très explicite que le général fait aussi retiré[2]. En ce sens, cette « french touch » incarne ce qu’il faut entendre par « soldat de la paix ». On comprend mieux, dès lors, une remarque du jeune auteur afghan, Atiq Rahimi. Dans un entretien accordé à L’Express du 13 novembre 2008 après l’obtention du prix Goncourt, il remarque que si les Américains ont commis des horreurs qui renforcent la propagande de l’adversaire : « Les Allemands, les Français et les Turcs sont les seuls à être crédibles auprès de la population. Même si on peut se poser des questions sur la stratégie de la force internationale, elle doit rester ».

Tirant les leçons de l’engagement de la 2e Brigade blindée de décembre 2006 à avril 2007, le lieutenant-colonel Benoît Paris note qu’il s’agit avant tout de « gagner le combat de la confiance auprès de la population afghane et de ses chefs locaux », car « chaque fois que la coalition tue un innocent, elle crée cinq insurgés »[3]. Les unités de la FIAS voient arriver un nouveau type d’officier, l’off com qui évoque par certains côtés les cadres du 5e bureau de la guerre psychologique du conflit algérien. Parfois distinct de l’officier de presse ou de l’officier CIMIC, il a un triple rôle. Equivalent français du PIO ou Public Information Officer américain, il doit montrer le meilleur côté de son unité auprès des journalistes « accrédités ». Il est chargé de « l’environnement humain » et reste en contact avec les familles en France. Il intervient enfin auprès des populations locales pour expliquer, via un interprète, une opération en cours. Les soldats français donnent par exemple des « kits » scolaires. On voit même des paras-colos en 2008 distribuer des… poules dans un village.

L’AMG (assistance médicale gratuite sur le modèle algérien) est déjà comprise dans ces missions civilo-militaires, illustration de la volonté affichée par le général Petraeus et dans les traditions de nos troupes de marine « d’humaniser notre présence en apportant un peu d’aide et de développement là où l’on passe ». Lyautey disait déjà « Donnez-moi un médecin, je vous rendrai un bataillon ». Cette recette coloniale, citée parmi les troupes françaises, est illustrée par les sections médicales des unités engagées sur le terrain. Ainsi, si celle du 8e RPIMa, en 2008, traite cinq soldats français polycriblés par des IED, effectue 37 EVASAN (évacuation sanitaire), et donne mille consultations au profit de la population[4].

En bref, du muscle associé à la diplomatie, à la sociologie et à l’économie de marché. Pacifier au XXIe siècle coûte cher : pour le seul village de Surobi, la garnison française de Tora verse 5$/jour à tout paysan qui accepte de creuser, à l’aide de pioches et de pelles généreusement distribuées, des rigoles destinées à capturer l’eau de pluie afin de planter des amandiers en terrasse[5]. Il s’agit d’encourager les initiatives locales en matière de développement, dès lors qu’elles résistent à la tentation du détournement de l’aide internationale. Le simple fait d’acheter sur place des fruits, légumes, eau minérale, œufs et autres produits, à l’inverse des Américains qui font tout venir de leur pays, est un geste simple qui facilite le contact[6]. C’est la tradition française de prendre en compte l’environnement socio-culturel, afin de convaincre la population que son intérêt n’est pas le retour des taliban au pouvoir. Le contact se fait village par village, selon la méthode de la tache d’huile de Gallieni et de Lyautey, c’est-à-dire gagner la confiance des chefs locaux et des imans, sécuriser la vie économique…. Et ce, au nez des taliban et du Hizb-e-Islami de Gulbuddin Hekmatyar, tandis que des troupes de l’ANA et des policiers de l’ANP effectuent, auprès des populations locales, ce qui ressemble fort au modèle colonial des tournées de police et de recensement de population sous la protection, à distance, des mortiers français et de deux hélicoptères de l’OTAN. En près de huit mois les Français distribuent en Kapisa 60 t d’aide humanitaire, assurent 2 200 consultations médicales et dépensent 85 000 euros dans des chantiers de reconstruction (clinique, école, mosquée)[7].

Jean-Charles Jauffret, Professeur des universités et Directeur du Master II


[1] Reportage du Figaro Magazine du 4 octobre 2009, p. 55.

[2] Témoignage du commissaire-commandant Xavier Durand, directeur-adjoint du Commissariat pour les forces armées françaises en Afghanistan, au camp de Warehouse de juillet à novembre 2009.

[3] “La 2e BB en Afghanistan. Retour d’expérience”, Doctrine. Revue d’études générales, n° 15, septembre 2008, p. 78-81, p. 78.

[4] Ibid., p. 59.

[5] Le Monde.fr, 21 juin 2009, p. 1-3.

[6] Témoignage cité du commissaire-commandant Xavier Durand.

[7] Le colonel Le Nen estime que les taliban dans cette vallée en sont réduits au banditisme et sont rejetés par la population : « Afghanistan : la progression des Alliés en Kapisa », Le Figaro, 7 juin 2009, p. 8.

 

Répertoire des articles

20 Dec
Afin de faciliter l’accès aux articles, le répertoire offre un panorama des publications sur ce blog. Pour retrouver un article, vous pouvez taper son titre dans la barre de recherche en haut à droite.
Avril 2013:
- Bachar Al-Assad peut-il gagner une guerre « perdue d’avance »?
- Budget de la défense: la situation était désespérée, est-elle aujourd’hui moins grave?

- Chypre et les relations Russie/UE
- Afghanistan, la guerre inachevée
Mars 2013:
- Légion étrangère: le futur classique de vos bibliothèques
- Calendrier mortel au Mali: comment l’opinion réagira-t-elle?
- Leipzig, dernier opus d’histoire militaire napoléonienne
- République démocratique du Congo: à l’Est, rien de nouveau

- La révolte des mercenaires contre Mobutu en 1967
- Vers une nouvelle stratégie des groupes islamistes nigérians?
Février 2013:
- L’échéance olympique: contre-terrorisme et stabilisation dans le Caucase russe
- La France en voie d’ « afghanisation » au Mali? (Afrique, Mali, Défense et sécurité)
- Mali: moment crucial (Afrique, Mali, Défense et sécurité)
- Quel bilan pour la politique de la « main tendue » envers la Russie en ce début de second mandat de Barack Obama? (Géostratégie, OTAN/Europe, Russie/CEI)
- AL QAEDA, état des lieux (3): Al Qaeda et les Printemps arabes (Défense et sécurité, Afghanistan, Moyen Orient, Afrique)
- AL QAEDA, état des lieux (2): les franchises d’Al Qaeda (Défense et sécurité, Afghanistan, Moyen Orient, Afrique)
- Prix scientifiques de l’IHEDN: Sciences Po Aix à l’honneur
Janvier 2013:
- AL QAEDA, état des lieux (Afghanistan, Défense et sécurité)
- La Cedeao et la dimension régionale dans le règlement de la crise malienne (Afrique, Défense et sécurité, Mali)
- Perceptions et conséquences régionales de l’intervention française au Mali: le cas du Nigéria (Afrique, Mali, Défense et sécurité)
- Intervention au Mali: point sur la situation (Afrique, Mali, Défense et sécurité)
- Vers l’externalisation du maintien et de la consolidation de la paix? (Défense et sécurité, Privatisation)
- Les maçonneries et leurs influences sur les projets de création des Etats nouveaux en Amérique (Histoire militaire)
- Enigma: le renseignement au coeur de la Seconde Guerre mondiale (Histoire militaire, Renseignement)
- Mythique Diên Biên Phu (Asie/Océanie, Histoire militaire)
- France-Mali: Checklist pour une intervention (Afrique, Géostratégie, Mali)
- L’intervention militaire au Mali. Première étape d’une résolution de crise à l’échelle régionale? (Afrique, Géostratégie, Mali)
- Mercenaires et/ou volontaires : engagements de combattants français de la Rhodésie à la Yougoslavie (1976-1995) (Histoire militaire)
- HAARP, un programme américain de guerre climatique? (Défense et sécurité)
Décembre 2012 :
- L’Union européenne s’entraîne à la gestion de crise: MULTI LAYER 12 (Défense et sécurité)
- Campagne d’Afghanistan: le vocabulaire des soldats français témoin d’une culture de guerre (Défense et sécurité)
- Insurgé, rebelle ou cible? (Défense et sécurité)
- La French Touch (Défense et sécurité)
- Afghanistan : pendant que l’on se retire, la drogue continue de proliférer… (Défense et sécurité)
- Les mutations du monde des combattants privés : de Bob Denard aux « nouveaux entrepreneurs de guerre » (Défense et sécurité)
Novembre 2012 :
- Camerone, l’épisode fondateur de la Légion (Histoire militaire)
- Réflexions sur la guerre motorisée (Histoire militaire)
- La contribution de la Pologne au nouveau concept stratégique de l’OTAN (Défense et sécurité)
- Pourquoi Vladimir Poutine limoge son ministre de la Défense (Défense et sécurité)
- Les enseignements de l’intervention en Libye de 2011 sur la stratégie aérienne et sur la doctrine d’emploi des moyens aériens français (Défense et sécurité)
Octobre 2012 :
- Lectures du moment (Histoire militaire)
- La montée en puissance des sociétés militaires chinoises (Géostratégie)
- Bilan en cours de la réforme de l’armée russe (Géostratégie)
- La paix sous contrat : la privatisation militaire américaine dans la guerre de Bosnie (Géostratégie)
- Afghanistan : le front des opinions publiques (Défense et sécurité)
- Brigades internationales : Franco aussi (Histoire militaire)
- Le règlement de la crise iranienne : étude prospective (Géostratégie)
- Du Bouclier antimissile aux nouvelles relations américano-russes 2000-2011 (Géostratégie)
- Des mercenaires des mers aux ESSD : les suites à apporter au rapport Ménard/Viollet (Défense et sécurité)

Afghanistan : pendant que l’on se retire, la drogue continue de proliférer…

8 Dec

C’est à Hillary Clinton, dès sa prise de fonction au sein de l’administration Obama, que l’on doit l’association officielle du terme de « narco-Etat » à l’Afghanistan. En effet, le 5 février 2009, dans un rapport remis au Congrès et lors de sa présentation devant les membres de la chambre haute américaine, la nouvelle Secrétaire d’Etat ne mâchait pas ses mots et parlait de l’Afghanistan comme un « narco-Etat (…) hanté par des capacités limitées et une corruption généralisée ». Si la formule employée par Hilary Clinton est quelque peu vindicative et sans doute teintée d’un mélange d’exagération et de confusion au moment où elle est prononcée, celle-ci a tout de même le mérite de soulever une problématique oubliée ou plutôt cachée par l’importance du conflit international : la question de la drogue.

            En réalité, la question de la production de drogue en Afghanistan s’avère être un sujet important pour celui qui cherche à saisir l’histoire de ce pays mais aussi à comprendre la situation actuelle. Ainsi, se demander si l’Afghanistan est aujourd’hui un narco-Etat, c’est soulever un paradoxe assez étrange à première vue. Ce paradoxe c’est celui d’un Etat à la fois premier coupable du développement de la question de la drogue et première victime de sa passivité, de son inefficacité. C’est pourquoi l’étude de la question du narco-étatisme doit tenir compte de cette triple dimension territoire - population - institutions. Et, à l’heure où le retrait de la coalition est entamé, il est temps de tirer un bilan sur le rapport qu’entretiennent l’Etat afghan et la question de la drogue.

            D’abord, il est évident que la présence de la drogue sur le territoire afghan ne date pas de l’intervention de la coalition en 2001. Ses racines sont lointaines et remontent sans doute à Alexandre le Grand au IVème siècle av J-C. De fait, très tôt, et notamment dans le cas de l’Afghanistan, l’histoire du pavot représente l’histoire d’une diffusion et d’un commerce. L’histoire de la production n’est venue que bien plus tard et c’est le contexte de conflit continu alimenté successivement par l’intervention soviétique entre 1979 et 1989 et la période de guerre civile entre 1989 et 1996 qui explique le véritable décollage de la production de drogue et la transition vers une économie de la drogue. Au cours de cette période, la drogue s’enracine dans les pratiques et les mentalités. Et contrairement au rigorisme et au puritanisme affichés par le régime des taliban, ce dernier ne met pas fin à la présence de la drogue en Afghanistan. L’année 2000, par la décision radicale du mollah Omar d’interdiction totale de la production, n’est en réalité qu’un bref intermède. Entre temps, la drogue est passée du rang d’élément conjoncturel (utile pour financer l’effort de guerre) à celui d’élément structurel faisant désormais partie du paysage national.

            Néanmoins, il est certain que l’intervention américaine a servi de catalyseur à la question de la drogue sur le territoire afghan. En effet, entre 2001 et 2012, le renforcement de l’économie de la drogue a d’abord été permis par l’explosion et la diversification de la production des plantes à drogue. Les trafics liés à la drogue ont eux aussi connu leur heure de gloire. Dès 2001, les Etats-Unis n’ont d’autre alternative, pour gagner la guerre contre le terrorisme et de tenir le pays avec un minimum de forces en présence, que de pactiser avec les chefs de l’Alliance du Nord, ces chefs de guerre qui sont aussi les derniers producteurs de drogue. Dès lors, ces chefs de guerre convertis pour l’occasion en barons de la drogue ont saisi l’ouverture et ont utilisé la complaisance des Etats-Unis ainsi que la faiblesse des autorités en place pour étendre leurs juteux trafics. Cette extension des trafics a été l’occasion d’une pénétration assez singulière du capitalisme en Afghanistan dont les préceptes ont été appliqués en priorité au système de la drogue pour ainsi donner naissance à un marché national unifié.

            Ce marché a certes une dimension nationale, il ne s’arrête pas pour autant aux frontières si poreuses de l’Afghanistan de sorte que le pays fait figure d’espace carrefour pour le trafic mondial de drogue. La notion de Croissant d’Or qui regroupe ces trois pays que sont l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan en raison des liens qu’ils entretiennent dans le trafic régional et mondial de drogue, continue de subsister mais elle perd en pertinence pour deux raisons. D’une part, dans cet ensemble, l’Afghanistan écrase toute concurrence que ce soit pour la production ou le trafic. D’autre part, de nouveaux voisins comme les anciennes républiques socialistes soviétiques contribuent à ôter toute rigidité aux frontières du Croissant d’Or. L’Afghanistan continue d’être à la croisée des chemins de la drogue vers l’Occident mais les routes qui s’y croisent sont toujours plus nombreuses. Aux routes traditionnelles se joignent maintenant de nouvelles routes, surtout au Nord, renforçant au passage le rôle de pivot que joue l’Afghanistan dans l’économie mondiale de la drogue. Le problème est que le long de ces routes, la drogue afghane, en se diffusant, répand la toxicomanie et la pandémie du VIH.

            Sauf que la jeune République islamique d’Afghanistan n’est pas innocente dans cette influence de la drogue sur son territoire et sur sa population. La question était donc de savoir si cet Etat bénéficiait plus de la question de la drogue qu’il n’en souffrait. A ce sujet, la réponse à apporter ne pouvait être plus évidente. Depuis 2001, la pression exercée par la drogue sur l’Etat n’a fait que croître et ce pour plusieurs raison.

            La première est bien sûr le manque de maturité des institutions en place. En 2001, dans la logique des Etats-Unis, la victoire serait obtenue une fois la nébuleuse Al Qaïda anéantie, les taliban chassés et un gouvernement ami installé au pouvoir. Mais les Etats-Unis, impliqués à fond dans leur logique de guerre contre le terrorisme, ont oublié les principes fondamentaux de la science politique. Ce qui fonde la souveraineté d’un Etat, c’est la permanence de ses institutions, leur pérennité. Face à un peuple qui n’en est pas un en temps de paix et qui n’en est un uniquement lorsqu’il s’agit de se coaliser contre l’occupation de l’étranger, la conquête de la souveraineté ne s’annonçait pourtant pas comme une tâche routinière. Et ce n’est que trop tard, avec la perte de l’initiative militaire sur le terrain, que les troupes occidentales ont pris conscience de l’intérêt de protéger ce nouvel Etat. Car ce qu’il fallait, c’était d’abord  l’enraciner, l’inscrire dans les mentalités plutôt que de continuer, en faisant un usage forcené et tête baissée du tout militaire, à alimenter le mouvement des « déracinés », tous ces combattants qui ne se retrouvent pas dans les nouvelles institutions. Bien que plus adaptée, la stratégie de contre-insurrection mise en place par l’administration Obama est arrivée trop tard, ce qui explique sans doute son échec.

            La deuxième est que cet Etat cumule les faiblesses internes ce qui le rend très vulnérable à la drogue. La République islamique d’Afghanistan est aujourd’hui un Etat faible et il ne fait plus aucun doute que cet Etat deviendra défaillant le jour où partiront les troupes de la coalition. Lorsqu’il ne se fragmente pas du fait de la concurrence alimentée par des trafics comme celui de la drogue, le pouvoir se trouve, par un complexe jeu d’équilibriste, trop concentré. Et puis il ne faut pas oublier que si la drogue est un des nerfs des rivalités de pouvoir, elle est aussi un des nerfs de la lutte des taliban : un nerf tant économique que symbolique. Cela ne signifie pas pour autant que la drogue bénéficie davantage aux taliban qu’à un autre groupe.

            Car, et c’est bien la troisième raison, l’influence de la drogue sur l’Etat afghan et ses fonctionnaires va croissante. L’analyse verticale du pouvoir permet d’établir que la drogue concerne tant les sommets du pouvoir que les échelons les plus bas. Mieux, il semblerait qu’il y ait un lien entre le rang occupé dans la hiérarchie du pouvoir et l’importance de la place occupée dans l’économie de la drogue. L’analyse horizontale du pouvoir va dans ce sens en ce que les dirigeants des provinces et les seigneurs de guerre sont souvent des trafiquants locaux de drogue. Ainsi, s’il est une menace pour l’Etat, c’est parce que l’argent de la drogue bénéficie à toujours davantage d’acteurs du pouvoir qui servent leur intérêt personnel avant de servir l’intérêt national. Sous cet angle, même Hamid Karzaï peut être perçu comme un pouvoir concurrent de l’Etat démocratique tel qu’il devrait fonctionner d’après les textes. Et l’analyse systémique de la drogue a bel et bien été la clef pour soulever le nœud du problème. Elle donne une réponse ferme à la problématique posée. Si un narco-Etat est un Etat dans lequel l’argent de la drogue sert directement à financer les politiques publiques, alors l’Afghanistan n’entre pas dans cette catégorie. Car l’argent de la drogue bénéficie avant tout à des acteurs privés, ce qui ne les empêche pas de participer au pouvoir. Par conséquent, l’Afghanistan fait aujourd’hui figure d’Etat sous influence voire sous menace de la drogue et également d’Etat trafiquant tellement la proximité des hommes de pouvoir avec le trafic de drogue est forte.

            Cependant, si la lutte n’est pas durcie, cet Etat risque clairement de le devenir à très court terme. Que se passera-t-il après 2014 si les perfusions financières diminuent ? Le pouvoir étant le chantre des rivalités, il y a fort à parier que si un jour « l’Etat c’est lui! » pour reprendre une image bien connu du pouvoir personnel, le dirigeant utilisera la drogue pour se maintenir en place et renforcer son autorité. C’est ce qui commence à se passer aujourd’hui. Dans le cas de l’Afghanistan, le passage d’un Etat trafiquant à un narco-Etat n’est pas une hypothèse sans fondement ; la nuance ne tient aujourd’hui qu’à un fil.

            Pour la bonne vie du pays, il est donc absolument essentiel de lutter contre la drogue. Tous les avantages d’un développement grâce à l’économie illicite et d’un apaisement du climat politique par l’arme de la drogue ne sont bons qu’en apparence et surtout seulement à court et moyen termes. Et pour répondre à la question que se pose Pierre-Arnaud Chouvy, à savoir si en Afghanistan, la drogue ne pourrait pas être considérée comme un « mal nécessaire »[1], elle n’en est pas un. C’est un mal en soi. Les raisons de lutter sont par conséquent nombreuses et fondées. Premièrement, plus qu’un concurrent du pouvoir démocratique, la drogue est aussi un concurrent de la régulation sociale. La drogue est en train de devenir une forme de « sacré » de la société afghane. Et une société qui se tient par un élément illicite a-t-elle vraiment de chances de se constituer et de survivre? Tout porte à croire que non parce que la drogue alimente les rivalités, les crimes, les pratiques frauduleuses, la corruption de masse et les abus en tout genre. De même, comment une société ne pourrait pas être menacée par la drogue alors que cette dernière provoque des conséquences sanitaires dramatiques ? Enfin, et ce n’est pas propre à l’Afghanistan, comme le défend Aymeric Chauprade, la drogue est un « carburant géopolitique »[2]. Plus qu’entre les individus d’une même société, qu’entre les citoyens et les acteurs d’un même Etat, la drogue alimente également les tensions entre les Etats expliquant pour l’occasion pourquoi la question de la drogue afghane est aujourd’hui traitée à l’ONU comme une menace à la sécurité internationale.

            La lutte qui a été menée jusque-là donne l’impression d’être décousue. Elle est décousue car à chaque type d’acteurs correspond une conception bien précise mais différente de celle des autres de l’entreprise à diriger. Les autorités afghanes, malgré des textes bien fournis en la matière n’ont encore que peu de moyens. Mais ce qui leur fait surtout défaut, c’est la volonté. Cette carence en volonté est compréhensible lorsqu’il s’agit de ménager une population pauvre qui n’a parfois pas d’autre moyen que la culture du pavot pour survivre mais elle est complètement inacceptable quand elle consiste à épargner les trafiquants et les hommes politiques de tout jugement et de toute peine. La stratégie de la coalition a pâti de la trop lente prise de conscience américaine du fait qu’insurrection et drogues étaient étroitement imbriquées. Mais comme à leur habitude, quand la décision est prise, les Etats-Unis se lancent avec tous les moyens nécessaires, qu’ils soient conciliants ou radicaux, dans la lutte. Le résultat ? Des effets contre-productifs des campagnes d’éradication, des millions de dollars utilisés à contre-courant et un délais trop long entre la prise de conscience et la réflexion profonde. Les Américains ont agi, observé puis réfléchi. Au contraire, dans le cas de la drogue, il faut observer, réfléchir et agir. Et réfléchir de concert avec les autres membres de la coalition. En la matière, les organisations régionales ou internationales ont un rôle à jouer.

            En effet, en faisant le bilan de ces années de lutte, on comprend tout de suite que ce qui fait d’abord défaut à toutes ces stratégies de lutte, ce ne sont pas tant les moyens mais leur coordination. Par ailleurs, il convient d’adapter les outils utilisés aux objectifs poursuivis et faire preuve de plus de flexibilité. Le système de la drogue n’est pas un bloc monolithique. Les acteurs, les rôles, les pratiques et les bénéfices sont différenciés. Les méthodes de lutte doivent l’être tout autant. Maintenant, face à une crise aussi profonde que celle du conflit afghan et de la drogue en Afghanistan en particulier, ce qu’il faut espérer c’est que les moyens mobilisés le seront sur le long terme. C’est ce que rappellent d’ailleurs les autres expériences de lutte contre la drogue.

            En attendant 2014, il est fondamental de prendre le problème à la racine et dans ces derniers instants avant le retrait, de tout mettre en œuvre pour concentrer l’action sur les deux clefs de voûte du problème de la drogue que sont le développement économique comme frein à l’économie illicite de grande ampleur et le système sanitaire et social afin de développer un système de prévention et de soin à la hauteur de l’enjeu. S’il est bien une leçon à retenir, c’est que le front de la bataille contre la drogue afghane ne se gagnera pas contre l’armée désormais trop puissante des offreurs, mais plutôt en exploitant les faiblesses de la troupe des demandeurs.

Benjamin Bord, ancien moniteur et diplômé du Master II en 2012


[1] CHOUVY (Pierre-Arnaud), « Le défi afghan de l’opium », Etudes, décembre 2012, tome 405, p605.

[2] CHAUPRADE (Aymeric), « La drogue, un carburant géopolitique », La Nouvelle Revue d’Histoire, juillet-août 2010, n°49, p58.

Les mutations du monde des combattants privés : de Bob Denard aux « nouveaux entrepreneurs de guerre »

3 Dec

Réunissant trois intervenants d’horizons diverses à l’initiative de Walter Bruyère-Ostells, maître de conférences en Histoire, la demi-journée d’études du 22 novembre 2012 à Sciences Po Aix a visé à établir un panorama des mutations du monde des combattants privés et des liens avec celles de l’outil militaire étatique. François-Xavier Sidos, ancien officier de la Garde Présidentielle des Comores sous les ordres de Bob Denard, a ouvert la conférence sur le thème des mutations du mercenariat et a cherché à balayer d’emblée un certain nombre d’a priori en la matière. Journaliste à Ouest-France, animateur du blog Lignes de défense et spécialiste reconnu du sujet, a poursuivi en analysant les formes d’externalisation de la défense, notamment en France. Philippe C. a finalement clôt la conférence en relatant son expérience en Irak dans une société anglo-saxonne.

 

Les mutations du mercenariat perçues par l’un de ses acteurs : (intervention de François-Xavier Sidos appuyée par un diaporama FXS 22 novembre 2012 )

Le phénomène du mercenariat est chargé en France d’un certain nombre de stéréotypes et d’apparences qui en faussent l’analyse. Parmi eux :

-          La France se serait débarrassée de son mercenariat archaïque, artisanal, non professionnel, avec comme exemples les plus évidents les deux opérations aux Comores de décembre 1989 et d’octobre 1995. C’est une idée que François-Xavier Sidos réfute, en soulignant qu’il ne s’agissait nullement d’une « bande de copains », mais d’un groupe organisé et parmi les plus efficaces du continent africain. C’est ici le côté archaïque qui est mis en cause.

-          La France lutterait contre le mercenariat, en particulier avec la loi d’avril 2003.

-          La France n’agirait pas sur le marché des prestations militaires privées.

Toutefois la réalité est plus complexe : les opérations par des mercenaires français n’ont pas cessé (Zaïre 1997, Congo 1998-99-2000, Côte d’Ivoire 2003) pour celles dévoilées dans la presse. De plus, des Français opèrent de fait sur le marché des prestations militaires privées. Ils opèrent en effet dans des sociétés étrangères, comme sous-traitant de celles-ci et/ou dans des structures qu’ils créent à l’étranger. Aucune société militaire privée (SMP) ne pouvant exister sur le marché métropolitain français. Il remarque, par ailleurs, que la loi de 2003, si elle empêche à la France de développer un secteur militaire privé, n’a donné lieu à aucune procédure.  Elle a donc pour principal effet de gêner une concurrence française aux acteurs militaires privés extranationaux, et plus particulièrement anglo-saxons.

Or, François-Xavier Sidos pointe ensuite une « coïncidence » intéressante. L’année 1989 est le théâtre de :

-          L’opération Azalée, intervention militaire française visant à obtenir le départ des mercenaires de Bob Denard de leur base comorienne.

-          La création d’Executive Outcomes (EO), la première grande SMP moderne et qui domine le marché dans la décennie suivante.

C’est au moment où la France, jusque-là en pointe dans ce domaine, se prive de mercenaires, que se développent les SMP. Depuis, le « discours autorisé », ou politiquement correct, opposerait le mercenariat « artisanal » au mercenariat moderne, entrepreneurial, organisé et efficace. Il y aurait un courant dominant en France, qui considérerait comme normal que la France ait abandonné son mercenariat archaïque, alors qu’au même moment se développait des multinationales anglo-saxonnes.

L’opposition mercenaires traditionnels/SMP servirait les intérêts anglo-américains en neutralisant toute concurrence française, mais en total décalage avec la réalité des faits.

Selon François-Xavier Sidos, trois formes de mercenariat se seraient développées à travers l’histoire, sachant évidemment qu’elles se juxtaposent souvent :

-          Des formes « militaires » : intégration aux forces armées nationales, comme les Gardes écossais des rois de France, les Suisses, les Lansquenets et Reîtres, les Gardes présidentielles africaines,…

-          Des formes « engagées » : agrégations de combattants autour d’une cause, d’un chef ou d’une occasion, comme les Brigades internationales de la Guerre d’Espagne ou certaines opérations spéciales de Bob Denard.

-          Des formes « entrepreneuriales » : structures permanentes qui vendent leurs prestations, comme les Condottieri de la Renaissance ou les SMP actuelles.

M. Sidos pointe l’exemple auquel il a participé. Les mercenaires de Bob Denard appartiennent à la fois à la forme engagée, avec les coups d’Etat, et à la forme militaire, dans le cadre de la Garde présidentielle des Comores. Il revient alors sur cette dernière.

Créée en 1979, la Garde présidentielle des Comores est équipée et financée par l’Afrique du Sud de 1979 à 1989, en l’échange d’une station d’écoute du Mozambique. Elle aurait par ailleurs opéré en total accord avec la France, pour un certain nombre de raisons :

-          Sur toute cette période, l’Afrique du Sud est équipée en armement par la France malgré l’embargo.

-          Des cadres de la Garde sont été formés en France, y compris par le GIGN.

-          Du matériel et de l’armement ont été fournis par la coopération militaire française.

-          Le recrutement des cadres européens est effectué en France, sous le contrôle des services français.

Le « système Denard » n’avait en outre rien d’artisanal à l’époque. Il disposait d’antennes à Paris et Pretoria et d’une unité opérationnelle à Moroni, d’où d’autres opérations « couvertes » ont été montées (Tchad par exemple).

Véritable unité militaire, la Garde présidentielle était de l’ordre d’un bataillon et aurait eu le niveau opérationnel d’une unité parachutiste française. Il s’agissait ainsi de la principale force armée officielle des Comores. Cependant, à partir de 1988, un revirement français et sud-africain est observable. A la suite du décès du président Ahmed Abdallah, imputée à tort à Bob Denard (il sera acquitté), la France monte une intervention relevant la Garde présidentielle et exfiltrant Bob Denard en Afrique du Sud et certains autres membres en France.

Un nouveau coup d’Etat aux Comores intervient en 1995 par l’intervention d’une équipe dirigée par Bob Denard et au sein de laquelle François-Xavier Sidos est présent. Elle destitue le président Djohar. Une intervention militaire française est une fois de plus organisée, mais il est établi que Bob Denard a agi au profit des autorités françaises qui l’ont ensuite « lâché » (jugement du 20/06/2012 ; témoignage de M. Rocard dans un documentaire France O consacré à Bob Denard intitulé Le sultan blanc des Comores).

Il est important de rappeler que le mercenariat a été la norme, y compris en France, jusqu’à la Révolution française. Et même au cours des guerres de la Révolution et de l’Empire, de nombreuses troupes étrangères combattirent dans les armées françaises. Un bilan détaillé du recours au mercenariat depuis la Révolution est tiré par Walter Bruyère-Ostells dans son Histoire des mercenaires (Tallandier, 2011).

Par ailleurs, travaillant sur les archives personnelles de Bob Denard, il partage la plus grande partie des affirmations de François-Xavier Sidos. En revanche, certaines précisions doivent être apportées. Certaines opérations des hommes de Denard relèvent d’un « mercenariat engagé » ou de formes de volontariat armé international (engagement pour la cause Karen notamment) qui les rapproche de Malraux ou Che Guevara comme l’a indiqué François-Xavier Sidos. Pour autant, ces derniers sont uniquement impliqués dans des actions de volontariat armé sans la moindre dimension de mercenariat au sens où on l’entend généralement. En réalité, certains mercenaires peuvent répondre à des motivations idéologiques et non financiers, ce qui complique l’analyse du phénomène du mercenariat.

Pour en savoir davantage sur le point de vue de François-Xavier Sidos, on peut avoir recours à son ouvrage Les soldats libres : la grande aventure des mercenaires, Paris, L’Aencre, 2002. Pour la période du mercenariat français autour de Bob Denard, l’association Orbs Patria Nostra livre de nombreux témoignages et des photographies sur son site (www.orbspatrianostra.com)

 

L’externalisation en matière de défense : (Intervention de Philippe Chapleau appuyée par un diaporama Prsentation Ph. Chapleau)

 

La terminologie est importante, car les notions d’ « externalisation », de « SMP » et de « mercenariat » forment une relation triangulaire et séculaire. Elles renvoient toutes à quelques phénomènes communs :

-          Elles répondent à l’absence de moyens financiers, humains ou matériels.

-          Elles mettent en œuvre 3 acteurs : un donneur d’ordres, un entrepreneur de guerre et des exécutants.

Il s’agit également d’une relation séculaire :

-          Les Suisses, qui étaient très loyaux : à la bataille de Malplaquet, il y en avait des 2 côtés, mais ils se sont battus fidèlement pour leurs donneurs d’ordre.

-          La VOC (compagnie des Indes néerlandaises) est la 1ère multinationale de guerre de l’histoire. Son lancement date de 1602, à la création des Provinces unies. Elle va gérer la partie du monde à l’est du cap de Bonne Espérance pendant près de 2 siècles.

-          Les condottieri.

Philippe Chapleau considère que les SMP peuvent être définies comme des structures commerciales privées qui fournissent à des clients, principalement étatiques, des prestations traditionnellement effectuées par les forces armées. Il souligne, lui aussi, la connotation péjorative des SMP en France, due à un héritage historique et à la médiatisation de bavures commises en Irak et en Afghanistan. Il fait cependant remarquer que ces bavures représente une infime minorité de comportements et que ce sont toujours les mêmes exemples qui sont repris (Dyncorps en ex-Yougoslavie et Blackwater en Irak).

Philippe Chapleau propose alors une nouvelle terminologie, plus spécifique aux activités de ces firmes :

-          SPER : société de protection des environnements à risques (comme Gallice Security)

-          ESOA : entreprise de soutien opérationnel aux armées (comme SGS, Sodexo Defence, Access)

Le recours aux SPER et ESOA s’explique par une question de moyens, et notamment deux facteurs majeurs :

-          le stress budgétaire, car cela permet de contourner des investissements lourds avec des PPP (partenariat public/privé), par exemple pour les hélicoptères d’entraînement.

-          le besoin de capacités additionnelles, comme l’emploi d’avions Antonov pour le théâtre afghan, le recours à des navires civils pour transporter de l’armement ou pour le soutien médical. En GB, comme dans d’autres pays, les capacités de soutien médical sont presque inexistantes, ce qui a encouragé le développement de compagnies privées dans ce secteur. Ainsi, quand les Australiens ont été déployés au Timor, ils ont recouru à une firme pour le soutien médical. Le problème se posera aussi sûrement pour le Mali, où l’on sait déjà que l’on aura des déficiences en matière médicale.

Les domaines concernés sont vastes :

-          Formation (tous types).

-          Logistique et le facility management. Les contrats dans ce domaine ont représenté des sommes financières importantes. KBR a ainsi signé un contrat de 29 milliards de dollars pour l’Irak (avec bénéfice à 9%).

-          Protection/ sécurité maritime.

-          Déminage : le gros du déminage est fait par des entreprises privées.

-          Renseignement : 70% du renseignement américain vient de sociétés privées.

-          Soutien médical.

Etat de l’externalisation en France :

Philippe Chapleau pointe deux constats : une prudence de mise au vu des risques (il rejoint les propos de François-Xavier Sidos), mais des externalisations plus nombreuses qu’on ne le croit. Elles concernent notamment :

-          La restauration et facilities management.

-          L’entraînement/formation (Apache Aviation, Strike Global Services, qui propose de la formation aux armées étrangères, mais aussi un soutien logistique et de la lutte anti-piraterie, avec notamment la fourniture de bateaux armurerie).

-          La MCO (maintien en condition opérationnelle) et maintenance.

-          Le soutien logistique.

-          Le renseignement (CAE Aviation)

On constate en effet une hausse de l’externalisation dans la part du budget militaire français : 2% en 2001, 4% en 2008. On reste cependant loin des 25% du budget britannique.

Les premiers bilans peuvent être tirés de six dossiers étudiés par la Cour des Comptes : si un est défavorable et un autre marginalement positif, quatre autres ont permis des gains importants.

Philippe Chapleau propose quelques mesures afin d’encadrer et de développer avec efficacité ce domaine : cesser de procéder par à-coups, définir un périmètre, développer le secteur privé français et mettre en place des outils de contrôle. Il est en effet intéressant de développer un secteur privé français, pour :

- Etre prêt à répondre à la commande publique.

- Eviter que l’Etat ne fasse appel à des sociétés étrangères.

- Forcer la mise en place d’un cadre et d’outils de régulation.

La conjoncture actuelle est particulièrement importante. Avec les retraits d’Irak et d’Afghanistan, les groupes anglo-saxons se préparent à de nouvelles fusions et vont former des conglomérats gigantesques, ce qui risque de poser une menace aux sociétés françaises trop petites pour émerger sur un secteur très concurrentiel.

Pour en savoir davantage, nous nous incitons à lire le dernier ouvrage de Philippe Chapleau, Les nouveaux entrepreneurs de guerre, des mercenaires aux Sociétés Militaires Privées, Paris, Vuibert, 2011.

 

La troisième communication est le témoignage d’un contractor sur son expérience pendant la guerre d’Irak. 

Sciences Po Aix et l’ensemble du master Histoire militaire comparée remercient chaleureusement les intervenants pour leur disponibilité et l’intérêt de leurs propos et espère les réunir prochainement dans le cadre d’une nouvelle conférence. La privatisation militaire est un phénomène de plus en plus étudié et nous vous renvoyons aux articles publiés sur le blog Etudes Géostratégiques pour d’autres informations.

 

 

 

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