Archive | janvier, 2013

Al Qaeda, état des lieux

31 Jan

Diplômé en 2012 du Master II, Romain Sens propose un état des lieux sur la nébuleuse Al Qaeda en 3 points : Al Qaeda central, les franchises ou branches régionales de la nébuleuse et Al Qaeda dans les printemps arabes. La première partie est mise en ligne aujourd’hui ; les deux parties suivantes viendront compléter cet état des lieux dans les jours qui viennent.

 

Partie 1 : Le Waziristan, dernier sanctuaire d’Al-Qaïda Central.

 

Depuis le 11 septembre 2001, l’organisation djihadiste internationale Al-Qaïda a eu à affronter de nombreux défis après être entrée en guerre ouverte totale avec les Etats-Unis.

Les objectifs de son fondateur Oussama Ben Laden étaient doubles : provoquer des attentats terroristes de masse sur le sol occidental afin d’effrayer les populations américaines et européennes et les convaincre d’obliger leurs gouvernants à se retirer du Moyen-Orient, tant en termes de déploiement militaire que d’influence géopolitique. Dans le même temps, ces attaques devaient galvaniser les populations arabo-musulmanes et les amener à chasser leurs gouvernants autocrates afin de réinstaurer un califat, en commençant par l’échelle régionale.  Cette doctrine caractéristique du djihadisme a été la matrice de la nébuleuse Al-Qaïda depuis sa fondation à la frontière afghano-pakistanaise en 1987 par Oussama Ben Laden et Abdullah Azzam.

Contrairement à l’AKP turque par exemple, Al-Qaïda s’est toujours opposée à un processus de prise de pouvoir par la voie démocratique, affirmant que la Charia et le Califat ne doivent être imposés que par la seule force des armes (la légitimité du Califat devant provenir d’Allah et non du peuple). Cependant les conséquences du 11 septembre 2001 ont entrainé une divergence au sein de l’organisation quand à la stratégie globale à adopter. Oussama Ben Laden, voulait frapper l’Occident de la même façon que lors des attentats du 11 septembre 2001 par des attaques spectaculaires. Sans être directement orchestrés par Oussama Ben Laden, les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2006 se sont inscrits dans cette stratégie. Mais le renforcement de la lutte anti-terroriste au sein des pays occidentaux a empêché l’organisation de rééditer ensuite des attentats de cette ampleur. De même la lutte que mènent depuis 11 ans les Etats-Unis en Afghanistan et au Pakistan contre la nébuleuse djihadiste constitue l’une des raisons de l’échec d’Al-Qaïda à poursuivre des campagnes terroristes. De graves reproches ont été adressés à Ben Laden par certains de ses cadres après l’invasion de l’Afghanistan par les troupes de l’OTAN : en ayant attaqué spectaculairement les Etats-Unis en 2001, Oussama Ben Laden avait réveillé un géant endormi, dont la riposte a privé l’organisation de son principal sanctuaire depuis la prise de pouvoir à Kaboul des Talibans en 1996. De fait, en détruisant les camps d’entraînements d’Al-Qaïda en Afghanistan, notamment celui de Jalalabad, les Etats-Unis ont détruit la principale base de préparation aux attaques terroristes en Occident. Ne pouvant plus toucher l’ennemi jusque chez lui (même si de nombreuses tentatives continuent d’être menées comme celle de Farouk Omar sur le vol américain du 24 décembre 2009), Al-Qaïda a donc entamé une réorientation stratégique.

La stratégie d’Al-Qaïda repose désormais sur l’équation suivante. Avant de pouvoir un jour frapper à nouveau (et si possible plus durement et durablement) l’Europe et les Etats-Unis, Al-Qaïda estime qu’il est nécessaire de prendre le pouvoir dans des régions du monde arabo-musulman ; d’y exercer un contrôle du territoire et d’y faire respecter la souveraineté de la Charia ; et surtout (ce qui reste l’échec majeur d’Al-Qaïda depuis 2001), d’arriver à susciter l’adhésion des populations gouvernées par les djihadistes. Une fois ces nouveaux « émirats » sous contrôle, une politique d’expansion politique faisant tâche d’huile dans tout le monde arabo-musulman serait alors mise en place. Une fois le califat régional reconstitué, celui-ci serait en mesure d’affronter un choc des civilisations avec l’Occident, la mobilisation de l’Oumma dans son ensemble devenant bien plus efficace d’un point de vue militaire que ne peuvent l’être les cellules terroristes infiltrées.

Nous analyserons la façon dont Al-Qaïda s’efforce aujourd’hui de mettre en œuvre cette nouvelle stratégie d’implantation territoriale : en maintenant son implantation centrale en Afpak malgré la pression américaine ; en développant un système de franchises ; et en prenant appui sur la dynamique du printemps arabe.

 

L’Af-Pak : Al-Qaïda Central

Dès le mois de décembre 2001 et la fuite de l’état-major d’Al-Qaïda à travers les montagnes de Tora Bora, les djihadistes, hébergés par le régime taliban au pouvoir à Kaboul depuis 1996, ont perdu le sanctuaire afghan. Dès l’attaque américaine les combattants talibans se sont repliés dans leur sanctuaire des zones tribales pakistanaises que sont principalement le Waziristan du Nord et le Waziristan du Sud : ils sont en effet issus des tribus pachtounes présentes des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise (Ligne Durand tracée par les Britanniques au XIXe siècle), lesquelles ne reconnaissent pas la frontière ni d’autre autorité que la leur. Les combattants d’Al-Qaïda (surnommés par les talibans, les « Arabes ») ont pu également se replier dans ces zones et ont été hébergés dans les villages du Nord-Waziristan.

Les camps d’entraînement au combat ou à la préparation d’actes terroristes se sont donc reformés, sur un modèle plus réduit et plus artisanal (un « compound » de quelques maisons en terre cuite abritant plusieurs dizaines de combattants pouvant servir de « camp d’entraînement »). De ce sanctuaire du Waziristan (et de la ville de Quetta au Baloutchistan pakistanais où le Mollah Omar dirigerait la « Choura de Quetta », qui serait l’état-major des talibans), le djihad contre l’Amérique et l’Occident a continué, les combattants talibans, pachtounes afghans ou pakistanais, traversant sans cesse la frontière afghano-pakistanaise pour aller frapper les troupes de l’OTAN sur le sol afghan.

En 11 ans de guérilla en Afghanistan, la situation n’a pas fondamentalement évolué. Tout l’enjeu sera de savoir si après le départ des troupes de combat de l’OTAN en 2014, la nouvelle armée afghane sera en mesure de résister à la tentative de reconquête du pouvoir des talibans afghans. Rien n’est encore certain à ce sujet. Les combattants pachtounes afghans luttent dans leur pays pour la reconquête du pouvoir, leur calendrier étant avant tout national. Les djihadistes d’Al-Qaïda ne sont guère présents sur les lignes de front afghanes. Ils ne seraient plus que quelques centaines (environ 400), regroupés notamment au sein de « l’Armée de l’Ombre », branche militaire d’Al-Qaïda en Afghanistan.

Ces djihadistes ne sont pas de simples combattants, mais plutôt des vétérans du Djihad, Arabes ou autres (Tchétchènes, Ouzbeks…), qui ont perfectionné leurs méthodes d’action sur d’autres champs de bataille et viennent assister les combattants talibans en leur apportant un savoir-faire, notamment en termes d’IED (Improvised Explosive Devices), ces mines artisanales qui n’existaient pas en Afghanistan avant l’arrivée des combattants d’Al-Qaïda en Irak et qui sont responsables de 80% des pertes occidentales depuis 2001.

En Afghanistan même il n’y a plus de camps d’entraînements terroristes depuis 2001 et la présence d’Al-Qaïda y est à ce jour minime. Sur le versant pakistanais, Al-Qaïda se situe surtout dans la zone tribale du Waziristan du Nord, où elle se trouve sous la protection du clan pachtoune des Haqqani, dont le chef, Jallaludin, est un vétéran de la guerre contre les Soviétiques. Dans ces zones tribales, des djihadistes venus du monde entier continuent de venir s’entraîner dans les camps rudimentaires du Waziristan, sous la direction de chefs militaires d’Al-Qaïda, et vont ensuite parfois faire le coup de feu de l’autre côté de la frontière contre les troupes américaines. Mohamed Merah, lors de ses voyages au Pakistan, est passé par les zones tribales pakistanaises et y a été formé au combat par un instructeur d’Al-Qaïda, Moez Garsallaoui, un Belgo-Tunisien, abattu par un tir de drone américain dans le nord du Pakistan au début du mois d’octobre 2012.

A défaut de pouvoir pénétrer dans ces zones tribales au sol du fait de l’interdiction formelle de l’armée pakistanaise, les forces américaines et notamment la CIA, tentent au moyen de drones tueurs (Reaper et Predator) d’abattre les principaux chefs d’Al-Qaïda  et commandants talibans. Si le plus fréquemment les cibles abattues sont des cadres ou combattants de second rang, davantage chargés de mener les combats tactiques au quotidien que d’orchestrer le Djihad international, il arrive tout de même que des cibles de haute valeur soient abattues par ces drones comme dans le cas d’Atiyah Abd-al Rahman (ancien numéro 2 d’Al-Qaïda) abattu au Pakistan le 22 août 20011 ou de son successeur Abu Yahya al-Libi abattu au Pakistan lui aussi le 4 juin 2012. Ces succès certains ont permis d’affaiblir l’organisation djihadiste au fil des années, les nouveaux chefs disposant d’une expérience guerrière et de qualités de commandement moindres que ceux qu’ils doivent remplacer. Les principaux dirigeants d’Al-Qaïda, en tête des killing lists américaines, consacreraient d’ailleurs beaucoup plus de temps et de moyens à assurer leur propre sécurité personnelle qu’à la préparation d’attentats sur les territoires des pays ennemis. L’opération « Neptune Spear » menée à Abotabbad (bien loin du Waziristan donc mais très près de la capitale pakistanaise, Islamabad), le 1er mai 2011 a conduit à l’exécution de la principale figure dirigeante d’Al-Qaïda, Oussamma Ben Laden.

Avec la mort du fondateur de l’organisation, celle-ci aurait pu se déliter subitement, compte-tenu du charisme exercé par le chef saoudien. Il n’en a rien été. L’Egyptien Ayman Al-Zawahiri, numéro  2 d’Al-Qaïda du vivant d’Oussama Ben Laden, très probablement réfugié également au Pakistan, a naturellement pris la tête de l’organisation. Son commandement n’a depuis lors pas donné lieu à un changement de stratégie fondamental d’Al-Qaïda. Mais il semble probable que, du fait des contraintes dues à la menace constante exercée par les drones américains, Al-Qaïda Central n’ait plus guère de prise militaire sur les fronts autres que celui de l’Af-Pak. La doctrine et la stratégie du chef d’Al-Qaïda, édictées par messages audio et vidéo à destination des autres fronts en activité, restent néanmoins très suivies par les djihadistes internationaux. Son autorité est davantage morale ou politique que militaire.

La situation d’Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan, reste largement dépendante des autres acteurs présents de part et d’autre de la ligne Durand. Malgré la pression constante exercée par la CIA sur l’organisation, tant que celle-ci disposera d’un sanctuaire inviolable par la terre, elle se contentera d’encaisser les coups venus du ciel. C’est la raison de la discorde plus ou moins vivace selon les périodes entre les Etats-Unis et le Pakistan. En effet, les militaires américains estiment que tant qu’Al-Qaïda disposera d’un sanctuaire au Waziristan pakistanais, l’organisation ne pourra être détruite. Or le Waziristan est une zone tribale dans laquelle traditionnellement l’armée pakistanaise ne pénètre pas, du fait notamment de l’extrême répulsion des populations locales à tout autre pouvoir que celui de leurs tribus. De plus, ces territoires pachtounes sont les repaires des talibans, de nombreux talibans pakistanais étant basés au Sud-Waziristan (capitale de district Wana) tandis que de nombreux talibans afghans sont réfugiés au Nord-Waziristan (capitale de district Miranshah) (étant entendu que la distinction au sein des tribus pachtounes entre Afghans et Pakistanais n’a guère de signification).

Si le chef suprême des talibans afghans, le Mollah Omar est probablement réfugié à Quetta au Baloutchistan, les principaux chefs militaires des talibans afghans opèrent à partir du Nord-Waziristan. Parmi eux, les chefs du Réseau Haqqani, Jallaludine et son fils Sirrajudine, offrent leur protection à la direction d’Al-Qaïda. Au Sud-Waziristan, s’est créé le Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des Talibans du Pakistan TTP) sous la direction de Baïtullah Mehsud (abattu au Pakistan le 5 août 2009 par un drone américain) puis de son cousin Hakimullah Mehsud. Le TTP, créé en 2007, s’est ouvertement déclaré en guerre contre le gouvernement pakistanais. En effet, après que l’armée pakistanaise eut lancé un assaut sanglant en plein Islamabad pour reprendre le contrôle de la Mosquée Rouge occupée par des militants islamistes armés, le TTP a considéré que cet acte était la preuve de la duplicité du gouvernement pakistanais, lui reprochant notamment son alliance avec les Etats-Unis et son accord tacite avec la CIA pour laisser celle-ci bombarder sans relâche les zones tribales par le biais de ses drones tueurs.

C’est depuis cette rupture que le gouvernement pakistanais fait une distinction entre « bons talibans » (afghans) qui se contentent de se réfugier dans les zones tribales pakistanaises pour ensuite aller combattre l’armée américaine en Afghanistan et les « mauvais talibans » (pakistanais)  qui combattent ouvertement l’armée pakistanaise sur son sol . L’armée pakistanaise a ainsi engagé en octobre 2009 une opération terrestre massive pour reprendre le sud-Waziristan, principale base du TTP, pour détruire celui-ci. La capitale du district, Wana, a été prise, et plus d’un millier de combattants du mouvement auraient été tués. Plutôt que de livrer un combat frontal contre l’armée pakistanaise, le TTP a préféré par la suite axer son action sur une longue campagne d’attentats suicides qui a fait plus de 5000 morts depuis 2007. Il réclame, en échange d’une cessation des hostilités, l’adoption de la Charia comme source officielle du droit pakistanais, la fin de l’assistance aux Etats-Unis dans leur guerre dans la zone Af-Pak et la réorientation des forces pakistanaises vers le conflit indo-pakistanais.

Après cette offensive au sud-Waziristan, les Etats-Unis ont espéré que l’armée pakistanaise poursuivrait son offensive au sol en pénétrant au nord-Waziristan et dans sa capitale, Miranshah pour y démanteler les camps d’entrainements des talibans afghans et surtout pour y détruire l’état-major d’ Al-Qaïda central  soupçonné d’y être implanté, raison principale des combats menés par les Américains dans la zone Af-Pak. Mais cette offensive n’est pas venue, et le sanctuaire d’Al-Qaïda et de ses alliés talibans est resté inviolé au sol. En effet, le gouvernement pakistanais sans l’avouer préfère préserver ses alliés talibans afghans en vue de leur reprise du pouvoir à Kaboul après le départ des troupes américaines afin de pouvoir compter sur un Afghanistan allié qui leur servirait de « profondeur stratégique »  en cas de reprise du conflit avec l’Inde.

Même si elle est très affaiblie, la direction d’Al-Qaïda peut donc continuer à ne pas s’avouer vaincue.  Les Etats-Unis espèrent probablement abattre un jour prochain par un tir de drone le chef de l’organisation Ayman Al-Zawahiri (sans certitude absolue sur sa présence dans la zone). Ils pourraient ainsi décréter que les trois responsables majeurs des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, Ayman Al-Zawahiri et Khalid Sheik  Mohammed  (numéro 3 de l’organisation en 2001 et cerveau des attentats de la même année, arrêté au Pakistan en 2003 et actuellement jugé aux Etats-Unis), ont été mis hors-jeu et ainsi décréter la fin de la guerre entamée en 2001 en Afghanistan. Mais sans destruction de l’état-major complet d’ « Al-Qaïda central » et de ses infrastructures, ses membres pourraient désigner un nouveau successeur à Al-Zawahiri, continuant à bénéficier de la protection des talibans et d’un sanctuaire terrestre, laissant ainsi le problème se perpétuer.

Sans intervention au sol des Américains, des Pakistanais ou une rupture de l’alliance entre les talibans et Al-Qaïda, la direction centrale de l’organisation djihadiste continuera ses activités terroristes (réduites actuellement du fait de l’intense campagne de bombardements de drones sur les zones tribales pakistanaises). De fait, la fin annoncée de l’engagement lourd américain en Afghanistan à partir de 2014, (il est question d’y laisser néanmoins des forces spéciales pour continuer à y traquer Al-Qaïda même si la décision n’a pas encore été définitivement prise) apparaît décisif pour le futur de l’organisation. Si les Américains se retirent effectivement de la zone en 2014 sans avoir réussi à détruire la direction du mouvement terroriste, que l’alliance avec les talibans tient jusque là et que ces derniers reprennent le pouvoir à Kaboul par la suite,  alors Al-Qaïda pourra apparaître comme victorieuse du champ de bataille afghano-pakistanais. Dans la guerre asymétrique que mènent les djihadistes d’Al-Qaïda et leurs alliés talibans contre l’armée américaine, le faible gagne s’il n’est pas détruit tandis que le fort est perçu comme perdant s’il n’a pas éliminé le faible.

Même si sa taille s’est fortement réduite (passant du territoire afghan à la zone tribale pakistanaise du Waziristan du Nord) le sanctuaire d’Al-Qaïda Central dans la zone Af-Pak reste donc en l’état actuel des choses une réalité.

 

La Cedeao et la dimension régionale dans la résolution de la crise malienne

28 Jan

Cet article est le résumé d’une conférence donnée par le général (2S) Loeuillet à Sciences Po Aix samedi 26 janvier 2013. Saint-Cyrien, François Loeuillet a effectué l’essentiel de sa carrière au sein des troupes de Marine outre-mer et à l’étranger. Il a participé à de nombreuses OPEX (Liban, Tchad, Kosovo notamment)  et postes de coopération ou de conseil (Burundi). De 2010 à 2012, il est ainsi conseiller militaire auprès du commissaire en charge des Affaires politiques, Paix et Sécurité à la CEDEAO à Abuja (Nigeria). Il est aujourd’hui expert dans le domaine de la sécurité, notamment pour le continent africain.

Le général Loeuillet commence par rappeler qu’Abuja est une capitale fédérale qui a remplacé Lagos (demeurée capitale économique) avec l’espoir d’un meilleur équilibre entre un Sud riche et chrétien et un nord plus pauvre et musulman pour faire simple. Il a ensuite fait remarquer que le poids démographique du Nigeria (150 millions d’habitants environ) sur un total de 260 millions pour toute la CEDAO) explique qu’Abuja accueille le siège de l’organisation régionale de l’Afrique de l’ouest. Créée en 1975, la CEDAO regroupe 15 Etats aujourd’hui avec de réelles avancées vers la démocratie et les synergies économiques puisque l’un des buts revendiqués est de créer un espace économique avec une monnaie commune. La libre circulation existe déjà et représente une exception à l’échelle du continent. On circule sans visa dans la CEDEAO à cheval sur trois mondes issu de la colonisation (anglophone, francophone et lusophone), alors qu’il en faut pour passer d’un Etat francophone à un autre voisin souvent (ex : Cameroun-Gabon). Voir le diaporamaPrésentation 260113

Au sein de la CEDEAO, les deux dominantes sont les groupes anglophone et francophone avec un attachement très fort à ces éléments historiques et culturels. La CEDEAO est actuellement dirigée par Alassane Ouattara, président de Côte d’Ivoire qui relance son pays. Après la longue crise ivoirienne des années 2000, le pays décolle à nouveau économiquement grâce aux financements internationaux et une meilleure gouvernance du président (économiste lui-même). La CEDEAO fonctionne elle aussi grâce aux financements internationaux et elle a repris des structures assez proches de celles de l’Union Européenne. Elle est principalement soutenue par le groupe P3+ (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et groupes des puissances : Allemagne, Espagne, Canada, Japon,…). La contribution de l’UE pour un plan triennal est de 600 millions d’euros. Le général Loeuillet fait remarquer que, parmi les contributeurs à l’aide au développement significatif, l’Allemagne donne en priorité à l’Afrique francophone (et notamment au sein de la CEDEAO), montrant les convergences politiques entre nos deux pays au-delà du refus d’engager des hommes à nos côtés au Mali ou des relations interpersonnelles plus ou moins faciles (A. Merkel-F. Hollande).

Cette aide internationale doit être mise en lien avec les liens culturels. Elle permet à la France de demeurer un partenaire privilégié par les Etats de la CEDEAO, y compris le Nigeria anglophone (gros intérêts de Total notamment). Ces liens privilégiés participent au poids de la parole française à l’ONU car les Etats de la région suivent souvent les positions adoptées par Paris. Dans le cadre de la réforme du conseil de sécurité, l’un des enjeux est l’éventuel siège permanent attribué à un Etat africain. Deux candidats se dégagent : l’Afrique du sud et le Nigeria. Il n’est pas étonnant que Nicolas Sarkozy ait indiqué, quand il était président de la République, de sa préférence pour le Nigeria.

Sur le plan militaire, l’UA a demandé à toutes les associations régionales du continent de former des brigades d’intervention rapide. La CEDEAO a une force permanente, force d’attente, de 6000 hommes. Le réservoir humain existe ; les difficultés réside dans la capacité de projection et dans l’adaptation à des conditions de combat inhabituelle (désert malien par exemple). Ainsi, outre les difficultés à mobiliser en interne et sur théâtre extérieur, la logistique est l’obstacle majeur au déploiement au Mali. Ainsi, l’armée nigeriane, une des plus opérationnelle de la  région, doit combattre quelques 50 000 membres de Boko Haram dans le nord du pays et ne dispose que de trois avions de transport en état de marche.

Cette construction est cependant menacée par des éléments de déstabilisation, à commencer par la crise malienne. Pour le général Loeuillet, l’intervention française et internationale se justifie en raison du risque de déstabilisation en chaîne. La chute du Mali entre les mains des islamistes pouvait entraîner celle du Niger, notamment par les tribus touarègues largement communes aux deux pays. Ce deuxième maillon est vital pour les intérêts géostratégiques français (avec Areva). Enfin, un troisième maillon est constitué du Nigeria déjà miné de l’intérieur au nord par Boko Haram et dont le poids démographique signifierait un impact majeur.

Des éléments de déstabilisation plus structurels sont également à prendre en compte, à commencer la très importante corruption qui marque les Etats de la zone. Elle semble particulièrement marquée au Nigeria. Il y a également la dimension de route internationale des trafics avec l’état narcotrafiquant qu’ »est, à bien des égards, la Guinée-Bissau. L’un des enjeux de stabilisation est également la sécurité maritime. Il y a une vraie économie de piraterie (enlèvement contre rançon) dans le Golfe de Guinée mais n’atteint pas la dimension d’intervention étatique (règlement de la part des entreprises concernées). Cette économie de la piraterie n’est pas négligeable à l’échelle d’un Etat comme le Nigeria.

La stabilité politique est en progrès régulier. Il n’y a pas de conflit interétatique significatif dans la région depuis plusieurs dizaines d’années. A part en Guinée-Bissau, les armées sont globalement légalistes et facilitent la marche vers des processus démocratiques apaisés (élections au Sénégal et défaite acceptée d’A. Wade au Sénégal par exemple).  Le cas particulier de la Guinée-Bissau explique la mobilisation de forces de la CEDEAO et un plan d’aide de 60 millions de dollars, notamment pour assurer la mise à l’écart progressive de hautes personnalités associées aux trafics de drogues en lien avec les cartels sud-américains.

Pour conclure, le général Loeuillet tient donc à insister sur les progrès effectués en Afrique de l’Ouest dans ce cadre d’association régional en terme de gouvernance. Il tient également à rappeler qu’il s’agit d’un front à ne pas négliger pour l’Europe avec les enjeux de développement économique (question liée aux flux migratoires) et de sécurité (lutte contre le trafic de drogue à destination de l’Europe et question du djihadisme).

Perceptions et conséquences régionales de l’intervention française au Mali : le cas du Nigéria

24 Jan

L’Etat nigérian affronte depuis plusieurs années des acteurs locaux qui mettent en péril l’unité et la stabilité du pays. Nous pensons notamment au groupe MEND (Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger) avec qui le gouvernement entretient depuis 2009 une paix précaire, mais surtout à la secte islamiste Boko Haram qui est responsable de la mort de plus d’un millier de personnes. L’exécution de leur leader Mohammed Yusuf en 2009 par les services de police a plongé les membres de la secte dans un désir de vengeance et de lutte acharnée contre le pouvoir central. Les attentats sanglants perpétrés par cette secte islamiste se concentrent dans le nord du pays et notamment à Maiduguri, Etat du Borno (nord-est). Human Right Watch estime à plus de 1 500 le nombre de personnes tuées par Boko Haram entre juillet 2009 et octobre 2012 .

Dans un contexte d’islamisation générale de la bande sahélienne, le Nigéria n’échappe pas à cette contagion islamiste malgré sa position géographique en marge du Sahel. Boko Haram entretient en effet des liens privilégiés avec AQMI (Al Qaeda au Maghreb Islamique) et les différents groupes islamistes (Ansar Dine, Mujao). Le groupe Boko Haram s’internationalise du fait de ses liens avec ces organisations terroristes, il n’est plus uniquement tourné vers des questions intérieures, régionales et locales comme il pouvait l’être à ses débuts. Ce revirement se lit pour la première fois dans l’attentat perpétré contre les bureaux de l’Organisation des Nations-Unies à Abuja le 26 août 2011, signe de la volonté de Boko Haram de menacer la communauté internationale et d’exprimer des revendications globales . Il semble aujourd’hui certain que de nombreux membres de Boko Haram soient sur le sol malien. Un rapport de l’ONU de décembre 2011 fait état d’une centaine de combattants nigérians et tchadiens appartenant à Boko Haram ayant reçu une formation militaire dans les camps d’AQMI au Mali . Dans le contexte géopolitique actuel, Boko Haram s’est naturellement engagé aux côtés d’AQMI et des islamistes maliens. Laurent de Castelli, spécialiste de Boko Haram à l’IRIS, explique que la relation entre AQMI et Boko Haram est probablement a double-sens : AQMI ayant formé et entraîné des membres de la secte nigériane, c’est aujourd’hui au tour de Boko Haram d’aider AQMI en lui fournissant des combattants au Mali. Laurent de Castelli écrit à ce propos que « les membres des milices islamistes d’AQMI, d’Ansar Dine, du Mujao et de Boko Haram ont montré qu’ils savaient se synchroniser pour lancer des opérations communes, ce qui ne présage rien de bon » . Qui plus est, malgré un manque d’informations officielles sur le sujet, il semblerait qu’Ansaru soit également engagé aux côtés des islamistes maliens. Ce groupe djihadiste nigérian, apparu pour la première fois en juin 2012, est une branche dissidente de Boko Haram à qui il reproche de s’en prendre aux musulmans modérés et de ne pas être pas assez féroce envers les positions occidentales. Le mouvement Ansaru a notamment revendiqué l’enlèvement de l’ingénieur français Francis Colump le mercredi 19 décembre 2012 à Rimi dans l’Etat de Katsina. Dans un communiqué à la presse locale, des membres du groupe expliquent leur geste comme une réaction à la position de la France envers les musulmans et l’islam et par le rôle majeur qu’elle joue dans la préparation de l’intervention au Mali. Le groupe Ansaru affirme dans le même communiqué qu’il va « continuer à lancer des attaques contre le gouvernement français et les citoyens français […] en particulier en Afrique noire, tant qu’il ne changera pas sa position sur ces deux sujets » . Le samedi 19 janvier, Ansaru revendique un nouvel attentat perpétré contre des forces armées nigérianes regroupées dans la ville de Okene, Etat de Kogi. Ces militaires nigérians préparaient leur départ pour le Mali. Deux militaires ont été tués dans l’explosion et cinq autres ont été blessés. Le dimanche 20, le groupe islamiste nigérian déclare que cet attentat est une réponse directe au déploiement des troupes nigérianes au Mali et que leur objectif était simple, il s’agissait de tuer et blesser ces soldats afin qu’ils ne puissent pas se rendre sur le conflit malien . Cela fait donc peu de doute que les membres d’Ansaru ont rejoint les rangs des islamistes au Mali pour faire face aux forces françaises. L’intervention au Mali a donc pour conséquence première de mobiliser les réseaux islamistes au Nigéria et notamment la secte Boko Haram et le groupe Ansaru.

De l’autre côté, le gouvernement nigérian se mobilise pour soutenir l’intervention française au Mali afin de repousser la menace islamiste et empêcher qu’AQMI ne fasse le lien avec Boko Haram . Pour le président nigérian Goodluck Jonathan, il s’agit avant tout de faire face à un risque de contagion islamiste et de porter un coup fatal à la secte nigériane en les privant de leur allié le plus puissant au Sahel. Pascal Chaigneau, spécialiste de l’Afrique et professeur à l’université Paris-Descartes, explique dans un entretien accordé au Monde que le Nigéria est sans doute le pays le plus favorable à cette intervention puisque porter un coup aux islamistes du Mali revient à combattre la secte Boko Haram qui « a fait du nord Mali son sanctuaire » . Cette intervention au Mali semble donc être perçue par les leaders nigérians comme une véritable aubaine qui permettrait, sous l’égide de l’ONU, de contrer le péril islamiste au Nigéria et plus globalement au Sahel. C’est ainsi que lundi 14 janvier, au cours d’une réunion des membres du corps diplomatique à Abuja, Goodluck Jonathan a choisi de se positionner officiellement en faveur de l’intervention au Mali et a déclaré que le Nigéria apporterait un soutien militaire à la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali). Le président a donc apporté son aide à la communauté internationale affirmant que « l’on ne pouvait plus laisser des parties du globe aux mains des extrémistes, parce que cela ne porte pas ses fruits et nous ne savons pas qui sera la prochaine victime » . Il était très important que le Nigéria réagisse rapidement à cette intervention française au Mali car ce pays a une place prépondérante au sein de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et il est donc essentiel dans ce conflit que la CEDEAO bénéficie de son soutien, de son aide et de son leadership. Le Nigéria, siège de la CEDEAO, est en effet la plus grande puissance militaire membre de ce groupe et il dispose des plus gros effectifs humains et militaires de l’Afrique de l’ouest. Le Nigéria fait également figure de pays expérimenté puisqu’il a déjà participé à de nombreuses missions de maintien de la paix au sein de l’UA (Union Africaine) et de la CEDEAO notamment dans les années 1990 au Libéria et en Sierra Leone et est actuellement engagé au Darfour au sein de l’UA . Dans un communiqué de presse du 10 janvier 2013, le président de la Commission de la CEDEAO, Kadré Désiré Ouédraogo, a d’ailleurs salué l’engagement du Nigéria dans les missions de la CEDEAO en Afrique et dans sa future participation au Mali . Le Nigéria a envoyé une centaine de combattants au Mali dès le 17 janvier et devrait en envoyer 1 200 au total, soit 600 de plus que ce qui était initialement prévu ; en outre le général nigérian Shehu Usman Abdulkadir obtient le commandement de cette force africaine, une force qui devrait compter au moins 5 800 hommes (en comptabilisant les forces tchadiennes) . Le Nigéria devient donc le principal contributeur étranger en hommes de la CEDEAO dans cette mission d’intervention au Mali, et occupe la troisième place des participants étrangers derrière la France (2 500 hommes) et le Tchad (2 000 hommes) . Le Nigéria réaffirme ainsi sa position de leader au sein de la CEDEAO.
Il est pourtant évident que l’intervention française a eu pour effet de précipiter la décision de Goodluck Jonathan de s’engager militairement au Mali, alors qu’au cours de ces derniers mois le Nigéria se « préparait à reculons » selon certains spécialistes. En effet, alors que le processus était jusqu’alors bloqué entre les différents pays de la CEDEAO, l’intervention française au Mali a forcé le Nigéria à prendre position et à participer aux opérations militaires. Marc-Antoine Pérouse de Montclos, politologue et spécialiste de Boko Haram, va même jusqu’à affirmer que le Nigéria était tout d’abord assez réticent à l’idée d’intervenir militairement au Mali avant d’avoir réglé la question du pouvoir politique malien. En effet, le 22 mars 2012 le Mali était victime d’un coup d’Etat militaire perpétré par le militaire Amadou Haya Sanogo. Suite à des pressions internationales, Sanogo se voit obligé de remettre le pouvoir entre les mains de Dioncounda Traoré, qui devient alors président par intérim pour quarante jours selon la loi malienne. Selon le politologue français, le Nigéria ne souhaitait intervenir militairement au Mali qu’après avoir réglé la question du pouvoir politique malien et après la tenue d’élections libres destinées à désigner un nouveau président. Cependant, la réaction immédiate de la France à l’avancée des islamistes au Mali aurait forcé Goodluck Jonathan à passer plus rapidement que prévu à l’action militaire en laissant de côté l’aspect politique . Ainsi le samedi 19 janvier, au cours d’une réunion de la CEDEAO à Abidjan, la France a appelé la force africaine à se déployer le plus rapidement possible afin que la France, qui n’a pas vocation à rester au Mali, ne soit pas seule dans le conflit. Conséquence de cette réunion extraordinaire, les chefs d’Etat de la CEDEAO ont signé l’ordre de déploiement de la MISMA. Outre le Nigéria, sept autres pays de la CEDEAO se sont ainsi engagés à participer à la MISMA : le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana, la Guinée, Niger, le Sénégal et le Togo. La Côte d’Ivoire et la Mauritanie, membres de la CEDEAO, n’ont pourtant pas choisi de participer à la MISMA. En revanche le Tchad, pays non membre de la CEDEAO, a annoncé qu’il enverrait un contingent de 2 000 hommes au Mali.
La décision de s’engager lourdement au Mali semble tout de même faire consensus au Nigéria, et le gouvernement ne cesse d’augmenter le nombre de soldats engagés dans la MISMA. Pourtant des questions restent en suspend. Goodluck Jonathan a-t-il fait le bon choix en envoyant 1 200 militaires au Mali, réduisant ainsi les effectifs sur son propre territoire ? Le Nigéria a t-il les moyens de cet engagement au Mali ? Boko Haram et Ansaru ne risquent-t-ils pas de profiter de cet affaiblissement sur le territoire nigérian ? Engager le combat au Mali, n’est-ce pas risquer qu’AQMI et les groupes islamistes nigérians ne « fassent définitivement le lien » ? Reste donc à savoir si les conséquences de cet engagement militaire sur le long seront eux aussi positives pour le pays.

Pauline Guibbaud, diplômée de Sciences Po Aix et actuellement étudiante en Master II d’Histoire militaire.

Bibliographie

Revues et périodiques

Entretien avec Marc-Antoine Pérouse de Montclos, « Nord-Mali: le Nigeria ne sortira pas indemne de l’opération Serval », Slate Afrique, 22 janvier 2013
http://www.slateafrique.com/102003/mali-operation-serval-consequences-nigeria-islamistes-interview-perouse

Entretien avec le Professeur Pascal Chaigneau, « Empêchons la création d’une ‘Sahelistan’ », Le Monde, 14 janvier 2013

GONIN Patrick et Marc-Antoine PEROUSE de MONTCLOS, « Mali, l’intervention difficile », Le Monde, 9 juillet 2012

Entretien avec Pierre Boilley, directeur du Centre d’Etudes des mondes africains et spécialiste du Sahel, « Le risque est grand de voir Bamako mener de larges représailles contre les Touaregs », Le Monde, 16 janvier

Source AFP, « CEDEAO : réunion à Abidjan pour accélérer le déploiement de la force africaine », France 24, 21 janvier 2013
http://www.france24.com/fr/20130119-abidjan-cedeao-accelerer-deploiement-force-africaine-misma-armee-francaise-mali-bamako

« Une secte islamiste revendique l’attentat contre le siège de l’ONU à Abuja », France 24, 26 août 2011
http://www.france24.com/fr/20110826-nigeria-attentat-suicide-secte-islamiste-boko-haram-revendication-abuja-siege-onu-nations-unies

ROGER Benjamin, « Qui se cache derrière le groupe djihadiste nigérian Ansaru ? », Jeune Afrique, 24 décembre 2012

« L’état des forces militaires étrangères déployées au Mali », RFI, 21 janvier 2013
http://www.rfi.fr/afrique/20130120-etat-forces-militaires-etrangeres-deployees-mali

AGANDE Ben, « Nigeria deploys troops to Mali », The Vanguard, 14 janvier 2013. « We can no longer surrender any part of the globe to extremism, because it doesn’t pay and we don’t know the next victim »
http://www.vanguardngr.com/2013/01/nigeria-to-deploy-troop-to-mali/

« Ansaru claims attack that killed 2 Mali-bound soldiers », The Vanguard, 20 janvier 2013
http://www.vanguardngr.com/2013/01/ansaru-claims-attack-that-killed-2-mali-bound-soldiers/

Ressources électroniques

De CASTELLI Laurent, « Mali : des combattants nigérians de Boko Haram soutiennent les groupes islamistes », site officiel de l’IRIS http://www.affaires-strategiques.info/, 14 janvier 2013

Rapports et communiqué de presse

Rapport Human Right Watch, « Spiraling Violence
Boko Haram Attacks and Security Force Abuses in Nigeria », octobre 2012, p. 5

Conseil de sécurité des Nations-Unies, « Rapport de la mission d’évaluation des incidences de la crise libyenne sur la région du Sahel », 7-23 décembre 2011, p. 15
http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/N1220864.pdf

Communiqué de presse CEDEAO, « La CEDEAO salue les forces armées nigérianes pour leur contribution en faveur de la paix régionale », 10 janvier 2013
http://news.ecowas.int/presseshow.php?nb=001&lang=fr&annee=2013

Intervention au Mali : point sur la situation

24 Jan

Vous pouvez retrouver l’analyse de Walter Bruyère-Ostells sur le Huffington Post    http://www.huffingtonpost.fr/../../walter bruyeres ostells/intervention-mali-aqmi_b_2533046.html

Vers l’externalisation du maintien et de la consolidation de la paix ?

22 Jan

En 2002, le Lieutenant-colonel Smith de l’US Army s’exprimait ainsi dans Parameters (revue spécialisée publiée par West Point) : « Les opérations de paix constituent un terrain d’activités intensives sur lequel les SMP pourraient être utilisées avec un maximum de bénéfices ».
Environ deux années plus tôt Damian Lilly, responsable de la recherche en matière de sécurité auprès de l’ONG « International Alert », évoquait la mort-née de la privatisation du peace building, notamment concernant les futures opérations de maintien de la paix dont la conduite aurait été dévolue à un « consortium de sociétés de sécurité privée » selon l’expression utilisée en 2003 par Kofi Annan. Le secrétaire général de l’ONU s’interrogeait alors sur l’utilisation des SMP par les Nations Unies pour pacifier la région d’Ituri (province orientale de la République Démocratique du Congo). Bien que l’occasion fût ratée, ces questionnements publics d’un des secrétaires généraux les plus charismatiques des Nations Unies eurent au moins le mérite de jeter un pavé dans la mare.


La construction de la paix constitue un créneau très sensible. Or, l’image quelque peu sulfureuse de certaines Private Military Companies, bien souvent plus coupables de d’exploser les plafonds budgétaires que de bavures sur le terrain, ne favorise guère l’émergence de la confiance des institutions internationales. Toutefois, l’ONU n’a plus les moyens de mobiliser les Etats, comme elle le souhaiterait, pour des Opérations de Maintien de la Paix. Ce fait est établi, souligné même, y compris par les opposants les plus virulents à l’externalisation du peace building.
Le maintien de la paix est en crise, explique Philippe Chapleau dans son ouvrage Les sociétés militaires privées, enquête sur les soldats sans armées ; les raisons sont diverses et variées : crise financière, réticences des Etats cadres à trop s’engager (manque de capacités et de ressources, on le voit très bien lors de l’opération en Libye en 2011), lourdeur des règles d’engagement lors des OMP…
Plusieurs solutions ont été explorées, notamment la création d’une force onusienne permanente, résurgence d’un concept ancien puisqu’elle était prévue initialement dans le projet de charte des Nations-Unies. Une force permanente nourrie par les membres les plus importants de l’organisation. La constitution d’une telle force ne serait pas une « petite affaire », le coût astronomique de son recrutement et de son entretien est estimé entre 2 et 4 milliards par an, sans oublier la violation des prérogatives étatiques qui n’incite pas davantage les Etats, principaux acteurs du maintien de la paix, à doter l’ONU d’une force importante et indépendante.


Une solution à la crise serait donc le recours contractuel à de contingents privés. Loin de créer un dangereux précédent il s’agirait avant tout de pousser un peu plus loin la politique pratiquée jusqu’à présent par les organisations et institutions spécialisées de l’ONU. Il est d’usage quand on veut donner des exemples de la faillite des OMP classiques et du potentiel de réussite d’une société privée de se référer à deux cas « d’école » : l’intervention ratée de l’ONU en Ituri et la surprenante réussite d’Executives Outcomes en Sierra Leone.
District du Kivu particulièrement riche en or, l’Ituri est le cadre à la fin des années 90 et au début des années 2000 d’un violent conflit interethnique. C’est dans ce cadre extrêmement tendu que l’ONU y envoie 700 Casques bleus de la garde nationale uruguayenne affiliée à la MONUC. La faillite de ce déploiement fut tel que la garnison fut bientôt en état de siège dans la ville de Bunia où elle avait son cantonnement, il fallut attendre l’arrivée des Français de l’ « opération Artémis » (2003) pour que la zone puisse retrouver un peu de paix.
Or, on pourrait opposer une autre étude de cas à cet échec majeur : la réussite d’Exécutives Outcomes en Sierra Leone. Cette SMP sud-africaine, constituée notamment d’anciens soldats des forces spéciales, est « La » société qui a le vent en poupe au début des années 90. Elle a alors déjà mené des opérations de sécurisation réussie contre l’UNITA en Angola, alors même que les forces onusiennes, pourtant onéreuses, sont restés sans effet. Pays le plus pauvre d’Afrique et alors en proie à une guerre civile terrible (dont l’action des SMP fut traitée assez mal dans le film Blood Diamonds), le gouvernement de Sierra Leone décide de faire appel à la société sud-africaine. En 8 mois et pour un coût total de 36 millions de dollars, Executives Outcomes rassemble 300 soldats qui reprennent le contrôle de plusieurs régions aux mains de la rébellion et permettent à quelques 300 000 personnes de rejoindre leurs foyers libérés. Ces résultats paraissent alors inespérés, alors que la MINUSIL, OMP développée à partir de 1999 connaît ensuite de sérieuses difficultés : « les habitants de la Sierra Leone aient souhaité voir revenir la société militaire privée Executive Outcomes plutôt que des Casques bleus de l’ONU » selon David Shearer, journaliste au World Today.


Si l’ONU hésite à confier ses OMP aux privés des SMP américaines, britanniques ou françaises cela n’empêche pas ses institutions spécialisées comme les ONG ou encore d’autres organisations internationales de s’appuyer sur ceux-ci à diverses reprises. Le CICR, le PAM (ou World Food Program) et l’UNICEF usent régulièrement de contractors afin de protéger leurs employés, bureaux et convois.
Si l’Organisation des Nations Unies estime les OMP trop lourdes pour les SMP, il n’en demeure pas moins qu’elle admet faire appel à ceux-ci en particulier pour des contrats de conseil ou de déminage, en témoigne un exemple donné par le rapport d’information Meynard/Viollet du 14 février 2012 : le contrat passé entre l’organisation et Armor Group International INC pour le déminage de certaines zones à risques au Sud-Soudan pour un coût estimé à 5,6 millions de dollars en 2007. D’autres ont su exploiter ce nouveau marché du peace building, tels ABC General Engineering en Angola et Bosnie Herzégovine et G4S « le leader du déminage » dans plus de 26 pays différents (Afghanistan, Albanie, Angola…). Comme le remarque Philippe Chapleau, « l’absence de participations privées aux OMP n’impliquent pas une absence de relations entre SMP et OMP ».

C’est ainsi que depuis la fin des années 90 et l’entrée dans le nouveau millénaire de nombreux dirigeants de sociétés privés ont compris tout le profit qui peut être tiré, en termes d’image, de la participation à des activités de construction de la paix. L’offre de services en matière de soutien médical comme en matière de déminage s’est développé, marché souvent très peu rentables mais qui sont de vrais investissements publicitaires dans ce marché de la construction de la paix. C’est à ce titre qu’un groupement d’entreprises françaises : Thales, Geodis, Sodexo (les cantines françaises ne sont pas les seules à être ravitaillées par Sodexo, les soldats français en Afghanistan sont des clients au moins aussi importants) et le GIE Access ont crée en 2011 la société Global X, société dont l’objectif est de développer des prestations de soutien aux OMP.
La route semble donc ouverte vers une acceptation par l’ONU d’une gestion des OMP aux SMP (ou ESSD). Les sociétés privées ne seraient plus cantonnées plus aux activités annexes à l’opération elle-même. D’autant plus qu’un consortium de sociétés privées, regroupant des spécialistes divers, serait plus à même qu’une multitude d’Etats de présenter une « offre globale », allant de l’interposition de forces importantes entre belligérants à la reconstruction du pays en passant par le déminage des zones de guerre ou le soutien médical aux populations. Et déjà comme nous le prouve l’exemple de Global X, le secteur privé s’organise en prévision d’une éventuelle opportunité. En attendant que les acteurs internationaux se décident à gravir les dernières marches de l’ouverture du marché de la construction de la paix, G4S ne cesse de racheter des concurrents pour compléter son offre de services, Dyncorps s’est elle même portée acquéreuse en 2009 de la société Casals et Associés dont la spécialité n’est autre que « le développement international » (avec comme point de mire la reconstruction politique, économique et juridique du pays).
Néanmoins, les oppositions à l’engagement massif des privés dans la consolidation de la paix demeurent fortes car les plus récents exemples de déploiement des SMP dans les zones comme l’Afghanistan et l’Irak ne sont pas demeurés sans tâche. Les dérives sont bien souvent financières, provoquant des sueurs froides aux journalistes et aux décideurs politiques. En effet, les affaires de surfacturations se sont multipliés pendant l’occupation américaine toujours prompte à déléguer des tâches au secteur privé. La société KBR a été la première à se faire épingler par le Sénat américain pour une surfacturation d’un montant d’un milliard et demi, à elle seule ! L’apparente vertu de la société Sodexo cache également des malversations financières dans l’approvisionnement aux marines, surfacturation qui, au lieu d’une sanction, a entraîné pas moins de 39 modifications de contrat !
Toute cette corruption nuirait énormément au processus de reconstruction privatisé si la société internationale acceptait de laisser les mains libres aux sociétés telles KBR. Peut-être la solution réside-t-elle dans le développement d’une annexe au document de Montreux (code de déontologie des SMP) qui aurait pour objectif de définir la mise en place de cette paix privatisée et les sanctions qui découleraient de tout abus.
Au début des années 90 la pax americana était à son apogée, le système a vécu. A l’heure où plus aucun Etat n’a plus les moyens de cette incroyable pacification, l’heure est peut être venue pour la pax privata.

Pascal Madonna, diplômé du Master II en 2012.

Les maçonneries et leurs influences sur les projets de création des Etats nouveaux en Amérique (1815-1835)

21 Jan

Cet article rend compte des principaux points abordés lors d’une conférence en mai 2012 de Patrick Puigmal, professeur à l’université Los Lagos à Osorno (Chili), professeur invité à Sciences Po Aix :

Contexte : Recherches entamées en 2003 sur l’influence militaire et politique napoléonienne durant le processus d’indépendance des possessions espagnoles et portugaises de l’Amérique centrale et du Sud. Financement Universidad de Los Lagos y Fondecyt-Conicyt (Ministerio de Educación, Gobierno de Chile, équivalent du CNRS français). Ces recherches ont constituées la clef pour ouvrir ce thème de travail.

Introduction:

Les armées napoléoniennes ont connu un grand développement de la maçonnerie. Cette époque est également caractérisée par la montée de sociétés secrètes, notamment d’inspiration libérale. Par ailleurs, les vétérans napoléoniens qui vont décider de s’exiler sont les moins satisfaits du retour au pouvoir des monarchies conservatrices (sous l’égide du statu quo proposé, imposé par la Sainte Alliance) et sont en général membres des sociétés secrètes et du mouvement libéral. Bien entendu, il nous faut préciser ce que nous entendons par le mot libéral dans cet article. Ces circulations et les liens avec la maçonnerie ont notamment fait l’objet de travaux de Walter Bruyère-Ostells et Felipe Del Solar. 

Partout où ils vont aller, les vétérans napoléoniens vont être très actifs pour promouvoir l’installation des Etats nouveaux (expression que je préfère personnellement  à celle d’État Moderne), plus proches de leurs idéologies.

Leurs activités et leurs engagements, la plupart du temps publics et contre l’ordre établi (c’est-à-dire l’ordre reposant sur les classes sociales favorisées qui conduisirent l’indépendance) leur coûteront cher : parfois la vie, parfois la prison et, presque toujours, l’exil et le retour vers l’Europe à la fin des années 1820 et au début des années 1830.

Méthodologie de travail :  

 

1)    Documents :

-         C’est rarement dans les archives officielles (Armée, Intérieur…) que l’on découvre le rôle politique de ces hommes, parfois dans les archives judiciaires mais rarement. De plus, ces dernières sont souvent incomplètes en raison des destructions qui se sont produites lors des guerres de décolonisation puis civiles et internes. Par ailleurs, il faut noter qu’en Amérique latine, contrairement à la France, les archives maçonniques sont très difficilement accessibles.

-         Dans un premier temps, notre travail a reposé sur l’étude de la presse pour le rôle moteur que les officiers européens jouent, tant comme créateurs de périodiques que comme écrivains et journalistes.

-         Mais, la plus grande partie des informations que nous avons collectées et utilisées repose sur les documents personnels (journaux, mémoires, correspondances) que  nous avons découverts grâce à nos rencontres avec les descendants des militaires napoléoniens exilés en Amérique après 1815 : plus de 70 familles, sur tout le continent et en France. Logiquement, la liberté de plume est beaucoup plus intense et plus proche de leurs idéaux dans ces documents que dans ceux plus officiels et publics. En général, ils n’étaient pas destinés à être publiés. Cet aspect est frappant à travers les écrits personnels que j’ai pu publiés : Mémoires de Georges Beauchef en France et au Chili, Lettres de Joseph Bacler d’Albe a son père, Journaux de Frédéric de Brandsen … Les familles n’ont souvent pas conscience d’abord de ce qu’elles conservent, ensuite de l’intérêt historiographique de ces documents.     

 

2)    Chronologie : Les changements sont si fréquents et parfois si brutaux pendant l’indépendance que chaque époque correspond  à des acteurs précis et  à des actions déterminées. Il est donc très important de pouvoir connaître l’évolution de l’indépendance pour bien comprendre les actes, leurs significations et pouvoir ainsi définir le rôle de chacun des personnages et de leurs idées. Chaque personnage arrive à un moment précis, déroule ses actions dans des situations particulières qui ne sont que le reflet du contexte général.

Nous avons déterminé cinq époques qui croisent transversalement tout le continent et qui nous permettent ainsi de nous plonger dans l’histoire comparée de façon à éviter le nationalisme qui marque, en général, la conception et l’écriture des histoires des États nouveaux en Amérique latine. Nous venons de célébrer le bicentenaire de l’indépendance de l’Amérique (1810-1812) et, presque sans exception, chaque État l’a célébré comme s’il s’était agi de mouvements exclusivement nationaux, originaux ou démocratiques alors qu’en général ce fut tout le contraire : l’objet final, comme l’a écrit Gabriel Salazar, Prix National d’Histoire au Chili en 2008, « ce fut la création d’un État antidémocratique, oligarchique et de libre échange économique ». Ajoutons que comme il n’y eut pas de débat et de consensus pré établi avant l’indépendance, s’opposèrent en conséquence des idées et des modèles différents ce qui provoqua de très nombreux conflits internes.

Revenons à nos cinq époques déterminées en fonction de notre recherche initiale à partir de l’influence militaire et politique napoléonienne :

Une première période correspond aux actions et intentions de Napoléon (1807-1813):

Elles se traduisent par l’invasion de l’Espagne et les tentatives d’intégration des colonies espagnoles à l’Empire français. Ce sont également les missions de Murat et Joseph Bonaparte sur le continent. Tous les projets ont échoué : vaisseaux arrivés mais arraisonnés, équipages emprisonnés et expulsés (Rio, Carthagène, cote mexicaine…).

Elles se traduisent également par la mise en place du réseau  Desmolards des Etats-Unis vers tout le continent. On observe ensuite un changement de politique. Après les premiers échecs, la France impériale cherche à favoriser l’indépendance  à condition de ne pas signer d’accord commercial ni politique avec l’Angleterre. Ainsi sont signés des contrats d’aide avec les envoyés de Bolivar en 1813, prévoyant l’envoi d’armes, uniformes et officiers.  Cette première période est le moment des premières luttes de l’indépendance.

 

Un second temps est celui de l’indépendance menacée (1813-1818) :

Il est caractérisé par le retour de la monarchie suite  à la chute de Napoléon (et la fin des guerres européennes) ce qui met fin aux projets de contrats et de coopération. Les Espagnols et les royalistes reprennent l’initiative et presque dans tout le continent, l’indépendance est en recul et la plupart de ses chefs exilés.

 

Une troisième époque correspond à l’instauration des premiers modèles d’État (1818-1826) :

On peut noter des différences suivant les régions mais un modèle s’impose, en général fortement militarisé, personnalisé et centraliste. Ce qui a provoqué cette installation c’est le soulèvement de nouvelles forces face au retour de la monarchie espagnole. Les vainqueurs des guerres d’indépendance se transforment en chefs politiques (Bolivar, San Martín, O’Higgins, Santander, Sucre, Morazan, Iturbide…), comme l’ont fait auparavant Washington aux Etats-Unis et Bonaparte en France. Naît un débat interne sur le type d’État à construire entre république unitaire ou fédérale et monarchie constitutionnelle ; ce sont les deux premières qui s’imposent à ce moment-là. Cela provoque en particulier l’exil de San Martín.

 

La quatrième période est marquée par la déroute de la tentative libérale (1826-1835) :

Partout, se lèvent des oppositions face au premier modèle, fédéralisme contre unitarisme  par exemple au Chili et en Argentine, mais aussi en Équateur, Colombie, Vénézuéla face à la Nouvelle Grenade, le grand Etat américain imaginé par Bolivar. Souvent, les officiers napoléoniens du camp libéral sont très actifs pendant cette période. Mais le pouvoir économique des latifundistes et des premiers industriels (en particulier dans l’activité minière), ceux d’ailleurs qui ont généré l’indépendance, pour prendre le pouvoir politique plus que pour changer le système économique, reprennent le dessus face à ces libéraux dont ils étouffent militairement les tentatives.

 

Le dernier temps impose un model républicain (unitaire ou fédéral selon les zones) mais  conservateur (après 1835) :

On assiste pendant cette période à une passation du pouvoir des militaires aux civils, ceux-ci ayant assuré auparavant la conservation du modèle original établi à partir de la propriété de la terre et du vote censitaire. C’est cette victoire qui conditionne la façon dont on va s’écrire l’histoire de la naissance de ces pays  à partir de la seconde partie du XIX° siècle : Barros Arana et Vicuña Mackenna au Chili, Mitre en Argentine, Restrepo en Colombie et au Vénézuéla, Alamán au Mexique, comme le font a la même époque Mommsen et Niebur en Prusse ou Guizot, Thiers et Lamartine en France.

 

3)    Qu’est-ce qu’un libéral/conservateur au début du XIX° siècle ?

On peut prendre en considération une multitude d’identifications liées au libéralisme : libéraux progressistes face aux libéraux conservateurs, libéraux fédéralistes face aux unitaristes, républicains face aux partisans de la monarchie constitutionnelle, libéraux maçons face aux catholiques ou ecclésiastiques, libéraux espagnols face aux libéraux napoléoniens, auxquels on peut ajouter les conservateurs partisans du maintien du régime colonial, ceux qui souhaitent voir s’instaurer une monarchie constitutionnelle ou encore ceux qui luttent pour l’indépendance. Donc, il y a nécessité de préciser chaque fois pour chaque personnage quelle est son obédience. Aguilar Rivera, historien mexicain, écrit « au Mexique, le libéralisme est le plus fort mais il y a des libéraux de différents cépages ». 

En majorité, les libéraux ne sont pas profondément révolutionnaires. S’ils souhaitent changer les conditions d’accès au pouvoir, ils ne désirent pas un système économique totalement différent, bien au contraire.

Beaucoup de ces libéraux sont francs-maçons, souvent depuis l’Europe, mais ou plutôt en conséquence des affirmations précédentes, ils n’appartiennent pas tous aux mêmes loges. Nous relevons par exemple les maçons écossais et les new-yorkais au Mexique, les maçons britanniques dans le Cone Sud et au Brésil, les maçons napoléoniens… Comme, nous l’avons déjà mentionné, les archives maçonniques ne sont pas d’accès facile en Amérique, il est parfois difficile d’avoir des certitudes quant à leur appartenance. Il est également compliqué de classer les gens, surtout quand ils appartiennent au même groupe (les vétérans napoléoniens), quand par exemple, un libéral non maçon comme Georges Beauchef écrit « dans le monde civilisé, une petite partie de la société est destinée à gouverner, le reste à obéir. L’égalité est le délire du républicain fanatique   et la liberté frénétique, le sépulcre des républiques» et qu’un autre comme Pierre Chapuis, dans le journal qu’il a crée au Chili, El Verdadero Liberal , vitupère violemment contre les sénateurs conservateurs par ces mots « Je ne vois pas pourquoi  un Sénat composé, par exemple, de 24 membres, sains de corps et d’esprit, ne pourrait avoir plus de force morale que l’actuel composé par 80, si les 2/3 sont malades ou gangrenés » ou encore, élargissant les frontières du débat «le pays nécessite sa construction… pendant que les passions sont en mouvement, seul sera considéré l’intérêt particulier, alors que nous devrions nous guider par l’intérêt général ». Les deux appartiennent à l’aile libérale mais leurs déclarations expriment des concepts de société très différents ce qui indique des projets politiques pouvant aller dans des directions opposées. Le premier est un libéral conservateur et le second, un républicain faisant de l’éducation le cheval de  bataille de sa nouvelle société. Baptisé d’exalté, ce dernier a très mauvaise presse, présenté « comme un anarchiste expulsé de tous les pays d’Europe à cause de ses principes républicains et arrivé au Brésil et au Chili seulement pour fomenter la révolution ».

Maçon depuis le temps passé dans les armées de Napoléon, Pierre Chapuis a crée pendant les guerres libérales espagnoles une loge avec d’anciens militaires français et italiens, loge affiliée au Grand Orient de France. La plupart des membres de cette loge se retrouveront plus tard, après la déroute libérale en Espagne, en Amérique, particulièrement au Mexique ; nous pouvons citer par exemple les Italiens Linati, Galli, Franchini et l’espagnol Ceruti, tous libéraux et maçons appartenant au rite écossais.

Bref, il est donc très difficile d’avoir une image précise de chacun et de dissocier la maçonnerie du camp des libéraux. Nous essaierons donc au fil de cette présentation de donner les indications nécessaires pour pouvoir situer les hommes et leurs idées. En tout état de cause et en relation a ce qui a été affirmé précédemment, nous pensons qu’il est plus correct de parler de libéraux conservateurs et de (libéraux) républicains pour classer les Européens participant à l’émancipation du continent.  

  

Les maçonneries et leurs expressions. 

Loin de nous l’idée d’imaginer et d’essayer à tout prix de prouver l’existence d’un complot maçonnique international visant à l’installation d’un certain type de société en profitant de l’indépendance naissante en Amérique latine.

Plus juste, historiquement et à partir des sources rencontrées, serait de parler d’un mouvement simultané, mais pas obligatoirement organisé, de nombreux militaires libéraux et maçons ou appartenant à  d’autre sociétés secrètes comme, par exemple, le carbonarisme italien. Toutefois, nous savons que l’officier maçon Vigo Roussillon, aide de camp  du maréchal Victor et libéré en Espagne justement pour appartenir  à cette corporation, fut envoyé en mission en Angleterre en 1815 pour aller ensuite en Amérique et aider l’indépendance sans savoir si réellement il atteint son but. Nous savons aussi que Joseph, le frère de Napoléon, ancien grand maître du Grand Orient de France fut beaucoup plus actif aux États-Unis que ne le dit l’historiographie classique, aidant financièrement et grâce à ses contacts, de nombreux leaders sud-américains exilés aux Etats-Unis.

Il est ici difficile d’expliquer en détail l’origine, le rôle et le développement des sociétés secrètes, en particulier de la maçonnerie, sur l’indépendance du sous-continent de l’Amérique centrale et du sud, mais nous souhaitons simplement évoquer quatre exemples dans des zones distinctes  comme pour, a partir de chacun d’entre eux et aussi de l’ensemble qu’ils représentent, révéler ou appuyer l’importance du phénomène et l’indispensabilité de son intégration pour une meilleure compréhension  de l’émancipation américaine.

Les quatre exemples se situent en Colombie, au Brésil, au Chili et au Mexique.

- La Colombie : Ce premier cas nous permet d’abord de signaler la présence française dans cette région dès avant l’indépendance mais avec un grand renforcement pendant la Révolution française. Trois phénomènes expliquent ceci : les Français employés par la couronne espagnole, les exilés des colonies françaises des Caraïbes et les très nombreux marins des Caraïbes qui profitent des conflits maritimes dus au blocus continental européen. Les uns et les autres, bien que différents tant par leurs origines géographiques que sociales, appartiennent en majorité à la maçonnerie. Ils sont partisans d’un changement politique et vont rapidement se transformer en acteurs de ce changement. C’est probablement dans cette région (quand nous parlons de Colombie, nous pensons une zone bien supérieure au pays actuel puisqu’elle inclut le Vénézuéla, l’Équateur, la Bolivie et le Panama) que la maçonnerie européenne et locale va jouer le rôle le plus notable. Des médecins comme de Rieux ou de Froes, des militaires comme Dubourg, Guillot, Bonbonon, Castelli, Codazzi, Leleux, Bernier, Courtois ou Péru de la Croix et de très nombreux marins (plus souvent d’ailleurs corsaires au service des nouveaux pays que marins de flottes nationales, encore que le passage de l’un  à  l’autre est fréquent) comme Aury, Faiquere, Joly ou Soublette, appartiennent ou créent les premières loges maçonniques, en particulier la loge Bénéficience de Carthagène, la loge Fraternité de Carthagène ou encore la Loge Providence des Iles San Andrès.  Ils participent à tous les débats politiques, se retrouvent aux cotés des principaux leaders et, souvent, suivent leur destin. Opposés au pouvoir absolu de Bolívar, proches de Miranda, souvent républicains farouches, partisans de Santander,  nous les voyons souffrir, s’exiler, être emprisonnés ou expulsés quand ceux qu’ils suivent sont écartés du pouvoir. Nous les voyons aussi très actifs dans la presse, dans l’écriture des chartes constitutionnelles, des codes civils, faisant très souvent, pour ne pas dire plus, référence aux originaux français.

Les corsaires maçons déjà cités sont très actifs dans les Caraïbes et quand ils occupent un territoire, comme Aury le fait à San Andres et Providencia en 1821, son gouvernement est composé en grande partie de maçons.  Il y crée même la Loge Providence déjà citée.  

- Le Brésil, bien que suivant un processus indépendantiste différent (dans ce cas, la couronne est portugaise, la famille royale s’y est exilée lors de l’invasion napoléonienne en 1808 et c’est un des descendants, Pierre 1° qui va conduire la région jusqu’à son indépendance contre son propre pays d’origine), connaît aussi l’arrivée de nombreux officiers de la Grande Armée, très actifs comme Labatut, Mallet, Marliere, Taunay, Guion ou Bellard. Mais le plus intéressant, c’est bien le rôle de la maçonnerie locale appuyée par les maçons français qui déclenchent par exemple les révolutions républicaines et libérales de Pernambuco (Nord-est du Brésil) en 1801 et en 1817, avec pour cette dernière, l’arrivée hélas tardive, d’officiers napoléoniens, par ailleurs maçons comme Pontécoulant, Latapie ou Raulet. Comment ignorer de plus la participation massive des libéraux italiens, certains venant de la Grande Armée, dans l’instauration de la république de Rio Grande do Sul en 1835, premier coup dur porté au régime impérial brésilien.

De nombreux Portugais, anciens de la Grande Armée ou des troupes  coloniales passées a l’indépendance, sont aussi maçons et apportent leur collaboration au développement du libéralisme au Brésil.

Reste un personnage, Pierre Chapuis, maçon, capitaine des chasseurs  à cheval sous l’empire, combattant aux cotes des libéraux en Espagne (il y crée une loge maçonnique composée d’anciens officiers d’empire), expulsé de France et d’Espagne, qui, quand il arrive au Brésil en 1825, crée un journal libéral, el Verdadeiro liberal, s’oppose à  l’empereur Pierre 1° et est en conséquence expulsé, passant alors au Chili ou il reproduit la même activité. Très proche du libéral et fédéraliste Ramón Freire, il est encore expulsé après la défaite de ce dernier en 1830, bien qu’ayant de nouveau crée un journal, le Verdadero liberal.

-         Le Chili: Laissant de coté la Loge Lautaro, non affiliée à la maçonnerie bien que beaucoup de ses membres en fassent partie, qui n’a pour unique but que l’indépendance du Chili, de l’Argentine et du Pérou, le premier personnage qui se lie officiellement au mouvement, c’est José Miguel Carrera, un des premiers leaders de l’émancipation dés 1810, exilé aux Etats-Unis en 1816-1817 ou il prend contact avec Joseph Bonaparte, entre dans une loge américaine et réussit à monter une expédition financée en partie par ces deux entités. Son expédition comprend une trentaine d’officiers napoléoniens dont le général Brayer, grand-maître de la loge « Les Amis Incorruptibles » affiliée au Grand Orient de France, et proche de Napoléon. Son rôle au Chili sera polémique, s’opposant frontalement  à San Martín, le libérateur argentin, prenant partie pour le général républicain Alvear (lui aussi maçon) et terminant expulsé du Chili et de l’Argentine, se réfugiant en Uruguay avant de rentrer en France. Deux officiers napoléoniens apparaissent au Chili pour des raisons différentes: Charles Renard vient combattre pour l’indépendance et il le fait au Chili et en Argentine à partir de 1817; Jean-Francois Zeghers, lui, arrive lui en 1823 comme diplomate et traducteur, travaillant déjà en France pour le compte du gouvernement chilien. Atteignant tous deux des postes importants dans la haute administration civile ou militaire, ils feront partie des créateurs de la 1° loge maçonnique chilienne, appelée «Filantropia chilena» présidée par l’amiral et président de la République Blanco Encalada en Santiago le 15 mars 1827, et seront partisans du général Freire entre 1823 et 1830. De courte durée, cette loge jouera un grand rôle pendant une des périodes les plus troubles de la jeune histoire du Chili, période pendant laquelle se définit le futur politique du pays entre libéralisme fédéraliste et libéralisme conservateur et centralisateur. Comme c’est cette dernière idéologie qui l’emportera, les maçons, en général tous à  faveur de la première comme Renard et Zeghers, devront rentrer dans le rang pendant plusieurs années ou, pour le moins abandonner la vie politique publique.  Deux autres officiers français, Benjamin Viel et Ambroise Cramer, maçons au vu de leurs signatures incluant sans discrétion les fameux trois points identificateurs de l’ordre, vont l’un et l’autre jouer un grand rôle tant militaire que politique. Devenant général le premier et colonel le second, ils connaissent des futurs différents bien qu’étant constamment en contact. Brillants participants des premières campagnes (on attribue de fait à Cramer les honneurs de la première grande victoire de San Martín à Chacabuco en 1817), le premier, républicain libéral connaitra presque 15 ans d’exil après la chute du gouvernement de Freire en 1830, et le second, expulsé de l’armée par Freire, sans procès ni raison apparente,  terminera sa carrière mourant lors d’un combat de Chascomus luttant pour une faction libérale en Argentine en 1839. Leur correspondance laisse apparaître non seulement leur engagement politique et philosophique, mais aussi le réseau constitué par ces officiers sur le continent. Un réseau qui pourrait (cela reste à prouver) avoir un lien avec la maçonnerie.

-         Le Mexique pour finir : Il faut attendre les années 1825-1826 pour voir arriver dans ce pays les premiers officiers napoléoniens et maçons. Ceci ne signifie pas que d’autres n’aient agi avant comme Panis, Alvimart, Beneski, Greffe, Humbert ou encore Maillefer qui, tous en des moments différents luttent pour l’indépendance mexicaine. Nous ne savons dans ce cas s’ils avaient une appartenance maçonnique, ce qui est sur c’est qu’ à partir de 1825, ceux qui arrivent, en particulier les Italiens, sont tous maçons ou carbonari.  Leur exil en Amérique, plus qu’à la chute de l’Empire, est principalement due à l’échec des grandes rebellions libérales d’Italie et d’Espagne auxquelles ils ont participées.  Linati, Galli, Franchini, Santangelo, Pignatelli-Cerchiara, Ceruti et bien d’autres ne vont jouer aucun rôle militaire. Arrivés sous divers prétextes (spécialistes en activités minières, ingénieurs, entre autres), ils s’orientent tous vers l’activité journalistique créant ou s’intégrant dans des périodiques. Tous appartiennent à la branche des maçons d’York (libéraux républicains) en opposition à un autre groupe de maçons, les Écossais (libéraux conservateurs et souvent antidémocrates). A partir de 1826, la quasi intégralité du débat public et politique au Mexique se concentre dans les journaux représentant ces deux factions. C’est dire l’importance, pour ne pas dire, l’omniprésence de la maçonnerie au Mexique au moment où, justement, se définit le modèle d’état qui doit se mettre en place. Une fois de plus, et cela nous permet de revenir aux phases déterminées au début de cette présentation, les républicains et démocrates sont vaincus a la fin de la deuxième décennie du XIX° siècle et laissent place à un modèle qui ne peut se développer sans provoquer leur expulsion en général définitive du territoire. En 1827, il ne reste aucun d’entre eux au Mexique et l’on peut affirmer que de leur projet politique, il ne reste rien. 

Ce survol rapide de quatre épisodes impliquant concrètement la maçonnerie dans le débat sur le type de société que les Américains doivent imaginer une fois obtenue l’indépendance mérite d’être approfondi, pas obligatoirement dans le but de démontrer l’existence d’une organisation internationale (l’eurocentrisme n’a rien à voir avec notre volonté historiographique) influente au moment de ce changement sociétal, mais simplement d’en comprendre tous les aspects au risque, si cette ouverture thématique ne se produit pas, de retomber dans la conception d’histoires nationales en dehors de toute influence ou appartenance extérieure. L’étude des réseaux et des circulations maçonniques s’inscrit dans une approche transnationale. Au contraire, les histoires nationales qui peuvent avoir été très utiles aux différents pouvoirs politiques au moment de l’affirmation des nouvelles nations durant la seconde partie du XIX° siècle, aujourd’hui ne peuvent constituer l’unique interprétation ou explication aux systèmes qui régissent encore au présent les pays dans lesquels nous vivons.

Dernière idée sur laquelle nous souhaitons terminer cette intervention: globalement, l’action des libéraux et démocrates, des maçons et plus généralement des vétérans napoléoniens (ils étaient dans leur très grande majorité, comme nous l’avons vu l’un ou l’autre, parfois les deux) conduit à un échec qui constitue en fait leur second échec après celui soit lors de la Révolution française ou du Premier Empire, soit lors des mouvements libéraux européens. Ce qu’ils n’ont pu construire en Europe, ils n’ont pu, non plus, le réaliser en Amérique, c’est bien là le drame historique qu’il est plus qu’intéressant  de connaître et d’analyser.   

Enigma : le renseignement au coeur de la seconde guerre mondiale

17 Jan

L’Histoire commence avec l’écrit. La cryptologie est-elle donc le plus vieux métier historique ?

La nécessité de cacher ses pensées à ses adversaires et de les rendre lisibles à ses alliés a toujours été vitale dans les activités humaines qu’elles soient privées, religieuses, diplomatiques, commerciales ou militaires.

Aux alentours de 1900 avant J.-C., des hiéroglyphes inusités sont employés dans une inscription. Les Hébreux utilisent un codage par substitution mono alphabétique dès 500 avant J.-C. La scytale lacédémonienne consistait en un message écrit sur une bandelette disposée autour d’un bâton, elle n’était lisible que si l’on possédait un bâton du même diamètre. On a écrit sur la tête rasée d’un esclave. Celui-ci ne partant qu’une fois ses cheveux repoussés et le destinataire le tondait. La confidentialité y gagnait ce que la vitesse y perdait … D’autres systèmes sont restés célèbres : Le carré de Polybe, le chiffre de César. Plus proche de nous, le grand chiffre de Louis XIV reposait sur un principe simple mais efficace : La substitution s’effectuait non pas au niveau des lettres mais des syllabes qui se voyaient attribuer un nombre fixe. La défaite de 1870, l’esprit de revanche sont à l’origine, en France, d’un foisonnement intellectuel auquel n’échappe pas la cryptographie. Elle devient alors le domaine des scientifiques : Un bon procédé de chiffrement doit être mathématiquement indéchiffrable. Lors de la première guerre mondiale, le chiffre allemand est cassé grâce à la capture de ses livres de code. Cette découverte permet entre autre de déchiffrer le télégramme Zimmermann dont la divulgation fera entrer les Etats-Unis dans la guerre. Après 1918, l’état-major de la Reichswehr, conscient des faiblesses de son chiffre, cherche alors une machine à coder absolument fiable.

En octobre 1919, un inventeur hollandais, Hugo Koch, crée une machine à écrire secrète. Découragé par son insuccès commercial, il cède son brevet à un Allemand, le docteur Arthur Scherbius qui la baptise Enigma. Le fabricant allemand, Chiffriermaschine A.G. Berlin, dépose un brevet au bureau d’enregistrement londonien conformément à la loi mais cette demande n’éveille pas non plus l’intérêt du SIS britannique. Cette machine, qui ne rencontre qu’un succès commercial très limité, attire, en 1926, l’attention du colonel Erich Fellgiebel, responsable des transmissions de la Reichswehr qui en acquiert pour sécuriser les communications de certaines unités. Prudent, le colonel Fellgiebel confie à un comité d’experts scientifiques la vérification de la sécurité de la machine. Ceux-ci annoncent, en 1929, qu’elle n’est pas sûre : La période de 17 576 alphabets possibles n’est pas suffisante. Ils suggèrent donc d’ajouter un tableau de 26 connections à prises doubles correspondant au 26 lettres réunies, deux par deux, par des fiches mobiles appelées des «Steckers ». Le courant passe deux fois à travers ces fiches, à l’entrée et à la sortie pour faire un double surchiffrage qui multiplie les possibilités de combinaison pas un facteur infini.

Le principe de fonctionnement d’Enigma repose sur des rotors alphabétiques placés sur un cylindre dans n’importe quel ordre. Le circuit électrique interne de chaque rotor peut être aligné dans n’importe quelle position. Le chiffrement ne dépend que de la position du premier réglage des rotors. Les fiches sont insérées, au hasard, dans un tableau. Ces éléments variables, appelés cartes de réglage, sont modifiés quotidiennement. Si l’adversaire possède une machine identique mais pas de carte de réglage, il ne peut accéder au contenu des messages.

Il y a trois éléments à connaitre pour pouvoir coder un message avec la machine Enigma.

-         La position des 6 fiches du tableau de connexion : D’abord, il faut choisir 12 lettres parmi 26. C’est donc le nombre de combinaisons de 12 parmi 26, soit 26! / (12!14!). Il faut choisir alors 6 paires de lettres parmi 12, soit 12!/6!, et comme la paire (A, D) donne la même connexion que la paire (B, A), il faut encore multiplier par 26. On trouve finalement 100 391 791 500.

-         L’ordre des rotors : il y a autant d’ordre que de façons d’ordonner 3 éléments : 3!=6.

-         La position initiale des rotors : chaque rotor ayant 26 éléments, il y a 26x26x26=17576 choix.

On obtient donc 1016 possibilités ce qui exclut tout décodage avec les moyens techniques de l’époque.

Enigma présente le défaut majeur d’être très consommatrice en personnel. Il faut au moins deux opérateurs pour chiffrer un message (un qui frappe le message lettre par lettre et l’autre qui lit les voyants lumineux et écrit sur une formule spéciale), deux pour le décrypter et deux opérateurs radio pour envoyer et recevoir le message crypté. De plus, le clavier ne comportant que des lettres, la transmission d’un état chiffré doit s’avérer longue et fastidieuse puisqu’au lieu de « 22 » il faut écrire « vingt-deux ». Il faut noter que, pour améliorer encore la sécurité des transmissions, les services allemands mettent au point la Geheimschreiber T 52, fabriquée par Siemens et qui dispose, elle, de 12 rotors. Son encombrement la réserve aux communications de l’OKW (Oberkommando der Wehrmacht). Confiant dans l’inviolabilité d’Enigma, les Allemands en dotent toute la Wehrmacht (Heer, Luftwaffe et Kriegsmarine), la Gestapo, la SS et même l’Abwehr …

Les services de renseignements polonais, particulièrement attentifs aux intentions de leurs voisins soviétiques et allemands ne manquent pas d’intercepter les communications radio de la Reichswehr. On conçoit leur inquiétude quand, à partir de 1933, celles-ci deviennent peu à peu indécryptables ! De plus, la machine Enigma a été retirée du commerce et aucune documentation technique n’est plus disponible … Après bien des recherches, les services polonais peuvent trouver sur le marché une version commerciale d’Enigma. Ils la confient à la section BS4 de l’état-major, un des meilleurs sinon le meilleur service de cryptage-décryptage d’Europe. Le BS4 recrute alors, pour percer le code allemand, de brillants mathématiciens germanophones, Rejewski, Rozycki et Zygalski, qui réussissent à résoudre le problème a priori insoluble des câblages internes des rotors.

C’est à ce moment qu’entre en scène le SR français : Il dispose d’un agent qui n’est autre que le chef du bureau du chiffre à Berlin, Hans-Thilo Schmidt (Alias Asche pour le SR) ! Celui-ci, bien que membre du NSDAP et gauleiter de sa commune, prétentd agir par haine de Hitler. Il n’en dédaigne pas moins les subsides généreux versés par les services français. Schmidt nous fournit le manuel secret d’utilisation d’Enigma, des clés de chiffrage ainsi qu’un descriptif des modifications apportées progressivement à la machine. Accessoirement, il abreuve le SR de renseignements sur les Panzer-Divisionen qu’il obtient de son frère, futur général de la Wehrmacht. Asche sera logiquement fusillé à Berlin en 1943. Le MI6 recevra également des renseignements décisifs d’un réfugié juif qui a travaillé dans l’usine où a été construite Enigma.

Muni de ces documents les trois experts polonais réussissent à reconstruire un Enigma. Reste à concevoir des machines suffisamment  rapides pour tester assez de possibilités afin de trouver la clé de chiffrage du jour. Ces « Bombs » sont centralisées au centre de Bletchley Park qui dépend du GCCS (Governemental Codes and Cipher Service). Elles sont remplacées par le « Colossus » qui utilise des capteurs photoélectriques et des lampes électroniques au lieu de relais électromagnétiques. C’est le génie du mathématicien Alan Turing et de ses collègues qui permet la création de tels engins.

Durant la « Drôle de Guerre », les services de décryptage français qui ont recruté des cryptographes réfugiés espagnols de l’armée républicaine et les Polonais du BS4 fournissent au GQG de plus en plus de renseignements issus des messages chiffrés allemands. Le 17 janvier 1940, les services de décryptage français lisent le premier message chiffré d’Enigma. Pendant la campagne de Norvège, ils déchiffrent 1 115 messages et 5 064 pendant la campagne de France, y compris 126 clés différentes. A partir du 22 mai 1940, les Britanniques décrypte régulièrement les messages de la Luftwaffe. Il faudra attendre 1941 pour ceux de la Kriegsmarine et 1942 pour ceux de la Heer. Ultra devient la source tirée des renseignements d’Enigma en 1940. Pour la petite histoire, ce nom vient du code utilisé par Nelson lors de la bataille de Trafalgar. L’utilisation d’une telle masse de documents de grande valeur va, dès le début de son exploitation poser le problème de la protection de la source. En effet, si les forces allemandes constatent la mise en échec de toutes leurs opérations, elles risquent d’en tirer très rapidement les conséquences et de changer leur mode de chiffrement.

Le 12 novembre 1940, Ultra apprend à Winston Churchill l’attaque terroriste prochaine par la Luftwaffe de la ville de Coventry (Opération Mondscheinsonate). Le premier ministre, la mort dans l’âme, refuse tout renforcement de la défense aérienne de la ville. Le bombardement du 14 novembre tue 554 habitants et fait plus de 5000 blessés. Il convient de noter le rôle capital de Churchill dans la promotion des systèmes de déchiffrement auxquels il accordera toujours les moyens humains et matériels suffisants. Le 23 août 1941, une interception Enigma annonce le départ d’un important convoi de ravitaillement pour l’Afrikakorps. Après un vif débat avec l’amiral Dudley Pound, First Sea Lord, le bouillant premier ministre accepte de laisser passer les pétroliers afin de ne pas attirer l’attention de l’Abwehr.

La source Ultra n’a été divulguée qu’en 1974 lors de la parution du livre de Gustave Bertrand, intitulé Enigma. Les mémoires de guerre de Winston Churchill n’en font nulle mention et éludent l’origine des renseignements décisifs pour la victoire. Le décryptage d’Enigma est, de par les efforts scientifiques consentis, à l’origine des systèmes informatiques modernes. On peut considérer Colossus comme le premier ordinateur opérationnel. Il a en outre permis, sinon la victoire des alliés, du moins l’accélération de celle-ci. Son rôle a donc été capital dans la protection des convois à destination de la Grande-Bretagne lors de la bataille de l’Atlantique. Une opération comme Overlord n’a pu se dérouler que dans le cadre de l’opération Fortitude qui repose, entre autres manœuvres de déception, sur l’écoute des messages allemands.

Il est permis de penser qu’un des effets pervers d’Ultra a été l’excessive confiance dans le renseignement électromagnétique qui en a découlé. Cette surévaluation persiste encore de nos jours dans la sphère du renseignement américain. Le débat éthique sur les conséquences humaines de la protection de la source Ultra n’est pas clos, mais, comme le disait Winston Churchill : « En temps de guerre, la vérité est si précieuse qu’elle doit être préservée par un rempart de mensonges »

Vincent Laforge, promotion 2013 du Master II 

Bibliographie

Cave Brown A.                     La guerre secrète, le rempart des mensonges. Pygmalion, 1975

Melton K.                              The ultimate spy. Dorling Kindersley, 1996

Destremeau Ch.                    Ce que savaient les alliés. Perrin, 2007

Carlisle R.                             The Complete Idiot’s Guide Spies. Alpha Books, 2003

Urgellès J.G.                         Mathématiques et espionnage. RBA Coleccionables SA, 2010

Chevassus-au-Louis N.        Guerres de chiffres. Les cahiers de sciences et vie n° 133, 2012

Skillen H.                               Les secrets d’Enigma. 39-45 Magazine n° 84 et 87, 1993

Lassègue J.                            Turing et l’informatique fut, Pour la science n° 29, 2006

Churchill W.                         Mémoires de guerre. Tallandier 2010

Etienne G.                                 Histoire de l’espionnage mondial. Editions du félin, 1997

Mythique Diên Biên Phu

16 Jan

Voilà un combat mythique de plus qui entre dans la collection d’histoire-bataille de Tallandier. Nous reprenons la critique du livre par Rémy Porte sur http://guerres-et-conflits.over-blog.com :

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« Depuis la soutenance de sa thèse remarquée sur le génie pendant la guerre d’Indochine, Ivan Cadeau se fait connaître comme l’un des meilleurs connaisseurs de ce conflit dans la jeune génération.

Ce Dien Bien Phu offre un récit complet des événements tout en prenant soin, par d’indispensables aller-retour réguliers, de nous entrainer aussi bien sur l’une des collines du site ou au PC du commandant du camp retranché que dans les états-majors supérieurs et jusqu’au commandant en chef. Il aborde aussi bien les questions tactiques à l’échelon du bataillon lorsque c’est nécessaire que celles liées à la situation globale sur le théâtre des opérations. Il passe du témoignage individuel et de l’extrait de correspondance privée au document d’état-major officiel. Bref, sans révolutionner la connaisssance globale que l’on a de la bataille (ce qui serait d’ailleurs bien difficile !), il pose avec rigueur les termes du dossier.

Divisé en sept chapitres,le livre présente chronologiquement la situation en Indochine jusqu’à la prise de décision de l’occupation de Dien Bien Phu (chap. 1 et 2), puis s’intéresse à la mise en place de la base aéroterrestre (ou camp retranché ?) et aux derniers jours avant l’attaque du 13 mars (chap. 3 et 4). Il traite ensuite de « La crise du moral », suite à la chute rapide de Béatrice et de Gabrielle, des problèmes de l’artillerie et de l’aviation et du « sursaut » du 28 mars après l’arrivée de Bigeard (chap. 5). Enfin, il étudie dans le chapitre 6 « La bataille des cinq collines » à proprement parler (mais aussi la crise entre Navarre et Cogny) et dans le chapitre 7 l’épilogue, sous le titre « Au revoir mon Vieux », la chute des dernières positions de Claudine, Eliane et Isabelle. L’ouvrage se termine, après un bilan quantitatif des pertes, sur cette question à première vue étonnante : « victoire stratégique et succès tactique ? ». Et si, finalement, Navarre ne s’était pas totalement trompé ?

Une très bonne synthèse, qui bénéficie de cartes, d’un appareil de notes, de deux index et d’une bibliographie de référence. Un livre bien écrit, agréable à lire sans jamais céder aux sirènes de la facilité. »

Tallandier, Paris, 2013, 207 pages. 17,90 euros.

ISBN : 979-10-210-0057-5.

Nous vous invitons également à vous rendre sur http://guerres-et-conflits.over-blog.com pour y lire l’interview accordé par Yvan Cadeau.

FRANCE-MALI : CHECK LIST POUR UNE INTERVENTION

15 Jan

Le Président de la République, chef des armées au titre de l’article 15 de notre Constitution, a ordonné le déclenchement d’une intervention militaire (sans déclaration de guerre) au Mali dans la nuit du 10 au 11 janvier 2013. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié en 2008 (ci-après appelé Le Livre blanc), recensait sept principes directeurs pour tout engagement des forces armées françaises à l’étranger (dans le chapitre 3 : « La stratégie de sécurité nationale », p. 76). Leur mise en œuvre peut être vérifiée au fur et à mesure de la guerre qui vient de commencer.

 

1 – Caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationales.

- Al Qaida au Maghreb islamique-AQMI menace explicitement la France depuis de nombreuses années et a mené des actions contre ses ressortissants (enlèvements) et ses intérêts (attentats). La menace contre la sécurité nationale est donc avérée : « Quand on se réfère à la doctrine de ces groupes intégristes et singulièrement d’AQMI, la France est en ligne de mire » (Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, 24 septembre 2012).

- AQMI ne fait mystère ni de sa volonté de renverser par les armes les régimes en place au Maghreb et au Sahel pour instaurer un califat salafiste, ni de sa participation - notamment par des actions terroristes - au djihad mondial. Les organisations alliées d’AQMI                       - Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Ansar Eddine, Boko Haram et Ansaru - partagent pour tout ou partie les mêmes objectifs.

- L’ONU estime que la situation « menace la paix, la sécurité et la stabilité des États de la région » (Conseil de sécurité, Résolution 2056 du 5 juillet 2012), « constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales » (Conseil de sécurité, Résolution 2071 du 12 octobre 2012),  » [fait] peser une grave menace, pour laquelle le temps presse, sur la population du Mali tout entier et la stabilité du Sahel, de l’Afrique en général et de la communauté internationale dans son ensemble » (Conseil de sécurité, Résolution 2085 du 20 octobre 2012).

- Par conséquent, la résolution 2056 prévoit des sanctions contre les groupes terroristes occupant le nord du Mali et la résolution 2085 demande à la communauté internationale d’ « aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de [leur] territoire ». Réunis en urgence le 10 janvier 2013, lors du déclenchement de l’offensive djihadiste vers Mopti, « les membres du Conseil demand[èr]ent à nouveau aux États Membres d’accompagner le règlement de la crise au Mali et, en particulier, de fournir une assistance aux Forces de défense et de sécurité maliennes afin d’atténuer la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés ».

 

2 – Examen, préalable à l’usage de la force armée, des autres mesures possibles, sans préjudice de l’urgence tenant à la légitime défense ou à la responsabilité de protéger.

Depuis le début des affrontements au Mali, en janvier 2012, la France défend une approche multilatérale respectant strictement le droit international. Elle encouragea les négociations, démarche qu’elle préférait aux coûts humain et financier d’une intervention militaire par surcroît lourde de multiples aléas.  Mais, semble-t-il, sans s’illusionner.

Aussi, lorsque M. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations Unies proposa, le 10 octobre 2012 une négociation préalable à une intervention militaire, M. Hollande se montra circonspect. D’une part, il jugeait cela inapproprié vis-à-vis d’AQMI : « Discuter avec qui ? Avec AQMI ? Qui peut imaginer qu’il puisse y avoir là des conversations qui puissent être utiles ? » D’autre part, il estimait possible un dialogue avec des forces politiques maliennes « laïques qui [voulaient] prendre part à la réconciliation nationale », ce qui désignait implicitement le Mouvement national de libération de l’Azawad-MNLA, qui faisait des ouvertures en ce sens. L’acceptation de la faction touarègue - dont l’action militaire déclenchée le 17 janvier 2012, a provoqué le chaos actuel et qui fut boutée hors de l’Azawad par les djihadistes au printemps 2012 - tend à démontrer que Paris tenait à un règlement négocié, pour autant qu’il n’incluait pas les terroristes islamistes. 

Le 10 janvier 2013, les autorités françaises semblent avoir partagé l’analyse stratégique du gouvernement provisoire malien. Les djihadistes paraissaient avoir l’intention de prendre Mopti, puis de pousser l’avantage jusqu’à Segou, dernier verrou avant Bamako. Cette perception s’appuyait en particulier sur le fait que des groupes attaquaient la bourgade de Konna tandis que d’autres tentaient, dans le même temps, de franchir le fleuve Niger pour prendre les éléments de l’armée malienne en tenaille. Il y avait donc urgence, alors que les dirigeants maliens se trouvaient en situation de légitime défense. Celle-ci est reconnue comme un droit par l’article 51 de la Charte des Nations Unies et peut s’exercer individuellement ou collectivement, donc avec l’aide de pays tiers comme la France.

Notons que l’offensive lancée par les djihadistes ne témoigne pas d’une volonté de négocier, pas même de la part d’Ansar Eddine, qui bénéficie, pourtant, de l’attitude pour le moins ambigüe de l’Algérie et du Burkina Faso.

 

3 – Respect de la légalité internationale.

- la résolution 2085, adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 20 décembre 2012, « Demande instamment aux États Membres et aux organisations régionales et internationales de fournir un appui coordonné à la [Mission internationale de soutien au Mali-]MISMA, en étroite coordination avec celle-ci et avec les autorités maliennes, notamment sous la forme de formations militaires, de fourniture de matériel, de renseignement, d’appui logistique et de tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par des organisations terroristes ». La formule « tout type d’aide » offre implicitement la possibilité d’une intervention militaire directe.

- le 10 janvier 2013, le président par intérim malien, Dioncounda Traoré, demande officiellement « l’aide militaire » de la France. Ceci entre dans le cadre des relations bilatérales d’État à État en général, entre la France et le Mali, en particulier.

- La France peut également se targuer des demandes explicites de soutien militaire formulées par les États voisins. Réunis à Abuja (Nigeria), le 11 novembre 2012, les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO, rejoints par les pays voisins et concernés (Mauritanie, Tchad, Algérie) ont adopté un plan de reconquête du Nord-Mali. Il s’agit d’une opération militaire africaine, mais avec soutien occidental. Cette intervention est autorisée - à l’unanimité - par la résolution 2085 du 20 décembre 2012.

- L’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, peu suspecte de francophilie (elle avait publiquement qualifiée le plan français d’intervention militaire de « crap » le 11 décembre 2012) a déclaré que, lors de la réunion en urgence du Conseil de sécurité le 10 janvier, il y a eu un « consensus clair sur la gravité de la situation et le droit des autorités maliennes de rechercher toute l’assistance possible ». Cela revenait à autoriser, à l’unanimité, l’action militaire française.

 

4 – Appréciation souveraine de l’autorité politique française, liberté d’action, et capacité d’évaluer la situation en permanence.

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région pour la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, nombre d’observateurs ont signalé que la France renforçait sa présence militaire et intensifiait considérablement la collecte ainsi que le traitement de renseignements. Paris défendait d’ailleurs, à l’époque, le lancement le plus rapide possible d’une action armée.

- L’intervention déclenchée le 10 janvier 2013 se déroule sous le contrôle exclusif des autorités françaises. La décision politique est du seul ressort du Président de la République et la chaîne de commandement militaire est strictement nationale.

- Toutefois, les Nations Unies surveillent le déroulement des opérations (rapports du Secrétaire général au Conseil de Sécurité). La CÉDÉAO et l’Union africaine demeurent les organisations dirigeantes des opérations tout comme du processus de paix (résolution 2085 autorisant la « Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine »). Ajoutons que l’aide apportée par les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Danemark et, progressivement par d’autres États européens, supposent une coordination, une concertation et donc une forme de contrôle sur l’action de la France.

 

5 – Légitimité démocratique, impliquant la transparence des objectifs poursuivis et le soutien de la collectivité nationale, exprimé notamment par ses représentants au Parlement.

- Le Président de la République a prononcé une brève allocution le 11 janvier 2013 dans l’après-midi pour officialiser et expliquer l’intervention qu’il avait ordonnée. L’exposé des objectifs est clair :  » Le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord, dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. Il en va donc, aujourd’hui, de l’existence même de cet État ami, le Mali, de la sécurité de sa population, et celle également de nos ressortissants. »

- Le Président de la République a précisé, dans la même intervention :  » J’informerai régulièrement les Français sur son déroulement. Les ministres concernés, celui des affaires étrangères en liaison avec les Nations Unies, car nous intervenons dans le cadre de la légalité internationale, comme le ministre de la Défense donneront également toutes les informations utiles à la population. »

- Et il a annoncé : « Enfin, le Parlement sera saisi dès lundi » [14 janvier]. Ce qui est conforme à l’article 35 de la Constitution (version consolidée après la révision du 23 juillet 2008) :  » Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. » Lors de sa conférence de presse le 11 janvier, le ministre des Affaires étrangères a précisé que le Premier ministre recevrait lundi 14 janvier, avec le ministre de la Défense et lui-même, l’ensemble des responsables politiques qui doivent être consultés. Il ajouta : « Le Parlement bien sûr pourra comme il l’entend, nous entendre. La présidente de la Commission des affaires étrangères a pensé que mercredi [16 janvier] peut-être, ou à une autre date qui sera à la discrétion du Parlement, nous pourrions avoir toutes les consultations nécessaires. »

- Rappelons que le rôle du Parlement est strictement consultatif pour le moment. En effet, l’article 35 prévoit que ce n’est que  » Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois,  [que] le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort. » Les précédents (Afghanistan, 22 septembre 2008 ; Tchad, République centrafricaine, Côte-d’Ivoire, Liban, Kosovo, 28 janvier 2009) montrent que jamais un gouvernement n’a été mis en difficulté au sujet d’une intervention extérieure depuis l’entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle.

- La question de l’autorisation préalable au déclenchement des opérations n’a pas de fondement juridique. En effet cela n’est nécessaire, aux termes de la Constitution (article 35, 1er alinéa) qu’en cas de guerre :  » La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement. » Or, il ne saurait y avoir, au sens juridique, de déclaration de guerre aux djihadistes, qui sont des acteurs non-étatiques illégaux.

 

6 – Capacité d’engagement français d’un niveau suffisant, maîtrise nationale de l’emploi de nos forces et stratégie politique visant le règlement durable de la crise.

- Ancienne puissance coloniale, la France dispose de nombreux alliés dans la région, ce qui lui permet, même si le format en a été considérablement réduit ces dernières années, d’assurer une présence militaire substantielle (au Tchad, notamment).

- Depuis plusieurs années, la France participe à la formation (et parfois à l’action) des armées de plusieurs pays (Mauritanie, Niger, Burkina-Faso, notamment) de la région à la lutte contre les terroristes et les narcotrafiquants.

- Depuis l’automne 2012, la France a modifié et renforcé dans la région son dispositif militaire en général et aérien en particulier. En outre, elle a intensifié la présence de ses forces spéciales ainsi que la collecte et le traitement de renseignements.

- Alliée du Mali et étroitement associée à son évolution depuis son indépendance, en 1960, la France connaît bien la situation intérieure de ce pays. Cela l’a amenée à préconiser (parfois à accompagner), depuis plusieurs années, une solution politique aux problèmes du nord.

- La France a largement contribué à l’élaboration puis à la mise en œuvre de la « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel » adoptée par l’Union européenne le 29 septembre 2011. Elle lie la sécurité et le développement, préconisant une coopération régionale doublée d’une aide internationale, sur fond d’amélioration de la gouvernance des pays de la région. Si le chaos malien ne milite guère en faveur de l’efficacité du programme, l’outil existe. Une réelle volonté politique - que la catastrophe actuelle devrait susciter -, tant des États membres de l’Union européenne, que des pays du Sahel, pourrait déboucher sur des améliorations notables et durables du sort des populations sahéliennes. Seule une transformation en profondeur de la gouvernance des pays du Sahel permettrait de progresser dans ce domaine et de réduire le mécontentement qui contribue à grossir les rangs des extrémistes de tout poil.

 

7 – Définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps, avec une évaluation précise du coût.

Cela reste le critère le plus difficile à remplir. Pour le moment les déclarations demeurent vagues.

- Le périmètre géographique officiel est le territoire du Mali, sans plus de précision. La lutte entamée le 11 janvier 2013 contre les djihadistes a nécessité d’agir au centre du pays (libération de Konna), au nord du pays (bombardement de positions djihadistes) et au sud (déploiement de forces à Bamako pour protéger les ressortissants français). Il n’est pas certain que d’autres actions ne devront pas avoir lieu dans les pays voisins eux-mêmes infectés par les djihadistes (Niger et Burkina Faso, en particulier)

- Le Président de la République a déclaré le 11 janvier 2013 : « Cette opération durera le temps nécessaire. » Cette imprécision est inhérente à toute guerre, à plus forte raison dans un conflit asymétrique. Le spectre de l’enlisement plane et il serait fort imprudent de fixer un terme.

- Aucune « évaluation précise du coût » n’a été produite officiellement. Cela serait d’ailleurs fort hasardeux dans la mesure où l’on ne connaît encore ni la durée, ni l’ampleur de l’intervention. En outre, les éventuels pays contributeurs financiers n’ont encore rien fait savoir de leurs intentions.

 

Patrice Gourdin

L’intervention militaire au Mali. Première étape d’une résolution de la crise à l’échelle régionale ?

13 Jan

Les circulations de groupes combattants dans la région a permis de faire de l’Azawad un nouveau point de fixation pour les activistes d’AQMI. La branche qui se revendique d’Al-Qaeda peut compter sur ses alliés salafistes d’Ansar Dine, groupuscule armé créé en décembre 2011 et dirigé par Iyad ag-Ghali sur le Mujao. La conquête des villes du Nord (Tombouctou, Kidal et Gao notamment) a souvent été opérée par Ansar Dine. Ce groupe s’est rapidement imposé au groupe touareg indépendantiste mais laïcisant, le MNLA, comme le prouvent les destructions des mausolées de Tombouctou par ses combattants à l’été 2012. Le chef d’Ansar Dine est lui aussi touareg, proche de la chefferie des Ifoghas, tribu dont une partie des cadres du MNLA est issue mais dont le territoire constituerait le sanctuaire d’AQMI. La légitimité d’Iyad ag-Ghali parmi les Touaregs car Iyad ag-Ghali a mené la révolte touarègue de 1990. Il demeure un symbole de la lutte autonomiste (voire indépendantiste), même si le sentiment de la population est partagé à son égard depuis qu’il a adhéré au salafisme dans les années 1990.

 

Eléments de lecture géopolitique : un jeu d’acteurs étatiques

Le Mali est partie intégrante de la CEDEAO, association régionale de 15 membres. Elle devait fournir l’essentiel des 3 300 hommes d’une force d’intervention pour la reconquête du nord-Mali, même si celle-ci pourrait également intégrer des éléments tchadiens. En principe sous les ordres du général Lecointre, une mission européenne nommée EUTM Mali devait assurer la formation de ces troupes africaines déployées. Depuis le début de la crise malienne, les autres membres de la CEDEAO souhaitent s’impliquer dans sa résolution, conscients qu’elle comporte une indéniable dimension régionale et les concerne tous. La CEDEAO agit selon un double processus, diplomatique et militaire. Jusqu’à ces dernières heures, il était mis en avant par l’ONU et les puissances extra-africaines.

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Pourtant, depuis plusieurs semaines, le doute s’exprimait chez de nombreux militaires français sur la capacité réelle de la force potentiellement déployée par la CEDEAO à opérer la reconquête face à des islamistes bien aguerris. Par ailleurs, l’association régionale ne saurait être l’acteur majeur d’une résolution durable du problème touareg. Elle semblait toutefois ces dernières semaines prendre parti en faveur de l’autonomie du Nord-Mali pour rallier le MNLA, voire Ansar Dine. Un sommet est prévu mercredi ; il devrait accélérer le déploiement des contingents ouest-africains avec l’appui logistique des Britanniques notamment (avions de transport C-17). A défaut de jouer le rôle de premier plan dans la reconquête du nord-Mali, la force d’intervention devrait pouvoir prendre le relais des Français pour aider les Maliens à tenir les premières villes reconquises, notamment Konna.

 

En réalité, l’acteur décisif est sans doute l’Algérie. L’Algérie partage une frontière de plus de 1 300 kms avec le Mali et est la principale puissance politique et militaire de cette partie du Sahel qu’elle considère comme relevant de sa sphère d’influence. Par ailleurs, les dynamiques des islamistes se font du nord vers le sud. Le refoulement vers le sud des djihadistes issus du GIA puis du GSPC a permis au régime de s’écarter des violences de la guerre civile et de former une sorte de glacis, au sud écartant toute prééminence sur une région riche en ressources. L’Algérie est officiellement partie prenante et même leader des partenariats militaires anti-terroristes : avec les Etats-Unis et l’OTAN, avec la France mais aussi avec les Etats voisins. En réalité, l’armée algérienne qui dispose (contrairement aux acteurs régionaux) d’une vraie capacité à agir n’a jamais vraiment eu l’intention d’éradiquer AQMI.

 

Par rapport à l‘émergence d’une autonomie ou d’une indépendance touarègue au nord du Mali, laquelle serait dépendante d’une protection française, l’Algérie préfère vraisemblablement l’instabilité actuelle. La déstabilisation du pouvoir malien est perçue à Alger comme une victoire sur un acteur régional proche du Maroc, confortant la place de l’Algérie comme la puissance régionale face à ses concurrents maghrébins.  De fait, l’enjeu caché de la crise malienne est le redécoupage des zones d’influence après les « printemps arabes », la chute de Kadhafi en Libye et un retour de l’ingérence française en Côte d’Ivoire, sans compter l’appétit de nouveaux acteurs (américains, chinois, canadiens, etc).

 

L’accès convoité aux richesses minières (pétrole, gaz, uranium, or, phosphates…) est potentiellement au centre de la bataille géopolitique qui se déroule dans le désert. Dans cette bataille, tout l’intérêt de l’Algérie est que la crise dure. L’une de ses préoccupations est sans doute un retour d’une influence forte de la France, y compris via Total. Associer l’Algérie à la résolution de la crise malienne et à la stabilisation politique du nord-Mali est donc complexe mais déterminant. C’est Hillary Clinton qui avait négocié avec Alger à l’automne 2012. Alger aurait donné son accord tacite à l’opération à condition qu’elle ne comporte que des troupes africaines. Des militaires algériens auraient participé, les 3 et 4 novembre, à une réunion de planification avec leurs homologues ouest-africains, même si Alger excluait toute participation à l’opération[1]. Après l’intervention française de ce week-end, il va donc falloir reprendre le bâton de pèlerin et donner des assurances aux Algériens.

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            Enfin, la France joue principalement sa crédibilité. Comme l’indiquent les discussions autour du nouveau Livre Blanc de la Défense, Paris souhaite retrouver une influence importante et sécuriser ses apports énergétiques stratégiques en Afrique. Après l’implication dans la victoire militaire d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, dans la chute de Kadhafi en Libye et l’échec de l’intervention de ses forces spéciales dans la libération de deux jeunes Français (janvier 2011), ses marges de manœuvre au Sahel paraissaient limitées par la détention des otages français. Toutefois, Paris a entretenu depuis le début de la volonté sécessionniste de l’Azawad des liens avec le MNLA. C’est sans doute pour avoir un pion dans le nouvel échiquier qu’Alger maintient des canaux de communication avec Ansar Dine qu’elle considère comme un interlocuteur acceptable, davantage nationaliste qu’islamiste.

 

Des enjeux multiples à moyen terme

Que ce soit pour les questions des ressources naturelles ou de la lutte anti-terroriste (quelle implication américaine ?), les risques d’extension de la crise malienne vers les pays voisins, comme le Niger et la Mauritanie, ne sont pas négligeables. L’enracinement d’AQMI dans le Sahel semble désormais acquis. La déstabilisation humanitaire de la région est également prévisible. Déjà plus de 147.000 personnes se sont réfugiées au Niger, Burkina Faso, en Mauritanie et en Algérie au cours de l’année 2012[2]. La mobilisation humanitaire a, pour l’instant, permis de relever le défi de la disette mais le développement agricole et la capacité à surmonter les sécheresses sont un enjeu à moyen terme pour le Sahel. Face à une probable déstabilisation durable de la région, se pose la question aux puissances de l’ouverture d’un nouveau front durable de lutte contre le djihadisme à l’heure du retrait d’Afghanistan.

 

En tout cas, plusieurs leviers doivent être actionnés pour sortir de la crise malienne et ne pas voir apparaître un arc de crises africain de l’Afrique occidentale à la Somalie. La crise malienne est avant tout politique et militaire et ne doit pas déboucher sur une situation d’un Etat failli à la somalienne. Le second enjeu est celui des ressources, notamment les réserves  d’hydrocarbures estimées comme prometteuses dans les régions de Kidal, de Gao et de Taoudénit (région de Tombouctou). L’exploitation de ce pétrole « strait free » (sans détroit) aiguise les appétits. Les Etats-Unis développent un projet d’oléoduc d’Est en Ouest. L’uranium (Kidal), l’or, le manganèse et les phosphates seraient également présents en abondance. De façon cynique, l’enjeu des ressources peut sans doute mobiliser d’autres puissances autour de la France, pour l’instant seule en première ligne. Les Britanniques semblent prêts à nous suivre rapidement. Mais la crise malienne est surtout une conséquence des changements politiques depuis 2011. La disparition de l’arsenal de Kadhafi dispersé par les réseaux transsahariens de trafics illégaux fait de l’ensemble du Sahel de la Mauritanie au Niger une immense poudrière.

 

L’un des dangers principaux repose également dans l’extension de réseaux djihadistes réellement connectés à grande échelle. A ce titre, l’appellation commune revendiquée par différents groupuscules du Yémen, d’Egypte, de Libye (attentat contre l’ambassade américaine de Benghazi), de Tunisie et du Maroc est inquiétante. Or, les plus radicaux d’Ansar Dine semblent préférer se détacher d’Iyad ag-Ghali pour se regrouper sous cette appellation au nord-Mali.

 

L’échelle régionale comme cadre de résolution de la crise

En réalité, il faut mener une lutte antiterroriste globale dans la région. Il est à craindre que l’intervention actuellement en cours, même si elle constitue une réussite tactique, n’ait pas été suffisamment planifiée. Il faut maintenant agir au plus vite pour organiser un plan d’action sur les différents facteurs de prolifération du djihadisme. L’un des enjeux militaires est de cloisonner les espaces et d’empêcher AQMI, éventuellement vaincue ou chassée du nord-Mali d’installer de solides bases dans les autres régions fragiles. Ainsi, des liens avec les Sahraouis sont régulièrement évoqués. Chez les jeunes combattants du Front Polisario, la poussée salafiste se fait sentir. Ces Sahraouis ont déjà été à plusieurs reprises impliqués dans des actions d’AQMI et seraient, pour certains, déjà passés au nord Mali selon l’AFP (21 octobre 2012). Ils se réclament pour partie d’Ansar el-Charia. L’implication de l’Algérie paraît particulièrement nécessaire dans cette partie du Sahara.

 

La contamination peut également se faire vers le golfe de Guinée. En effet, cette région  méridionale connaît elle aussi l’expansion d’un Islam en mutation. Les conditions de l’accès au pouvoir du dioula Alassane Ouattara à la présidence de la Côte d’Ivoire marquent un raidissement des tensions interethniques et interreligieuses. Une résolution durable de la crise saharo-sahélienne passe donc pas la stabilisation à moyen terme de la Côte d’Ivoire. Or, des contacts entre des partisans de Laurent Gbagbo et le capitaine Sanogo ont été signalés. Surtout, des enquêteurs de l’ONU ont rendu compte de rendez-vous entre des proches de Gbagbo et des représentants d’Ansar Dine à la frontière entre la Mauritanie et le Sénégal en août dernier[3]. Il faut également tâcher d’établir une cloison la plus étanche possible entre le Sahel et le Nigeria, afin d’empêcher le développement des liens tissés depuis 2011 entre AQMI et Boko Haram. Cette secte musulmane qui pratique le terrorisme au Nigéria semble se rapprocher dans ses méthodes et sa communication du modèle d’Al-Qaïda. La prolifération de l’islamisme radical a été illustrée par l’extension géographique des zones de prises d’otages et la multiplication des groupuscules acteurs de ces actes terroristes. Auteur de l’enlèvement d’un ingénieur français le 19 décembre dernier, le groupe dissident de Boko Haram, Ansaru, s’inscrit dans une dimension régionale. Il revendique la restauration du califat de Sokoto, ancien empire islamique peul créé au début du XIXe siècle qui s’étendait du Niger au Cameroun en passant par le nord du Nigeria.

 

L’un des enjeux est de limiter la prolifération de ces mouvements auprès des étudiants nigérians et de certains hommes politiques du nord du pays, écœurés par la corruption. Comme au Mali et dans d’autres Etats, la lutte antiterroriste à l’échelle régionale passe donc par un soutien à l’Etat nigérian et par un plan global. L’intervention française s’inscrit-elle dans la volonté de dépasser les réticences algériennes sur l’Azawad ? Est-ce une action dans l’urgence et non accompagnée d’une vision d’ensemble en concertation avec les autres nations occidentales (Grande-Bretagne et Etats-Unis) et avec la CEDEAO ? On peut le craindre mais il est sans doute encore temps de renforcer les coopérations. Les mois qui viennent nous apporteront des éclairages sur cette capacité française à incarner la lutte contre les djihadistes et pour la stabilisation régionale de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel.

Walter Bruyère-Ostells


[1] Voir notamment Le Figaro du 28 octobre 2012.

[2] Chiffres fournis par USAID, « Mali : perspective sur la sécurité alimentaire », avril-septembre 2012.

[3] « Gbagbo à tout prix », Jeune Afrique, n° 2073, 28 octobre-10 novembre 2012.

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