Archive | avril, 2013

L’Union Européenne et le conflit malien

30 Apr

- Comment la situation du Mali a-t-elle évolué depuis janvier 2012 ?

Des éléments touaregs indépendantistes disparates et minoritaires formèrent, à l’automne 2011, le Mouvement national de libération de l’Azawad-MNLA. Le 17 janvier 2012, ils déclenchèrent une offensive-éclair qui leur assura en quelques semaines le contrôle des deux-tiers nord du Mali. La succession de revers essuyée par l’armée régulière et le massacre de plusieurs dizaines de soldats maliens à Aguelhoc (le 24 janvier) exacerbèrent le mécontentement de la population du sud. Exploitant ce contexte instable, le capitaine Amadou Haya Sanogo renversa le président sortant, Amadou Toumani Touré, quelques semaines avant les élections présidentielles. Il forma un Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’État. Mais la communauté internationale refusa de légitimer le coup d’État et adopta une série de sanctions qui isolèrent le pays. Loin de sauver la situation, le capitaine Sanogo l’aggrava et, le 6 avril 2012, le MNLA, épaulé par des groupes salafistes djihadistes (Al Qaida dans les pays du Maghreb islamique-AQMI, Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest-MUJAO, Ansar Eddine), proclama unilatéralement l’indépendance de l’Azawad. Contraint par la pression internationale, le capitaine Sanogo esquissa un retrait et accepta la désignation d’un président par intérim : Dioncounda Traoré, intronisé le 12 avril. Le 26 avril, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO fixait la période de transition à 12 mois. Fin juin 2012, le MNLA fut évincé par les salafistes djihadistes, qui devinrent maîtres du Nord Mali. La perspective de voir s’enraciner une base terroriste aussi large, poussa l’Union africaine à saisir, le 7 juin 2012 , l’ONU pour obtenir son “appui“ à une intervention militaire dans la zone. Dès le 5 juillet 2012 (résolution 2056), le Conseil de sécurité estimait que « la situation au Mali mena[çait] la paix et la sécurité internationales ». Il plaçait son action dans le cadre du Chapitre VII de la Charte, envisageant par conséquent de recourir à la coercition. La CÉDÉAO, concernée au premier chef, décida de mettre sur pied une force régionale et obtint l’accord de l’ONU. Cela en deux temps : la résolution 2071 (12 octobre 2012) en adopta le principe ; la résolution 2085 (20 décembre 2012), tout en préconisant une solution politique à la crise, entérina les modalités pratiques proposées par les États africains pour constituer une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine-MISMA. Mais les délais de préparation étaient longs et le déploiement devait prendre des mois. Aussi les salafistes djihadistes tentèrent-ils de s’emparer du Sud Mali avant que les autorités de Bamako et la MISMA soient en mesure d’entamer la reconquête du Nord. Lancée le 10 janvier 2013, cette attaque provoqua l’appel au secours du président malien par intérim. Ce dernier se tourna immédiatement vers la France, qui répondit positivement et déclencha l’opération Serval le 11 janvier 2013 pour briser l’offensive. Cette action était conforme aux dispositions de la résolution 2085, qui demandait aux États membres d’« aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de [leur] territoire ». Elle répondait également à la demande formulée par le Conseil de sécurité le 10 janvier « d’accompagner le règlement de la crise au Mali et, en particulier, de fournir une assistance aux forces de défense et de sécurité maliennes afin d’atténuer la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés ». D’ailleurs, ledit conseil appuya l’intervention française à l’unanimité le 14 janvier 2013. Le 12 mars, la France (avec l’appui des États-Unis) demanda officiellement à l’ONU de prendre le relais à partir du mois de juin en déployant une opération de maintien de la paix, la Mission de stabilisation - et non pas d’intervention - des Nations unies au Mali. Le schéma proposé le 27 mars par le secrétaire général de l’ONU fut repris dans la résolution 2100 (25 avril 2013) adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité. Une Mission des Nations Unies pour la stabilisation du Mali-MINUSMA doit prendre le relais de la MISMA (dont elle intégrera les effectifs) le 1er juillet. Forte de 11 200 soldats et de 1 440 policiers, elle agira sous Chapitre VII. Elle est chargée de la « stabilisation de la situation dans les principales agglomérations » et doit apporter sa « contribution au rétablissement de l’autorité de l’État dans tout le pays […,] à l’application de la feuille de route pour la transition, y compris le dialogue national et le processus électoral ». Elle se voit également investie de « la protection des civils et du personnel des Nations Unies, de la promotion et de la défense des droits de l’homme, du soutien à l’action humanitaire, de l’appui à la sauvegarde du patrimoine culturel et de l’action en faveur de la justice nationale et internationale ».

 

- Mais l’Union européenne-UE, dans tout cela ?

 

Les résolutions de l’ONU l’incitent à agir. La résolution 2056 (5 juillet 2012)demande l’aide des États membres, donc de chacun des 27, « pour empêcher la prolifération d’armes et de matériels connexes de tout type dans la région du Sahel » et pour « soutenir l’entreprise de réforme des forces de sécurité maliennes et en renforcer les capacités ». La résolution 2071 (12 octobre 2012)  « Invite […] les États Membres et les organisations régionales et internationales, y compris l’Union africaine et l’Union européenne [souligné par nous], à prêter, dès que possible et de manière coordonnée, aux forces armées et aux forces de sécurité maliennes leur concours et leur savoir-faire, ainsi que leur appui en matière de formation et de renforcement des capacités, conformément aux exigences nationales, dans le but de rétablir l’autorité de l’État sur tout le territoire, de défendre l’unité et l’intégrité territoriale du Mali et de réduire la menace que représentent AQMI et les groupes qui lui sont affiliés ». La résolution 2085 (20 décembre 2012)  réitère la demande formulée en octobre. Elle «  décide d’autoriser le déploiement au Mali, pour une durée initiale d’une année, de la […] MISMA ». Pour assurer le succès de celle-ci, elle « demande instamment aux États Membres et aux organisations régionales et internationales de fournir un appui coordonné à la MISMA, en étroit  coordination avec celle-ci et avec les autorités maliennes, notamment sous la forme de formations militaires, de fourniture de matériel, de renseignement, d’appui logistique et de tout type d’aide nécessaire pour réduire la menace posée par des organisations terroristes, y compris AQMI, le MUJAO et les groupes extrémistes qui leur sont affiliés ». Bref, l’appel, parmi les 193 États membres, aux 27 de l’Union européenne est sans ambiguïté.

 

- Toutefois, l’Union européenne a-t-elle, dans le Sahel, des intérêts suffisamment importants pour l’inciter à intervenir ?

 

De fait, ces derniers sont multiples, au point que le Sahel est présenté par les diplomates européens eux-mêmes comme la « frontière géopolitique » de l’extrême sud de l’Union européenne. Les attentats et les prises d’otages n’épargnant ni leurs ressortissants ni leurs territoires, les 27 doivent prendre part à la lutte contre le terrorisme. Dans ses messages, AQMI (ex-Groupe salafiste pour la propagande et le combat-GSPC) menace d’ailleurs explicitement le continent européen, que la mouvance salafiste djihadiste a frappé à plusieurs reprises, notamment à Madrid le 11 mars 2004 - 191 morts, 1400 blessés - et à Londres le 5 juillet 2005  - 56 morts, 700 blessés. Les 27 sont également très impliqués dans la lutte contre la criminalité organisée, responsable de prises d’otages purement crapuleuses, ainsi que du trafic de drogue qui alimente la toxicomanie d’une partie de sa population. L’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Ouest participent de manière significative à la sécurité énergétique (pétrole, gaz naturel, uranium) du Vieux Continent, comme le rappela de manière sanglante l’attaque des Signataires par le sang (dissidents d’AQMI), le 16 janvier 2013, contre le site gazier d’In Amenas, en Algérie, près de la frontière libyenne. D’autres matières premières, transformées par les industries européennes, proviennent de cette zone. La situation dégradée en Afrique de l’Ouest et la criminalité triomphante dans la zone Sahara-Sahel facilitent grandement l’immigration illégale qui se dirige vers l’Europe de l’Ouest. La présence, parmi les 27, de plusieurs anciennes puissances coloniales (France et Grande-Bretagne, mais aussi Belgique, ou Portugal, notamment), a noué des liens historiques et culturels importants. Des diasporas issues des pays africains concernés vivent et travaillent parfois depuis des décennies dans plusieurs États membres de l’Union européenne. Elles demeurent sensibles à l’évolution de leurs pays d’origine, ainsi qu’aux politiques africaines de leurs pays d’accueil.

En outre, même s’ils sont davantage présents en Afrique depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis semblent recentrer leur priorité stratégique autour de l’Asie. Quant aux Chinois, aux Indiens et aux Brésiliens, de plus en plus implantés sur le continent, ils s’investissent peu dans son développement et pratiquement pas dans sa sécurité. Cela confère une responsabilité accrue à l’Union européenne.

 

- L’Union européenne a-t-elle une politique spécifique pour le Sahel ?

Elle a conscience des enjeux et s’intéresse au Sahel depuis plusieurs années.

Dans le document qui fonde sa vision du monde et guide ses éventuelles prises de position, la « Stratégie européenne de sécurité », adoptée le 8 décembre 2003, elle constatait que « la sécurité est une condition nécessaire du développement ». Elle identifiait cinq menaces principales qui, à l’exception de la prolifération des armes de destruction massive, se retrouvent au Sahel en général et au Mali en particulier : le terrorisme, les conflits régionaux, la déliquescence des États et la criminalité organisée. Or, le document constatait que « les voisins engagés dans des conflits violents, les États faibles où la criminalité organisée se répand, les sociétés défaillantes ou une croissance démographique explosive aux frontières de l’Europe constituent pour elle autant de problèmes ». En 2008, dans le rapport du 10 décembre établissant le bilan de l’action extérieure et révisant la stratégie de 2003, de nouveaux risques étaient intégrés : piraterie, atteinte à la sécurité informatique ou à la sécurité énergétique, trafic d’armes légères, conséquences du changement climatique. Les trois derniers se manifestent au Sahel.

En décembre 2007, dans le prolongement du premier sommet Afrique-Union européenne qui s’était tenu au Caire en 2000, l’Union européenne conclut un « Partenariat stratégique » avec le continent, représenté par l’Union africaine. Mais cela n’a, pour l’instant, produit aucune stratégie commune effective. Depuis 2008, l’Union européenne préconise pour la région une action combinant sécurité et développement, en vertu de quoi elle affecta au Sahel, pour la période 2008-2013, des crédits substantiels. 533 millions d’euros pour le seul Mali, dont on se demande, au regard de l’effondrement du pays en 2012, à quoi ils purent bien servir, si du moins ils ont été utilisés aux fins pour lesquelles ils avaient été versés. Cet argent est donné par le biais du Fonds européen de développement, l’institution qui dispense l’aide européenne au développement depuis la signature du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (25 mars 1957). De multiples financements pour des programmes spécifiques s’ajoutent à cette dotation.

Cependant, alors que les salafistes djihadistes sévissent au Sahel depuis 2003 et ont enlevé de nombreux ressortissants européens, l’Union européenne n’a défini, après plusieurs années de travaux préparatoires, une politique spécifique que le 28 septembre 2011, avec l’adoption de la  « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel ». Celle-ci  s’organise autour de quelques axes majeurs : la promotion du dialogue politique et de l’action diplomatique pour une résolution pacifique des différends internes et interétatiques ; l’instauration de l’État de droit et la mise en place d’une bonne gouvernance, condition préalable au développement ; le renforcement des capacités (notamment économiques et sociales) des États pour prévenir la radicalisation des populations déshéritées ; la construction d’un espace de sécurité grâce à une politique efficace de prévention ou de résolution des conflits. Inscrite dans le cadre d’une gestion non-militaire des crises et donc financée par l’Instrument de stabilité mis en place en 2007 à cet effet, cette stratégie suscita autant d’intérêt que d’espoirs. Elle relie l’insécurité, le sous-développement et les défaillances des gouvernements, trois éléments indissociables si l’on veut espérer résorber les difficultés du Sahel. Par surcroît, elle entend s’attaquer à ces maux simultanément et dans les trois dimensions spatiales pertinentes  : locale (les régions sahéliennes de chaque pays), nationale (les États incorporant une partie de la zone sahélienne) et régionale  (les États d’Afrique de l’Ouest, la Mauritanie, l’Algérie, la Libye, le Tchad et le Nigeria), en y associant l’Union africaine et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest-CÉDÉAO (ainsi que la Ligue des États arabes, l’Union du Maghreb arabe, l’ONU, les États-Unis, le Canada, le Japon). Élaboré par le Service européen d’action extérieure, il s’agit d’un projet-phare pour l’affirmation de l’Union européenne sur la scène internationale. Toutefois, l’application de ces excellentes intentions demeura  limitée. En effet, la majorité des 27 États membres de l’Union européenne n’accorde guère d’intérêt, sans même parler de priorité, au Sahel. La plupart manquent, en outre, d’expertise sur la région. De ce fait, l’insécurité alimentaire demeure sous-estimée, tout comme l’impact régional de la guerre civile en Libye a été sous-évalué. La fragmentation des aides empêche la mise en œuvre d’une approche réellement globale et nuit au contrôle effectif des dépenses. Enfin, la question de la mise en œuvre de la Politique de sécurité et de défense commune-PSDC se posa dès le début de la dégradation de la situation au Nord Mali, mais elle fut ajournée sine die face aux réticences du gouvernement malien et de certains États européens (comme l’Allemagne), traditionnellement réservés envers toute intervention militaire.

 

- Comment la politique de l’Union européenne dans la région a-t-elle évolué depuis le 22 mars 2012 ?

Le putsch du capitaine Sanogo, le 22 mars 2012, provoqua la suspension immédiate de l’aide dispensée par l’Union européenne. Mais, devant l’urgence de la situation de pénurie qui frappe une partie de la population du Sahel (particulièrement au Mali, où elle est aggravée par le conflit du Nord), elle dut poursuivre le programme d’aide alimentaire spéciale créé en novembre 2011 et même l’amplifier en juin 2012 (budget porté à 500 millions d’euros).

Le 16 juillet 2012, elle créa la mission EUCAP SAHEL-Niger, qui s’inscrit dans le cadre des actions civiles de la PSDC prévues par le traité de l’Union européenne. En effet, l’article 42, paragraphe 1, stipule que « la politique de sécurité et de défense commune […] assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires. L’Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l’Union afin d’assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la charte des Nations unies. » L’article 43, paragraphe 1, précise que « les missions visées à l’article 42, paragraphe 1, dans lesquelles l’Union peut avoir recours à des moyens civils et militaires, incluent les actions conjointes en matière de désarmement, les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de conseil et d’assistance en matière militaire, les missions de prévention des conflits et de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix et les opérations de stabilisation à la fin des conflits. Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. » Donc, EUCAP SAHEL-Niger, « action de formation, d’encadrement, de conseil et d’assistance pour contribuer au renforcement des capacités dont dispose le Niger en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée et faire en sorte que ce pays puisse mieux contrôler son territoire, afin de réaliser des projets de développement et de faciliter le développement d’une manière générale », s’inscrit parfaitement dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

Le 15 octobre 2012, les 27 avaient pris la décision de monter une mission de soutien au profit du Mali, dont ils définirent les objectifs et les moyens le 19 novembre 2012. Le concept de gestion de crise fut approuvé le 10 décembre 2012. Il se fondait sur les objectifs de la PSDC et la résolution 2071, adoptée le 12 octobre 2012 par le Conseil de sécurité de l’ONU. L’offensive générale vers le Sud lancée par Ansar Eddine le 10 janvier 2013 accéléra l’approbation globale (17 janvier 2013) de la mission de formation de l’Union européenne au Mali, EUTM-Mali, qui commença son travail le 2 avril 2013, plus rapidement que prévu initialement. Mise en place pour une durée initiale de 15 mois, elle doit former et conseiller l’armée régulière, en vue de la rendre capable de rétablir l’intégrité territoriale et la sécurité du Mali. Elle ne mènera pas de missions de combat. Elle comprend un état-major de 50 membres, 250 instructeurs, plus 250 soldats en appui et protection, tous placés sous le commandement du général (français) Lecointre. La France en est la nation cadre, ce qui en fait le principal bailleur de fonds. En même temps, Paris assura l’essentiel de l’entretien du contingent tchadien, dont l’engagement fut crucial dans la bataille de l’Adrar des Ifoghas. L’EUTM Mali se trouve sous la responsabilité suprême de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Madame Ashton.

La MISMA, autorisée par la résolution 2085 du 20 décembre 2012, intégrée à la MINUSMA à partir du 1er juillet (résolution 2100 du 25 avril 2013), aura à soutenir les forces maliennes, d’abord pour sécuriser le Sud Mali, puis pour reconquérir le nord. L’ensemble des militaires africains concernés manquent pratiquement de tout : matériel, moyens logistiques et  renseignement. Avec d’autres pays, l’Union européenne s’oriente vers un soutien financier par le biais de la “Facilité de paix pour l’Afrique” - créée en 2004 avec l’Union africaine -, ainsi que vers une aide dans la planification des opérations à venir (au mieux à l’automne 2013).

Mais des réticences persistent car la majorité des 27 ne juge toujours pas prioritaire l’action au Sahel. Aussi, au-delà du soutien politique verbal apporté à l’unanimité, le 17 janvier 2013,  à l’action militaire de la France, il n’y a aucune intervention commune directe. La solidarité passe par le canal bilatéral interétatique (Grande-Bretagne, Danemark, Belgique, en particulier). Au total, les États-Unis sont le principal partenaire des Français, en termes tant financiers (50 millions de dollars pour les opérations militaires franco-tchadiennes au Nord-Mali et près de 100 millions de dollars au profit des forces africaines de la MISMA) qu’opérationnels (renseignement, transport, ravitaillement en vol). Les observateurs ont noté l’absence d’envoi de la Force de réaction rapide de l’Union européenne, pourtant opérationnelle depuis 2007. Le fait que la France ait agi, le 11 janvier, sans concertation préalable - officiellement pour répondre à l’urgence extrême de la situation - avec ses 26 partenaires n’explique ni n’excuse pas tout.

Cependant, pour reprendre un commentaire acide mais non dénué de fondement, l’Union européenne « fait ce qu’elle sait le mieux faire : payer. » Elle a relancé, le 19 février 2013, la coopération économique suspendue après le  putsch du capitaine Sanogo. La logique de la « Stratégie pour la sécurité et le développement au Sahel » demeure au cœur de sa démarche, comme l’a rappelé avec force le commissaire européen chargé du développement, M. Andris Piebalgs, le 26 février. Le Mali doit enclencher un processus de développement, être capable d’assurer sa propre sécurité et de lutter contre la pauvreté afin de (re)créer une cohésion politique et sociale. Lors de sa réunion du 18 mars 2013, le Conseil européen a nommé un Représentant spécial de l’Union européenne pour le Sahel (l’ambassadeur français Michel Reveyrand de Menthon), chargé de veiller à une action coordonnée des Vingt-Sept. Mais cela suffira-t-il à créer une réelle dynamique européenne, alors que la conférence internationale pour le soutien et le développement du Mali (nommée Ensemble pour le renouveau du Mali) qui doit se tenir à Bruxelles le 15 mai prochain est co-présidée par la France et l’Union européenne. Qui entraîne l’autre ?

Bref, l’Union européenne mise avant tout sur le processus politico-économico-social qu’elle finance largement, et ne semble guère croire que la guerre actuellement en cours au Nord Mali soit la continuation de sa politique avec d’autres moyens. Encore un symptôme de cette Europe-marché qui ne se mue pas en Europe-puissance.

Patrice Gourdin, professeur de Géopolitique à l’Ecole de l’Air et enseignant à Sciences Po Aix

Afghanistan : la guerre inachevée

28 Apr

Vous pouvez retrouver sur guerres-et-conflits l’interview accordée par Jean-Charles Jauffret à l’occasion de la sortie en librairie de son dernier ouvrage sur la guerre d’Afghanistan (http://guerres-et-conflits.over-blog.com/article-autopsie-d-une-campagne-116752380.html). Voici le compte-rendu qui l’accompagne.Guerre inachevée

Afghanistan 2001-2010. Chronique d’une non-victoire annoncée ne passa pas inaperçu lors de sa sortie éditoriale en mars 2010. Etude pionnière en histoire immédiate sur ce sujet brûlant, cet essai du professeur Jean-Charles Jauffret fut récompensé par le prix du livre de Verdun en novembre de la même année. Ses mérites étaient d’ouvrir la voie d’un vaste champ d’étude pour les historiens désireux de poursuivre ce sillon, tout en présentant au grand public l’engagement des soldats français, les enjeux autour de cette guerre et les perspectives envisageables pour en sortir de la meilleure façon possible. Ce travail rencontra -nous pouvons en témoigne- plus qu’un succès d’estime auprès de nombreux militaires français engagés dans le conflit, qui trouvèrent pour la première fois dans la littérature grand public, un ouvrage s’attachant à retranscrire aussi fidèlement que possible la situation sur le terrain. Il est vrai que Jean-Charles Jauffret, spécialiste de l’histoire militaire coloniale et directeur du master « Histoire militaire, Défense et géostratégie » à l’IEP d’Aix-en-Provence, est l’un des grands connaisseurs universitaires du monde militaire.  

C’est donc avec une certaine impatience que nous nous apprêtions à découvrir la nouvelle édition revue et augmentée de cet ouvrage, titré La Guerre Inachevée. Afghanistan 2001-2013. Une courte introduction souligne d’emblée au lecteur l’ambition de ce volume. Elle est de mener une réflexion sur ce conflit et de faire un bilan de l’engagement français. C’est un témoignage érudit sur une histoire en train de se faire. Elle en expose aussi les limites inhérentes à cet exercice : « [personne ne sait pas] comment tout cela risque de finir » (p 12). Enfin, elle pose une série de questions importantes sur la pertinence des modèles historiques à étudier pour penser la contre-insurrection à l’ère post-coloniale. Elle s’interroge sur l’efficience des différentes réponses (politiques, diplomatiques, militaires, humanitaires, etc.) développées par l’Occident en Afghanistan, face à un adversaire dont les succès sont immanquablement le miroir de nos faiblesses. Encore faut-il vouloir prendre le temps de les observer…

Les principales analyses qui ont fait la réussite du premier opus sont toujours présentes. Bien entendu, elles ont été enrichies par les derniers prolongements du conflit. De l’histoire de l’Afghanistan à une analyse géopolitique de la région, en passant par une description de la nature, des techniques et des procédures d’un adversaire « polymorphe », l’auteur balaie de nombreux champs. Il n’oublie pas de proposer à la sagacité du lecteur une analyse dans le temps des étapes de ce conflit depuis 2001, tout en incluant un long développement sur l’engagement français. A la veille de leur retrait, l’historien propose de faire le bilan des actions des forces françaises sur le terrain. Il met en lumière l’émergence d’une culture de guerre qui s’est forgée au contact de ce théâtre d’opération exigeant. Il emprunte d’ailleurs certains aspects de son imaginaire aux conflits coloniaux, dont nous voyons à nouveau se diffuser le langage parfois fleuri. Terrain d’expérimentations tactiques et technologiques de tout ordre, cette « campagne d’Afghanistan » deviendra-t-elle celle qui aura vu la dernière génération du feu ? Dans tous les cas, nous pouvons d’ores-et-déjà affirmer que cette génération, forgée par une expérience commune des opérations interarmes en situation de guerre, est celle qui œuvre dans  les opérations actuelles au Mali.

A retenir tout particulièrement, les riches développements consacrés aux étapes de l’engagement militaire occidental en Afghanistan. L’auteur démontre comment les efforts entrepris sous la présidence Obama par les généraux McChrystal et Petraeus, pour reproduire un « surge »  à l’irakienne, se soldent par des échecs que peine à masquer par la communication de l’OTAN. En outre, depuis le 2 mai 2011, l’élimination physique d’Oussama Ben Laden ouvre une porte de sortie pour une coalition, qui précipite les opérations de transferts d’autorité à l’ANA dès l’été. Ce travail de  chronologie, de mise en cohérence et d’analyse des événements successifs, constitue une plus-value certaine de cette version actualisée. Enfin, la lecture de l’ensemble du chapitre concernant l’engagement français, qu’il concerne les différentes phases militaires, la culture de guerre ou l’hommage aux blessés et aux morts, est très fortement recommandée (p 205-253). L’auteur retient particulièrement la date du 30 décembre 2009 et la prise en otage des deux journalistes de France 3 en Kapisa, comme étant celle d’un coup d’arrêt aux opérations de contre-insurrection dans la zone de responsabilité française. Enfin, cet essai se ponctue par une analyse des solutions qui auraient pu être mises en avant pour garantir l’avenir de ce pays où tout est désormais possible, entre le spectre du retour de la guerre civile et l’espoir d’une paix possible.

Soyons clair, la lecture de cet ouvrage remanié nous semble indispensable pour tout historien souhaitant traiter de la guerre en Afghanistan. Comme son prédécesseur, il pose des bases  très solides (chronologiques, thématiques, etc.) pour de futures analyses sur le conflit, enrichies par d’autres sources. Les annexes contiennent un lexique appréciable pour qui souhaite comprendre le langage militaire contemporain, nourrit de sigles et autres termes issus du sabir « otanien ». Une bibliographie succincte et un recueil de sources sont aussi présents. Pourtant, on peut regretter la suppression de la chronologie présente dans la première édition, mais cet outil, consubstantiel du travail de l’historien, a disparu sans doute au profit de notes de bas de pages plus abondantes et fournies. Toutefois, l’éditeur a fait le choix de reléguer celles-ci en fin d’ouvrage, ce qui a tendance à rendre la lecture parfois un peu inconfortable. Enfin, une carte de l’évolution des implantations militaires françaises et quelques illustrations iconographiques auraient pu être un « plus » appréciable pour le lecteur non spécialiste.

En conclusion, et en période de promulgation imminente du Livre Blanc, cet ouvrage de référence vient aussi souligner l’échec d’une stratégie s’appuyant, au final, essentiellement in fine (en dépit de l’activité inlassable des troupes présentes sur le territoire) sur la neutralisation (arrestation, élimination) de chefs insurgés par les forces spéciales. Elle vise à garantir une meilleure transition de la responsabilité aux forces de sécurité afghane et à permettre aux forces occidentales de se désengager. En portant l’effet majeur sur l’insurrection (et non sur la population), loin d’éteindre les causes d’un conflit, elle en alimente paradoxalement le foyer. A l’heure où la tentation du repli sur soi est partout présente, l’Afghanistan rappelle aussi que le « tout forces spéciales » ne peut être la solution unique pour garantir les futurs succès des armes de la France, l’alpha et l’oméga d’une politique de défense. On sait bien depuis la bataille d’Alger qu’au cœur de la problématique de la contre-insurrection demeure la question de la « fin et des moyens » et de nos valeurs. La guerre en Afghanistan n’aura pas permis, malheureusement, de trancher ces épineuses questions.

 

Le Forum 5+5 : un modèle de coopération militaire euromaghrébin

28 Apr

Enceinte de discussions informelles, le Forum 5+5 est créé en 1990 mais rapidement suspendu en raison des tensions liées à la Guerre du Golfe. Il renaît en 2001. Cette coopération en Méditerranée occidentale offre un espace de partenariat équilibré entre Etats européens (Portugal, Espagne, France, Italie et Malte) et maghrébins (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye). Au départ, c’était un dialogue « 5+4 », Malte n’en faisant pas partie. Elle rejoint le groupe avec son entrée dans l’UE en 2004. L’institution européenne n’est pas non plus impliquée dans ce dialogue. Mais le premier « sommet » « 5+5 » à Tunis est marqué par la présence du président de la Commission européenne aux côtés de ses pairs de la Méditerranée occidentale. Il s’agit alors, il est vrai, de Romano Prodi. Il avait été auparavant l’un des artisans de ce dialogue comme chef de gouvernement italien.
 
Sans instance permanente, le Forum 5+5 fonctionne avec une présidence tournante entre ses membres. Cet outil très flexible connaît notamment un grand succès dans le domaine militaire. En 2004, les ministres de la Défense des 10 pays font une déclaration commune et propose des initiatives concrètes pour répondre aux besoins réels des pays concernés dans le domaine de la sécurité. Après la paralysie dans les Etats concernés par les événements des printemps arabes, le forum 5 + 5 a été réactivé puisqu’il s’est tenu à La Valette au début du mois d’octobre 2012. Le président tunisien Marzouki a alors indiqué quelques éléments de continuités et d’inflexions dans la nouvelle ère qui s’ouvre : « Le 5+5 est un modèle de coopération et complémentarité, ces valeurs peuvent aider à surmonter les problèmes des deux sous-régions », a-t-il estimé. Selon lui, « ce dialogue devrait aider à affronter des défis comme le terrorisme, le crime transfrontalier, le trafic d’armes qui imposent de changer de mentalités ». Il a souligné que le forum euro-méditerranéen 5+5 permet aussi « un dialogue entre civilisations ».
 
Ainsi, les formes de partenariat entrepris en 2004 devrait continuer à montrer l’exemple d’un dialogue sur des questions sensibles entre les deux rives de la Méditerranée, y compris avec des gouvernements islamistes au pouvoir. Sur le plan pratique, les coopérations militaires se font autour de quatre grands thèmes : la surveillance et la sécurité maritime, la sûreté aérienne, la contribution à la protection civile et dans le domaine de la formation et de la recherche. On peut, par ailleurs, remarquer que la grande activité d’activités militaires conjointes (une quarantaine depuis 2008-2009) a été lancée à l’initiative du couple franco-algérien, alors qu’on décrit souvent les rapports tendus entre les deux Etats.
 
Systématiquement, les activités en question fonctionnent sur le principe du consensus et de la parité. Les travaux se font sur l’espace stratégique resserré et commun aux 10 membres sans élément de politisation. Chaque année, en décembre, les ministres de la Défense se réunissent pour valider le plan d’action pour l’année qui suit. Le suivi est assuré par un comité directeur qui se réunit en mars et en novembre. Mais la véritable coordination se fait par des contacts quasi-quotidiens ; pour la France, ils se font au niveau de l’Etat-Major des Armées (EMA). Les activités planifiées chaque année peuvent concerner des exercices (notamment maritimes), mobiliser de groupe d’experts ou se traduire par des séminaires communs. Ils sont souvent en phase avec les défis communs aux membres, comme les trafics en méditerranée ou la crise sahélienne. Par exemple, les 12 et 13 octobre 2010, l’Algérie organisait un exercice baptisé Circaet. Il s’agissait de simuler une menace dans l’espace de la Méditerranée occidentale. Les différents pays devaient faire décoller sur alerte leurs avions de chasse pour intercepter les renegade qui survolaient leur territoire[1]. Il a été reconduit les années suivantes.
 
Les propositions françaises sont conçues par le Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO). La Libye est actuellement porteuse d’un projet de centre de formation au déminage humanitaire et pour l’élimination des restes de guerre en lien avec ses préoccupations nationales après les opérations militaires qui ont conduit à la chute du colonel Kadhafi. La Tunisie souhaite, pour sa part, voir se développer un Centre Euro-Maghrébin de Recherche et d’Etudes Stratégiques (CEMRES). Ce think tank commun gommerait les approches culturelles dans la perception des enjeux stratégiques. L’Italie travaille essentiellement sur les systèmes d’échanges d’informations dans le domaine maritime. L’Algérie et l’Espagne souhaitent concrétiser la mise en place d’un réseau de points de contacts en cas de catastrophe majeure dans l’espace de la Méditerranée occidentale. Malheureusement, ce dernier projet avance peu[2].
 
L’une des initiatives les plus positives a été la mise en place d’un Collège « 5+5 Défense », dans le domaine de la formation. Initié en décembre 2005, le projet du Collège « 5+5 Défense » a été officiellement agréé et lancé lors de la réunion annuelle des ministres de la défense des pays partenaires de l’Initiative « 5+5 Défense », le 10 décembre 2007 à Cagliari. A l’heure actuelle, il comporte 3 niveaux : senior, intermédiaire et junior (lieutenants et jeunes capitaines) auxquels viennent s’ajouter des formations particulières. Le collège « 5+5 Défense » comprend un comité pédagogique, composé de représentants des ministres de la Défense des Etats membres. Il est chargé de la coordination entre les Etats membres ; il se réunit une fois par an en France et propose au comité directeur les méthodes et les grands axes de travail du comité pédagogique ainsi que l’organisation et la planification des activités du collège[3]. A ce jour, 26 modules de travail (7 à l’échelon sénior, 11 à l’échelle intermédiaire et 7 pour le niveau initial) ont permis de former 300 auditeurs[4].
 
Ainsi, les relations sécuritaires et militaires de part et d’autre de la Méditerranée occidentale ne doivent pas être systématiquement perçues comme tendues ou frontales. Les rapprochements réussis des 10 Etats membres du Forum 5+5 est d’ailleurs regardé très positivement. Cette initiative réussie, surtout si on la juge en comparaison du processus euroméditerranéen (Processus de Barcelone puis UpM), pourrait être rejointe par d’autres Etats. Avant les « printemps arabes », l’Egypte et la Belgique avaient ainsi manifesté leur désir de rejoindre le forum. La Belgique avait ainsi sondé les pays membres arguant du fait qu’elle peut être considérée comme un pays proche car une partie de sa population est méditerranéenne (Italiens et Maghrébins). Pour l’Egypte, la question en suspens aujourd’hui tient essentiellement à l’attitude diplomatique que souhaitent adopter les Frères musulmans au pouvoir. Rappelons par exemple le discours de Mohamed Morsi de condamnation de l’intervention française au Mali.

[1] http://www.defense.gouv.fr/actualites/international/les-5-ans-du-lancement-de-l-initiative-5-5-defense

[2] Le point sur ces différents projets a été donné par Gilles Bellamy et Benoît de La Ruelle lors de leur conférence aux « Entretiens d’Euromed-IHEDN » à Marseille le 8 avril 2013.

[3] http://www.ems.defense.gouv.fr/spip.php?article84

[4] Chiffres donnés par Gilles Bellamy et Benoît de La Ruelle lors de leur conférence aux « Entretiens d’Euromed-IHEDN » à Marseille le 8 avril 2013.

Exercices militaires russes en mer Noire: un retour à Pierre le Grand?

21 Apr

Des exercices militaires d’une ampleur inégalée depuis la fin de l’Union soviétique ont débuté le 28 mars 2013 dans la région de la mer Noire. Prenant totalement par surprise le commandement militaire, l’objectif premier était de vérifier le niveau opérationnel des forces armées après les restructurations de la réforme de 2008[1]. Mais l’intérêt de la manœuvre semble plus large. Moscou n’a en effet pas prévenu les Etats riverains de la mer Noire ou de l’OTAN, transformant de simples exercices en une démonstration de force visant à souligner que la Russie, après avoir été en retrait pendant une vingtaine d’années, est déterminée à renforcer son influence dans cette région[2]. Le bilan de ces manœuvres est difficile à établir, néanmoins les experts s’accordent à dire qu’il est potentiellement majeur pour l’environnement géostratégique eurasien. S’agit-il d’une manifestation de force ponctuelle destinée à muscler la diplomatie russe au Proche-Orient ? Ou bien s’agit-il plus largement d’une orientation nouvelle de la politique de défense vers un emploi expéditionnaire des forces armées russes ? Enfin, quelle est sa portée géostratégique[3] ?

Un bilan militaire satisfaisant : la modernisation de l’armée semble bien engagée

Depuis 2008, l’armée russe connaît la réforme la plus importante depuis la création de l’armée rouge en 1918 (celle-ci est décrite dans un article récemment posté sur ce blog[4]). Restructurée en profondeur, les forces armées devaient évoluer vers un format fortement réduit, plus expéditionnaire et mieux équipé. Les personnels d’active ont été réduits, leur nombre est passé de plus de 1,2 million à moins d’un million, et connaissent de nombreux changements structurels visant à augmenter le professionnalisme des troupes. Ces réductions d’effectifs s’accompagnent en outre d’une augmentation significative du budget. Fixé à 3% du PIB, il représente en 2012 le cinquième budget de défense mondial et pourrait dépasser les budgets français et britannique dans les années à venir. Un accent a notamment été porté sur l’acquisition et la modernisation de l’équipement, avec un investissement de 700 milliards $ sur la décennie 2011-2020.
Or, les premiers objectifs de la réforme ayant été fixés fin 2012, la nécessité d’en évaluer le succès s’est fait sentir. D’autant que le limogeage du ministre à l’origine de ces réformes en novembre dernier[5] a imposé la nécessité d’établir plus de clarté sur l’état de la nouvelle armée russe et de maintenir la pression sur les efforts de transition. Le Kremlin est pour cela revenu aux pratiques délaissées depuis la fin de la Guerre froide : les exercices non planifiés[6].
Les manœuvres conduites en mer Noire au mois de mars ne sont pourtant pas les premières de l’année 2013. Fin février, des troupes des districts Central et Sud, dont un régiment parachutiste, ont effectué un entraînement dans la région de l’Oural, mobilisant une vingtaine d’avions de transport militaires[7]. Pour autant, la manœuvre de mars est d’une plus grande échelle. Trente-six navires de guerre des bases navales de Sébastopol et de Novorossisk ont été mobilisés, ainsi que des unités aériennes, principalement de transport, des forces d’intervention rapide, notamment parachutistes, et des forces spéciales. Le porte-parole du président Poutine indique que le total s’élève à environ 7 000 troupes, 250 véhicules blindés et une quarantaine d’aéronefs[8].
Les experts militaires estiment que le niveau opérationnel observé lors de cet exercice est inégalé depuis la fin de l’Union soviétique. Les capacités tactiques des soldats et le commandement opérationnel ont vraisemblablement témoigné des succès de la réforme.
Le commandement, faiblesse majeure de l’armée postsoviétique, a ainsi été simplifié et amélioré par le passage de la structure divisionnelle et régimentaire à une organisation basée sur trois niveaux de commandement, le district militaire (niveau stratégique), le commandement opérationnel (niveau opératif) et la brigade (niveau tactique). Les observateurs russes attribuent en grande partie la hausse du niveau opérationnel attestée par ces exercices à cette réforme du commandement. L’autre innovation structurelle majeure est l’autorité des commandants de districts. Ils commandent désormais l’ensemble des forces du district, permettant ainsi de renforcer la réactivité d’une action interarmée, comme dans le cas présent.
Le bilan de ces manœuvres est donc globalement positif et signale que l’armée russe a bien amorcé son processus de transition. Néanmoins, étant donné la nature des forces employées (principalement des troupes d’élite), il est difficile de tirer des conclusions sur l’évolution de l’ensemble des forces armées. La gestion des personnels et les plans d’équipement, essentiels à l’évolution de l’armée dans son ensemble, ne manifesteront leurs effets que dans les années à venir. En revanche, le type d’exercice révèle l’orientation qu’est en train d’adopter Moscou quant à l’utilisation de ses forces conventionnelles, longtemps marginalisées par rapport à la composante nucléaire et fortement empreintes d’une logique d’emploi statique, focalisée sur la défense du territoire.

Portée géostratégique des manœuvres : une capacité d’intervention en Méditerranée orientale

La réaction de surprise des Etats riverains de la mer Noire et de l’OTAN (qui n’avaient pas été prévenus de la manœuvre) suscitée par l’exercice a été totale, effet que Moscou souhaitait visiblement provoquer. Le chiffre de 7 000 militaires participant à l’exercice, selon la déclaration officielle du porte-parole de la présidence, correspond exactement à la limite au-delà de laquelle la pratique internationale exige la notification préalable de l’exercice aux Etats voisins ou partenaires[9]. Il est donc clair que le Kremlin n’envisageait pas cet exercice comme une étape vers une coopération multilatérale, mais cherchait à exercer une forme de dissuasion conventionnelle en montrant que la Russie pouvait surprendre.
Par ailleurs, la nature des manœuvres conduites dans la région de la mer Noire est particulièrement révélatrice des intentions du Kremlin. Les forces mobilisées ont conduit des opérations navales, amphibies et aéroportées, et sans période de mobilisation. Il paraît ainsi plausible que Moscou envisage la possibilité d’une intervention militaire en mer Noire ou en Méditerranée orientale[10]. D’autant que le mois dernier, les autorités russes ont fait part de leur décision de maintenir une présence navale permanente en Méditerranée[11].
D’autres observateurs ont lié ces événements à la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi, débutant en février 2014 et nécessitant une politique antiterroriste robuste. Toutefois, la forte composante navale semble plutôt indiquer une priorité pour le développement d’une capacité d’intervention en Méditerranée. La Russie de Poutine serait-elle en passe de réaliser le rêve de Pierre le Grand : accéder aux mers chaudes ?
Maxime Pour, diplômé de l’IEP d’Aix 2013

[1] Путин отдал срочный приказ начать крупномасштабные военные учения в районе Черного моря, http://www.kp.ru/daily/26053.4/2964776/
[2] Putin flexes Russian military muscle in naval exercise, Reuters, http://www.reuters.com/article/2013/03/28/us-russia-military-exercises-idUSBRE92R0K320130328
[3] Ces interrogations sont des questions majeures depuis la réforme de 2008. La transformation de l’outil militaire russe suite à la guerre de Géorgie laisse à penser qu’elle sera suivie d’une nouvelle doctrine d’emploi des forces armées et de nouveaux niveaux d’ambition. Voir, entre autres : C. Baker, Gradual Reform or a Turning Point in Russian Military Transformation : How Russian Air Power has developed through Conflict and Reform from 1991-2012, Air Power Review, Vol 15, No 3, automne/hiver 2012
[4] Voir « Bilan en cours de la réforme de l’armée russe », http://etudesgeostrategiques.com/?s=r%C3%A9forme+russe+bilan&submit=Rech.
[5] Pour une explication de ce limogeage, voir l’article publié sur ce blog « Pourquoi Poutine limoge son ministre de la Défense » : http://etudesgeostrategiques.com/?s=limoge&submit=Rech.
[6] Эксперты сочли внезапные учения в Черном море нормой боевой подготовки, RIA Novosti, http://ria.ru/defense_safety/20130328/929802044.html
[7] Войска ЮВО вернулись на место постоянной дислокации после учений, RIA Novosti, http://ria.ru/defense_safety/20130331/930225263.html
[8] Войска ЮВО вернулись на место постоянной дислокации после учений, RIA Novosti, http://ria.ru/defense_safety/20130331/930225263.html
[9] Путин отдал срочный приказ начать крупномасштабные военные учения в районе Черного моряhttp://www.kp.ru/daily/26053.4/2964776/ - comment
[10] Эксперты сочли внезапные учения в Черном море нормой боевой подготовки, RIA Novosti, http://ria.ru/defense_safety/20130328/929802044.html
[11] Пятая эскадра вернется в Средиземное море, http://vyzhivanie.ucoz.ru/news/pjataja_ehskadra_vernetsja_v_sredizemnoe_more/2013-02-27-586

LE NŒUD GORDIEN AFGHAN

17 Apr
Le 6 avril 2013, en divers lieux, six Américains sont tués en Afghanistan, dont une jeune diplomate et un médecin afghan. Peu après, un raid de représailles de l’aviation de la coalition aurait tué le même nombre de civils afghans, dont des enfants. Business as usual dans le sens de la terreur et de la contre-terreur ? Pas tout à fait, depuis le 16 août dernier, les Américains n’avaient pas subi de pertes aussi importantes pour une année 2012 qui a vu très fortement décroître le taux de pertes de la coalition. Pour quelles raisons ? C’est qu’il se passe de drôles de choses au pays de l’insolence, alors que l’attention des médias se reporte sur le Mali, la Corée du Nord et le drame syrien…
Le poker menteur
En 2001, sous mandat international, pensant faire la guerre à Al-Qaida par acte de légitime défense, la coalition est tombée dans Le Piège afghan selon le titre du reportage interrompu par leur enlèvement d’Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier. Cette vengeance du 11 septembre a entraîné les Etats-Unis et leurs alliés dans douze années de guerre pendant lesquelles l’Occident a tout promis pour ne laisser qu’un narco-Etat, une corruption généralisée, des milliers de morts et des taliban plus puissants que jamais, estime le grand reporter Eric de Lavarène dans un documentaire à charge . Pour l’ancien ambassadeur britannique en Afghanistan, Sir Sherard Cowper-Coles, auteur de Cables from Kabul : the Inside Story of the West , la guerre est perdue : « L’histoire retiendra une affaire de vengeance et des erreurs de jugement. La guerre contre Al-Qaida s’est transformée en volonté de reconstruire un Etat et de stabiliser l’une des régions les plus complexes de la planète » . Une prise de conscience tardive d’une nouvelle guerre prenant de l’ampleur se plaqua sur les principes de la contre-insurrection. Celle-ci fut abandonnée trop tôt après la mort, au Pakistan, complice, de Ben Laden le 2 mai 2011, pour un retour au seul contre-terrorisme et ses « dommages collatéraux » qui achèvent de transformer la FIAS (Force internationale d’assistance et de sécurité) en armée d’occupation. Ainsi, les nations et leurs opinions publiques défaitistes impliquées dans cette affaire très mal conduite pratiquent la politique de l’autruche. Foin de la notion de sécurité collective à l’origine de l’intervention en 2001.
Si mal conduite par des Américains surtout préoccupés par la chasse aux djihadistes et une OTAN aux bottes de plomb subissant plutôt que conduisant la guerre, l’affaire afghane se termine, provisoirement, par le plus grand poker menteur de l’histoire. Depuis décembre 2012-janvier 2013, au moment (10 et 11 janvier) où Karzaï, reçu à Washington, tente auprès d’Obama d’obtenir, en vain, une réponse claire quant au maintien de bases, de FS (forces spéciales) et d’aéronefs après 2014, les taliban, passés maître dans l’art d’abuser des opinions publiques défaitistes qui ne demandent qu’à croire que tout va pour le mieux en Afghanistan, cessent toute attaque d’envergure contre des forces coalisées qui rembarquent plus vite que prévu. De leur côté, tout en usant de l’arme destructrice, en marge du droit international, des FS (14 000 hommes en 2012, une moyenne de 400 opérations/semaine) et des missiles Hellfire lancés par l’arme sournoise des drones armés (un tir en moyenne tous les 4 jours), tant en Afghanistan qu’au Pakistan, les États-Unis veulent faire croire que l’inaction soudaine des insurgés contre les intérêts de la coalition prouve que les frappes répétées contre les commandants locaux permettent d’envisager un retrait, sinon victorieux, du moins serein. De leur côté, les taliban amusent la galerie en participant, peu ou prou, à des négociations sur la paix depuis 2009, essentiellement à Doha, tandis que depuis le 4 février 2013, un plan de paix de Londres, réunissant Hamid Karzaï, Asif Ali Zardari (Pakistan) et David Cameron croit possible de conclure un accord d’ici six mois. Les conversations avec les taliban sont la reconnaissance de facto d’une défaite politique et d’une solution à court terme qui ne tient pas compte de la sécurité du pays.
Vers une nouvelle guerre civile ?
Au moment du retrait précipité des coalisés, certains signes inquiétants font craindre le pire. En 2012, les 6 millions de réfugiés afghans (dont 1,7 million au Pakistan), refusent de rentrer dans leur pays. Autour de Kaboul, des victimes des talibans et des « dommages collatéraux » de la coalition viennent à nouveau grossir les camps de réfugiés, tandis que des déracinés vivent dans des grottes à quelques encablures d’une capitale où les barons de la drogue et les pillards de l’aide internationale étalent un luxe ostentatoire. De plus, les rats quittent le navire : le régime, qui n’a aucun projet de société à proposer, voit une partie de son élite politique, pas nécessairement la plus corrompue, prendre la fuite en achetant des passeports étrangers et construire, pour les plus riches, de somptueuses résidences à Dubaï et au Qatar. L’argent du pillage des dons de la communauté internationale et des profits de la drogue s’y trouve à l’abri. Des familles de dirigeants afghans sont déjà dans le paradis doré des Emirats arabes unis et de Doha. Un tel exemple est-il capable de tendre les énergies face à l’offensive des taliban qui a déjà commencé.
Pour l’année 2012, 304 officiels afghans, dont des gouverneurs de provinces, ont été tués, soit une augmentation de 700% par rapports aux années précédentes. Tout aussi grave, entre mars 2012 et mars 2013, 3 000 soldats et policiers afghans ont été tués, presque autant que la coalition depuis 2001. Kaboul est-elle condamnée à revivre, après la chute de l’administration mise en place par les Américains, un scénario évoquant les terribles années 1992-1996, du renversement de Najibullah à l’Emirat islamique ? La situation n’est pas la même et les factions sont moins nombreuses. Il semble que deux Afghanistan seraient susceptibles d’apparaître. D’un côté, autour de taliban revanchards, un bloc pachtoun moins soudé qu’il n’y paraît , de l’autre, depuis 2011 autour d’une Alliance du Nord en voie de reconstruction, un NFA (National Front for Afghanistan) sous l’autorité d’Ahmed Zia Massoud (frère du regretté commandant) regroupant Tadjiks, qui réarment, Ouzbeks et Hazaras. A moins que ces derniers, piliers de l’actuelle administration Karzaï, ne constituent une troisième force chiite, rendant encore plus inextricable l’imbroglio afghan.
Mais tout ne se jouera pas en vase clos. La menace d’une renaissance du terrorisme oblige les coalisés à laisser une force minimale pour éviter le pire, c’est-à-dire une renaissance d’Al-Qaida en territoire afghan. C’est l’hypothèse du maintien de bases américaines et de l’OTAN et même d’une force de réaction rapide, indispensable pour épauler la fragile ANA ; solution déjà évoquée par le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, en septembre 2011, dans le cadre du « partenariat stratégique ». Rien ne garantit cependant la pérennité du gouvernement centralisé de Kaboul dans son désir de vouloir contrôler autre chose que la grande banlieue de la capitale ou de quelques bastions. Si bien que la question de la partition du pays, est inhérente à celle de la guerre civile. Mais est-elle la seule issue envisageable ?
Autre aspect dont il faut tenir compte, les investissements et les prospections minières de pays comme la Chine et l’Inde indiquent que l’Afghanistan a bien intégré le XXIe siècle. L’argent de la drogue n’est pas le seul agent de la mondialisation. Le soutien financier international au gouvernement afghan est envisagé après 2014. Les accords de partenariat se multiplient, comprenant des programmes d’assistance dans le domaine culturel et universitaire. Pour le chercheur en sciences politiques, Georges-Henri Bricet des Vallons, le retrait des coalisés laisse un pays dans un piètre état, mais où les intérêts économiques dominent : « La corruption endémique des forces afghanes n’en fait qu’une armée mexicaine au service d’une féodalité décrépite, qui sera incapable de freiner sa dislocation ethnique et tribale après le retrait des troupes occidentales, enfin disons françaises, puisque les Américains, pas assez sots pour laisser le trésor de guerre à la Chine, ne feront que réduire la voilure et resteront bien après 2014 pour exploiter les 1 000 à 3 000 milliards de dollars de gisements miniers et fossiles que recèle le sous-sol afghan » .
L’Espoir ?
Le village fortifié afghan fait partie de la cité mondiale, ses richesses encore inexploitées ne le condamnent plus à l’isolement. Le bilan de la coalition est positif sur ce plan de l’ouverture. Il reste des routes, aéroports, hôpitaux, écoles, universités… Ces juges, médecins, officiers, administrateurs formés à l’école de l’Occident sont autant de promoteurs de modernité. Kaboul fait figure de mégalopole avec ses centres commerciaux et ses embouteillages. « Surfant » sur internet, à l’écoute d’Al-Jazira et maniant Twitter et Facebook les jeunes citadins croient en l’avenir de leur nation-arlequin, hors de l’emprise des taliban et de leur modèle médiéval. Les Afghans eux-mêmes ont une arme secrète : leur jeunesse. En effet, 65% de la population ont moins de 25 ans. De jeunes entrepreneurs, des députées de la Chambre basse, les démocrates qui entourent le Dr Abdullah Abdullah ou Ahmed Zia Massoud qui propose une assemblée représentatives de toutes les ethnies, croient au XXIe siècle. En août 2011, Hamid Karzaï annonce qu’il ne briguera point un troisième mandat présidentiel pour les élections de 2014. Si son frère se présente, cela reconduirait le système maffieux actuel et le régime présidentiel où le chef de l’Etat gouverne sans Premier ministre. Mais on peut rêver d’un premier vrai débat politique et, peut-être, la venue d’un homme nouveau digne de confiance, tel le Dr Abdullah Abdullah, Tadjik époux d’une Pachtoune ?
L’écrivain Atiq Rahimi espère qu’en écho du « printemps arabe » l’optimisme de l’action l’emportera sur le pessimisme de l’intelligence. Et ce, lors d’une émission sur France-Culture consacrée à l’Afghanistan, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer en compagnie de témoins afghans : « La démocratie est une valeur-lumière, elle appartient à l’humanité, nous Afghans avons droit à la liberté » . L’historien afghan Azin Nain, enseignant à l’Université de Bourgogne, croit encore (comme Henry Kissinger), que le chemin de la paix passe par une diplomatie forte impliquant l’entente régionale autour de la stabilité de l’Afghanistan. Il assure que la société civile afghane aspire à une paix durable et que les femmes ont bravé l’interdit des taliban pour participer à la vie politique du pays : « La guerre n’est pas une fatalité afghane ; elle peut être vaincue par la volonté de cette majorité silencieuse qui en a assez de voir ses enfants périr dans les flammes d’un nouveau conflit dont les enjeux dépassent de loin l’Afghanistan » .
Nul ne peut prédire l’avenir immédiat du pays de l’insolence malgré ce qui ressemble aux prémices de la guerre civile au regard de la croissance exponentielle, depuis plus d’un an, des attaques contre les représentants, civils et militaires, de l’administration Karzaï. Il reste à espérer que 40 années de souffrances, depuis le début des luttes de factions en 1973, mettent enfin la guerre hors-la-loi, que le départ des occupants laissent entre eux des Afghans capables de transcender leurs différences, tout en se dégageant de l’obscurantisme militant des taliban ce qui est, toutefois, moins sûr. Mais, comme le dirait André Malraux, cette Condition humaine si douloureuse dans ce pays meurtri n’attend-elle pas sa Voie royale, celle de L’Espoir ?
Jean-Charles JAUFFRET, professeur des Universités et directeur du Master II
(Cet article reprend en grande partie la conclusion de notre ouvrage, Afghanistan, 2001-2013 : la guerre inachevée, Autrement, avril 2013, 350 p.)

Bachar Al-Assad peut-il gagner une guerre « perdue d’avance » ?

12 Apr
« Bachar Al-Assad va partir, son régime va tomber, ce n’est qu’une question de temps ». Voilà maintenant deux ans que les responsables diplomatiques occidentaux, notamment français[1], annoncent la chute imminente de Bachar Al-Assad. Elle devait être au départ une question de semaines ; puis de mois : la Syrie vient d’entamer sa troisième année de guerre civile. Dans ce contexte il est possible de faire le point de la situation, selon les informations très fragmentaires et souvent partiales qui parviennent du pays. Le présent article permettra d’analyser la situation militaire. Le suivant conduira à évoquer les enjeux tant politico-religieux que géopolitiques de la guerre civile syrienne en cours.
 
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Sur le plan tactique, après avoir connu des développements importants lors de l’été 2012, la situation évolue désormais assez lentement. Si des combats ont lieu dans tout le pays, il convient d’évoquer la situation des fronts les plus importants.
 
Damas 
La capitale est aujourd’hui devenue une zone de guerre, même si les combats ont surtout lieu dans les banlieues de la ville[2]. Si des combats et des affrontements sporadiques ont pu survenir dans la capitale lors de l’année 2011, Damas a subi deux offensives rebelles lors de l’année 2012. Le 15 juillet 2012, en parallèle à une offensive sur Alep et à un attentat terroriste majeur qui tua plusieurs membres de l’état-major et du gouvernement syrien, plusieurs milliers de rebelles entrent dans les quartiers périphériques de la capitale et livrent combat jusqu’aux alentours de la place des Omeyyades en plein cœur de la ville. Rapidement une contre-offensive de l’armée syrienne repousse les rebelles à la lisière de la ville et reprend tous
les principaux quartiers conquis précédemment. Des combats sporadiques continuent cependant sans arrêt dans les banlieues. En novembre 2012, les rebelles prévoient une nouvelle offensive majeure dont le but est la prise de l’aéroport de Damas, au sud, mais Bachar Al-Assad, anticipant cet assaut, lance lui-même une offensive sur les banlieues sud dans lesquelles sont regroupées de nombreuses forces rebelles. Au mois de décembre, l’aéroport est définitivement sécurisé.
Les rebelles, ayant échoué lors de leurs deux tentatives majeures déclarent alors cesser de planifier la prise de Damas en une bataille décisive pour se focaliser sur un grignotage des quartiers centraux à partir des banlieues dans lesquelles ils restent solidement implantés. De fait, à partir du mois de février 2013, ils déclenchent des combats dans le quartier de Jobar à proximité de la place des Abassides dans le nord-est de la ville. Ces affrontements sont toujours en cours actuellement. Bachar Al-Assad, pour qui la sécurisation de la capitale est primordiale s’il souhaite pérenniser son régime, donne l’ordre à ses forces de reconquérir une par une les banlieues tombées aux mains des rebelles[3]. En effet, si tous les quartiers centraux de la ville même restent contrôlés par l’armée, la présence des rebelles en périphérie ne permet pas au régime d’affirmer qu’il « tient » la capitale. C’est ainsi que depuis plusieurs mois, l’armée syrienne est engagée au sud-ouest de la ville pour reconquérir la grande banlieue de Daraya tenue par les rebelles[4]. Daraya est en effet très proche du palais présidentiel et les rebelles ont déjà tiré depuis cette banlieue plusieurs obus de mortier sur la résidence de Bachar Al-Assad. De plus, elle jouxte l’aéroport militaire qui permettrait au chef d’Etat syrien de s’enfuir en cas d’urgence. L’armée syrienne est également aux prises avec les rebelles dans le camp palestinien de Yarmouk au sud de la capitale, ainsi que dans la Ghouta orientale à l’ouest. Cette zone boisée permet l’infiltration des combattants rebelles dans la ville. D’autre part la banlieue de Douma, au nord-ouest du gouvernorat de Damas, reste une place forte rebelle bien que des combats s’y déroulent en permanence. Le régime alaouite semble actuellement bien loin de sécuriser cette zone clé.  Au contraire le mont Qassioun, au nord de la capitale, est une hauteur  tenue par l’armée syrienne, qui l’a transformée en base d’artillerie depuis laquelle elle peut bombarder tous les quartiers tenus par les rebelles.
La situation à Damas est donc celle-ci : le régime tient fermement les quartiers centraux de la ville bien que ceux-ci soient bombardés par les rebelles. Ces derniers restent bien implantés dans les banlieues au nord-ouest et au sud de la ville que l’armée n’arrive pour l’instant toujours pas à contrôler. La supériorité militaire de l’armée sur les rebelles leur interdit toute avancée significative dans la capitale et il est probable que les batailles décisives pour le conflit syrien auront lieu ailleurs qu’à Damas, qui serait sûrement le théâtre du dernier acte en cas de victoire des rebelles.
 
Alep 
La deuxième ville du pays et sa capitale économique, Alep, est entrée tardivement dans la guerre mais son rôle dans le conflit est rapidement devenu essentiel. Jusque là restée calme, la riche ville d’Alep a basculé dans la violence lorsque le 20 juillet 2012, en parallèle à leur offensive sur Damas, les rebelles sont entrés soudainement dans la ville. Alep menaçait de tomber entièrement entre leurs mains  après qu’ils aient conquis les quartiers sunnites déshérités de la moitié ouest, mais le régime a rapidement réagi en envoyant des renforts massifs pour soutenir les points de résistance de l’armée. Les affrontements ont été très violents jusqu’à l’automne, les rebelles essayant de percer les lignes gouvernementales mais sans grand succès.
La situation évolue beaucoup plus lentement depuis[5]. Les rebelles, de leur propre aveu, ont échoué à prendre la ville car ils n’avaient pas pris le contrôle auparavant les nombreuses bases aériennes autour d’Alep, permettant ainsi au régime de ravitailler ses troupes et de les appuyer par des tirs d’artillerie et des bombardements aériens. C’est donc à la prise de ces bases que les rebelles s’emploient désormais. L’aéroport international au sud de la ville résiste cependant toujours à leurs assauts. Dans la ville même, une ligne informelle de démarcation sépare grossièrement les quartiers rebelles, à l’ouest, des quartiers gouvernementaux, à l’est. Au nord, les quartiers kurdes, neutres au départ, ont ensuite connu des affrontements avec les djihadistes du Jabhat Al-Nosra, émanation d’Al-Qaïda en Irak, puis désormais avec les soldats syriens. La guerre urbaine ravage la ville qui est chaque jour détruite en peu plus par les bombardements aériens du régime, les tirs de mortiers des rebelles et les attentats à la voiture piégée. Le patrimoine culturel de la ville est fortement affecté par les combats. Le souk historique de la vieille ville a brûlé lors des combats de l’été puis la grande mosquée des Omeyyades a été d’abord partiellement détruite par un attentat au camion piégé avant d’être endommagée par les combats qui ont conduit à sa prise par les rebelles. La citadelle d’Alep, en plein cœur de la ville, a repris le rôle militaire qu’elle tenait lors de sa construction au XIIIe siècle. Elle est en effet occupée depuis le début des combats par l’armée syrienne qui en a fait une base pour son artillerie et ses snipers. La taille de son édifice rend sa prise très difficile pour les rebelles. Environ 20 000 soldats loyalistes combattent 8 000 rebelles dans la ville. A plusieurs reprises Bachar Al-Assad a tenté d’envoyer des renforts substantiels pour reprendre Alep (les 5e et 6e divisions blindées) mais à chaque fois une offensive rebelle a été opportunément lancée sur Damas pour immobiliser ces forces.
La bataille pour Alep dure depuis le 20 juillet 2012 mais il est à craindre qu’elle s’éternise. En tous les cas, cette bataille est bel et bien pour les deux belligérants « la mère des batailles » comme l’avait appelée Bachar Al-Assad[6]. En effet, si Alep tombe aux mains des rebelles, ils pourront alors envisager le contrôle de tout le nord de la Syrie et mettre en place les bases d’un nouvel Etat syrien (probablement islamiste au vu des revendications de nombre de groupes rebelles). Ils pourront faire d’Alep, leur « capitale de la révolution » telle que l’avait été Benghazi pour la révolution libyenne. Ainsi ils disposeraient d’une base idéale pour la poursuite de la guerre comme d’un moyen de pression supplémentaire sur la communauté internationale pour inciter celle-ci à soutenir plus amplement le nouvel Etat syrien en construction. Pour le régime, tant que ses forces tiennent une partie importante de la ville (et notamment la citadelle) il peut continuer à garder l’espoir d’une reconquête ultérieure des régions du nord passées dans le camp de l’opposition. La perte de la deuxième ville du pays comme de la capitale économique serait un coup très dur porté à sa crédibilité et à son moral. Alep est donc le front décisif dans la guerre civile qui fait rage en Syrie.
 
Homs
 Troisième ville la plus importante du pays en nombre d’habitants, Homs est un front majeur de par sa position géographique. En effet c’est un carrefour stratégique, à mi-chemin entre Damas et la bande côtière alaouite à l’ouest. Si Bachar Al-Assad souhaite garder la possibilité de « tenir » la Syrie il doit impérativement sécuriser les voies de communication entre sa capitale et sa zone de soutien populaire traditionnelle. C’est pour cette raison que l’armée syrienne s’acharne à reconquérir cette ville. Elle est, au contraire, considérée par les rebelles comme la « capitale de la révolution » du fait du rôle majeur qu’y ont joué les manifestations populaires de l’opposition en 2011. Homs subit actuellement un siège qui dure depuis plus de 300 jours[7]. Les combats les plus violents ont eu lieu lorsque l’armée a repris le quartier emblématique de Baba Amr en février 2012. Les rebelles ont symboliquement lancé une nouvelle attaque sur Baba Amr en mars 2013 mais le quartier a à nouveau été repris par l’armée dans les semaines suivantes. Il reste actuellement quatre quartiers situés dans la vieille ville de Homs aux mains des rebelles. Ils sont assiégés et bombardés constamment et l’armée essaie d’en reprendre le contrôle rue après rue. Autour de Homs, les villes telles que Al-Qusaïr tenues par les rebelles font elles aussi l’objet d’âpres combats. La particularité de ceux-ci est qu’ils ont lieu près de la frontière libanaise. Or depuis plusieurs semaines, le Hezbollah a engagé 7000 combattants aux côtés de l’armée syrienne pour reconquérir les localités à proximité de Homs, signe de l’importance de cette zone pour l’issue du conflit. La reconquête totale de Homs par le régime semble actuellement en bonne voie. Si cette reconquête a lieu, elle montrera que le régime conserve des atouts majeurs et que rien n’est encore joué dans ce conflit de longue durée.
 
Hama 
Ville sunnite à forte tendance islamiste, située au nord de Homs, elle est lieu de la sanglante répression de Hafez Al-Assad en 1982 contre les Frères Musulmans qui s’étaient soulevés et réfugiés dans la ville (20 000 morts). Pour éviter que la symbolique de cette répression ne ressurgisse, Bachar Al-Assad a verrouillé la ville en y concentrant de très nombreuses forces dès le début de la révolution en 2011. Hama reste calme et sous contrôle du régime malgré des tentatives d’infiltrations rebelles.
 
Idleb 
La province d’Idleb, voisine de celle d’Alep, est majoritairement en possession des rebelles. Ils en contrôlent les campagnes et ont pris possession de la quasi-totalité des centres militaires de la région (base aérienne de Taftanaz en janvier 2013 par le Jabhat Al-Nosra par exemple)[8]. La ville même d’Idleb est encore tenue par le régime mais les rebelles lancent des raids de plus en plus audacieux comme celui ayant abouti à la prise de la prison centrale le 25 janvier 2013, libérant des centaines de prisonniers. Lorsque les forces rebelles auront pris toutes les bases de la province et contrôleront les alentours de la ville ils lanceront alors l’offensive finale sur Idleb. Les saisons du printemps et de l’été prochain devraient être propices à ces opérations.
 
Ar-Raqqah 
La ville de Ar-Raqqah, capitale de la province du même nom est tombée aux mains des rebelles le 6 mars 2013 au terme d’une bataille de trois jours (c’est le Jabhat Al-Nosra qui a pris l’initiative de l’attaque, soutenu par l’Armée Syrienne Libre). La fin des affrontements a vu les vainqueurs renverser  la statue d’Hafez Al-Assad, l’ancien dictateur et père de Bachar. cette image symbolique rappelle la chute des statues de Saddam Hussein dix ans plus tôt[9]. Même si la province de Raqqah, voisine de celle d’Alep, est une province reculée du nord de la Syrie et peu peuplée, elle est aujourd’hui la première province syrienne dont la capitale est contrôlée par les rebelles.
 
Hassaké 
Capitale de la province du même nom, Hassaké est à l’heure actuelle l’une des villes les plus calmes de Syrie. Le gouvernorat d’Hassaké correspond à la région du Kurdistan syrien. Or dès le début du conflit, Bachar Al-Assad a pris le parti de « lâcher » le Kurdistan aux forces kurdes du YPG (branche syrienne du PKK) avec un triple objectif : ne pas disperser ses forces sur de trop nombreux fronts ; créer des dissensions entre rebelles ; mettre la pression sur la Turquie opposée de longue date au PKK. Des combats à proximité de la frontière turque sont survenus lorsque le Jahbat Al-Nosra a attaqué les forces du YPG pour prendre le contrôle du poste frontière de Ras-Al-Aïn. Une trêve est intervenue après de violents affrontements non décisifs. Les djihadistes ont toutefois promis de revenir à l’assaut ultérieurement.
Le Kurdistan syrien est actuellement dans une situation très indécise, ne sachant pas qui, du régime ou des rebelles, sortira vainqueur du conflit. Cependant, les Kurdes savent que le régime les a toujours persécutés avant la guerre et que les djihadistes d’Al-Nosra les considèrent comme leurs ennemis. Les forces kurdes de Syrie ont donc probablement leur propre agenda et se préparent à défendre par les armes leurs velléités indépendantistes ou à tout le moins autonomistes.
 
Deir-ez-Zor 
La capitale de la province frontalière avec l’Irak, Deir-ez-Zor est l’objet de combats depuis de longs mois après que l’ensemble de la province soit tombée aux mains des rebelles. Là encore, le Jahbat Al-Nosra s’est retrouvé en première ligne des combats. La proximité avec l’Irak a en effet facilité l’afflux de combattants djihadistes. Après avoir mis la main sur le poste-frontière d’Abou Kamal puis sur la base aérienne de Hamdan, les rebelles ont pris la ville de Mayadin pour s’emparer des champs pétrolifères de la province. Le régime syrien a donc perdu l’essentiel de ses rares puits de pétrole au profit de la rébellion. L’armée syrienne tente de maintenir les rebelles à distance de la capitale provinciale Deir-ez-Zor mais le régime apparaît clairement sur la défensive dans cette région.
 
Deraa 
La ville de Deraa, dans le sud, à la frontière avec la Jordanie, est le berceau de la révolution syrienne, là où les premières manifestations populaires ont été réprimées par des tirs à balles réelles. Le régime essaie de maintenir l’ordre dans la province mais y rencontre de plus en plus de difficultés. Si la ville est encore fermement tenue par l’armée, les alentours font l’objet de combats. En effet, de nombreux rebelles auraient été formés en Jordanie par des forces spéciales américaines[10] (300 officiers de l’ASL auraient notamment bénéficié de cette formation) et ont cette semaine passé la frontière. Leur objectif est de s’emparer de plusieurs localités de la province et notamment de certains tronçons de l’autoroute reliant Deraa à Damas. Ce serait une menace majeure pour le régime. Il est à noter que plusieurs villages de la communauté druze de la province auraient pris parti pour le régime tandis que d’autres se seraient engagés dans le camp rebelle.
 
Quneitra
La province de Quneitra est celle qui jouxte le plateau du Golan, occupé par l’armée israélienne. La situation y est très confuse. Les rebelles auraient pris le dessus sur l’armée dans cette province mais de nombreux combats sont en cours. Beaucoup donnent lieu à des tirs de roquettes ou d’obus qui tombent fortuitement du côté israélien de la frontière. Israël a, depuis les premières escarmouches, riposté à chacun de ces tirs quelle qu’en soit la provenance.
 
Lattaquié
Lattaquié et Tartous (qui abrite une base navale russe) sont les deux principales villes de la bande côtière syrienne, qui constitue, entre les montagnes et la mer, le « pays alaouite ». Ultime refuge du régime en cas de chute de Damas, cette zone est la plus calme et sécurisée de Syrie actuellement. Loin de la guerre, les activités économiques y sont florissantes et les réfugiés nombreux. Bastion alaouite, cette zone est cependant l’objet d’infiltration de rebelles franchissant la frontière turque au nord pour y combattre ; mais le régime défend fermement cette région qui représente sa dernière carte.
**
La situation militaire de la guerre civile syrienne est donc actuellement très confuse et incertaine. La ville de Damas reste contrôlée par le régime, mais sa banlieue est aux mains des rebelles. Alep est coupée en deux par les belligérants. Homs semble en passe d’être entièrement reconquise par l’armée syrienne. Le régime reste fort à l’ouest et au sud du pays tandis que les rebelles progressent dans le nord et l’est de la Syrie.
Bachar Al-Assad a fait le pari d’abandonner les campagnes aux rebelles pour se concentrer sur le pays utile et le contrôle des grandes villes. L’armée syrienne (qui possédait 300 000 soldats avant la guerre et  ne peut désormais plus compter que sur la moitié d’entre eux[11]), épaulée par les milices loyalistes, est forte ponctuellement et tactiquement, mais elle ne peut contrôler l’ensemble du territoire alors que les rebelles multiplient les zones d’affrontements pour épuiser le régime. La rébellion de son côté a incontestablement progressé sur le plan militaire en deux ans de conflit, mais ne parvient toujours pas à remporter de victoire décisive (Alep est encore loin d’être prise ; Ar-Raqqah a elle été prise mais c’est une capitale provinciale de moindre importance).
Dans ce contexte, il paraît très improbable que Bachar Al-Assad parvienne à reprendre le contrôle de la totalité du territoire syrien. Cependant le précédent irakien est là pour rappeler que rien n’est nécessairement joué. En mars 1991 Saddam Hussein perdit le contrôle de 90 % de son territoire au profit de l’insurrection chiite et replia alors son armée sur Bagdad ; il reprit pourtant peu à peu la totalité de son territoire grâce à sa supériorité militaire. Il n’est même pas certain qu’un armement substantiel des rebelles en missiles sol-air et sol-sol, qui priverait les forces du régime de leur actuelle supériorité de feu et de leur appui aérien, puisse renverser  la donne. Décidé semble-t-il à se battre jusqu’au bout, le régime conserverait suffisamment de forces pour entretenir encore longtemps une guerre incertaine. Bachar Al-Assad, dictateur honni de l’Occident, a incontestablement démontré en deux ans de guerre une extraordinaire capacité de résilience. Ayant écarté la perspective d’une défaite militaire rapide, le régime syrien peut désormais tirer parti de la nouvelle donne géopolitique comme des déséquilibres  internes pour espérer sortir victorieux de cette épreuve de force.
 
Romain Sens, diplômé du Master II en 2012.

[1] AFP, « « La fin se rapproche pour Bachar Al-Assad » estime Fabius », Le Point, le 16 décembre 2012 http://www.lepoint.fr/monde/la-fin-se-rapproche-pour-bachar-el-assad-previent-fabius-16-12-2012-1589203_24.php

[2] G.Malbrunot, « La bulle de Damas rattrapée par la peur », Le Figaro, le 14 mars 2013 http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2013/03/14/10001-20130314ARTFIG00583-la-bulle-de-damas-peu-a-peu-rattrapee-par-la-peur.php

[3] I.Lasserre, « L’armée d’Assad à l’offensive dans la banlieue de Damas », Le Figaro, le 7 février 2013

http://www.lefigaro.fr/international/2013/02/07/01003-20130207ARTFIG00471-l-armee-d-assad-a-l-offensive-dans-la-banlieue-de-damas.php

[4] G.Malbrunot, « La bataille de Damas passe par Daraya », Le Figaro, le 28 février 2013 http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2013/02/28/10001-20130228ARTFIG00679-la-bataille-de-damas-passe-par-darraya.php

[5] F.Aubenas, « Vivre et mourir au rythme des combats dans les rues d’Alep », Le Monde, le 28 décembre 2012 http://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2012/12/28/vivre-et-mourir-au-rythme-des-combats-dans-les-rues-d-alep_1811125_3208.html

[6] L.Beaulieu, « Alep, la bataille décisive pour les rebelles en Syrie », Le Monde, le 30 juillet 2012 http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2012/07/30/alep-la-mere-de-toutes-les-batailles-en-syrie_1740108_3218.html

[7] AFP, « La ville de Homs assiégée depuis 300 jours », Libération, le 7 avril 2013 http://www.liberation.fr/monde/2013/04/07/syrie-la-ville-de-homs-assiegee-depuis-300-jours_894265

[8] L.Roth, « La prise de la base syrienne de Taftanaz, nouvelle étape sur la route d’Idlib », Le Monde, le 28 janvier 2013                                                                                                                                              http://abonnes.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/01/28/la-prise-de-la-base-syrienne-de-taftanaz-nouvelle-etape-sur-la-route-d-idlib_1823344_3218.html

[9] P.Prier, « L’opposition syrienne s’empare de Raqqa », Le Figaro, le 5 mars 2013 http://www.lefigaro.fr/international/2013/03/05/01003-20130305ARTFIG00600-l-opposition-syrienne-s-empare-de-raqqa.php

[10] G.Malbrunot, « Des forces spéciales américaines entraînent des rebelles syriens en Jordanie, le 1er mars 2013 http://blog.lefigaro.fr/malbrunot/2013/03/des-forces-speciales-americain.html

[11]D.Kenner, « L’armée de Bachar Al-Assad a été divisée par deux », Slate, le20 mars 2013 http://www.slate.fr/monde/69655/syrie-bachar-assad-armee

Budget de la Défense : la situation était désespérée, est- elle aujourd’hui moins grave ?

8 Apr
Nous avons assisté ces derniers mois à une séquence sur la défense extrêmement intéressante. Le 11 janvier, la France intervient militairement au Mali sur décision politique. En quelques semaines, les armées font preuve d’un savoir-faire remarquable et remarqué. Toute la gamme des missions sont exécutées : projections, combats aéroterrestres, appuis-feux avions et hélicoptères, largages de parachutistes, posés d’assaut de nuit sur des terrains à peine praticables, combats en zone extrême sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres, coopération avec des pays amis (Tchad), intégration du renseignement de pays alliés (Etats-Unis et Grande-Bretagne), le tout loin de la métropole avec des problèmes logistiques difficiles mais surmontés.
Cette séquence s’est déroulée précisément à un moment où les discussions budgétaires débutaient, avec en filigrane, une réduction attendue du budget de la Défense. Deux hypothèses s’entrechoquaient. Une, défendue par Bercy (hypothèse Z) faisait descendre la part de la défense  à 1, 16 % du PIB. C’est-à-dire une remise en question fondamentale de programmes, de capacités et une remise en cause de notre outil industriel de Défense. L’autre, soutenue par le ministère de la Défense et toute la communauté militaire (hypothèse Y) consistait à maintenir le volume actuel (autour de 31 milliards d’euros), c’est-à-dire 1,56 % du PIB.
La prise de conscience politique de la valeur de l’outil militaire mais surtout du rôle que ce dernier peut prendre dans l’expression d’un pouvoir diplomatique donc de la place et du poids de la France a abouti, dans les derniers arbitrages, au maintien de l’effort militaire sur les niveaux actuels.
L’horizon est-il pour autant dégagé ? En effet, si les crédits actuels sont maintenus, il ne faut pas oublier qu’il manque au bas mot cinq milliards d’euros sur la planification de la dernière Loi de Programmation Militaire (2008/2013). A budget constant, les années budgétaires se verront rogner, comme les retraites, d’au moins un milliard par an. Des efforts, malgré tout, seront donc encore à faire.
Mais lesquels ? La Défense vient de sortir d’une profonde réforme qui, dans le cadre de la RGPP de la dernière majorité, a fait fondre les armées de plus de 54 000 postes, dissoudre des dizaines de régiments, restructurer profondément l’organisation administrative avec l’apparition des Bases de Défense etc.….
En outre, l’opération SERVAL a montré, en dépit de son succès, des lacunes capacitaires qui perdurent depuis  la dernière LPM. Dans un contexte financier  et économique encore plus dur, elles ne seront sans doute pas comblées ou à enveloppe constante, nécessiteront des choix (drones armés ou pas, ravitailleurs, transport aérien etc.). Quels efforts pourraient être consentis ? Efforts sans doute arrêtés après  l’apparition du Livre blanc et les discussions budgétaires de cet été.
Essayons d’en dégager quelques pistes : la vente des parts de l’Etat dans les industries de Défense dégageant ainsi un milliard par an, la poursuite de la rationalisation de l’administration militaire vers une plus grande simplification de la carte administrative avec une réduction du nombre de Bases de Défense, les inévitables baisses de cible des principaux programmes (Rafale, frégate FREMM) , l’étalement de ces mêmes programmes etc.
Pour autant, la politique militaire de la France s’enfonce dans un inexorable déclin au moment même où les tensions internationales augmentent et où les pays émergents  accroissent très sensiblement leur effort de Défense. Prenons date de la parution du Livre blanc. Il sera alors temps d’en analyser froidement ses conséquences et voir quel outil de défense pour quelle diplomatie,  le pouvoir politique a arrêté ses ambitions.
Général Jacques Maïsetti, intervenant dans le Master II

Chypre et les relations Russie/UE

4 Apr
Le plan de sauvetage de l’île, bien qu’elle ne soit que la troisième plus petite économie de l’Union européenne, soulève bien des enjeux. Il a soulevé des questionnements économiques sur la viabilité d’une économie basée sur un secteur bancaire aux origines douteuses, et sociaux sur le mode de prélèvements des dépôts bancaires. En outre, l’affaire chypriote a ravivé une dynamique géopolitique, celle des relations entre la Fédération de Russie et l’Union européenne.
Environ dix ans après le « choix européen » adopté par le président Poutine, la politique européenne du Kremlin semble s’être adaptée. La posture russe vis-à-vis du sauvetage de Chypre ainsi que ses conséquences internes en Russie témoignent du nouvel ordre de priorités de Moscou.

Malgré un plan de sauvetage aux conséquences négatives à court terme sur l’économie russe…

L’accord adopté à Bruxelles dimanche 24 mars prévoit, en échange du plan de sauvetage de 10 milliards €, le gel des dépôts bancaires supérieurs à 100 000 € dans les deux principales banques, la Laiki Bank et la Bank of Cyprus, avec une ponction s’élevant jusqu’à 60% dans le cas de la première[1].
Or, les fonds d’origine russe représentant environ 30% des dépôts bancaires, les conséquences d’une telle décision sont redoutées par de nombreux économistes en Russie. Car le plan n’entraîne pas seulement la ponction sur la fortune de quelques individus, mais implique tout un système financier utilisant Chypre comme plateforme afin de réinvestir en Russie sans charges fiscales. En 2012, l’Institut russe des statistiques, Rosstat, indiquait que 39% des investissements directs cumulés en Russie provenaient de l’île[2]. Le Haut Collège d’Economie de Moscou a ainsi estimé que ce plan pourrait réduire de 1,8 points le PIB russe. La réaction de Poutine, qualifiant cette décision d’ « injuste, manquant de professionnalisme et dangereuse », s’inscrit dans ce contexte.
Cependant, comment expliquer la passivité de Moscou face à la gestion de la crise chypriote ? Et pourquoi refuser de compenser les dépositaires russes victimes du plan de sauvetage ?

…la réaction du Kremlin reste passive…

Ayant accordé en décembre 2011 un prêt de 2,5 milliards € à Chypre, la Russie a refusé toute renégociation ou étalement du remboursement. Disposant de 526 milliards $, soit la quatrième réserve monétaire au monde, la Banque Centrale de Russie aurait par ailleurs pu –comme l’avaient demandé plusieurs dirigeants chypriotes- injecter des capitaux dans les principales banques de l’île. Une telle manœuvre, surtout si les liquidités avaient été émises en roubles, aurait pu représenter un gain géopolitique majeur, la Russie militant depuis plusieurs années pour une multipolarité monétaire[3]. Toutefois, le silence et la passivité ont été de mise.
Deux hypothèses ont été avancées à cet égard, certes avec un fond logique, mais globalement indémontrables. La signature d’un accord gazier, allouant au géant énergétique Gazprom l’exploration dans les eaux chypriotes, ainsi que l’ouverture d’une base navale russe sur l’île, au cas où le port syrien de Tartous venait à tomber aux mains de l’insurrection, ont été les deux raisons principales émises par les média. Le refus d’accorder à Moscou ces deux concessions aurait guidé la politique d’ « abandon » du Kremlin. Toutefois l’exploration gazière est hasardeuse, les eaux territoriales en question étant disputées avec la Turquie, et l’ouverture d’une base navale russe sur un territoire de l’UE semble impensable étant donné la tournure des événements en Syrie[4].

…et révèle des enjeux à plus long terme :

Il est donc primordial, au-delà des questionnements hypothétiques quant à la vraie nature du refus russe de venir en aide à Chypre, d’envisager la décision du Kremlin dans un contexte plus large de repositionnement vis-à-vis de l’UE, de consolidation du pouvoir présidentiel et d’assainissement de l’économie russe.
Si les années 2000 s’ouvrent avec un regain de positivisme pour les deux voisins, un glissement s’est opéré depuis 2008 et se matérialise aujourd’hui dans la crise chypriote. L’événement déclencheur est d’abord la crise financière de 2008, se mutant en crise économique et budgétaire et signalant en Russie un déclin de l’Europe au XXIème siècle. Longtemps perçue comme un modèle économique et social, l’UE cesse d’être le référentiel vers lequel s’orienter et le nationalisme prôné par le président Poutine trouve un écho plus important. De plus, Libye, Syrie, prix du gaz, droits de l’Homme sont autant de points d’achoppement entraînant une détérioration globale des relations entre la Russie et l’UE[5].
D’autant que cette évolution, surtout dans le cas chypriote, renforce le pouvoir de M. Poutine. Ce dernier a effet introduit il y a quelques mois une proposition de loi visant à interdire aux officiels russes de disposer de dépôts bancaires à l’étranger. Ce projet n’a pas encore pu être adopté du fait de son impopularité auprès des dirigeants, qui ont pour beaucoup intérêt à maintenir le statu quo. L’affaire chypriote permet ainsi au président Poutine de parvenir à ses fins et de faire d’une pierre deux coups : éviter la fuite des capitaux hors de Russie et mieux contrôler les hauts fonctionnaires et les oligarques[6]. D’où l’annonce, quelques jours après l’accord sur le plan de sauvetage, de la non compensation des citoyens russes dépositaires d’un compte bancaire à Chypre[7].
Maxime Pour, diplômé de Sciences Po Aix et étudiant moniteur du master en 2012-2013

[1] F. Salmon, Cyprus : What are the Russians playing at ? 22 mars 2013, consulté sur le site de l’agence Reuters : http://blogs.reuters.com/felix-salmon/2013/03/22/cyprus-what-are-the-russians-playing-at/
[2] P. Avril, La crise chypriote fait tanguer l’économie russe, Le Figaro, 31 mars 2013, consulté sur : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2013/03/31/20002-20130331ARTFIG00131-la-crise-chypriote-fait-tanguer-l-economie-russe.php
[3] A. Kaletsky, Will Putin Attempt a Last-minute Rescue ? 25 mars 2013 http://blogs.reuters.com/anatole-kaletsky/2013/03/25/will-putin-attempt-a-last-minute-cyprus-rescue/
[4] I. Bremmer, Why Russia Refused to Bail Out Cyprus, Financial Times, 26 mars 2013, consulté sur le site : http://blogs.ft.com/the-a-list/2013/03/26/why-russia-refused-to-bailout-cyprus/#axzz2PKGecHBF
[5] Конец прежних отношений Евросоюз­Россия, Дмитрий Тренин, 27 ДЕКАБРЯ 2012, Carnegie Mosow Center
[6] J. Dempsey, The Cypriot Crisis is also about Germany and Russia, Carnegie Brussel Center, http://carnegieeurope.eu/strategiceurope/?fa=51282
[7] Россия не будет возмещать российским вкладчикам потери на Кипре, http://reporter-ua.com/2013/04/02/rossiya-ne-budet-vozmeshchat-rossiiskim-vkladchikam-poteri-na-kipre


Afghanistan, la guerre inachevée

1 Apr

Sortie en librairie le 17 avril prochain

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