Archive | février, 2013

L’échéance olympique : contre-terrorisme et stabilisation dans le Caucase russe

25 Feb
A l’approche des Jeux Olympiques d’Hiver à Sotchi, ayant lieu en février 2014, les autorités russes doivent faire face à l’un des défis les plus importants pour la Russie depuis la chute de l’Union soviétique : stabiliser le Nord-Caucase. La stratégie adoptée par Moscou et suivie par les gouvernements des républiques locales a mis en œuvre des moyens massifs, sur une période prolongée, mais présente pourtant des résultats mitigés.
La région Nord-Caucase et les Etats du Sud-Caucase
Le Nord-Caucase subit une escalade de la violence ces dernières années, comme en attestent les affrontements de la semaine dernière au Daghestan, république de 3 millions d’habitants ayant déploré en 2012 plus de 400 morts[1]. L’ONG russe Kavkaz Uzel indique une augmentation quantitative[2] et qualitative des attaques terroristes[3], les rebelles visant de plus en plus des cibles politiques, économiques et militaires importantes, sur une zone d’activité géographique élargie[4].
La nature des menaces a par ailleurs évolué, la résistance sécessionniste tchétchène de la première moitié des années 1990 s’étant peu à peu éteinte par rapport à la montée d’un jihad pan-caucasien[5]. L’instabilité s’est également déplacée, sévissant moins en Tchétchénie et en Ingouchie qu’en Kabardino-Balkarie et surtout au Daghestan[6], mais les groupes militants s’appuient désormais plus sur des soutiens extérieurs[7]. Si les velléités d’indépendance ont été maladroitement réveillées par la politique russe de reconnaissance d’indépendance des républiques d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud suite au conflit russo-géorgien de 2008[8], la menace principale pesant sur les Jeux Olympiques reste celle de l’ « émirat du Caucase[9] ».

Le jihad de l’Emirat du Caucase

imagesCAY2OLN7

Trouvant ses origines dans l’insurrection tchétchène, l’Emirat du Caucase est né de la  radicalisation des deux guerres de Tchétchénie et de l’affaiblissement du mouvement sécessionniste[10], mais il a évolué et regroupe dorénavant plusieurs mouvances visant l’instauration d’un Etat islamique au Caucase. Créé en 2007 par Doku Umarov, le mouvement est organisé en territoires, les wilayats, suivant à peu près les frontières ethniques, eux-mêmes composés de jamaats, des communautés de militants. Il appartient à la mouvance salafiste animant al-Qaeda, avec laquelle ses militants entretiennent des liens depuis les années 1990, notamment par des entrainements en Afghanistan. Ces relations les ont également conduits au Pakistan et, plus récemment, en Syrie[11].
L’Emirat du Caucase a pu profiter du mécontentement social croissant et commun à l’ensemble de la région. La corruption massive a conduit à une crise de régimes pouvant être qualifiés de néopatrimoniaux et ne remplissant plus leurs fonctions sociales de base[12]. Cette situation est assez largement attribuée à la politique poursuivie par Moscou de centralisation du pouvoir. Cherchant à assurer la « verticale du pouvoir », mais en manque de ressources administratives, le Kremlin a dû déléguer un grand nombre de responsabilités aux gouvernements des républiques du Caucase. Partant de cet impératif, la sélection est primordiale et conduit à la désignation des dirigeants locaux dont la loyauté devient le seul critère d’évaluation[13].
La situation est aggravée par le mauvais état économique de la région, comptant les républiques les plus défavorisées de la Fédération. La compensation offerte par le Kremlin aggrave le néopatrimonialisme des régimes : les subventions massives de Moscou octroient aux gouvernements locaux la responsabilité de la distribution des ressources, créant un système de clans privilégiés[14]. Face à l’absence de politique sociale, les jamaats se sont posés en relais et constituent souvent les piliers de l’organisation sociale.
Si l’Emirat du Caucase présente la menace principale, d’autres facteurs de violence propres à chaque république ne sont pas à négliger. La violence au Daghestan repose notamment sur des conflits religieux entre les groupes islamistes d’inspiration étrangère et des partisans de formes nord-caucasiennes plus traditionnelles de l’islam comme le soufisme. En Ingouchie, les affrontements sont plus majoritairement liés aux désillusions sociales, alors qu’en Kabardino-Balkarie, les conflits ont une tournure ethnique entre les Kabardes et les Balkars[15].
Les actes terroristes en Russie ont pris au cours de la dernière décennie une dimension sérieuse et extrêmement ambitieuse, comme la prise d’otages au théâtre de la Doubrovka à Moscou en 2002 ou à l’école de Beslan en Ossétie du Nord en 2004, l’explosion sur la voie ferrée Nevsky reliant Moscou à Saint-Pétersbourg, en 2009, et dont le dernier en date est l’attentat contre l’aéroport international de Moscou, Domodedovo, en 2010. La sensibilité des Jeux Olympiques a naturellement conduit les autorités fédérales à accentuer leur effort de contre-terrorisme[16].

La stratégie de contre-terrorisme russe

Le contre-terrorisme en Russie n’est pas reconnu officiellement comme tel, les autorités préférant se référer à du « banditisme », et donc à de la lutte contre la criminalité organisée. Plusieurs experts attestent d’une influence israélienne sur la nature de la politique russe face au terrorisme[17], soit une stratégie essentiellement basée sur la force, la zachistka (« nettoyage »), impliquant enlèvements, liquidations, interrogations musclées[18].
Le contre-terrorisme en Russie a pourtant une spécificité importante : l’objectif d’assimilation des populations au sein desquelles est mise en œuvre cette stratégie. Si la brutalité des méthodes employées est avérée[19], la particularité de cette démarche est qu’elle se base sur une décentralisation de la mise en œuvre de ces moyens, formant des forces de sécurité composées de locaux, et seulement dirigées par des officiers « ethniquement » slaves[20].
Cette approche prévaut depuis la prise d’otages de Beslan, les troupes russes se chargeant désormais de la garde des bases et de l’escorte des convois, tandis que l’essentiel de la zachistka est pris en charge par des forces locales[21]. Moscou a en effet choisi de décentraliser cette campagne et a mis sur pied des « Groupes de gestion opérationnelle » (GrOU), chacun commandé par un colonel du Ministère de l’Intérieur et comprenant des membres d’autres institutions chargées du maintien de l’ordre et de l’armée. Cette organisation cherche à pallier plusieurs facteurs d’inefficacité initiale du contre-terrorisme russe : manque de coordination des forces, faible motivation et incompréhension des troupes « slaves » au Caucase, et accusations de racisme et de colonialisme.
S’il est difficile de déterminer le volume exact des personnels mobilisés, certaines estimations s’élèvent à 70 000 membres du Ministère de l’Intérieur, équipés de chars, véhicules blindés et hélicoptères Mi-8. Deux bataillons spéciaux ont été créés dans ce cadre, le bataillon Vostok (« Est »), composé de Tchétchènes et réputé pour ses atrocités, et le plus récemment créé bataillon Daghestanais, entièrement composé de locaux du Daghestan[22]. Ces forces, rattachées au Ministère de l’Intérieur, ne font l’objet que de rares contrôles et opèrent avec une large impunité[23].
Cette approche semble avoir eu jusque-là des effets à court terme, résultant dans certains cas dans des saisies de caches d’armes et des arrestations de suspects[24], mais les effets à moyen et long terme sont plus inquiétants. La corruption endémique n’a pas permis le développement du Nord-Caucase et a fortement nui à la collecte de renseignements. Cette dernière constitue la faiblesse principale de l’action des forces de sécurité. L’interpénétration de la police et du crime organisé est telle au Nord-Caucase que les informations sont très rarement fiables[25].
La brutalité des forces du Ministère de l’Intérieur a par ailleurs suscité des antagonismes entre les populations du Caucase et les autres populations de la Fédération. Loin de l’assimilation recherchée, la politique antiterroriste du Kremlin a créé un fossé grandissant avec les peuples du Caucase[26].
Les Jeux Olympiques pourraient être un moyen de réassocier le Caucase à la Russie. La promotion des athlètes caucasiens, excellents dans certaines disciplines, la reconnaissance officielle de leurs cultures, ou l’attraction de capitaux étrangers, sont des opportunités rares qu’un tel événement est capable d’offrir. Les Jeux Olympiques de Sotchi sont un moyen puissant de combler ce qui manque à la Russie dans le Caucase : le soft power.
Maxime Pour,
diplômé de Sciences Po Aix et moniteur du master (2012-2013)

 


[1] Кремль укрощает Дагестан, http://www.utro.ru/articles/2013/01/29/1097877.shtml Voir aussi: Radio Free Europe : http://www.rferl.org/content/security-officers-shoot-three-dead-daghestan/24904662.html 3 individus suspectés de terrorisme ont été tués, plusieurs caches d’armes ont été trouvées. Quelques jours avant, les enfants d’un officier de police local ont été assassinés.
[2] В ходе вооруженного конфликта на Северном Кавказе в 2012 году погибли и были ранены 1225 человек, http://www.kavkaz-uzel.ru/articles/218940/
 В январе жертвами вооруженного конфликта на Северном Кавказе стали 62 человека, http://www.kavkaz-uzel.ru/articles/220017/  Le bilan de janvier 2013 s’élève à 62 morts dans le Caucase-Nord.
[3] Kavkaz Uzel, http://www.eng.kavkaz-uzel.ru/articles/23037/
[4] Caucase du Nord : Instabilité croissante dans le Sud de la Russie, Center for Security Studies, ETH Zurich, n° 95, juin 2011
[5] Джихад на Северном Кавказе: существует ли выход из создавшегося положения?, http://www.iiss.org/programmes/russia-and-eurasia/about/georgian-russian-dialogue/caucasus-security-insight/russian-version-issue-4/sagramosa/ 
[6] Caucase du Nord : Instabilité croissante dans le Sud de la Russie, op. cit
[7] Ibid
[8] Модный сувернитет, http://www.iiss.org/programmes/russia-and-eurasia/about/georgian-russian-dialogue/caucasus-security-insight/russian-version-issue-4/zhemukhov/  
[9] Jihad in Russia : the Caucasus Emirate, IISS Strategic Comments, http://www.iiss.org/publications/strategic-comments/past-issues/volume-18-2012/december/jihad-in-russia-the-caucasus-emirate/
[10] Pour une analyse des origines de la radicalisation islamiste en Tchétchénie, voir : http://www.ict.org.il/Articles/tabid/66/Articlsid/636/Default.aspx
[11] Ibid
[12] Pavel Baev, Contre-terrorisme et islamisation du Caucase du Nord, Politique étrangère, 2006, p. 6
[13] Pavel Baev, Contre-terrorisme et islamisation du Caucase du Nord, op. cit, p. 4
[14] Ibid, p. 4
[15] Caucase du Nord : Instabilité croissante dans le Sud de la Russie, op. cit, p. 2
[16] Западные эксперты считают, что терроризм на Кавказе перестал быть внутренней проблемой РФ, http://www.newsru.com/world/29sep2009/terr.html
[17] Sergeï Markedonov, Nouvelles stratégies contre le terrorisme, La Russie d’Aujourd’hui, 11 décembre 2009, http://larussiedaujourdhui.fr/articles/2009/12/11/111209_terror.html
[18] Mariya Omelicheva, Russia’s Counterterrorism Policy : Variations on an Imperial Scheme, Perspectives on Terrorism, Vol 3, n°1, 2009
[19] L’ONG russe Kavkaz Uzel les relate régulièrement : http://www.kavkaz-uzel.ru/
[20] S. Saradzhyan, Interior Troops to fill Caucasus ranks with Chechens, The Moscow Times, 23 décembre 2005
[21] Pavel Baev, Contre-terrorisme et islamisation du Caucase du Nord, op. cit, p. 2
[22] « Chechenization » to « Daghestanization » : Curious Changes in Russia’s Armed Forces, Radio Free Europe, 24 février 2013 http://www.rferl.org/content/chechenization-to-daghestanization-russian-armed-forces-caucasus-report/24780386.html
[23] Pavel Baev, Contre-terrorisme et islamisation du Caucase du Nord, op. cit, p. 3
[24] 394 « militants » auraient été tués par les forces de sécurité en 2012, 515 bases et caches d’armes ont été trouvées, et 466 IED ont été saisis. Voir : Russia’s Counter-terrorism Committee list achievements, Radio Free Europe, http://www.rferl.org/content/russia-counterterrorism-committee-lists-achievements/24798867.html
[25] Ibid, p. 3-4
[26] Ibid, p. 10

Etudiants à la découverte du monde militaire

18 Feb

L’acculturation au monde militaire, pour des étudiants d’IEP généralement peu familiers avec les rouages de l’institution, est un des objectifs primordiaux du master II. Se basant sur un large réseau d’anciens élèves, intervenants, ou maîtres de conférence au sein des armées, l’IEP organise une série d’événements destinés à rapprocher les étudiants du milieu de la Défense. A travers des conférences, sorties et séminaires, mais aussi la présence, parmi les étudiants, de professionnels liés aux affaires stratégiques, Sciences Po Aix mène une politique active de consolidation du lien Armée-Nation au sein du monde universitaire.

VISITES (base navale de Toulon/Ecole de l’Air)

Septembre : visite de la base navale de Toulon

La première sortie des élèves du master s’est déroulée en septembre, à la base navale de Toulon. La visite, organisée par le capitaine de frégate (R) Barthélemy (chargé des relations avec l’Enseignement Supérieur auprès du capitaine de vaisseau Paillat, Commandant la Marine à Marseille) a débuté par le Conservatoire de la Tenue, abritant de nombreux uniformes et instruments historiques de la Marine nationale. Les étudiants ont pu y découvrir les différentes tenues de plongée de l’histoire, les équipements de protection des personnels de la Marine, des impacts balistiques sur les différents types de casques ou gilets pare-balles, mais aussi des objets plus insolites, comme les sous-vêtements de marins de l’époque coloniale ou la vaisselle du commandant de navire, représentant de la France à l’étranger.

La journée s’est poursuivie par la visite de différents bâtiments, notamment le pétrolier-ravitailleur Meuse et le porte-avions Charles de Gaulle, en pleins préparatifs d’appareillage. Une ancienne élève du master, actuellement officier chef de quart sur la Meuse, a reçu les étudiants et leur a présenté la difficile opération de ravitaillement en mer. Le porte-avions Charles de Gaulle a finalement clos la journée en beauté. Reçus par un officier du commissariat de la Marine à bord du porte-avions, les étudiants ont eu la chance d’avoir une visite commentée, extrêmement enrichissante.

Cette expérience a permis aux étudiants d’établir un contact proche avec la Marine, obtenant plusieurs témoignages de marins et d’explications des missions et des matériels de la « Royale ». Ce type de sortie, très apprécié des étudiants, leur donne la chance de pouvoir avoir une vision réelle des enseignements théoriques dispensés dans le master.

Novembre : visite de l’Ecole de l’Air (Salon de Provence) 

Seconde sortie pour les étudiants du master, la visite de cette prestigieuse école a tellement plu qu’elle a suscité des vocations. Organisée par la capitaine Lecoq, officier d’armée de l’Air et également étudiants du master, la visite a fait l’objet d’un compte-rendu sur le blog. Voir : « Le Master II en visite à l’Ecole de l’Air ».

CONFÉRENCES

Un nombre important de conférences abordant des sujets de défense se tient à l’IEP tout au long de l’année. Un compte-rendu en est systématiquement présenté sur ce blog. Pour donner un exemple de conférence récente, réunissant des professionnels de la matière, une conférence sur la situation au Sahel s’est tenue en janvier dernier.

SÉMINAIRE IHEDN

Chaque année, l’IEP est présent au séminaire « master II Défense » organisé par l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Se déroulant sur une semaine, le séminaire permet aux participants d’assister à un nombre important de conférences traitant de la plupart des thèmes majeurs de la Défense. De la guerre de l’information au rôle de la France au sein de l’OTAN, incluant le fonctionnement des ministères de la Défense et des Affaires étrangères, avec une présentation des différents services, le programme du séminaire est très enrichissant. Il l’est d’autant plus que les conférenciers sont eux-mêmes des professionnels traitant des sujets qu’ils abordent.

Le séminaire se clôt par la présentation de compte-rendu des travaux de comités. Fortement en lien ave l’actualité, les trois thèmes abordés cette année, dans le séminaire de janvier 2013, était :

-       La politique du gouvernement à adopter face au déploiement des journalistes au Mali

-       Les différents scénarios d’évolution de la crise au Mali

-       L’état des lieux de la construction d’un Etat en Somalie

La France en voie d’ « afghanisation » au Mali?

12 Feb

Article publié dans la revue en ligne américaine, Huffington Post, édition française du 12 février 2012

 

            Deux tentatives d’attentats-suicides à Gao, les 8 et 10 février 2013, et une première guérilla urbaine, où des militaires français ont prêté main forte aux soldats maliens, font craindre un enlisement de la France au Mali. Faut-il pour autant évoquer une « afghanisation » du conflit ? Si des points de comparaison peuvent être faits entre les deux situations impliquant un effectif comparable, environ 4 000 hommes, de notables différences sont à souligner.

 

            La France accusée de néocolonialisme ?

            A écouter la propagande islamiste relayée par des Etats islamistes, tels la Tunisie ou l’Egypte, la France intervient au Mali au nom de la Françafrique et pour défendre ses intérêts. Presque sur le modèle des Américains ouvrant le feu en octobre 2001 en Afghanistan, sans mandat de l’ONU, par vengeance des attentats du 11 septembre. En Afghanistan, les Etats-Unis, avant mission de l’ONU de décembre 2001 créant la FIAS (Force d’intervention, d’assistance et de sécurité), agissent seuls, avec l’appui de leur allié britannique, en octobre-novembre 2001, contre un Etat, l’Emirat islamique d’Afghanistan, abritant une organisation terroriste, Al-Qaida. En revanche, la France intervient au Mali à la demande expresse de son président par intérim, Diacouna Traoré, le 10 janvier 2013 : après la prise de Mopti la route de Bamako était ouverte. Et ce, en fonction de l’article 51 de la Charte des Nations unies de demande d’aide à un pays tiers, comme la France l’avait déjà fait pour le Zaïre, en 1978, lors de l’affaire de Kolwezi. Certes, on peut rétorquer que dans le « triangle des Bermudes » minéral et énergétique de l’immense Sahara, Paris veut éviter un effet domino mettant en péril avant tout le Niger et ses mines d’uranium. Mais intervenir au Mali, un des pays les plus pauvres de l’Afrique centrale, c’est enfin mettre un terme à la grave menace d’une « zone grise » où l’islamo-fascisme-mafieux grossit en foyer contagieux du terrorisme. La France intervient dans le cadre de la légalité internationale. Elle pourrait cependant se résumer à « Armons-nous et partez ! » de la part des Etats-Unis et de la non-personne européenne, ravis de trouver un champion aux forces prépositionnées en Afrique.

            En effet, dans ses résolutions 2056 du 5 juillet 2012 et 2071 du 12 octobre suivant l’ONU constatait déjà les graves menaces contre la sécurité et la stabilité des Etats de la région du Sahel que faisaient peser l’Aqmi et les groupes Ansar Ed-Dine et du MUJAO (Mouvement pour l’unicité du jihad de l’Afrique de l’Ouest). La résolution 2085, du 20 octobre 2012 prévoyait des sanctions contre les groupes terroristes et précisait que « le temps presse, sur la population du Mali tout entier et la stabilité du Sahel, de l’Afrique en général et de la communauté internationale dans son ensemble ». Le point essentiel de cette résolution, appliquée par les forces françaises à compter du 11 janvier, est une injonction à la communauté internationale d’« aider les autorités maliennes à reprendre les zones du nord de leur territoire ».

 

            Un théâtre d’opérations identique ?

 Comparer le Mali et l’Afghanistan concerne l’isolement continental de deux pays dépourvus de port maritime. Mais, l’immensité saharienne, 4 300 000 km2 pour l’ancien domaine colonial français, n’a que peu de rapport avec le  652 000 km2 de l’Afghanistan. Au Nord Mali, ce n’est pas la guerre pour quelques kilomètres à contrôler sur la route Tagab-Nijrab en Kapisa, mais la guerre aux 100 kilomètres. 40% du territoire afghan sont à plus de 1 500 m d’altitude. En comparaison, le Nord-Malia n’a que des « montagnettes ». Toutefois, elles offrent, comme pour la zone tribale au Pakistan ou le massif de Tora-Bora en Afghanistan, une multitude de caches, ravins, grottes et même tunnels creusés par les islamistes pour y entreposer des armes. Le climat désertique (sud de l’Afghanistan) offre quelques points de similitude qui mettent le matériel à rude épreuve, sachant que dans le cas de l’intervention au Mali ce sont des blindés à bout de souffle (certains Sagaie et VAB (véhicule de l’avant-blindé) ont deux ou trois fois l’âge de leur conducteur). Au Mali, le très rude hiver afghan est remplacé par un ennemi sournois qui empêche les grandes chevauchées, la saison des pluies à compter de juin. Un des attendus de l’intervention française est bien d’ordre climatique, avant que les satellites d’observation et les quelques drones (il resterait seulement deux Harphang en état de marche après l’Afghanistan !) soient fortement gênés par la couverture nuageuse.

            Si l’obstacle du relief est prégnant au Mali dans ses parties septentrionales, il ne constitue point un obstacle ailleurs, ou, comme lors des multiples interventions françaises au Tchad, notamment en 1969-1972 qui constitue un modèle de contre-guérilla victorieuse, les colonnes blindées françaises peuvent intervenir, sous couvert des aéronefs, comme des escadres en plein désert. La vulnérabilité de l’adversaire qui s’est « gavé » de matériels lourds en pillant les arsenaux libyens s’en trouve accrue. D’où sa propension à fuir à l’aide de pick-up lourdement chargés vers ses refuges de l’Adrar, ou à tout tenter pour maintenir l’insécurité par la guérilla urbaine en refusant le combat frontal.

 

            Une même guérilla ?

            Les erreurs  initiales commises par les islamistes sont multiples. Tout d’abord, comme les taliban en 2001 disposant du matériel laissé par le régime Najibullah et les Soviétiques, les islamistes ont tenté une guerre classique en fonçant sur Mopti et Konna. Mais ce conflit symétrique, qu’ils pensaient emporter face aux faibles forces maliennes, tourne rapidement à leur désavantage dès l’intervention française. On bascule alors dans un conflit asymétrique opposant une force régulière, aux puissants moyens, à des adversaires pratiquant le harcèlement et l’embuscade.

            La deuxième erreur a été de croire qu’ils pouvaient agir en toute impunité dans les régions qu’ils avaient conquises. Comme les taliban au temps du cauchemar (surtout pour les femmes) de l’Emirat islamique d’Afghanistan de septembre 1996 à octobre 2001, en instaurant la charia, ils se sont coupés de la population malienne, par ailleurs choquée de voir Tombouctou, la ville des 333 saints de l’Islam, saccagée. En fait, les islamistes, hors membres du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), sont des étrangers, comme les djihadistes l’étaient en Afghanistan. Ils ne peuvent agir « comme des poissons dans l’eau », parce que la population les subi. Elle n’a pas de sympathie pour ces « fous de Dieu » liés à toutes sortes de trafics (otages, héroïne, armes…). En outre, ils apparaissent comme une injure au vieil islam tolérant malien. Les mafieux d’Aqmi et consorts ignorent l’âme malienne. Ce peuple divers, pauvre et accueillant, par ses musiciens mandingue ou les statuettes en bronze des Dogon, a une culture à la fois millénaire et fortement ancrée dans la modernité.

            L’erreur la plus flagrante a été de croire qu’ils disposaient, comme les taliban au Pakistan, d’une profondeur stratégique. Certes, dans l’immensité saharienne, bien des groupes pourront longtemps jouer aux gendarmes et aux voleurs, mais le succès de l’offensive française, épaulée par des Tchadiens et des guides touaregs vers Kidal et Tessalit (prise le 8 février), s’explique par le fait que les islamistes ne peuvent plus disposer aussi aisément de l’arrière-cour, immense, du Sahara algérien. La frontière de 1 400 km est partiellement contrôlée par l’armée algérienne. On peut remercier le borgne le plus célèbre des islamo-mafieux, le dissident de l’Aqmi, Moktar ben Moktar d’avoir attaqué le site gazier d’In Amenas, les 16 et 19 janvier 2013 (plus le 27 janvier, dans la région de Bouira, à 125 km au sud-est d’Alger, attaque d’un gazoduc par un autre groupe islamique). Malheureusement pour les otages occidentaux liquidés froidement par les islamistes, cette attaque a eu le mérite de précipiter l’Algérie dans la guerre. Un peu sur le modèle du Pakistan, l’Algérie jouait un double jeu jusqu’au drame d’In Amenas : autorisation de survol de son espace aérien pour les avions français, mais aide logistique aux groupes qu’elle avait aidés à former, Ansar ed-Dine et le MUJAO. C’est le propre de la politique du pire. Tout autant que le Mali, l’Algérie n’a aucun intérêt à ce que les 5 000 000 de Touareg du Sahara se fédèrent. Tamanrasset, au cœur du Hoggar algérien, est un de leurs sanctuaires. De sorte que les aspirations du peuple touareg, encouragées par la création, le 2 juillet 2011, du Sud Soudan, preuve que l’on pouvait remettre en cause de frontières issues de la colonisation, se sont vues confisquées dès lors qu’en 2012 le MNLA a eu le dessous à Kidal, Gao et Tombouctou face aux groupes islamistes. Mieux valait pour Alger, Aqmi et consorts plutôt qu’un seul front touareg remettant en question le pactole tiré des hydrocarbures sahariens…

            Enfin, sans disposer de l’aura d’une longue résistance au nom de l’intégrité d’une nation qui ne se pense comme telle que devant un envahisseur sur le modèle afghan, les islamistes ont tenté de faire croire qu’ils agissaient dans l’intérêt des Touareg. Cette question est complexe, les Touareg ne sont pas seuls au Sahara, comme les Songhaï du Mali. Rêvent-ils nécessairement d’un Etat comme le souhaite une partie du MNLA ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une autonomie (solution d’un Etat fédéral malien ?)ou une reconnaissance et de leur culture et des injustices dont ils ont souvent été victimes, notamment au Mali (guérilla de 1963 à 1991). Et ce, afin de profiter, eux aussi, des promesses de développement fondé sur les richesses encore inexploitées du Nord-Mali ? Si les taliban peuvent revendiquer un combat ethnique fondé sur l’identité pachtoune des deux côtés de la frontière afghano-pakistanaise, il n’en est pas de même au Sahara tant la situation est complexe. De plus, les Touareg du Niger ne sont pas ceux de l’Adrar…

 

            Vers un enlisement à l’afghane ?

            Battus en rase campagne, lâchés par une partie des Touareg qu’ils pensaient acquis à leur cause totalitaire, les islamistes en fuite face à la poursuite rayonnante de type napoléonien pratiqués par les aéronefs et les colonnes françaises, n’ont, pour l’heure, que l’arme de la guérilla urbaine. Ils se servent de ce qui était prévisible : les mines. Lors de la prise de l’aéroport de Tombouctou, les paras du 2e REP trouvent dans la tour de contrôle 90 kg d’explosifs reliés, sorte d’EEI (engin explosif improvisé) évoquant l’Afghanistan et ses douloureux souvenirs (plus de 70% des pertes de la coalition). On savait qu’autour de Gao les islamistes avaient déjà miné des pistes. Preuve en a été faite dès les premières victimes civiles à compter de la première semaine de février. Servant d’écoles du terrorisme, Al-Qaida et l’Aqmi ont formé nombre d’artificiers dans les camps de la Somalie à la Mauritanie. En disposant de la « caverne d’Ali Baba », l’arsenal de Kadhafi, ouverte en 2011, les islamistes ont sans doute des réserves importantes. Au retour d’Afghanistan, il est fort probable que les sapeurs-démineurs français retrouvent le plein emploi au Mali, même si, selon le vœu de Laurent Fabius, le plus rapidement possible, les contingents africains de la MISMA (Mission africaine de soutien au Mali) doivent prendre le relais.

            Les islamistes cherchent le pourrissement, qu’un « dommage collatéral » français dû à un tir touchant aussi des civils condamne l’intervention et force les Français à s’isoler. D’où l’utilisation d’une dernière arme imitée des exemples afghan et pakistanais : les attentats-suicide. On comprend mieux, dès lors, la hâte des Français à détruire le plus vite possible les camps d’entraînement. Or cette menace devenue réalité profite des très faibles effectifs engagés et de la pénurie d’effectifs et de matériels des Maliens et des contingents africains (hormis les 2 000 Tchadiens, passés maîtres dans la guerre du désert). On bute à ce propos sur le même obstacle qu’en Afghanistan, pour « sécuriser » le terrain, le quadriller, il faut des hommes. Sur les 1 400 km où ils se sont déployés, les lignes d’étape des Français sont à présent vulnérables et la guerre risque de durer…

 Jean-Charles Jauffret, professeur des Universités et titulaire de la chaire « Histoire militaire » à Sciences Po Aix

Mali : moment crucial

11 Feb

Retrouvez le dernier billet de Walter Bruyère-Ostells à la Une du Huffington Post :  http://www.huffingtonpost.fr/../../walter bruyeres ostells/attentats-guerre-mali_b_2660303.html

Quel bilan pour la politique de la « main tendue » envers la Russie en ce début de second mandat de Barack Obama ?

10 Feb

Le 22 janvier 2013, Barack Obama prêtait serment à Washington pour un second mandat à la présidence des Etats-Unis, une occasion de revenir sur le bilan et les perspectives de sa politique de la « main tendue » envers la Fédération de Russie.

 

La politique de la « main tendue » : échec de la stratégie d’Obama ?

            Lors de sa première rencontre avec son homologue russe Sergueï Lavrov à Genève le 6 mars 2009, la secrétaire d’Etat américaine Hilary Clinton avait apporté un bouton rouge sur lequel tous deux avaient appuyé symboliquement devant l’œil attentif des photographes et des caméras en guise de « reset » des relations bilatérale entre les deux puissances. Cette remise à zéro des compteurs ou encore ce « great bargain » s’inscrivait dans la ligne directe de la nouvelle politique étrangère de l’administration démocrate, à savoir l’insistance sur un multilatéralisme partenarial. L’objet central de ce nouveau départ serait de faire accepter à la Fédération de Russie le très controversé projet américain de bouclier anti-missile en Europe centrale. D’abord mis en pause par Barack Obama, l’idée d’un projet commun sembla susciter l’optimisme des deux parties lors du sommet de l’OTAN à Lisbonne les 19 et 20 novembre 2010.

            Sauf qu’aujourd’hui, plus de deux ans après, les discussions sont au point mort, sonnant ainsi l’échec du redémarrage prôné par Barack Obama. D’une part, les deux pays ne sont jamais parvenus à s’accorder sur une architecture concrète en raison des réticences américaines à partager certaines informations D’autre part, bien qu’il soit évident que ce projet vise d’abord à se parer contre la menace iranienne, les Etats-Unis se refusent toujours à garantir que le futur bouclier ne sera pas dirigé contre le potentiel nucléaire russe. Ainsi c’est en plein quiproquo et dans un climat de crispations que l’OTAN, par l’entremise de son secrétaire général Anders Fogh Rasmussen, annonçait le 21 mai 2012 lors du sommet de l’OTAN à Chicago, que la phase initiale du déploiement du bouclier était terminée. En signe de protestation, la Fédération de Russie s’était faite remarquer par l’absence de ses hauts responsables. En effet, d’ici à 2020, trois autres phases devraient se succéder afin de terminer l’installation d’un projet dont les coûts ont déjà largement dépassé les prévisions. L’architecture finale prévoit l’installation d’un puissant radar en bande-X en Anatolie turque, des missiles SM-3 déployés sur des frégates grâce au système Aegis ainsi que d’intercepteurs basés en Pologne et en Roumanie, le tout étant piloté depuis la base de Ramstein en Allemagne.

            Les dirigeants de la Fédération de Russie ont donc trouvé l’occasion de renouer avec une rhétorique maintenant bien connue des dirigeants occidentaux. Ils se disent toujours ouverts au dialogue et à la coopération. En témoignent le maintien des exercices conjoints en matière de lutte contre le terrorisme et de transports aériens qui auront lieu durant le second semestre de 2013. En revanche, en ce qui concerne le bouclier anti-missile, ils conditionnent ce dialogue à des conditions intangibles (partage d’informations accru et garantie pour sa force de dissuasion nucléaire). Cette cristallisation des rapports s’en trouve exacerbée puisque, pour montrer sa détermination, le Kremlin n’hésite pas à renouer avec ses pratiques classiques en menaçant en mai 2012 d’installer des missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. Les crispations sont également alimentées par d’autres dossiers sensibles tels que celui de la crise syrienne. Alors que, pour protéger l’intégrité des frontières turques, l’OTAN a déployé des batteries de missiles Patriot, la Fédération de Russie s’est inquiétée d’un « entreposage d’armements » dans une zone qui flirte avec son « étranger proche » pour reprendre les propos tenus par Sergueï Lavrov le 5 décembre 2012.

Faut-il y voir le succès de la politique d’indépendance stratégique russe ?

            Dans ce contexte, la diplomatie américaine a tout à perdre dans ses relations bilatérales avec la Fédération de Russie. Rappelons à cet égard que l’application du nouveau traité START a été conditionnée par le Moscou à un accord sur le dossier du bouclier anti-missile. De même, l’annonce faite par le Kremlin à la Maison Blanche pour ce qui est du refus de prolonger le programme américain de désarmement Nunn-Lugar initié en 1991, montre bien l’état de la situation. Ce programme CTR qui porte le nom des deux sénateurs américains à l’origine de l’initiative consistait à gérer l’implosion de l’URSS en s’efforçant, grâce à des dollars américains, de reconvertir les industries militaires russes, de protéger les technologies sensibles. Il vise également à assurer la surveillance et la destruction des armements nucléaires et chimiques dans les pays de l’ex-URSS. La relance proposée par Barack Obama le 4 décembre 2012 est restée sans effet puisque quelques jours plus tard le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, maintenait que « cet accord ne nous convient pas, à fortiori si l’on tient compte du fait que la situation a changé en Russie, que nos capacités financières se sont nettement renforcées ».

            L’intransigeance sur la question du nucléaire en générale et du bouclier anti-missile en particulier traduit indubitablement l’ambition russe de conserver son indépendance. Ce qu’elle recherche, et ses dirigeants ne font que le répéter, c’est l’assurance que le bouclier sera inefficace contre sa force de dissuasion. Pour ce faire et en prévision du déploiement d’un bouclier auquel la Fédération de Russie ne participerait pas, les stratèges russes s’affèrent déjà à la restauration de trains-lanceurs de missiles d’ici les années 2018-2020, période à laquelle le bouclier anti-missile otanien devrait être opérationnel. De telles plateformes ferroviaires de lancement offrent en effet un moyen de rendre plus difficile la détection d’un tir de missile balistique nucléaire (modèle Boulava). De la même manière, le dossier du radar de Gabala au Kazakhstan, que la Fédération de Russie continuait de louer depuis l’accord de 2002 et qui a expiré en décembre 2012, est une preuve supplémentaire de la quête d’indépendance stratégique de la Fédération de Russie. Coup de bluff pour abaisser les exigences pharaoniques en terme de prix des dirigeants kazakhs ou ambition réelle, en tout cas la Fédération de Russie se permet aujourd’hui d’envisager de se passer d’un radar qui fut jusqu’à présent un des éléments clés de sa défense anti-missile.

            En fait, grâce à la manne pétrolière et gazière, Moscou a pu relancer un vaste programme de modernisation de ses armées. A la fin du mois d’août 2012, le président Vladimir Poutine confirmait un effort d’environ 600 milliards de dollars sur dix ans. Il s’inscrit lui aussi dans la conduite d’une politique stratégique d’indépendance. Grâce à sa récente adhésion à l’OMC qui n’aurait pu être actée sans la bonne volonté des Etats-Unis (abrogation de l’amendement Jackson-Vanick), la Fédération de Russie peut désormais faire entendre sa voix et faire valoir ses intérêts au sein d’une institution internationale qui incarne mieux que toute autre l’économie mondialisée.

            Enfin, diplomatiquement, la Fédération de Russie a donné la preuve que les Etats-Unis n’avaient plus grand chose à attendre d’elle dans ce contexte. En Syrie, par crainte d’un effet domino, en souvenir de la blessure tchétchène et de la pilule amère de l’indépendance du Kosovo, la Russie préserve sa neutralité et protège surtout ses intérêts. Car ce sont bien ses intérêts militaires et son débouché en Méditerranée qu’elle cherche à préserver.

            Ainsi, en tendant la main, Barack Obama a donné les clefs qui manquaient à la Fédération de Russie pour impulser un renouveau géopolitique. C’est pourquoi il faudra de plus en plus compter sur la pleine résurgence de l’orgueil russe sur la scène des relations internationales. La revanche sur le traumatisme de l’effondrement de l’URSS est en passe d’être obtenue.

Benjamin Bord, diplômé du Master II en 2012 et auteur de  Du Bouclier antimissile aux nouvelles relations américano-russes (2000-2011), Paris, L’Harmattan, 2012, 208 p.

Al-QAÏDA ETAT DES LIEUX (3) : Al-Qaïda et les Printemps arabes

7 Feb

Troisième et dernière partie de cet état des lieux dressé par Romains Sens, diplômé du Master II en 2012 :

Avec le suicide de Mohamed Bouazizi, en Tunisie, le 17 décembre 2010, s’est déclenché un vaste mouvement de révolte dans de nombreux pays du monde arabe auquel on a donné le nom de Printemps arabes. La principale conséquence de ces révolutions a été le départ de quatre dictateurs arabes avec la fuite de Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie, l’abandon du pouvoir par Ali Abdallah Saleh au Yémen, l’arrestation de Hosni Moubarak en Egypte et la mort de Mouammar Kadhafi en Libye. En parallèle, a éclatée une guerre civile en Syrie au sein de laquelle les opposants majoritairement sunnites cherchent à renverser le pouvoir du régime alaouite de Bachar Al-Assad. La Tunisie et l’Egypte ont connu pour leur part des révolutions populaires rapides rassemblant la très grande majorité de la population contre le régime en place. Emblématiques des Printemps arabes, elles ont laissé place à des élections réellement démocratiques (au sens ou une majorité des citoyens a pu choisir librement ses dirigeants lors d’un scrutin au suffrage universel) dont le principal enseignement a été la prise de pouvoir de façon incontestable et légale des islamistes issus de la mouvance des Frères Musulmans. Ennahda en Tunisie et le parti Droit et Justice en Egypte sont en effet directement issus de la confrérie religieuse et respectent  la doctrine édictée par Sayyid Qotb. Contrairement aux salafistes djihadistes, ces « islamistes modérés » choisissent la voie de la démocratie, de la séduction populaire par un activisme social à caractère religieux et in fine de la mise en place progressive des préceptes de la Charia de façon constitutionnelle. Cette manière « douce » de prise du pouvoir islamiste est actuellement en train de se réaliser dans ces pays et les Frères Musulmans s’engouffrent avec succès dans les brèches démocratiques ouvertes dans les régimes autoritaires encore en place comme au Maroc.

La stratégie d’Al-Qaïda, son discours radical et sa méthode violente de prise du pouvoir par la seule voie des armes et l’application de la Charia non pas du fait d’une consultation populaire mais de la seule volonté de Dieu, est antagoniste de celle des Frères musulmans. Les succès de ces derniers ont conduit  beaucoup d’observateurs à estimer qu’Al-Qaïda allait perdre beaucoup d’influence sur la jeunesse pauvre des pays arabes : à ce jour, rien ne permet de conforter cette hypothèse. Même sans être forcément lié à Al-Qaïda, l’islamisme radical principalement salafiste reste en plein essor dans nombre de ces pays. Et la bannière d’Al-Qaïda (le drapeau noir frappé de la Chahâda) est toujours brandie dans la plupart des pays qui ont connu ces révolutions.

 

Yémen, Tunisie, Egypte

Au Yémen, AQPA était déjà présente avant la révolution qui a mis fin au pouvoir d’Ali Abdallah Saleh. Cependant, elle réussit à exploiter militairement l’instabilité causée par les manifestations qui paralysent Sanaa et le pouvoir central. Sur la défensive actuellement elle persiste à mener une campagne d’attentats terroristes visant les forces de sécurité comme les infrastructures pétrolières du pays.

En Tunisie, pays dans lequel l’islamisme radical et le djihadisme étaient inexistants sous le régime de Ben Ali (hormis lors de l’attentat contre la synagogue de Djerba en 2002), l’arrivée au pouvoir d’Ennahda a permis de changer la donne. Le salafisme violent a subitement émergé s’en prenant aux institutions, aux forces de sécurité et plus globalement à tous ceux accusés de ne pas respecter les préceptes du Coran. Cette opposition violente au régime « islamiste modéré » a connu son acmé lors de l’attaque de l’ambassade américaine à Tunis le 14 septembre 2012 par des membres du groupe salafiste Ansar ach’ Charia (dont le leader est actuellement en fuite). Plus récemment, des signes d’une infiltration de combattants djihadistes venus de Libye pour déstabiliser une Tunisie déjà très éruptive sont apparus. A plusieurs reprises des combats survenus entre forces de sécurité et groupes djihadistes arrêtés avec d’importants stocks d’armes et de munitions dans le sud du pays ont montré que la Tunisie restait une cible pour le djihad. Cependant le nouveau régime arrive pour le moment à maintenir un ordre relatif sur son territoire.

En Egypte, berceau des Frères Musulmans et pays de Sayyid Qutb (mais aussi du chef d’Al Qaïda, Ayman Al-Zawahiri), la confrérie islamiste a conquis le pouvoir démocratiquement lors des dernières consultations populaires même si son pouvoir reste très contesté par les opposants libéraux qui avaient largement contribué à la chute de Moubarak. Comme en Tunisie, les « islamistes modérés » au pouvoir sont concurrencés dans les urnes et dans la rue par la mouvance salafiste. Les excès de celle-ci permettent aux Frères Musulmans de renforcer l’islamisation de la société sans susciter l’opprobre et leur assure un statut de garant de la stabilité face au « chaos salafiste ».

Si Al-Qaïda n’a jamais été présent en force sur le sol égyptien du temps de l’ancien régime malgré plusieurs attentats visant les touristes occidentaux, des groupes djihadistes affiliés à la nébuleuse terroriste tentent de s’infiltrer parmi les tribus de bédouins du Sinaï pour s’en prendre directement à Israël. Déjà en août 2011 des djihadistes venus du Sinaï avaient pénétré en Israël et tendu une embuscade tuant 8 israéliens dont un soldat et un policier. Un an plus tard en août 2012, un groupe similaire s’empare du poste frontière égyptien de Rafah tuant 16 policiers égyptiens, puis prend possession de deux véhicules blindés et attaque la frontière israélienne. Israël décime la totalité du groupe par un bombardement aérien. Israël entreprend la construction d’une nouvelle clôture de sécurité à sa frontière avec le Sinaï et demande à l’Etat égyptien de prendre des mesures. Celui-ci envoie alors de nombreuses forces militaires équipées de chars lourds et d’hélicoptères de combat affronter les djihadistes dans le Sinaï, notamment dans la ville d’El Arich.  Les djihadistes sont actuellement en fuite dans la région.

 

L’utilisation des djihadistes en Libye.

En Libye, la guerre civile de 2011 qui prit fin avec la mort du colonel Kadhafi a vu de nombreux groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda revenir sur le devant de la scène libyenne de laquelle ils avaient disparu  sous l’ancien régime. Le plus frappant est que nombre d’entre eux ont été directement soutenus par les Etats-Unis pour contribuer à la chute de Kadhafi. L’exemple le plus emblématique est le cas d’Abdelhakim Belhadj. Ce djihadiste libyen, vétéran de la guerre contre les soviétiques en Afghanistan a ensuite combattu directement les forces américaines dans les rangs d’Al-Qaïda aux côtés d’Abou Moussab Al-Zarkaoui en Irak. Arrêté ensuite par la CIA en Malaisie, il est livré aux renseignements libyens qui le relâchent en 2009 lors d’une amnistie générale. Dès le début de l’insurrection contre Kadhafi, il rejoint le Qatar où il sera appelé  à prendre le commandement de la « brigade du 17 février » sur le front libyen.  Cette brigade, armée et formée par la France et les Emirats Arabes Unis, devient l’une des plus performantes au combat contre l’armée libyenne. Du 20 au 28 août 2011, elle s’empare des principaux lieux de pouvoir à Tripoli et met en fuite le dictateur. Son efficacité militaire au combat lui donne une place de choix sur la scène politico-militaire post-régime. Abelhakim Belhadj, authentique djihadiste et vétéran d’Al-Qaïda, devient alors gouverneur militaire de Tripoli.

Outre le fait que l’islamisme politique n’a pas connu la même victoire dans les urnes qu’en Tunisie ou en Egypte et que les arsenaux de Kadhafi ont été pillés par de multiples bandes armées qui essaiment notamment dans la région du Sahel, la Libye peut inquiéter à plus d’un titre. Si Al-Qaïda en tant que telle n’est pour le moment pas présente en Libye, plusieurs groupes armés se revendiquant du djihad mondial montent en puissance, profitant de l’instabilité chronique que connaît le pays. La ville de Benghazi notamment, cité qui a été sauvée in extremis par les bombardiers français d’un massacre annoncé par Kadhafi, est en train de devenir un lieu de regroupement de tous les djihadistes de la région. Déjà l’assaut mené par des terroristes islamistes sur le consulat américain de Benghazi le 11 septembre 2012 (mort de l’ambassadeur américain et de trois de ses gardes du corps ainsi que l’incendie du bâtiment) était révélateur de l’importance que le djihadisme anti-américain d’Al-Qaïda prenait dans la région. Mais la situation n’a cessé de se dégrader depuis et les bâtiments officiels comme les policiers ou militaires libyens sont constamment attaqués lors d’embuscades par ces mêmes groupes djihadistes. Le danger est devenu tel que Londres et Paris (pourtant les principaux « sauveurs » de la ville) demandent à leurs ressortissants d’éviter la ville. Il apparaît donc de plus en plus que la Libye et Benghazi sont en voie de « sanctuarisation » pour la nébuleuse djihadiste (Ansar el-Charia par exemple).

 

La montée en puissance du Jahbat Al-Nusra dans la guerre civile syrienne

Dernière en date des Printemps arabes, la révolution en Syrie s’est transformée en une sanglante guerre civile dont l’ONU estime qu’elle a pu faire au minimum 60 000 morts. D’un mouvement de protestation pacifique et populaire en mars 2011 elle est devenue une guerre civile et une guérilla sur l’ensemble du territoire syrien. Le régime est opposé à une contestation des sunnites qui constituent le groupe majoritaire en Syrie. Il  bénéficie du soutien des minorités alaouites, chrétiennes, druzes et sur une neutralité des Kurdes auxquels il a abandonné le Kurdistan syrien (toutefois certains membres des minorités sont hostiles au régime tandis que certains sunnites, notamment issus de la bourgeoisie, souhaitent le maintien du régime par souci de stabilité).

Lorsque la contestation est devenue rébellion et s’est militarisée, la plupart des rebelles étaient des déserteurs ou des civils qui rejoignaient l’Armée Syrienne Libre, dirigée par Rifaat Al-Assad. Elle bénéficie du soutien du Conseil National Syrien. Cette instance représentative de l’opposition au sein de laquelle les Frères Musulmans syriens sont majoritaires est reconnue par nombre de puissances étrangères (notamment la France) comme seul gouvernement légitime de Syrie. Au long de près de deux années de combats, l’ASL a semblé très peu centralisée et divisée, n’assurant pas ou peu de coordination entre ses différentes brigades et surtout laissant ses membres s’adonner au pillage chez des civils déjà appauvris par la guerre. De plus, nombre des brigades autonomes de l’ASL se sont révélées être guidées par un islamisme radical, proche du salafisme, comme les combattants de la meilleure brigade de l’ASL, la brigade Al Tawhid qui combat dans la région d’Alep. En fait, l’ASL ne dispose pas d’armements performants, ses combattants sont indisciplinés et peu aguerris. La ville de Homs, dont l’ASL avait fait la « capitale de la révolution », a été presque totalement reprise par le régime et l’ASL ne détient plus que quelques quartiers.

Les faiblesses de l’ASL contribuent à expliquer l’émergence d’une nouvelle force militaire, alimentée depuis l’étrangers par l’afflux de djihadistes. Ironie de l’histoire, alors que Bachar Al-Assad avait ouvert ses frontières aux djihadistes d’Al-Qaïda pour aller combattre les troupes américaines en Irak, c’est désormais d’Irak que sont venus de nombreux combattants de l’Etat Islamique d’Irak en franchissant la frontière syrienne dans le sens inverse. Ces vétérans du djihad, possédant une expérience d’une décennie de combats contre la plus puissante armée du monde, ont vu dans le chaos syrien une opportunité de remporter enfin des victoires militaires tactiques sur une armée syrienne affaiblie. Recrutant les nombreux « mercenaires du djihad » venus faire le coup de feu en Syrie et qui s’entraînaient au combat en 2011, ils ont formé à la fin de l’année 2011, un groupe militaire combattant sur le front tout en pratiquant le terrorisme et dont les objectifs sont purement religieux.

Ils officialisent ce groupe sur internet début janvier 2012 en lui donnant le nom de Jabhat Al-Nusra (Front de la Victoire). Leur chef est un syrien dont le nom de guerre est Abou Mohammad Al-Jolani. Son véritable nom serait en fait Souleyman Khaled Derwich. Il serait né dans une famille de la banlieue sud de Damas, originaire du plateau du Golan, aurait 36 ans et aurait reçu sa formation de combattant en 1999 en Afghanistan où il aurait rencontré Abou Moussab Al-Zarkaoui. Aux côtés de ce dernier il aurait combattu en Irak tout au long de l’occupation américaine pour ensuite prendre la tête du djihad en Syrie.

Le Jabhat Al-Nusra a connu une spectaculaire montée en puissance tout au long de l’année 2012. Il revendique aujourd’hui 20 000 combattants. Beaucoup sont Syriens mais de nombreux membres proviennent du monde entier, d’Irak, de Turquie, d’Afghanistan, du Pakistan, du Bangladesh, de Tchétchénie, d’Algérie, de Tunisie, de Libye, mais aussi du Canada, de Belgique et probablement d’autres pays d’Europe. Son financement proviendrait, au moins en partie, du Golfe Persique et notamment du Qatar qui n’hésite pas à subventionner les groupes combattants qui se montrent efficaces au combat.  Si ses membres avaient déjà commis des attentats-suicides et des attentats à la voiture piégée en 2011 ils ont renforcé ce mode opératoire en 2012 recréant ainsi les mêmes schémas qu’en Irak. De plus, alors qu’ils ne prenaient pas part aux combats dans un premier temps, préférant s’entrainer et se renforcer, ils ont commencé dans le courant de l’année 2012 et notamment durant les grandes offensives rebelles de l’été sur Damas et Alep à monter en première ligne sur le front. Depuis, les membres du Jahbat Al-Nusra sont systématiquement impliqués dans les combats contre l’armée syrienne. Et leur efficacité au combat semble largement dépasser celles des brigades de l’armée syrienne libre. A tel point que les djihadistes d’Al-Nusra se permettent de lancer seuls ou aux côtés d’autres groupes djihadistes  des attaques majeures sur des sites sensibles et d’y remporter des victoires tactiques comme la prise de la base aérienne de Taftanaz le 11 janvier 2013. A Alep, l’un des fronts principaux des combats en Syrie, ils sont en passe de supplanter l’ASL dans les quartiers aux mains des rebelles. Leur discipline, leur bravoure au combat et leur comportement vis-à-vis des populations les distinguent des autres rebelles. Cet ensemble assure ainsi au Jabhat Al-Nusra une popularité certaine auprès des sunnites syriens.

Cependant, leur force militaire s’accompagne d’une grande violence voire d’une cruauté particulière qui rappelle les méthodes d’Al-Zarkaoui. Ainsi Al-Nusra a pour principe de ne jamais faire de prisonniers. Tous les soldats, policiers, chabihas, agents du régime qui tombent vivants entre leurs mains sont systématiquement exécutés. De nombreuses vidéos sont diffusées par leurs soins sur internet où il est possible de les voir procéder à de multiples exécutions et décapitations de prisonniers. Dans les provinces d’Alep et d’Idleb, ils ont décrété des émirats islamiques dans lesquels ils imposent la Charia à tous les habitants (et notamment pour les femmes).

Malgré leur efficacité militaire, il est possible que leur radicalité ostentatoire leur porte préjudice le moment venu. Ils ont tout d’abord commencé à s’en prendre aux Kurdes, accusés de « jouer le jeu de Bachar » en ne le combattant pas frontalement. Depuis plusieurs semaines de féroces combats font rage à la frontière que partage la Turquie avec le Kurdistan syrien. La ville frontière kurde de Ras Al-Aïn est l’enjeu d’une lutte entre le Jahbat Al-Nusra et les combattants kurdes du PYD qui la défendent âprement. Les djihadistes démontrent qu’ils sont désormais en possession d’armes lourdes, ce qui est pour eux inédit. Il reste qu’en ouvrant un nouveau front contre les Kurdes, ils divisent leurs forces et font le jeu du régime en place.

Le régime d’ailleurs se satisfait de cette montée en puissance d’Al-Nusra qui lui permet d’asseoir sa propagande selon laquelle il se bat depuis le début contre des bandes terroristes. Ainsi, le Jahbat Al-Nusra pourraient être contre toute attente les sauveurs du régime de Bachar Al-Assad. En effet, lorsque la coalition politique du CNS affirma vouloir un changement de régime au profit de l’instauration d’une démocratie en Syrie, le Jahbat Al-Nusra et ses alliés djihadistes ont totalement rejeté une telle éventualité affirmant qu’ils se battaient pour l’édification d’un « Etat Islamique juste » ou la Charia tiendrait lieu de constitution et ou les non-sunnites n’auraient pas leur place. Face à ces revendications et aux nombreux attentats commis par le groupe, les Etats-Unis ont décidé en décembre de placer le Jahbat Al-Nusra sur la liste des organisations terroristes, l’affiliant à Al-Qaïda. Dans l’éventualité d’une défaite du régime de Bachar Al-Assad face au Jahbat Al-Nosra, ce groupe en lien avec la nébuleuse Al-Qaïda se retrouverait alors à la frontière du Golan, lui permettant enfin d’attaquer frontalement Israël. Il est possible d’envisager que les Etats-Unis mise sur un pourrissement de la situation, laissant le meilleur allié de l’Iran aux prises avec une guerre civile qui lui interdit toute attaque contre Israël. Cette situation conduit également les djihadistes d’Al-Qaïda à mourir par milliers sous les bombes du régime.

Pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, la nébuleuse Al-Qaïda  se trouve en Syrie en position de se déployer et de donner libre cours à sa violence et son fanatisme sans être opposé aux Etats-Unis, ou à l’un de leurs alliés, mais au contraire dans l’optique de combattre un ennemi de l’Amérique. La conséquence immédiate est une montée en puissance d’Al-Qaïda, un afflux significatif de djihadistes depuis le front afghan contre les Soviétiques, des effectifs d’une ampleur jamais atteinte en dehors de celle de ses alliés talibans, un armement lourd qu’elle n’avait jamais eu l’occasion de posséder auparavant et de réelles victoires tactiques au combat. Il est certain qu’elles seront mythifiées par une propagande djihadiste appelée à se développer. La nébuleuse djihadiste internationale se bat en Syrie pour un nouveau sanctuaire et rien ne permet d’écarter l’hypothèse qu’elle l’arrache.

 

Malgré la mort de son chef, la perte de son sanctuaire afghan et l’affaiblissement de sa direction centrale, Al-Qaïda a su s’adapter habilement à la « guerre totale contre le terrorisme » déclarée par les Etats-Unis le 11 septembre 2001. En se réfugiant dans les zones tribales pakistanaises, en développant un système de franchises régionales et tirant partie de la déstabilisation provoquée des révolutions arabes, la nébuleuse Al-Qaïda est parvenu à conserver son statut de principal moteur du djihad mondial et une capacité de nuisance toujours effective. Si elle s’est profondément transformée et si elle n’est plus capable d’effectuer des attentats majeurs comme la destruction du Word Trade Center, elle conserve une grande influence au sein du monde arabo-musulman. Loin d’être détruite, Al-Qaïda peut toujours se targuer de susciter une adhésion grandissante à son idéal djihadiste.

AL-QAÏDA, ETAT DES LIEUX (2) : Les franchises d’Al-Qaïda

3 Feb

De 2001 à 2013, l’Etat-major d’Al-Qaïda Central, réfugié dans les zones tribales pakistanaises et notamment au Nord-Waziristan, tout en subissant de très rudes coups (mort de Ben Laden comme de nombreux cadres de haut rang et autres spécialistes ; destruction de ses principales infrastructures d’entrainement en Afghanistan) n’a pourtant pas connu de défaite décisive entraînant la destruction totale de son noyau dur. Al-Qaïda Centrale est désormais étouffée par la pression américaine exercée dans la zone Af-Pak. Aussi, les leaders de l’organisation, pour « rebondir » sur d’autres fronts, ont fait jouer un système des « franchises » accréditant par là même le terme de « nébuleuse djihadiste » employé habituellement pour définir Al-Qaïda.

 

L’inertie des « fronts orientaux »

En regardant à l’est de l’Af-Pak, les leaders « qaïdistes » ont tentés de faire jouer leurs connections avec les djihadistes de l’Asie du Sud-Est et notamment de la Jemaah Islamyah indonésienne. Mais hormis les attentats de Bali en 2002, très peu d’actions engagées furent significatives, l’Indonésie étant loin d’être une zone grise mais au contraire un Etat toujours fort actuellement. Les islamistes armées philippins héritiers d’Abu Sayyaf sont restés embourbés dans des actions de guérilla locales rapidement contrées par l’assistance des forces spéciales américaines à l’armée philippine.

Au Pakistan, un groupe frère d’Al-Qaïda, le Lashkar-e-Taïba, a lui une réelle force de frappe et de déstabilisation éprouvée à de nombreuses reprises (le dernier exemple en date reste l’assaut contre les hôtels de Mumbaï en 2009). Mais son inconvénient est qu’il reste largement bridé et dépendant de l’Etat pakistanais lui-même qui « gère » plus ou moins les moments où il le laisse agir contre l’Inde en fonction de l’actualité géopolitique. Au nord, le « front  chinois » est pour le moment inerte, les velléités des quelques djihadistes ouïghours de libérer un grand « Turkestan » restent pour le moment inexistantes du fait de la toute puissance de l’armée chinoise au Xingiang. A plusieurs reprises au cours de la dernière décennie, des groupes djihadistes ouzbeks, tadjikes ou kirghizes ont pu faire le coup de feu dans des zones reculées de ces Etats mais ils ont très rapidement été contenus par les services de sécurités locaux plus ou moins soutenus par les Etats-Unis ou la Russie selon les circonstances (répression d’Andidjan en Ouzbékistan en 2005).

En Tchétchénie, malgré les deux guerres menées en 1996  et 2000 par l’armée russe (en éliminant les leaders Aslan Maskhadov et Chamil Bassaïev), la Russie n’a pas su totalement éradiquer la guérilla islamiste locale aux accents de plus en plus djihadistes. Mais la féroce répression du potentat local  Ramzan Kadyrov a mis fin pour le moment aux combats dans cette république autonome. Néanmoins, « l’Emirat Islamique du Caucase », nom de l’actuelle guérilla menée par Dokou Oumarov a continué à exporter les combats dans les républiques autonomes voisines, notamment au Daghestan ou les affrontements sont quasi-permanents. De nouvelles velléités djihadistes ont été annoncées en vue d’imposer la Charia dans tout le Tatarstan (l’ensemble de la région sud de la Russie européenne) mais l’action du FSB russe permet pour l’instant d’empêcher ces ambitions de se réaliser. Si des liens entre Al-Qaïda et la rébellion tchétchène ont été clairement établis (outre quelques djihadistes saoudiens venus faire de la formation au maniement d’explosifs), c’est bien davantage les combattants tchétchènes qui partent se former au combat parmi les formations d’Al-Qaïda sur d’autres fronts régionaux.

Aussi, c’est davantage vers le monde arabe et l’Afrique qu’Al-Qaïda Central a décidé de se tourner et de faire jouer à plein son système décentralisé de franchises régionales : en Irak, au Yémen, au Maghreb et en Somalie. Elle a cherché dans ces régions ce qui lui manque le plus pour se développer et prospérer en tant que véritable force militaire et politique : un nouveau sanctuaire.

 

Al-Qaïda en Irak

C’est d’abord les Etats-Unis qui vont lui en donner la possibilité, en s’attaquant à l’Irak en 2003. Tirant parti de l’absence de surveillance des frontières, du désordre causé par la chute du régime baasiste  et surtout de la frustration des Arabes sunnites irakiens face à leur perte du pouvoir, Al-Qaïda s’est implanté à partir de 2004 dans le « triangle sunnite » ralliant de nombreuses tribus et désignant à la tête de cette franchise irakienne le Jordanien Abou Moussab Al-Zarkaoui. La franchise irakienne prend alors le nom d’Etat Islamique d’Irak. Elle s’en prend aussi bien aux forces occidentales qu’au nouveau régime irakien mais également aux populations civiles chiites, kurdes tout comme aux sunnites qui soutiennent le gouvernement, ces derniers étant considérés comme des apostats. Elle réussit pendant un temps entre 2004 et 2007 à établir dans le « triangle sunnite » entre les villes de Bagdad, Ramadi et Tikrit, comprenant aussi les villes de Baqouba et de Falloujah.  La ville de Falloujah devient même entre 2004 et 2005 un véritable sanctuaire inviolable sur lequel règne Al-Zarkaoui.

Lorsque les forces américaines décident de régler le problème et prennent d’assaut la ville en novembre 2005, Al-Qaïda choisit de faire front lors d’une guerre urbaine d’un mois au cours de laquelle elle est écrasée par la puissance de feu adverse Al-Zarkaoui est tué en 2006 dans un bombardement américain et Al-Qaïda, après l’échec de Falloujah, choisit de se replier dans la région désertique d’Al-Anbar où elle pratique la guerre asymétrique et le terrorisme plutôt que de combattre à nouveau frontalement l’armée américaine. Cependant, son fanatisme, son radicalisme et sa violence extrême assortie d’attentats massifs sur des marchés bondés de civils innocents, de décapitations et de tortures ainsi que d’exécutions de familles entières accusées de collaborer avec les Américains, vont entraîner un divorce entre les tribus arabes sunnites et l’internationale djihadiste accusée de davantage faire couler le sang des musulmans que celui des Américains. Ces tribus vont alors se rallier aux forces américaines et au gouvernement irakien par la création des milices Sahwa qui vont se mettre à déloger Al-Qaïda de ses bases de repli dans les régions sunnites d’Irak (et notamment d’Al-Anbar). 

Ce retournement de situation va permettre au gouvernement irakien de reprendre le contrôle de l’ensemble du pays et aux Américains de se retirer en décembre 2011 d’un pays certes toujours en proie au terrorisme mais néanmoins relativement stabilisé. Al-Qaïda en Irak qui affirmait compter 12 000 combattants dans ses rangs en 2006 a perdu aujourd’hui beaucoup de sa puissance, la plupart de ses cadres expérimentés (son dernier chef connu, Abou Bakr al-Baghdadi a été arrêté en décembre 2012) et surtout des territoires où elle s’était établie. L’Etat Islamique d’Irak continue néanmoins à être actif dans le pays plus d’un an après le retrait américain, continuant à s’en prendre par le biais d’attentats kamikazes, de voitures piégées, de mines artisanales, d’exécutions ciblées, aux forces de sécurités irakiennes, aux membres du gouvernement, aux chiites, kurdes et autres minorités non arabes sunnites ainsi qu’aux sunnites des milices Sahwa et globalement avec tous ceux qui sont accusés d’être « les chiens des Américains » ou « des Safavides » (appellation qaïdiste pour désigner les chiites associés à l’Iran). Si la franchise irakienne d’Al-Qaïda n’a pas réussi à implanter de nouveau sanctuaire pour la nébuleuse djihadiste, elle a néanmoins réussi à établir un groupe terroriste qui reste l’un des plus actifs sur la scène du djihad mondial.

 

La péninsule arabique

Al-Qaïda a également pensé nécessaire de s’implanter dans la péninsule arabique, voisine de l’Irak, et terre d’origine de son fondateur,  pour y fonder  l’une de ses franchises régionales : Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique (AQPA). En Arabie Saoudite, les attentats commis par Al-Qaïda en en 2003 ont incité le royaume saoudien à effectuer une très importante répression du mouvement en 2004. Depuis les membres de la franchise régionale ont été conduits à quitter l’Arabie Saoudite pour s’implanter au sud, où l’Etat yéménite, bien plus faible et instable que son puissant voisin du nord avait moins de possibilités de s’opposer efficacement au groupe terroriste.

En se fondant dans la population et les tribus sunnites du sud du Yémen hostiles à l’Etat central, la franchise a pu établir de nouvelles infrastructures clandestines d’où elle préparait de nouveaux attentats de masse visant les Etats-Unis. En 2009, le Nigérian Omar Faruk Abdulmutallab avait été entraîné au Yémen avant de manquer de peu un attentat suicide sur le vol Amsterdam-Détroit. D’autres tentatives d’attentats menés par AQAP ont été évitées, mais la capacité d’action du groupe a alerté la CIA.  Al-Qaïda réussit cependant à tirer partie de la révolution qui se déclenche au Yémen à partir de janvier 2011 dans le contexte du Printemps arabe. En effet, l’armée yéménite étant elle-même divisée et la capitale, Sanaa, étant le lieu de manifestations qui tournent à la guérilla urbaine, Al-Qaïda en profite pour attaquer dans le sud du pays, notamment dans la région d’Abyan, où elle s’installe après avoir chassé les forces de sécurités. Le chef-lieu de cette province, Zinjibar (10e plus grande ville du pays) passe sous la coupe des djihadistes en mai 2011, qui y décrètent la création de l’ « Emirat d’Abyan ». Al-Qaïda retrouve ainsi un véritable sanctuaire territorial.

Elle a tenté de pousser son avantage en s’emparant de plusieurs autres régions désertiques mais est arrêtée par l’armée à 150 kilomètres de la capitale. Elle a regardé alors la ville d’Aden, proche de Zinjibar, dont l’ouverture portuaire sur la Mer Rouge lui permettrait de grandes capacités de déstabilisation géostratégique. Les Etats-Unis se sont alors alarmés de cette soudaine montée en puissance de la franchise. Washington oblige le Président Saleh à la démission pour mettre fin à la révolution, envoie de nombreux agents de la CIA et conseillers militaires pour réorganiser l’armée et donne l’ordre à cette dernière de contre-attaquer. Au printemps 2012, l’armée yéménite, avec ses  chars et son aviation, guidés par les renseignements fournis par les satellites américains et l’assistance des conseillers militaires, ainsi que par les multiples tirs de drones, attaque tous azimuts et reprend rapidement les principales régions d’implantation de l’organisation djihadiste. Zinjibar, centre névralgique du conflit et théâtre de 13 mois de combats durant lesquels l’armée yéménite lance ses assauts, tombe enfin lorsque les combattants qaïdistes évacuent la ville en juin 2012.

Depuis, l’organisation, constamment traquée et refoulée vers les régions reculées de l’est du Yémen (dans l’Hadramaout notamment) par l’armée yéménite, a perdu de sa puissance militaire. Elle est désormais retournée à un mode d’action purement terroriste où elle privilégie les attentats aux combats frontaux. Les Etats-Unis pour l’empêcher de retrouver sa force ne cessent de harceler les membres de l’organisation à coups de tirs de drones. Si le chef de la franchise régionale, le Yéménite Nasser al-Wahishi est toujours en vie à l’heure actuelle, un tir de drone a tué le numéro 2 d’AQPA, Saïd Ali al-Chehri, en décembre 2012. Malgré ses succès temporaires dus à l’instabilité du Yémen, Al-Qaïda démontre une nouvelle fois que lorsqu’elle est confrontée à une armée régulière constituée et soutenue par les Etats-Unis, elle ne peut remporter de combat frontal  et tenir un sanctuaire territorial dans la durée.

 

La Corne de l’Afrique

Plus à l’ouest, en Somalie, Al Qaïda s’est décidé à tenter de tirer profit de la faillite de l’Etat depuis 1991. En juin 2006, de la confusion des combats entre factions, émerge l’Union des Tribunaux Islamiques (salafistes djihadistes revendiqués) qui prend le pouvoir à Mogadiscio et sur la plupart du territoire. L’Ethiopie, menacée par cette prise de pouvoir lance une offensive contre les Tribunaux Islamiques soutenue par les renseignements américains et des frappes aériennes américaines (comme dans le cas du Yémen). Les Tribunaux Islamiques perdent alors leur pouvoir sur la capitale et se disloquent en plusieurs branches, l’une « islamiste modérée » parvient à placer Sharif Sheikh Ahmed à la tête d’un gouvernement de transition où il déclare la Charia constitutionnelle. La seconde branche, Al Shabbaab (la jeunesse), djihadiste, s’en prend au nouveau président l’accusant de s’être soumis aux intérêts américains. Oussama Ben Laden appelle dès 2009 au renversement de Sharif Sheikh Ahmed par les shebabs.

Dès lors, ceux-ci déclenchent une véritable guerre contre le fragile gouvernement de transition. Ils s’emparent progressivement de la quasi-totalité du territoire comme de Mogadiscio et acculent le pouvoir de Sharif Ahmed dans le palais présidentiel de Mogadiscio protégé par une garde largement composée de soldats de l’Union Africaine, principalement Ougandais. Les shebabs manquent alors de peu de s’emparer de la Villa Somalia mais celle-ci est défendue âprement (parmi ses défenseurs sont aussi présents des contractors très probablement employés par la CIA).

Face à ce danger, les pays contributeurs de l’UA dépêchent de nouveaux renforts militaires substantiels qui reprennent le contrôle progressif de la capitale à l’été 2011. Al Shabbaab se replie et riposte en visant les contingents ougandais et burundais par une guerre asymétrique. Elle utilise aussi largement le terrorisme en frappant les pays voisins. C’est pourquoi  les shebabs sont attaqués par le sud par l’armée kényane à partir d’octobre 2011. Même s’ils tentent de ralentir la progression kényane par des combats asymétriques, les shebabs ne peuvent empêcher la prise de leur grande base portuaire de Kismayo fin septembre 2012. Sur la défensive depuis 2011, les shebabs luttent actuellement pour la défense de leurs derniers bastions territoriaux dans le centre et le sud du pays.

Parallèlement, les Etats-Unis qui soutiennent d’un point de vue financier et logistique ces opérations, continuent leurs frappes ciblées contre les militants d’Al-Qaïda présents dans les rangs des shebabs. L’ancien commandant militaire des shebabs, le Kenyan Saleh Ali Saleh Nabhan, lié à Al-Qaïda est abattu au cours d’une opération menée par les forces spéciales américaines le 14 septembre 2009 dans le sud du pays. Par ailleurs, le principal chef d’Al-Qaïda pour toute la corne de l’Afrique, le Comorien Fazul Abdullah Mohamed, responsable des attentats de 1998 en Tanzanie et au Kenya, est abattu par hasard l’un d’un échange de tir avec les forces somaliennes survenu lors des combats de Mogadiscio, le 8 juin 2011.

Al-Qaïda est donc présente depuis longtemps dans cette région et les shebabs ont fait allégeance à Oussama Ben Laden. Mais ce n’est qu’en février 2012 qu’Al-Qaïda Central a annoncé officiellement qu’Al Shabbaab devenait une nouvelle franchise régionale de l’internationale djihadiste. On peut se questionner sur cette officialisation tardive, alors que les shebabs battaient en retraite et qu’à maintes reprises ils ont constitué la force dominante en Somalie. Il est possible de penser qu’Al-Qaïda attendait la prise de la totalité de la capitale pour y décréter un nouvel émirat. Même s’ils sont toujours actifs, les combattants shebabs d’Al-Qaïda ont néanmoins perdu l’occasion d’offrir à l’organisation un nouveau sanctuaire en Afrique. Là encore, face à des armées constituées et soutenues par les Etats-Unis, ils n’ont pu remporter de guerre conventionnelle.

 

Maghreb et Sahel

La quatrième franchise régionale d’Al-Qaïda, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), créée en 2007  fut là encore la récupération opportuniste d’un conflit local de longue date.

Le GSPC algérien, héritier du GIA, en perte de vitesse sur le plan militaire a vu dans la bannière qaïdiste un moyen de relancer son élan de même qu’Al-Qaïda Central, enserré au Waziristan trouvait là à peu de frais une façon de démontrer sa « puissance mondiale ». Le chef de la franchise, Abdelmalek Droukdal, a alors commandité plusieurs attentats d’ampleurs contre son principal ennemi, l’Etat algérien, notamment ceux d’Alger en 2007. De même ses combattants mènent de nombreuses embuscades visant les forces de sécurité algérienne, la plupart des combats et accrochages se déroulant dans les massifs montagneux de Kabylie. Par ailleurs les différentes katibas (phalanges) de la franchise, notamment dirigées par Abou Zeïd et Moktar Belmokhtar (aujourd’hui en rupture avec le groupe).

Cependant, face à la force de l’armée algérienne et à son expérience de la guerre civile contre le GIA, AQMI a trouvé plus bénéfique de réorienter son action vers d’autres Etats de la région, comme la Mauritanie, jugés plus faibles et donc plus faciles à atteindre. Du fait de la chute de Kadhafi en octobre 2011, du pillage par divers groupes islamistes de ses arsenaux et du retour dans leurs pays des mercenaires employés par le dictateur, les combattants touaregs luttant pour l’indépendance de l’Azawad ont subitement acquis dès janvier 2012 la capacité militaire de défaire la faible armée malienne. AQMI s’est donc opportunément engouffrée dans la brèche.

En mars 2012, profitant d’un coup d’Etat à Bamako, les djihadistes associés aux Touaregs défont rapidement les forces maliennes présentes au nord-mali, conquièrent tout l’Azawad et s’emparent des trois plus grandes villes, Gao, Kidal et la cité historique de Tombouctou. AQMI voit très concrètement dans l’Azawad un nouveau sanctuaire territorial appelé à jouer le rôle de l’Afghanistan des Talibans de 1996 à 2001. Son chef, Abdelmalek Droukdel est signalé à Tombouctou avec ses principaux lieutenants. Très vite, les Touaregs indépendantistes sont évincés au profit de trois mouvements alliés, AQMI, le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest, dissidence d’Al-Qaïda voulant rallier tous les djihadistes d’Afrique occidentale et notamment le groupe nigérian Boko Haram) et Ansar Eddine, mouvement touareg salafiste non indépendantiste souhaitant étendre la Charia à tout le Mali.

La Charia est imposée avec exécutions, lapidations, fouettages et destructions de mausolées considérés comme impies. Ne cachant pas sa volonté de prendre Bamako et d’étendre son emprise sur tout le Mali, AQMI a fini par inquiéter les Etats-Unis et leur principal allié dans la région, la France. L’opération en soutien à l’armée malienne et aux forces africaines de la région est prévue à l’automne 2013. Les combattants islamistes prennent ce plan de court en lançant une offensive vers Bamako dès le mois de janvier 2013 forçant ainsi la France à intervenir lourdement en urgence et en première ligne. L’offensive d’AQMI a pu être  instantanément stoppée.

Cependant, les choses ne sont pas encore jouées. Les djihadistes en reviendront certainement à la guerre du « faible au fort » se contentant d’embuscades, de harcèlements et d’attentats. La région montagneuse de Kidal et son massif de l’Adrar des Ifogahs présentant des caractéristiques propices à la guérilla (comme en Afghanistan) pourrait se révéler le lieu d’une guerre de contre-insurrection de longue haleine. Et comme en Afghanistan, en Irak, au Yémen ou en Somalie, si les Etats-Unis, la France et leurs alliés peuvent sans peine détruire les sanctuaires d’Al-Qaïda par des combats frontaux, ils n’ont jusqu’à présent jamais réussi à éradiquer le terrorisme déclenché par chacune de ces franchises.

 

Romain Sens, diplômé du Master II en 2012.

Prix scientifiques de l’IHEDN : Sciences Po Aix à l’honneur

1 Feb

Nous nous réjouissons de voir le Centre d’Histoire militaire comparée de Sciences Po reconnu par la qualité de sa recherche par les prix scientifiques de l’IHEDN 2013. Ont été honorés :

- pour le prix Traité de l’Elysée de Master II Laurent Borzillo pour son mémoire consacré à La Bundeswehr : de la pertinence des réformes à l’aune des opérations extérieures de la dernière décennie.

- pour le prix de thèse le colonel Thierry Noulens pour  sa thèse de doctorat en histoire contemporaine intitulée L’arme blindée et cavalerie en guerre d’Algérie : adaptation d’un système d’arme, entre archaïsme et modernité (1954-1962) », 2 volumes, 1 300 p., sous la direction de Jacques Frémeaux (Paris IV) et de Jean-Charles Jauffret (IEP d’Aix). Soutenu en novembre 2011, ce travail aboutira ainsi à une publication aux éditions SOTECA.

Nous tenons à féliciter les deux lauréats en attendant la remise officielle de leur prix à l’Ecole militaire par l’IHEDN.

Études Géostratégiques

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Latin America Watch

Latin America Watch est un blog de veille et d’analyse de la situation des pays d’Amérique Latine.

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Diploweb.com, revue geopolitique, articles, cartes, relations internationales

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Foreign Affairs

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

CFR.org -

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Historicoblog (3)

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Lignes de défense

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Guerres-et-conflits

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

La voie de l'épée

Master II Histoire militaire comparée, géostratégie, défense et sécurité. Sciences Po Aix

Suivre

Recevez les nouvelles publications par mail.

Rejoignez 173 autres abonnés